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13/02/2025 | FRANCE | N°22VE01133

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 5ème chambre, 13 février 2025, 22VE01133


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société AM Trust International Underwriters Dac a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler le titre exécutoire n° 2018-101 émis le 25 avril 2018 par l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à son encontre pour un montant de 53 988 euros, de la décharger de l'obligation de paiement de la somme de 53 988 euros, de mettre à la charge de l'ONIAM le versement de la somme de 4 000

euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société AM Trust International Underwriters Dac a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler le titre exécutoire n° 2018-101 émis le 25 avril 2018 par l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à son encontre pour un montant de 53 988 euros, de la décharger de l'obligation de paiement de la somme de 53 988 euros, de mettre à la charge de l'ONIAM le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise aux frais avancés de l'ONIAM.

La demande de la société AM Trust International Underwriters Dac a été transmise au tribunal administratif de Cergy-Pontoise par une ordonnance du 29 mai 2019.

Par un jugement n° 1909080 du 15 mars 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé le titre exécutoire n° 2018-101 émis par l'ONIAM le 25 avril 2018, a condamné la société AM Trust International Underwriters Dac à verser à l'ONIAM la somme de 28 600 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2020 et capitalisation le 5 octobre 2021 et à chaque échéance annuelle ultérieure, a condamné la société AM Trust International Underwriters Dac à verser à l'ONIAM la somme de 2 860 euros en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, a déclaré le jugement commun à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val-d'Oise et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 mai 2022, la société AM Trust International Underwriters Dac, représentée par Me Cariou, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande et qu'il a partiellement fait droit aux conclusions reconventionnelles de l'ONIAM ;

2°) de la décharger du paiement de la somme de 28 600 euros et de la pénalité de 2 860 euros prévue par les dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;

3°) de mettre à la charge de l'ONIAM le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise aux frais avancés de l'ONIAM.

Elle soutient que :

- le directeur de l'ONIAM n'était pas compétent pour émettre un titre exécutoire ;

- l'avis de sommes à payer est insuffisamment motivé ; il ne précise pas les bases et éléments de calcul de la somme mise à sa charge ;

- il n'a été adressé ni au centre hospitalier ni à son assureur ;

- il ne comporte ni le nom et le prénom du directeur de l'ONIAM, ni sa signature et méconnaît l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- il est dépourvu de tout fondement légal ;

- il est entaché de détournement de pouvoir et de procédure ;

- il est entaché d'erreur de droit, la créance n'étant ni certaine, ni liquide, ni exigible ;

- la responsabilité pour faute du centre hospitalier n'est pas engagée ; les praticiens ne sont tenus qu'à une obligation de moyens ; le tribunal administratif n'a pas tenu compte de l'avis de son médecin conseil ; le centre hospitalier et son assureur ont indiqué les motifs pour lesquels ils n'entendait pas suivre l'avis de la commission d'indemnisation ; le traitement antituberculeux de Mme G..., initié en janvier 2008, a été interrompu à juste titre pendant plus d'un mois en raison d'un bilan hépatique très perturbé ; il a été repris le 17 juillet 2008 avec une tri-thérapie du fait d'un progression de la tuberculose en accord avec le centre de référence de la Pitié-Salpêtrière ; la pyrazinamide a été ajoutée du 29 juillet au 11 août et la moxifloxacine du 1er août au 21 août ; la levofloxacine recommandée par le Dr B... de l'hôpital Lariboisière est hépatotoxique ; le Dr E... et l'équipe d'Eaubonne ont préféré la moxifloxacine, qui fait partie des traitements de deuxième ligne de la tuberculose osseuse ; elle était arrêtée depuis cinq jours lors du départ au Maroc et depuis dix-huit jours lors de l'hospitalisation pour hépatite ; les hépatites fulminantes peuvent survenir quinze jours à trois semaines après l'arrêt du traitement ; le pyrazinamide était arrêté depuis un mois lors de l'hospitalisation pour anomalies hépatiques sévères au Maroc ; ces arguments contredisent la thèse des experts au sujet de la réintroduction de ces deux médicaments ; Mme G... a fait l'objet d'une surveillance vigilante après la réintroduction des traitements antituberculeux le 17 juillet et après sa sortie de l'hôpital le 1er août ; lors d'une consultation le 21 août 2008, le Dr D... a arrêté la moxifloxacine compte tenu d'un bilan déstabilisé ; il a donné pour consigne à la patiente de poursuivre la surveillance hebdomadaire des transaminases ; il n'a plus eu de nouvelles d'elle ensuite ; elle est partie au Maroc ; elle n'a pas été autorisée par le médecin à voyager ; elle ne recevait plus que la rifampicine et le myambutol à moindre risque hépatotoxique ; il n'y a aucun élément sur sa prise en charge au Maroc ; l'hypothèse d'une hépatite auto-immune ne peut être écartée, Mme G... ayant été victime d'une hépatite aigue non sévère en novembre 2014 ; la perte de chance de 80 à 90 % retenue par les experts, aggravée par la commission qui a retenu une responsabilité intégrale, n'est pas justifiée.

