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29/04/2025 | FRANCE | N°22VE01980

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 1ère chambre, 29 avril 2025, 22VE01980


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme F... E... née G... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours et le professeur A... D... à lui verser la somme de 445 148,29 euros en réparation de ses préjudices.



Par un jugement n° 1902585 du 7 avril 2022, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté les conclusions dirigées contre le professeur D... comme portées devant une juridiction incompétente, a con

damné le CHRU de Tours à verser à Mme E... une somme de 250 euros, et a mis à la charge du CHRU de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... E... née G... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours et le professeur A... D... à lui verser la somme de 445 148,29 euros en réparation de ses préjudices.

Par un jugement n° 1902585 du 7 avril 2022, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté les conclusions dirigées contre le professeur D... comme portées devant une juridiction incompétente, a condamné le CHRU de Tours à verser à Mme E... une somme de 250 euros, et a mis à la charge du CHRU de Tours les frais d'expertise liquidés à la somme de 1 800 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 10 août 2022, 23 mars, 24 mars, 26 mai 2023 et un mémoire récapitulatif enregistré le 7 juin 2023, Mme E..., représentée par Me Brottier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 7 avril 2022 ;

2°) de condamner le CHRU de Tours à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation du préjudice résultant du défaut d'information ;

3°) de condamner le CHRU de Tours à lui verser la somme de 365 148,29 euros en réparation des divers préjudices subis ;

4°) de mettre à la charge du CHRU de Tours une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

- elle n'a pas été informée des risques avant l'opération ;

- l'expert désigné a fait preuve de partialité ;

- le dévissage de la plaque est lié au mode opératoire et au suivi de surveillance ;

- la reprise chirurgicale n'a eu lieu que le 15 janvier 2010 alors qu'il est probable que les vis avaient déjà sauté le 22 décembre 2009 ;

- le raccourcissement opéré était excessif et le rachis cervical dorsolombaire ne pouvait le compenser ;

- le retrait du matériel a été tardif ;

- ces défauts dans sa prise en charge lui ont occasionné des préjudices.

Par des mémoires en défense enregistrés les 23 février, 7 avril et 1er juin 2023, le centre hospitalier régional universitaire de Tours, représenté par la SCP Le Prado-Gilbert, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le Pr D... a informé la requérante des risques connus de l'opération, à savoir une rééducation longue et une boiterie pendant plusieurs mois ; les douleurs rachidiennes n'étaient pas prévisibles ;

- la preuve des allégations relatives à la partialité de l'expert n'est pas rapportée ;

- le dévissage de la plaque ne résulte pas d'une faute mais constitue une complication peu fréquente ;

- aucune faute ne peut être retenue dans le choix de l'intervention ni dans sa réalisation ; cette opération est réalisée chez les adultes lorsqu'une épiphysiodèse chirurgicale n'est plus possible ;

- à supposer qu'il y ait eu retard pour la reprise chirurgicale, il n'est que de 10 jours ;

- les préjudices invoqués par la requérante ne sont pas liés à l'intervention ;

- à titre subsidiaire, les chefs de préjudice invoqués ne sont pas fondés ou sont excessifs.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 juillet 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Le Gars,

- et les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. En raison d'une inégalité de longueur de ses membres inférieurs et d'une bascule de ses hanches, consécutives à une fracture de son fémur gauche à l'âge de six ans, Mme E..., née en 1969, a subi, le 15 décembre 2009, au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours, une intervention d'ostéotomie diaphysaire proximale stabilisée par un clou centromédullaire avec une plaque vissée maintenant en compression le foyer d'ostéotomie. Une reprise chirurgicale a eu lieu le 15 janvier 2010 au CHRU de Tours à la suite de l'extraction des deux vis mono-corticales supérieures au regard du trait d'ostéotomie occasionnant la mobilisation du foyer d'ostéotomie. Les autres vis de verrouillage ont été enlevées les 8 juin et 18 juin 2019. Souffrant de douleurs au rachis cervical et au rachis dorso-lombaire depuis son opération, Mme E... a présenté, le 7 février 2019, une demande d'indemnisation à l'établissement, qui a été rejetée par courrier du 27 juin 2019. A la demande de Mme E..., le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a ordonné une expertise. Mme E... a également demandé au tribunal administratif la condamnation du CHRU de Tours au paiement d'une indemnité de 445 148,29 euros en réparation des préjudices résultant des suites de sa prise en charge. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif a condamné le CHRU de Tours à ne lui verser qu'une indemnité de 250 euros et a rejeté le surplus de sa demande.

