Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge en droits, majorations et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution additionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales mises à sa charge au titre de l'année 2015.
Par un jugement n° 2006220 du 11 octobre 2022, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 décembre 2022 et le 26 mars 2025, M. B..., représenté par Me Naïm, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge en droits, majorations et intérêts de retard, de ces cotisations supplémentaires ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a inversé la charge de la preuve de la correcte évaluation de la valeur des marchandises ;
- la proposition de rectification est insuffisamment motivée au sens de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, dès lors qu'elle ne mentionne pas le coefficient de marge retenu pour déterminer la valeur de la marchandise ;
- l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts et la majoration de droits prévue au dernier alinéa de l'article 1758 du code général des impôts sont l'un et l'autre des sanctions ; à ce titre, ils relèvent de la matière pénale au sens de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; or, la présomption de revenus sur laquelle ils reposent viole le principe de présomption d'innocence et les droits de la défense, garantis notamment par cet article 6 et par l'article 48 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- les dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts violent les droits fondamentaux garantis par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la méthode de détermination de la valeur vénale des produits stupéfiants dont il est regardé comme ayant eu la disposition est sommaire et radicalement viciée dans son principe ; faute de déduire le prix d'acquisition de la marchandise, en raison du caractère délictuel de son acquisition, cette méthode a violé, en l'espèce, l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la valeur vénale des produits stupéfiants retenue pour déterminer le revenu présumé à raison duquel il a été rectifié est excessive.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 août 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de la France conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- le moyen tiré de ce que les articles 1649 quater-0 B bis du code général des impôts et 1758 du même code portent atteinte à la présomption d'innocence garantie par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant et infondé ;
- les autres moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hameau ;
- et les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Les services de police ayant été renseignés de façon anonyme sur d'importantes quantités de résine de cannabis que M. B... entreposait au domicile d'un tiers à Poissy, ils ont perquisitionné ce lieu le 17 décembre 2015 et interpellé ce tiers, qu'ils ont placé en garde à vue. M. B... s'étant ensuite spontanément livré, il a été à son tour gardé à vue puis auditionné par la juge d'instruction chargée de l'affaire, devant laquelle il a reconnu avoir déposé les 123,5 kilogrammes de résine de cannabis découverts au domicile perquisitionné, où il avait lui-même entreposé ses produits pendant plusieurs jours. Informée des poursuites par le tribunal de grande instance d'Evry, l'administration lui a notifié, par proposition du 26 juillet 2016, des rectifications au titre de l'année 2015 en matière d'impôt sur le revenu, de contribution additionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales, résultant de la réintégration à son revenu global, en application de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, de la somme de 345 800 euros, correspondant à la valeur vénale, telle qu'évaluée par les services de police, des stupéfiants détenus. M. B... relève appel du jugement du 11 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande de décharge en droits, pénalités et intérêts de retard, de ces impositions supplémentaires.
Sur la régularité du jugement :
2. M. B... soutient que le tribunal a commis une erreur dans la dévolution de la charge de la preuve. Toutefois, ce moyen se rattache au bien-fondé du jugement. Il est donc sans incidence sur sa régularité et doit être écarté.
Sur la régularité de la procédure :
3. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. (...) ".
4. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 26 juillet 2016 adressée à M. B... mentionne que les rectifications sont proposées au titre de l'année 2015 en matière d'impôt sur le revenu, comme revenus présumés au sens de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts. Elle précise le montant en base des revenus ainsi réintégrés, soit 345 800 euros, et fournit les motifs du redressement litigieux en indiquant que M. B..., qui a eu la disposition de 123,5 kilogrammes de cannabis, est présumé avoir alors disposé du revenu correspondant à la valeur vénale de ce cannabis. Elle indique, en page 4, la valeur vénale du gramme de cannabis retenue et le calcul effectué pour déterminer le montant du rehaussement, à savoir, le produit de la quantité de cannabis saisie et du prix au gramme de résine de cannabis. Aucun coefficient de marge n'ayant été appliqué à ce produit, M. B... ne soutient pas utilement que la proposition de rectification est irrégulière faute de mentionner un tel coefficient. La proposition de rectification est ainsi suffisamment motivée.