Par deux mémoires en défense, enregistrés respectivement les 12 juillet 2022 et 28 novembre 2024, l'ONIAM représenté par Me Birot, avocate, demande à la cour :

1°) à titre principal, de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a annulé le titre de recettes, déchargé la société AM Trust International Underwriters Dac de la somme de 25 388 euros et fixé le montant de la pénalité à la somme de 2 860 euros ;

2°) à titre subsidiaire, de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a condamné la société AM Trust International Underwriters Dac à lui rembourser les indemnités versées à Mme G... ;

3°) en toute hypothèse, de condamner la société AM Trust International Underwriters Dac à lui verser, d'une part, la somme de 53 988 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 juin 2018 et, d'autre part, la somme de 8 098,20 euros au titre de la pénalité de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;

4°) de condamner la société AM Trust International Underwriters Dac à lui verser la somme de 3 711,92 euros au titre des frais d'expertise ;

5°) de mettre à la charge de la charge de la société AM Trust International Underwriters Dac le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il bénéficie du pouvoir d'émettre un titre exécutoire lorsqu'il s'est substitué à l'assureur défaillant pour indemniser une victime en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;

- la responsabilité pour faute de l'établissement hospitalier est établie ; le traitement de reprise n'était pas adapté ; les médecins ont réintroduit le traitement à l'origine de la première hépatite ; la surveillance du traitement n'a pas été adéquate ; le Dr F... a prescrit le motilium le 21 août en raison de nausées ou vomissements, ces symptômes étant retrouvés dans les hépatites ; le motilium est contre-indiqué chez les patients atteints d'insuffisance hépatique ; il aurait dû mettre en place une surveillance plus stricte ; il a manqué à son devoir d'information et de surveillance ;

- l'instauration d'un traitement identique à celui ayant déjà causé une hépatite et le défaut de surveillance ont fait perdre à l'intéressée toute chance d'éviter son renouvellement ;

- une nouvelle expertise est inutile ;

- les préjudices doivent être indemnisés en totalité au regard des montants indemnisés par l'ONIAM et non à concurrence de 90 % ;

- l'ordre de recouvrer signé par la directrice adjointe de l'ONIAM a été produit ; si les nom, prénom et qualité de cette personne n'ont pas été mentionnés sur l'avis de sommes à payer adressé à la société AM Trust International Underwriters Dac, cette circonstance est sans incidence sur la régularité du titre ;

- la société AM Trust International Underwriters Dac a été destinataire du titre contesté ;

- elle a été informée des bases de liquidation de la créance en litige ;

- le titre est fondé sur les dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;

- en cas d'annulation du titre, il est recevable à demander la condamnation de la société AM Trust International Underwriters Dac à lui verser la somme correspondante ;

- la pénalité de 15 % est justifiée ;

- il doit être remboursée des honoraires de l'expert ;

- la condamnation à lui verser la somme de 53 988 euros doit porter intérêts au 25 juin 2018 et non à compter de son mémoire en défense de première instance et seront capitalisés le 25 juin 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des assurances ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Camenen,

- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,

- et les observations de Me Flageul, pour la société AM Trust International Underwriters Dac.

