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06/03/2025 | FRANCE | N°23VE00089

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 5ème chambre, 06 mars 2025, 23VE00089


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner le groupe hospitalier Carnelle Portes de l'Oise à lui verser la somme de 163 951 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de son hospitalisation dans cet établissement, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard.



Par un jugement n° 1911501 du 15 novembre 2022,

le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande et mis à sa charge les frais et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner le groupe hospitalier Carnelle Portes de l'Oise à lui verser la somme de 163 951 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de son hospitalisation dans cet établissement, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1911501 du 15 novembre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande et mis à sa charge les frais et honoraires d'expertise à hauteur de 50 %.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 janvier 2023, Mme B..., représentée par Me Buzon, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le groupe hospitalier Carnelle Portes de l'Oise à lui verser la somme de 163 951 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de son hospitalisation dans cet établissement, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge du groupe hospitalier Carnelle Portes de l'Oise la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le groupe hospitalier Carnelle Portes de l'Oise a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité, d'une part, en omettant de l'informer oralement des risques de l'opération qu'elle a subie le 18 décembre 2015, d'autre part, en ne l'informant pas sur les circonstances et les causes de la perte d'une dent et des ecchymoses apparues à l'issue de l'opération ainsi qu'en s'abstenant de faire figurer cet incident au dossier médical et, enfin, en procédant à une prise en charge post opératoire inadaptée ;

- elle est en droit d'obtenir le remboursement des frais d'expertise qu'elle a dû prendre à sa charge, à hauteur de 4 500 euros ;

- elle a été victime d'un préjudice professionnel post consolidation pour lequel elle demande une indemnisation de 50 000 euros ;

- le groupe hospitalier sera condamné à lui verser 4 851 euros en réparation de son déficit fonctionnel temporaire ;

- elle est fondée à solliciter une indemnisation de 20 000 euros au titre des souffrances endurées avant la consolidation de son état de santé et de 15 000 euros après consolidation ;

- le groupe hospitalier devra lui verser la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice esthétique temporaire ;

- elle évalue son déficit fonctionnel permanent à la somme de 34 100 euros ;

- elle est fondée à demander le versement de la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice sexuel ;

- son préjudice d'agrément sera indemnisé à hauteur de 15 000 euros.

Par deux mémoires, enregistrés les 17 mars 2023 et 1er février 2024, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme, venant aux droits du centre national recours contre tiers de la sécurité sociale des indépendants (RSI) d'Auvergne, représentée par Me Ginestet-Vasutek, avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner le groupe hospitalier Carnelle Portes de l'Oise à lui verser la somme provisionnelle de 30 558,12 euros correspondant au montant des prestations dont elle s'est déjà acquittée en lien avec le dommage subi par Mme B..., avec intérêts de droit à compter du jour de la première demande ;

2°) de condamner le groupe hospitalier Carnelle Portes de l'Oise à lui verser la somme de 1 191 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

3°) de mettre à la charge du groupe hospitalier Carnelle Portes de l'Oise la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les experts ont relevé des manquements du personnel du groupe hospitalier dans la prise en charge post opératoire de Mme B... et dans l'obligation d'information qui lui incombe s'agissant des circonstances et des causes de la perte de la dent et des ecchymoses de l'intéressée ;

- elle a pris à sa charge la somme de 1 753,17 euros au titre des dépenses de santé avant la consolidation de l'état de santé de l'intéressée ;

- elle demande le remboursement de la somme de 296,64 euros correspondant aux dépenses de santé engagées post-consolidation ;

- elle a versé à Mme B... la somme de 15 268,65 euros au titre des pertes de gains professionnels avant la consolidation de son état de santé et celle de 13 239,66 euros au titre des pensions d'invalidité entre la consolidation de son état de santé et le 30 novembre 2019.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2023, l'hôpital Nord-Ouest Val-d'Oise, regroupant l'ancien groupe hospitalier Carnelle Portes de l'Oise, représenté par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conclut au rejet de la requête et des conclusions présentées par la CPAM du Puy-de-Dôme.

Il fait valoir que :

- à titre principal, il n'a commis aucune faute dans la prise en charge pré-opératoire et post-opératoire de Mme B... et dans la mise en œuvre de ses obligations d'information ;

- à titre subsidiaire, il n'existe pas de lien de causalité entre les fautes alléguées et les préjudices dont il est demandé réparation et les évaluations sont en tout état de cause disproportionnées ;

- la CPAM du Puy-de-Dôme ne justifie pas de sa capacité pour agir, la décision d'habilitation produite étant devenue caduque.

