Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) " Etablissements Roubaix Père et Fils " a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017 ainsi que des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2015 et 2016 et des pénalités correspondantes.
Par un jugement n°2102705 du 8 juin 2023, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 3 juillet 2023 et 8 février 2024, l'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils ", représentée par Me Philip, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils " soutient que :
- elle justifie, par la production de factures régulières, de la réalité des prestations ouvrant droit à la déduction de taxe sur la valeur ajoutée, sans que l'administration n'apporte la preuve de leur caractère non déductible ;
- elle justifie également de ce fait de la déductibilité des charges réintégrées dans son bénéfice imposable ;
- l'administration ne saurait se prononcer sur l'opportunité de ses choix de gestion pour soutenir que les dépenses en litige n'ont pas été prises dans l'intérêt de l'entreprise ;
- l'administration n'apporte pas la preuve du caractère intentionnel du manquement à son obligation déclarative ;
- l'application de la pénalité prévue par les dispositions de l'article 1759 du code général des impôts est injustifiée, dès lors que les éléments transmis concernant la désignation des sommes distribuées ne sauraient être assimilés à une absence de réponse ; l'application de cette pénalité est ainsi contraire aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 octobre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au non-lieu à statuer à hauteur de la remise accordée le 5 septembre 2023 et au rejet du surplus des conclusions de la requête de l'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils ".
Le ministre fait valoir que :
- du fait de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de l'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils ", les amendes qui lui avaient été infligées en application de l'article 1759 du code général des impôts ont été remises par une décision du 5 septembre 2023, à hauteur de 225 737 euros pour l'année 2015 et à hauteur de 165 701 euros pour l'année 2016 ;
- les moyens de la requête sont infondés.
Par ordonnance du 7 janvier 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 21 janvier 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Troalen,
- et les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) " Etablissements Roubaix Père et Fils ", qui exercice une activité de prestations de services en serrurerie, vitrerie, plomberie, électricité, rénovation, aménagement pour les personnes à mobilité réduite, dépannage et d'achat-vente d'électroménager, a fait l'objet d'une vérification de sa comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, étendue jusqu'au 31 décembre 2017 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Le service vérificateur a remis en cause la déduction de charges opérées sous le poste comptable " annonces et insertions " de son bénéfice imposable ainsi que la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée grevant des prestations de référencement sur internet, certaines factures n'ayant pas été présentées et la réalité des prestations n'ayant pas été démontrée. Par une proposition de rectification du 31 juillet 2018, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ont été mises à sa charge au titre des exercices clos en 2015 et 2016, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017. L'EURL relève appel du jugement du 8 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande de décharge de ces impositions.
Sur l'étendue du litige :
2. Le 5 septembre 2023, postérieurement à l'introduction de la requête d'appel, l'administration fiscale a, sur le fondement des dispositions de l'article 1756 du code général des impôts, prononcé la remise des sommes de 225 737 euros et 165 701 euros, correspondant aux amendes infligées à l'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils " en application de l'article 1759 du code général des impôts, après l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire la concernant. Les conclusions à fin de décharge présentées par l'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils " sont, dans cette mesure, devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés :
3. Aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature (...) "
4. Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.
5. L'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils " a comptabilisé en charges déductibles de son bénéfice imposable, au titre des exercices clos en 2015 et 2016, des prestations de référencement sur internet facturées par les sociétés Stelar Web, DS Marketing, France services, Net developpement, Ka Services, Nathali-BVDA, BSD et AMS.
6. L'administration a, d'une part, remis en cause la déductibilité de l'ensemble des sommes facturées en 2015, ainsi que de celles facturées en 2016 par les sociétés BSD et Nathali-BVDA et celles facturées les 12 mai et 9 août 2016 par la société Ka Services et celle facturée le 8 novembre 2016 par la société AMS, en l'absence de production des factures correspondantes. L'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils " ne justifiant pas de l'existence de telles factures, le service a pu à bon droit remettre en cause la déductibilité de ces sommes.