Sur l'impartialité de l'expert :

2. Mme E... met en cause l'impartialité de l'expert, le Dr C..., aux motifs qu'il aurait déclaré " c'est trop facile de critiquer, je suis moi-même chirurgien orthopédiste " et qu'il aurait refusé de modifier dans le rapport les dimensions de ses cicatrices, en dépit de sa demande. Toutefois, d'une part, aucun élément ne permet de considérer que ce médecin aurait eu des relations, directes ou indirectes, avec le CHRU de Tours, et d'autre part, l'expert a, avant de débuter sa mission, prêté serment, dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative. Dans ces conditions, les éléments avancés par Mme E... sont insuffisants pour caractériser un manquement de l'expert à son devoir d'impartialité dans la conduite des opérations d'expertise.

Sur la responsabilité du CHRU de Tours :

En ce qui concerne le devoir d'information :

3. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " I. - Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. (...) ".

4. Il résulte de l'instruction que lors de la consultation du 29 juillet 2009, le Pr D... a informé Mme E... que l'opération envisagée entraînerait une boiterie pendant plusieurs mois et nécessiterait une longue rééducation. Il indique que l'intéressée restait d'accord sur le principe de l'opération. Le rapport d'expertise mentionne par ailleurs que les complications, en particulier les douleurs du rachis cervical et du rachis dorsolombaire, ne pouvaient être initialement prévues, notamment du fait de l'essai pendant trois mois de port d'une talonnette de 3,5 cm d'épaisseur simulant la réduction de l'inégalité des membres inférieurs. Si Mme E... soutient également qu'elle n'a pas été informée du fait que l'opération envisagée de raccourcissement fémoral ne se pratique pas chez des adultes, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que cette intervention était l'une des deux options chirurgicales possibles même si elle est peu fréquente chez les adultes. Enfin, concernant la consultation du 6 janvier 2010, Mme E... a été informée de l'extraction de deux vis et de la mobilité de la plaque d'ostéosynthèse. Si aucune information ne lui a été donnée sur la future reprise chirurgicale, il résulte de l'instruction que le Pr D... n'envisageait pas lors de cette consultation une telle opération. Par suite, aucun manquement dans l'information des risques normalement prévisibles ne peut être reproché au CHRU de Tours.

Sur les autres manquements invoqués :

5. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

Concernant le choix thérapeutique :

6. Ainsi qu'il vient d'être dit, si le raccourcissement fémoral est peu pratiqué chez les adultes dès lors que les enfants peuvent bénéficier pendant la croissance d'une épiphysiodèse chirurgicale, il résulte de l'instruction que le rallongement d'un membre permettait également de traiter une inégalité de longueur, mais constituait une opération plus lourde et risquant de causer davantage de complications. Le Dr B..., chirurgien orthopédiste consulté par Mme E..., a ainsi envisagé cette opération et adressé l'intéressée au Pr D... pour solliciter son avis et la réaliser. Il résulte notamment du rapport d'expertise que l'option chirurgicale choisie était plausible. Si Mme E... soutient également que l'ablation d'une longueur de 3,5 cm, soit de toute la longueur de l'inégalité des membres inférieurs, était excessive, cette affirmation n'est étayée par aucun élément, d'autant plus que la modification du schéma corporel avait été simulée auparavant par le port d'une talonnette de 3,5 cm d'épaisseur pendant trois mois, sans que Mme E... ne se plaigne de douleurs particulières. Si Mme E... a, par la suite, informé l'expert qu'elle n'avait porté cette talonnette que ponctuellement, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle en aurait averti également le Pr D... lors de la consultation du 29 juillet 2009, ce dernier notant au contraire que " le port d'une talonnette de 3,5 cm lui a procuré manifestement une amélioration de son état général et notamment de ses problèmes de dos ". Aucune faute ne peut ainsi être retenue dans le choix de pratiquer cette opération.