Vu :

- les ordonnances de taxation n° 1604818 du président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 17 mai 2018 ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 18 décembre 2023 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2024 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florent,

- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,

- et les observations Me Buzon pour Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... B..., née le 11 février 1972, a été hospitalisée, le 18 décembre 2015, au groupe hospitalier Carnelle Portes de l'Oise, afin d'y bénéficier d'une opération de reperméabilisation des trompes sous anesthésie générale. A la suite de l'opération, elle a été informée par le personnel hospitalier qu'elle avait été particulièrement agitée au cours de celle-ci et que son incisive centrale inférieure (dent n° 41), qui s'était brisée au contact de la canule de Guedel utilisée pour maintenir ses voies aériennes ouvertes, avait dû être extraite. A sa sortie de l'hôpital et compte tenu des douleurs bucco-dentaires ressenties, Mme B... a consulté son dentiste puis le centre hospitalier René Dubos de Pontoise, lesquels ont constaté un traumatisme bucco-dentaire et un déficit d'ouverture buccale (trismus) avec suspicion de fracture de la mâchoire. En outre, son médecin généraliste a constaté, le 28 janvier 2016, que l'intéressée souffrait d'un syndrome anxio-dépressif. Le 23 mai 2016, Mme B... a saisi, en application de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui a ordonné le 30 décembre 2016 la réalisation d'une expertise médicale dont les conclusions ont été déposées le 4 février 2018. A la suite du rejet de sa demande indemnitaire formée le 3 juin 2019, Mme B... a sollicité du tribunal administratif de Cergy-Pontoise la condamnation du groupe hospitalier Carnelle Portes de l'Oise à lui verser la somme de 163 951 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait des fautes commises par cet établissement ainsi qu'à la prise en charge des frais d'expertise. Par la présente requête, Mme B... relève appel du jugement du 15 novembre 2022 par lequel le tribunal a rejeté sa demande. La CPAM du Puy-de-Dôme, dont les demandes ont également été rejetées par le tribunal, sollicite pour sa part de nouveau en appel la condamnation du groupe hospitalier Carnelle Portes de l'Oise, devenu l'hôpital Nord-Ouest Val-d'Oise, à lui verser la somme de 30 558,12 euros correspondant au montant des prestations dont elle s'est acquittée en lien avec le dommage subi par Mme B... ainsi que la somme de 1 191 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Sur la recevabilité du recours subrogatoire de la CPAM du Puy-de-Dôme :

2. Il résulte de l'instruction que, par une décision du 1er janvier 2022 régulièrement publiée, le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie a habilité la CPAM du Puy-de-Dôme à gérer l'activité de recours contre tiers relatifs aux sinistres déclarés auprès de l'assurance maladie avant le 1er janvier 2020 concernant des assurés travailleurs indépendants affiliés au sein d'une caisse de France métropolitaine ou des départements et régions d'Outre-mer. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par l'établissement hospitalier et tirée de l'absence de capacité pour agir de la CPAM du Puy-de-Dôme au nom et pour le compte de la caisse régionale du régime social des indépendants d'Auvergne à laquelle était affiliée Mme B... doit être écartée.

Sur la responsabilité de l'établissement hospitalier :

En ce qui concerne le défaut d'information antérieurement à l'opération :

3. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) ".

4. Mme B... soutient qu'elle n'a pas été informée des conséquences et des risques liés aux anesthésies générales préalablement à son opération du 18 décembre 2015. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 4 février 2018, que la requérante a été reçue en consultation d'anesthésie le 16 décembre 2015 et a été informée à cette occasion, notamment par écrit, des risques et des inconvénients de l'anesthésie dont elle s'apprêtait à faire l'objet, le livret remis à l'intéressée en prévision de la réalisation de l'intervention chirurgicale précisant notamment que " l'anesthésie et la chirurgie sont parfois suivies d'évènements désagréables " et que " des traumatismes dentaires sont possibles ". Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le groupe hospitalier Carnelle Portes de l'Oise a méconnu son obligation d'information prévue par les dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique.

En ce qui concerne le défaut d'information et de prise en charge adaptée postérieurement à l'opération :

5. Aux termes de l'article L. 1142-4 du code de la santé publique, dans sa version alors applicable : " Toute personne victime ou s'estimant victime d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins (...) doit être informée par le professionnel, l'établissement de santé, les services de santé ou l'organisme concerné sur les circonstances et les causes de ce dommage. / Cette information lui est délivrée au plus tard dans les quinze jours suivant la découverte du dommage ou sa demande expresse, lors d'un entretien au cours duquel la personne peut se faire assister par un médecin ou une autre personne de son choix. ".