Considérant ce qui suit :

1. La société AM Trust International Underwriters Dac, assureur du centre hospitalier d'Eaubonne, relève appel du jugement du 15 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a condamnée à verser la somme de 28 600 euros à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) en réparation des préjudices subis par Mme G..., victime d'une hépatite fulminante à la suite d'une hospitalisation en 2008 ainsi que la somme de 2 860 euros au titre de la pénalité prévue par les dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique. Par la voie de l'appel incident, l'ONIAM demande à la cour de juger régulier le titre de recettes de même montant émis le 25 avril 2018 à l'encontre de la société AM Trust International Underwriters Dac et de rejeter la demande de la société requérante tendant à l'annulation de ce titre de recettes.

Sur l'appel principal de la société AM Trust International Underwriters Dac :

2. En premier lieu, l'article L. 1142-1 du code de la santé publique prévoit que les conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins sont réparées par le professionnel ou l'établissement de santé dont la responsabilité est engagée. Les articles L. 1142-4 à L. 1142-8 et R. 1142-13 à R. 1142-18 de ce code organisent une procédure de règlement amiable confiée aux commissions régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI). En vertu des dispositions de l'article L. 1142-14, si la CRCI, saisie par la victime ou ses ayants droit, estime que la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée, l'assureur qui garantit la responsabilité civile de celui-ci adresse aux intéressés une offre d'indemnisation. Aux termes de son article L. 1142-15 : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre (...), l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. (...) L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil (...) L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage (...) Lorsque l'office transige avec la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article, cette transaction est opposable à l'assureur (...) sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime lui reste acquis ".

3. En application de ces dispositions, il incombe au juge, saisi d'une action de l'ONIAM subrogé, à l'issue d'une transaction, dans les droits d'une victime à concurrence des sommes qu'il lui a versées, de déterminer si la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée et, dans l'affirmative, d'évaluer les préjudices subis afin de fixer le montant des indemnités dues à l'office. Lorsqu'il procède à cette évaluation, le juge n'est pas lié par le contenu de la transaction intervenue entre l'ONIAM et la victime.

4. La société AM Trust International Underwriters Dac, qui a été condamnée par le jugement attaqué à verser à l'ONIAM la somme de 28 600 euros au titre des préjudices subis par Mme G..., elle conteste les conclusions du rapport d'expertise médicale établi à la demande de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux et soutient que la responsabilité du centre hospitalier Simone Veil n'est pas engagée dans la survenance de l'hépatite dont Mme G... a été victime, le défaut de suivi incombant uniquement à la patiente.

5. Il résulte de l'instruction que Mme G..., née le 18 septembre 1972, a été admise le 14 janvier 2008 au centre hospitalier Lariboisière en raison d'une lombosciatique gauche et d'une altération de son état général. Une tuberculose osseuse a alors été diagnostiquée. L'intéressée a entamé le 31 janvier 2008 un traitement antituberculeux à base de rifampicine, isoniazade, pyrazinamide et de myambutol. Lors de son hospitalisation de jour à l'hôpital Lariboisière le 6 mai 2008, l'amélioration de son état a été constatée et le traitement à base de pyrazinamide et myambutol a été interrompu. Une perturbation du bilan hépatique ayant été constatée le 10 juin 2008, Mme G... a été admise le lendemain à l'hôpital Simone Veil d'Eaubonne-Montmorency. Le traitement antituberculeux encore en cours a été interrompu. Une interruption thérapeutique de grossesse a été pratiquée le 19 juin 2008.