Sur le bien-fondé des impositions en litige :
En ce qui concerne l'atteinte à la présomption d'innocence et aux droits de la défense :
5. Aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) / 3. Tout accusé a droit notamment à : (...) c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent (...) ". Aux termes de l'article 48 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Tout accusé est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. / 2. Le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé. ".
6. Aux termes de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " 1. Lorsqu'il résulte des constatations de fait opérées dans le cadre d'une des procédures prévues aux articles 53, 75 et 79 du code de procédure pénale et que l'administration fiscale est informée dans les conditions prévues aux articles L. 82 C, L. 101 ou L. 135 L du livre des procédures fiscales qu'une personne a eu la libre disposition d'un bien objet d'une des infractions mentionnées au 2, cette personne est présumée, sauf preuve contraire appréciée dans le cadre des procédures prévues aux articles L. 10 et L. 12 de ce même livre, avoir perçu un revenu imposable équivalent à la valeur vénale de ce bien au titre de l'année au cours de laquelle cette disposition a été constatée. /La présomption peut être combattue par tout moyen et procéder notamment de l'absence de libre disposition des biens mentionnés au premier alinéa, de la déclaration des revenus ayant permis leur acquisition ou de l'acquisition desdits biens à crédit. / Il en est de même des biens meubles qui ont servi à les commettre ou étaient destinés à les commettre. / (...) / 2. Le 1 s'applique aux infractions suivantes : /a. crimes et délits de trafic de stupéfiants prévus par les articles 222-34 à 222-39 du code pénal ; (...) ".
7. Si les dispositions précitées de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts prévoient un dispositif de présomption de revenus pour les contribuables se trouvant en possession de biens, tels des produits stupéfiants, cette présomption, qui est établie à partir de constatations de fait opérées dans des procédures pénales précisément définies, peut être combattue par ces contribuables. Par suite, à supposer même que les dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts puissent être regardées comme instituant une sanction, le dispositif qu'elles prévoient ne porterait pas atteinte au principe de présomption d'innocence ni aux droits de la défense, garantis notamment par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 48 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne précités.
8. Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ".
9. Il résulte des termes mêmes de ces stipulations que les États possèdent le droit de légiférer pour règlementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général. Or, le dispositif prévu par l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, qui vise à appréhender les revenus provenant d'activités illicites et particulièrement du trafic de stupéfiants, s'inscrit précisément dans un objectif d'intérêt général. En outre, l'imposition des sommes mises à la disposition d'un contribuable à un taux identique à celui frappant les autres revenus ne saurait être regardée comme confiscatoire et portant par elle-même atteinte au respect des biens au sens de l'article 1er de ce protocole. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir, comme il le fait d'ailleurs dans des termes très généraux, que les impositions en litige aboutissent à une double confiscation des sommes en cause et, par voie de conséquence, à la méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne le caractère exagéré des rehaussements :
S'agissant de la critique de la " méthode " employée :
10. Selon les termes mêmes de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, lorsqu'une personne a eu la disposition d'une somme provenant directement d'infractions en lien avec le trafic de stupéfiants, elle est réputée avoir perçu un revenu imposable égal au montant de cette somme au titre de l'année au cours de laquelle cette appréhension a été constatée. Pour assujettir le requérant aux impositions en litige, l'administration s'est exclusivement fondée sur ces dispositions en estimant que M. B... avait eu la libre disposition de la résine de cannabis saisie le 17 décembre 2015, dont elle a évalué la valeur à 345 800 euros, mais n'a pas procédé à une reconstitution de bénéfices. Dès lors, le requérant ne peut utilement soutenir que la méthode suivie pour procéder à une telle reconstitution a été " manifestement sommaire et viciée ".