6. Mme B... a déclaré, lors de sa requête en référé-expertise datée de mai 2016, " qu'en salle de réveil, le docteur A..., anesthésiste, [lui] a remis un petit flacon à urine contenant une dent, lui expliquant qu'il s'agissant de sa dent n° 41, arrachée durant l'opération car elle aurait été très agitée durant l'intervention, elle aurait brisé avec ses dents la canule de Guedel (...) et aurait ainsi cassé sa dent n° 41 qui aurait dû être extraite ". Lors de son audition en septembre 2017 par le collège d'experts désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, Mme B... a par ailleurs indiqué que le personnel lui avait expliqué qu'en raison de son agitation pendant l'opération, elle avait dû être attachée aux barreaux prévus à cet effet. Il résulte ainsi des propres déclarations de Mme B... que l'intéressée a été informée immédiatement après l'opération par le personnel hospitalier de ce qu'une de ses dents avait été arrachée et des circonstances de l'apparition de ce dommage et des ecchymoses sur ses bras et son torse. En revanche, il est constant qu'aucune explication n'a été apportée à Mme B... s'agissant de l'ecchymose apparu sur son visage et des douleurs empêchant l'ouverture de sa mâchoire alors que le trismus dont souffrait la requérante a pu être constaté par son médecin traitant le jour-même, immédiatement après sa sortie autorisée de l'hôpital en fin de journée. Il résulte par ailleurs de l'instruction que l'information de Mme B... n'a été accompagnée d'aucun conseil sur les soins à entreprendre, notamment pour sa dent arrachée et le traumatisme de la mâchoire dont elle souffrait à sa sortie de l'établissement. Enfin, le dossier médical de l'intéressée ne retrace aucunement les complications qu'a connues Mme B... durant son opération, ni ses douleurs. Dans ces conditions, Mme B... est fondée à soutenir que le groupe hospitalier Carnelle Portes de l'Oise a commis une faute en ne procédant pas à sa complète information des dommages subis durant l'opération conformément aux dispositions de l'article L. 1142-4 du code de la santé publique et en s'abstenant de mettre en place un protocole de soins adapté aux blessures de la requérante ou de lui délivrer tout conseil sur les soins adaptés à ces blessures avant d'autoriser sa sortie de l'hôpital.

Sur le lien de causalité entre la faute commise et les préjudices subis par Mme B... :

7. Si, ainsi qu'il a été dit, le groupe hospitalier n'a pas procédé à la complète information de Mme B... et l'a laissée regagner son domicile sans mettre en place un protocole de soins adapté aux blessures qui lui avaient été occasionnées durant son opération chirurgicale, il résulte toutefois de l'instruction qu'après avoir consulté son médecin généraliste et son dentiste, la requérante s'est rendue, le 21 décembre 2015, au service des urgences de stomatologie du centre hospitalier René Dubos de Pontoise où le personnel médical a, d'une part, constaté qu'elle souffrait de contusions des articulations temporo-mandibulaires ainsi que d'une fracture et d'une avulsion de la dent n° 41 et, d'autre part, lui a prescrit des anti-douleurs et lui a fixé un rendez-vous le 28 décembre 2015. Si, lors de ce second rendez-vous, Mme B... s'est vu par ailleurs prescrire quinze séances de kinésithérapie maxillo-faciale, il est constant que l'intéressée n'a jamais effectué ces séances. Il résulte enfin du rapport d'expertise que Mme B... a poursuivi sa prise en charge au centre hospitalier René Dubos où des soins stomatologiques lui ont été prodigués, une prothèse amovible puis un bridge avec couronne céramique lui ayant été posés en avril et mai 2016. Dans ces conditions, le défaut de prise en charge adaptée par le personnel du groupe hospitalier, avant la sortie d'hospitalisation de Mme B..., n'a entraîné pour elle aucun retard dans la prise en charge de ses difficultés stomatologiques, dont la survenue n'était pas fautive, et ne saurait ouvrir droit à réparation.

8. En revanche, il résulte de l'instruction que Mme B... a développé un syndrome anxio-dépressif constaté dès le 28 janvier 2016 et imputable selon le rapport d'expertise à la fois aux complications qu'a connues la patiente durant son opération chirurgicale et à l'absence d'explication et de proposition de prise en charge par le groupe hospitalier Carnelle Portes de l'Oise. Dès lors, toutefois, qu'il n'est pas certain que Mme B... n'aurait pas développé ce syndrome anxio-dépressif du seul fait des blessures constatées à son réveil et compte tenu de ce que l'intéressée avait par ailleurs reçu une information, bien que partielle, des complications rencontrées durant l'intervention chirurgicale, il y a lieu d'évaluer à 30 % la perte de chance de Mme B... d'éviter le syndrome anxio-dépressif dont elle est atteinte en lien direct avec la faute commise par l'établissement hospitalier.