6. Mme G... est sortie de l'hôpital sans traitement mais avec un suivi biologique hebdomadaire. Le 2 juillet 2008, elle a consulté un médecin à l'hôpital Lariboisière qui a préconisé de poursuivre l'arrêt du traitement antituberculeux pendant quinze jours puis de reprendre une tri-thérapie à base de rifampicine, myambutol et levofloxacine pendant deux mois puis une bi-thérapie à base de rifampicine et levofloxacine pendant un an. Mme G... a revu son médecin à l'hôpital Simone Veil les 9 et 16 juillet 2008.

7. En raison notamment de la reprise des douleurs lombaires, elle a de nouveau été hospitalisée dans cet établissement à compter du 17 juillet 2008. Un traitement à base de rifampicine et myambutol a été repris. La pyrazinamide a été ajoutée à compter du 29 juillet 2008 et la moxifloxacine à compter du 1er août 2008, date à laquelle Mme G... est rentrée à son domicile. Elle a revu son médecin le 4 août 2008. Le traitement à base de pyrazinamide aurait été interrompu le 8 août 2008 à la suite d'un contact téléphonique entre la patiente et le médecin. De nouveaux bilans biologiques ont été effectués les 11 et 18 août 2008. En l'absence de son médecin, Mme G... a été reçue par le responsable du service de médecine interne et polyvalente de l'hôpital Simone Veil le 21 août 2008. Compte tenu de l'élévation modérée de ses transaminases et après un contact avec le centre de référence national des mycobactéries, ce médecin a décidé d'interrompre le traitement à base de moxifloxacine et de poursuivre le traitement par rifampicine et myambutol.

8. Mme G... a entamé un voyage au Maroc le 26 août 2008. Elle a été victime d'une hépatite fulminante qui l'a plongée, le 8 septembre 2008, dans un état de coma. Le 12 septembre 2008, elle a été rapatriée en France et a fait l'objet en urgence, le 14 septembre 2008, d'une greffe de foie à l'hôpital Beaujon. Le 23 novembre 2015, l'intéressée a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) d'Ile-de-France qui a ordonné la réalisation d'une expertise. Sur la base du rapport des experts, la CCI a considéré, dans un avis du 20 avril 2017, que la réparation de l'intégralité des préjudices subis par Mme G... en raison de son hépatite fulminante incombait au centre hospitalier Simone Veil. L'ONIAM se substituant à la société AM Trust International Underwriters Dac, assureur du centre hospitalier Simone Veil, a versé, en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, à Mme G... la somme de 53 988 euros en réparation de ses préjudices tirés de son déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, de son préjudice d'agrément, de son préjudice esthétique permanent et de son préjudice sexuel. Le 25 avril 2018, le directeur de l'ONIAM a émis et adressé à la société AM Trust International Underwriters Dac un titre exécutoire n° 2018-101 en vue de recouvrer cette somme. Ce titre a été annulé par le jugement attaqué qui a cependant condamné l'assureur à verser à l'ONIAM la somme de 28 600 euros ainsi que la somme de 2 860 euros au titre de la pénalité prévue par les dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.