11. Il résulte des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis que le revenu présumé est celui dont a disposé le contribuable en vue d'acquérir les biens illicites en cause. Ainsi, la valeur vénale, au sens de ces dispositions, est celle à laquelle le contribuable est présumé avoir acquis les biens illicites et non celle à laquelle il est susceptible de les céder. En l'espèce, comme indiqué au point 4 du présent arrêt, la valeur vénale des produits stupéfiants dont M. B... est regardé comme ayant eu la disposition a été déterminée en calculant le produit de la quantité de cannabis saisie et du prix d'acquisition au gramme de résine de cannabis sur le marché du semi-gros. Dans ces conditions, contrairement à ce qu'avance M. B..., il a été tenu compte du prix d'acquisition des produits stupéfiants pour déterminer la valeur vénale des stupéfiants saisis. L'intéressé ne peut donc utilement soutenir qu'en s'abstenant de tenir compte du prix d'acquisition des produits stupéfiants à l'origine des rectifications litigieuses pour en déterminer la valeur vénale et, in fine, le revenu dont il a été présumé avoir disposé, l'administration a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
S'agissant de la valeur vénale des biens :
12. M. B... conteste la valeur du gramme de résine de cannabis retenue par l'administration pour déterminer la valeur vénale de celle-ci. Il soutient que l'application du prix au détail n'est pas réaliste, au vu de la masse saisie, et déclare " qu'un individu qui détient ou fait détenir 120 kg de marchandise de cette nature ne les vend pas au gramme mais en quantité plus importante avec une marge moins grande ".
13. Toutefois, le requérant n'apporte aucun élément de nature à établir que la résine de cannabis saisie proviendrait d'un grossiste, ce que ne confirment pas, au surplus, les conditionnements constatés. En effet, la tarification de semi-gros a précisément été retenue au vu de la quantité de résine saisie le 17 décembre 2015 et de la manière dont celle-ci était conditionnée, à savoir, sous forme de quatre ballots pesant entre 25 et 30 kilogrammes, deux pains pesant entre 1 et 2 kilogrammes, et huit plaquettes de 800 grammes. Enfin et surtout, le prix retenu demeure inférieur au prix moyen du gramme de résine de cannabis acheté par le consommateur individuel, puisqu'il résulte de l'instruction que l'administration a retenu le prix de 2 euros 80 centimes du gramme, correspondant au prix en semi-gros de résine de cannabis estimé pour le 4ème trimestre 2014 par la direction centrale de la police judiciaire dans une étude du mois de mai 2015 sur les prix des stupéfiants en France. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'évaluation des bases d'imposition est surévaluée doit être écarté.
14. Dans ces conditions, l'intéressé n'est pas fondé à demander la décharge du supplément d'impôt sur le revenu qui lui a été assigné au titre de l'année 2015 sur le fondement des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, ni la décharge des suppléments de contributions additionnelles sur les hauts revenus et de contributions sociales qui lui ont été assignés par voie de conséquence.
En ce qui concerne les pénalités :
15. Aux termes de l'article 1758 du code général des impôts : " (...) En cas d'application des dispositions prévues à l'article 1649 quater-0 B bis, le montant des droits est assorti d'une majoration de 80 %. ".
16. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 7 du présent arrêt, la majoration de 80 % prévue par les dispositions précitées de l'article 1758 du code général des impôts ne présente pas le caractère d'une sanction automatique portant atteinte au principe de présomption d'innocence et aux droits de la défense, garantis notamment par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 48 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
17. L'unique moyen dirigé par M. B... contre ces pénalités doit ainsi être écarté et celles-ci doivent être maintenues.
18. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de la France.
Copie en sera adressée à l'administratrice des finances publiques chargée de la direction régionale des finances publiques de la région Île-de-France et de Paris (service du contentieux d'appel déconcentré - SCAD).
Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Massias, présidente,
Mme Le Gars, présidente-assesseure,
Mme Hameau, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2025.
La rapporteure,
M. HameauLa présidente,
N. MassiasLa greffière,
A. Gauthier
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de la France en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 22VE02774