Sur les droits à réparation de Mme B... et le recours subrogatoire de la CPAM du Puy-de-Dôme :

9. Le collège d'experts mandaté par le tribunal administratif a estimé que du point de vue psychiatrique, la consolidation était acquise le 13 janvier 2018, a fixé le déficit fonctionnel temporaire à 25 % du 19 décembre 2015 au 31 mai 2016 puis à 20 % jusqu'au 12 janvier 2018 et le déficit fonctionnel permanent à 15 %.

En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :

S'agissant des pertes de revenus et du préjudice d'incidence professionnelle :

10. Mme B... fait valoir qu'elle n'a pu reprendre son activité libérale de vendeuse en prêt-à-porter du fait de son syndrome anxio-dépressif et a dû se réorienter professionnellement, en 2019, travaillant désormais dans une agence immobilière. Il résulte toutefois de ses avis d'imposition que, pour les années 2013, 2014 et 2015, les revenus de la requérante n'ont pas excédé la somme de 27 667 euros et n'ont fait que décroître, Mme B... n'ayant déclaré que 7 734 et 6 307 euros de revenus en 2014 et 2015, soit 7 000 euros par an en moyenne, sans que cette diminution de salaire ne puisse être imputée à des problèmes de santé momentanés. Il n'est ainsi pas établi que la perte de revenus subie par l'intéressée sur les années 2016 à 2018, qui doit ainsi être évaluée à 21 000 euros, n'aurait pas été entièrement compensée par les indemnités journalières d'un montant de 14 457,70 euros qui lui ont été versées pour la période du 18 décembre 2015 au 30 novembre 2017 et la pension d'invalidité qui lui a été octroyée pour un montant de 14 050,61 euros pour la période du 1er décembre 2017 au 31 décembre 2018, soit un montant total de 21 888,48 euros sur ces trois années. Il ne résulte pas davantage de l'instruction, notamment des avis d'imposition produits, que la requérante, qui indique avoir repris une activité en 2019, ait subi une perte de revenus postérieurement au 31 décembre 2018. Enfin, il n'est pas établi que le changement de profession de la requérante serait la conséquence directe du syndrome anxio-dépressif développé par l'intéressée dès lors, notamment, que le travail en agence immobilière implique, comme la vente, un contact régulier avec la clientèle. Les revenus perçus par la requérante à compter de 2019 sont par ailleurs largement supérieurs à ceux perçus durant les trois années précédant l'intervention chirurgicale. La demande d'indemnisation présentée par Mme B... au titre de ses pertes de revenus et de l'incidence professionnelle doit donc être rejetée.

11. La demande indemnitaire au titre du préjudice de retraite allégué par la requérante, qui n'est étayée d'aucun argumentaire, document ou chiffrage, ne peut également qu'être rejetée.

12. En revanche, ainsi qu'il vient d'être indiqué, la CPAM du Puy-de-Dôme justifie avoir versé à Mme B... des indemnités journalières d'un montant de 14 457,70 euros ayant eu pour effet de compenser sa perte de revenus jusqu'au 30 novembre 2017 ainsi qu'une pension d'invalidité pour un montant de 14 050,61 euros pour la période du 1er décembre 2017 au 30 novembre 2019. Ainsi qu'il vient toutefois d'être énoncé, il ne résulte pas de l'instruction que le changement de profession de Mme B... est directement imputable au syndrome anxio-dépressif de la requérante. Par ailleurs, il résulte de ce qui a été indiqué au point précédent que les revenus de Mme B... tirés de son activité libérale étaient en moyenne de 7 000 euros par an. Par suite, il y a lieu de condamner l'hôpital Nord-Ouest Val-d'Oise à verser à la CPAM du Puy-de-Dôme 30 % de la somme de 21 000 euros (3 x 7 000 euros) au titre de la perte de revenus couverte par les prestations servies de 2015 à 2018, soit la somme de 6 300 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2020, date de la première demande de la caisse en vue d'obtenir le remboursement de ses débours.