9. Il résulte de l'instruction que, contrairement aux préconisations du médecin de l'hôpital Lariboisière du 2 juillet 2008 qui lui ont été adressées, le centre hospitalier Simone Veil a décidé, le 17 juillet 2008, de reprendre un traitement antituberculeux composé de rifampicine, myambutol, pyrazinamide et moxifloxacine, proche de celui initialement suivi par à la patiente à partir de janvier 2008, et qui avait été à l'origine d'une première perturbation de son bilan hépatique. Il n'est pas sérieusement contesté qu'en particulier la pyrazinamide est potentiellement hépatotoxique. Dans un tel contexte, la sensibilité hépatique de la patiente étant désormais connue, son état devait faire l'objet d'une surveillance renforcée. Le dernier bilan du 18 août 2008 ayant révélé une augmentation des enzymes hépatiques de Mme G..., le médecin a mis un terme à l'administration de la moxyfloxacine mais a prescrit à l'intéressée le " motilium ", ce médicament étant destiné à lutter contre les nausées et les vomissements, sans s'assurer ultérieurement du suivi régulier de la patiente. Si, à la suite de la greffe hépatique dont elle a fait l'objet en 2008, Mme G... a développé une hépatite non médicamenteuse en novembre 2014, il n'est pas établi que l'intéressée souffrait, en 2008, d'une auto-immunité préexistante susceptible d'expliquer l'évolution constatée. Par suite, la société AM Trust International Underwriters Dac n'est pas fondée à soutenir que l'état de santé antérieur de Mme G... a pu amplifier ou favoriser la survenue de son hépatite fulminante. Il n'est pas établi, contrairement à ce que fait valoir la société AM Trust International Underwriters Dac qui se prévaut notamment de l'avis de son médecin conseil, que le traitement préconisé le 2 juillet 2008 par le médecin de l'hôpital Lariboisière, qui ne comportait pas la pyrazinadmide, présentait en l'espèce un risque de toxicité équivalent à celui retenu par l'hôpital Simone Veil. Dans ces conditions, en prescrivant un traitement proche de celui prescrit initialement à Mme G... et à l'origine d'une première atteinte hépatique et en s'abstenant de prendre les mesures permettant d'assurer le suivi régulier de l'intéressée après le 21 août 2018, le centre hospitalier Simone Veil a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité.

10. En deuxième lieu, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel survenu, mais la perte d'une chance d'éviter ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

11. Si, dans son avis du 20 avril 2017, la commission de conciliation et d'indemnisation a estimé que le choix thérapeutique et le défaut de surveillance étaient directement et exclusivement à l'origine du préjudice subi par Mme G..., le rapport d'expertise relève toutefois que malgré toutes les précautions, une atteinte hépatique aurait pu survenir et évalue la perte de chance de Mme G... d'éviter la survenance de son hépatite fulminante entre 80 et 90 %. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de considérer que les fautes commises par l'hôpital ont été à l'origine d'une perte de chance de 90 % d'éviter la survenance du dommage.

12. Enfin, il résulte de l'instruction, en particulier de l'attestation établi par le médecin qui a reçu la patiente avant son départ au Maroc, qu'il lui a demandé de continuer la surveillance hebdomadaire de ses transaminases et qu'il n'aurait en aucun cas accepté ce voyage à l'étranger s'il en avait été informé. Mme G..., qui avait été hospitalisée à plusieurs reprises depuis le début de l'année, ne pouvait ignorer la gravité de son état de santé. Ainsi, a-t-elle commis une imprudence à l'origine de la survenance de son hépatite fulminante. Dans les circonstances de l'espèce, cette imprudence peut être regardée comme ayant contribué à hauteur de 40 % à la survenance de son préjudice.

13. Il résulte de ce qui précède que la société AM Trust International Underwriters Dac est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a écarté toute faute de la victime.

Sur l'appel incident de l'ONIAM :

En ce qui concerne la régularité du titre de recettes :

14. Aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ".

15. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que le titre de perception individuel doit mentionner les nom, prénom et qualité de l'auteur de cette décision, et d'autre part, qu'il appartient à l'autorité administrative de justifier, en cas de contestation, que l'état revêtu de la formule exécutoire comporte la signature de cet auteur. Ces dispositions n'imposent pas de faire figurer sur cet état les nom, prénom et qualité du signataire. Les nom, prénom et qualité de la personne ayant signé l'état revêtu de la formule exécutoire doivent, en revanche, être mentionnés sur le titre de perception, de même que sur l'ampliation adressée au redevable.