7. L'administration a, d'autre part, estimé que bien que des factures aient été présentées pour les autres prestations facturées en 2016, par les sociétés Ka Services, AMS et Net developpement, celles-ci n'étaient pas de nature à justifier la réalité et la nature des dépenses en cause. Elle a relevé à cet égard que ces factures, qui ne faisaient apparaître chacune qu'un prix unitaire pour les prestations concernées, étaient peu détaillées alors que leur montant était particulièrement élevé, en particulier au regard du chiffres d'affaires de la société requérante, soit 47,9% en 2015 et 46,8% en 2016, et que les sociétés concernées n'avaient pas répondu à ses demandes de précisions quant aux prestations facturées, étaient enregistrées au registre du commerce et des sociétés pour une activité différente de celle en cause, et que plusieurs d'entre elles avaient ouvert un compte bancaire pour une courte période seulement. Elle a enfin tenu compte de ce que l'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils ", qui faisait déjà appel à la société Pages Jaunes pour des prestations de référencement ayant donné lieu à des factures régulières, ne produisait ni de contrat de prestation avec la plupart de ces différentes sociétés, ni de relevé du compte Google Adwords correspondant en principe aux prestations ainsi facturées et ne fournissait donc aucun élément de nature à établir la réalité de ces prestations. L'administration doit ainsi être regardée comme ayant apporté des éléments de nature à contester l'existence et l'objet des prestations facturées à l'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils ", alors que cette dernière, qui ne fournit aucun autre élément, ne justifie pas de la réalité des prestations. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les charges correspondantes ont été réintégrées au sein du résultat imposable.
En ce qui concerne les rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
8. En vertu des dispositions combinées des articles 271, 272 et 283 du code général des impôts et de l'article 230 de l'annexe II à ce code, un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucun bien ou aucune prestation de services. Dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance. Si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que la facture ne correspond pas à une opération réelle, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de cette opération.
9. En premier lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 6 et 7, l'administration doit être regardée comme ayant établi que les prestations facturées au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 pour des prestations de référencement ne correspondent pas à des opérations réelles. Par suite, c'est à bon droit que la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée correspondante a été remise en cause par le service.
10. En deuxième lieu, pour remettre en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant les sommes facturées au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2017 par la SASU KES, l'administration a constaté que les factures émises par cette société ne faisaient apparaître qu'un prix unitaire, différent sur chaque facture, que les contrats établis entre cette société et la société requérante étaient rédigés de manière identique de ceux conclus avec la société Ka Services, et qu'il existait ainsi un doute sur l'existence d'entités distinctes, dès lors que ces deux sociétés étaient gérées par la même personne et établies à la même adresse. Elle a également tenu compte de ce que, malgré ses demandes de précisions et justifications, l'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils " n'a fourni aucun élément de nature à établir la réalité des prestations facturées par la société KES. Dans ces conditions, l'administration doit également être regardée comme ayant établi que les prestations facturées au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2017 ne correspondent pas à des opérations réelles et ne pouvaient donc donner lieu à la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée correspondante.
Sur les pénalités :
11. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Pour établir le caractère intentionnel du manquement du contribuable à son obligation déclarative, l'administration doit apporter la preuve, d'une part, de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations et, d'autre part, de l'intention de l'intéressée d'éluder l'impôt.
12. Pour justifier l'application d'une majoration de 40 % pour manquement délibéré au titre des années 2015 à 2017, le service a relevé que l'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils " avait déduit de ses charges d'exploitation des dépenses correspondant à des factures de complaisance ce qui lui avait permis, compte tenu des montants facturés et du caractère répété de cette pratique, de minorer sa charge fiscale. En se fondant sur ces éléments, l'administration apporte la preuve de la volonté délibérée de la société requérante d'éluder une partie de l'impôt. Par suite, l'administration a pu à bon droit assortir les suppléments d'impôt sur les sociétés et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de l'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils " de la majoration de 40 % prévue par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts.
13. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils " n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête de l'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils " à concurrence du dégrèvement prononcé en cours d'instance.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de l'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils " est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL " Etablissements Roubaix Père et Fils " et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 11 février 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Le Gars, présidente,
M. Tar, premier conseiller,
Mme Troalen, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mars 2025.
La rapporteure,
E. TroalenLa présidente,
A.-C. Le GarsLa greffière,
C. Drouot
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23VE01498