S'agissant des dépenses de santé :

13. Si la CPAM du Puy-de-Dôme verse au dossier un état des frais médicaux et pharmaceutiques qu'elle a exposés, ce seul document, ainsi que le soutient le groupement hospitalier en défense, ne permet pas de déterminer la part des frais médicaux imputables uniquement au syndrome anxio-dépressif dont souffre Mme B.... Dans ces conditions, le quantum du préjudice indemnisable n'étant pas établi en dépit d'une mesure diligentée par la cour, il y a lieu de rejeter les conclusions que présente la CPAM à ce titre.

En ce qui concerne les préjudices personnels :

14. S'agissant du déficit fonctionnel temporaire de Mme B..., évalué à 25 puis 20 % par les experts ainsi qu'il a été énoncé précédemment, il sera ainsi fait une juste évaluation de ce préjudice en allouant à la requérante la somme totale de 4 783,5 euros qu'elle demande. Il sera également fait une juste évaluation des souffrances temporaires endurées par Mme B..., fixées à 4/7 par le collège d'experts mais comprenant également les souffrances liées au traumatisme bucco-dentaire non lié à la faute commise par l'établissement hospitalier, à la somme de 6 000 euros.

15. S'agissant du déficit fonctionnel permanent de 15 % lié à l'état psychologique de Mme B..., il sera fait une juste évaluation du préjudice de la requérante, âgée de quarante-cinq ans à la date de la consolidation de son état de santé, à la somme de 28 000 euros, augmentée d'une somme de 5 000 euros au titre du préjudice sexuel subi par l'intéressée et constaté par le collège d'experts. Il n'y a pas lieu en revanche d'indemniser les souffrances endurées par l'intéressée postérieurement à sa consolidation, cette indemnisation étant comprise dans celle octroyée au titre du déficit fonctionnel permanent. Il en est de même du préjudice d'agrément allégué par Mme B..., celle-ci n'établissant pas avoir eu en particulier une activité sportive antérieure que lui interdirait désormais son état de santé.

16. En conséquence, il y a lieu de condamner l'hôpital Nord-Ouest Val-d'Oise à verser à Mme B... la somme de 13 135,05 euros correspondant à la perte de chance de 30 % de l'intéressée d'échapper à l'ensemble de ces préjudices personnels. Il n'y a pas lieu en revanche d'assortir cette condamnation d'une astreinte.

17. Il résulte tout ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :

18. Aux termes de l'arrêté du 18 décembre 2023 relatif à l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " Les montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 118 € et 1 191 € au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2024 ". En vertu de ces dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de l'hôpital Nord-Ouest Val-d'Oise la somme de 1 191 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur les frais et honoraires d'expertise :

19. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge définitive de l'hôpital Nord-Ouest Val-d'Oise les frais et honoraires taxés par trois ordonnances du président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 17 mai 2018 à la somme totale de 4 800 euros TTC.

Sur les frais de l'instance :

20. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'hôpital Nord-Ouest Val-d'Oise la somme de 1 500 euros à verser à Mme B... et la somme de 1 500 euros à verser à la CPAM du Puy-de-Dôme en remboursement des frais d'avocats exposés par ces dernières dans le cadre de la présente instance et de rejeter les conclusions présentées au même titre par le groupement hospitalier.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1911501 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 15 novembre 2022 est annulé.

Article 2 : L'hôpital Nord-Ouest Val-d'Oise est condamné à verser à Mme B... la somme de 13 135,05 euros en réparation de ses préjudices.

Article 3 : L'hôpital Nord-Ouest Val-d'Oise est condamné à verser à la CPAM du Puy-de-Dôme la somme de 6 300 euros en remboursement de ses débours, avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2020, ainsi que la somme de 1 191 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Article 4 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme globale de 4 800 euros TTC sont mis à la charge de l'hôpital Nord-Ouest Val-d'Oise.

Article 5 : L'hôpital Nord-Ouest Val-d'Oise versera à Mme B... et à la CPAM du Puy-de-Dôme la somme de 1 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de Mme B... et de la CPAM du Puy-de-Dôme est rejeté.

Article 7 : Les conclusions présentées par l'hôpital Nord-Ouest Val-d'Oise sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., à l'hôpital Nord-Ouest Val-d'Oise et à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme venant aux droits du centre national recours contre tiers de la sécurité sociale des indépendants (RSI) d'Auvergne.

Délibéré après l'audience du 13 février 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Signerin-Icre, présidente,

M. Camenen, président assesseur,

Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mars 2025.

La rapporteure,

J. FLORENTLa présidente,

C. SIGNERIN-ICRE

La greffière,

V. MALAGOLI

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 23VE00089 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE00089
Date de la décision : 06/03/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: Mme Julie FLORENT
Rapporteur public ?: Mme JANICOT
Avocat(s) : SARL LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-06;23ve00089 ?
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