Concernant le dévissage de la plaque d'ostéosynthèse et la prise en charge post-opératoire :

7. Si Mme E... soutient que le dévissage de la plaque d'ostéosynthèse occasionné par l'extraction de deux vis est lié au mode opératoire, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que l'extraction des vis, à l'origine de la mobilité de la plaque, n'est pas fréquente et en l'espèce, n'est pas liée au mode opératoire, l'ostéotomie de raccourcissement ayant été réalisée dans les règles de l'art. En revanche, l'extraction des deux vis à l'origine de la mobilité de la plaque d'ostéosynthèse a été révélée par une radiographie réalisée le 5 janvier 2010. En ne prévoyant pas, lors de la consultation du 6 janvier 2010, la reprise chirurgicale, qui n'a eu lieu que le 15 janvier suivant à la demande du Dr B..., le CHRU de Tours a tardé à prendre les mesures nécessaires dans le suivi post-opératoire et a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

Concernant le retrait du matériel orthopédique :

8. Mme E... a subi l'ablation de deux vis de verrouillage en juin 2010 puis en 2019, à sa demande. Il résulte de l'instruction et en particulier du rapport d'expertise que ces deux retraits résultent d'un aléa thérapeutique fréquent dans les suites de la stabilisation et du verrouillage proximal et distal, sans lien avec l'intervention du 15 décembre 2009. En outre, aucun des documents produits par Mme E... ne met en évidence la nécessité de retirer le matériel orthopédique ou ne permet de considérer qu'il aurait été retiré tardivement. Aucune faute ne peut, par suite, être imputée au CHRU de Tours à ce titre.

Sur les préjudices :

9. Il résulte de ce qui précède que seule la réparation des préjudices résultant du retard dans la prise en charge du 15 janvier 2010 peut être mise à la charge du CHRU de Tours.

Sur les préjudices temporaires :

10. Le déficit fonctionnel temporaire, de 50 % du 23 décembre 2009 au 13 janvier 2010, a été rallongé de neuf jours par ce retard dans la prise en charge du 15 janvier 2010. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en fixant l'indemnité réparatrice à la somme de 100 euros. De même, les douleurs endurées par Mme E... liées à l'extraction des vis de verrouillage et à la mobilité de la plaque d'ostéosynthèse ont été prolongées jusqu'au 15 janvier 2010 alors qu'elle aurait dû bénéficier d'une reprise chirurgicale dans les jours suivant la consultation du 6 janvier précédent. Elles ont été estimées à une intensité de 2 sur une échelle de 7 par l'expert. En fixant l'indemnité réparatrice à la somme de 250 euros, le tribunal a justement apprécié ce chef de préjudice.

Sur les préjudices permanents :

11. L'ensemble des préjudices permanents postérieurs à la consolidation de l'état de santé de la requérante fixé au 31 août 2010 par l'expert, ne résultent pas du retard dans la prise en charge du 15 janvier 2010. Les conclusions indemnitaires présentées à ce titre doivent ainsi être rejetées.

12. Il résulte de ce qui précède que l'indemnité que le CHRU de Tours a été condamné à verser à Mme E... doit être portée à la somme de 350 euros.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHRU de Tours le versement d'une somme de 1 500 euros à verser à Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : L'indemnité que le CHRU de Tours a été condamné à payer à Mme E... par le jugement n° 1902585 du 7 avril 2022 du tribunal administratif d'Orléans en réparation des préjudices subis est portée à la somme de 350 euros.

Article 2 : Le CHRU de Tours versera à Mme E... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme E... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... E..., au centre hospitalier régional universitaire de Tours, au professeur D..., à la Mutualité sociale agricole Sèvres-Vienne, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne et à la caisse primaire d'assurance maladie de Charente-Maritime.

Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Massias, présidente de la cour,

Mme Le Gars, présidente-assesseure,

Mme Hameau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2025 .

La rapporteure,

A.C. Le GarsLa présidente,

N. MassiasLa greffière,

A. Gauthier

La République mande et ordonne au ministre de du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 22VE01980


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22VE01980
Date de la décision : 29/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : Mme MASSIAS
Rapporteur ?: Mme Anne-Catherine LE GARS
Rapporteur public ?: M. LEROOY
Avocat(s) : SCPA BROTTIER

Origine de la décision
Date de l'import : 10/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-29;22ve01980 ?
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