16. Il résulte de l'instruction que l'avis des sommes à payer adressé à la société AM Trust International Underwriters Dac se borne à indiquer que l'ordonnateur est le directeur de l'ONIAM, M. I... C.... Toutefois, l'ordre à recouvrer a en réalité été signé par M. A... H..., directeur des ressources, par délégation du directeur de l'ONIAM. Les nom, prénom et qualité de ce dernier n'ayant pas été mentionnés sur l'avis de sommes à payer adressé à la société AM Trust International Underwriters Dac, le titre de recettes est irrégulier. Est sans incidence à cet égard la circonstance qu'une telle irrégularité n'aurait privé la société AM Trust International Underwriters Dac d'aucune garantie. L'ONIAM n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé le titre exécutoire émis par lui le 25 avril 2018.

En ce qui concerne les préjudices :

17. Si l'ONIAM demande à la cour d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a réduit l'évaluation des différents préjudices subis par Mme G... par rapport au montant des indemnités allouées à cette dernière dans le protocole d'indemnisation transactionnelle qu'ils ont souscrit, d'une part, le juge n'est pas lié par ce protocole et d'autre part, il n'apporte aucun élément et aucune précision suffisante de nature à établir que le tribunal administratif a fait une inexacte appréciation de ces préjudices. Ainsi, ces conclusions doivent être rejetées.

18. Il résulte de ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif a évalué les préjudices de Mme G..., en retenant une perte de chance de 90 % d'éviter le dommage, à la somme de 28 600 euros.

En ce qui concerne la pénalité :

19. Aux termes de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique : " (...) En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue (...) ".

20. Dans les circonstances de l'espèce, l'indemnité sollicitée par l'ONIAM n'étant pas entièrement justifiée, la pénalité prévue par les dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique peut être fixée à 10 % de la somme allouée.

En ce qui concerne les frais de l'expertise sollicitée par la commission d'indemnisation :

21. Il n'y a pas lieu de statuer sur ces conclusions auxquelles il est répondu dans l'arrêt n° 22VE01132 du 13 février 2025.

En ce qui concerne les intérêts :

22. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine.

23. Il résulte de l'instruction que la société AM Trust International Underwriters Dac a reçu l'avis de sommes à payer de l'ONIAM le 25 juin 2018. Ainsi, les intérêts moratoires sont dus à compter de cette date et doivent être capitalisés au 5 octobre 2020, date à laquelle la demande de capitalisation a été enregistrée au tribunal administratif, les intérêts étant dus au moins pour une année entière à cette date, et à chaque échéance annuelle ultérieure.

24. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM est seulement fondé à demander la condamnation de la société AM Trust International Underwriters Dac à lui verser une indemnité égale à la somme de 28 600 euros qui lui a été allouée par le jugement attaqué moins 40 % correspondant à la faute de la victime, soit une indemnité de 17 160 euros. Par suite, la société AM Trust International Underwriters Dac est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a condamnée à verser à l'ONIAM la somme de 28 600 euros au titre des préjudices subis par Mme G... et une pénalité de 2 860 euros, ces sommes devant être ramenées à respectivement à 17 160 euros et à 1 716 euros, la somme de 17 160 euros portant intérêts à compter du 25 juin 2018 et ces intérêts étant capitalisés au 5 octobre 2020 et à chaque échéance annuelle ultérieure. Pour sa part, l'ONIAM est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions relatives aux frais d'expertise et a fixé comme il l'a fait le point de départ des intérêts moratoires.

Sur les frais liés l'instance :

25. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 28 600 euros prévue à l'article 3 du jugement n° 1909080 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 15 mars 2022 est ramenée à la somme de 17 160 euros, cette somme portant intérêts à compter du 25 juin 2018 et les intérêts étant capitalisés le 5 octobre 2020 et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 2 : La pénalité de 2 860 euros prévue à l'article 4 du jugement n° 1909080 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 15 mars 2022 est ramenée à la somme de 1 716 euros.

Article 3 : Le jugement n° 1909080 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 15 mars 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société AM Trust International Underwriters Dac et des conclusions de l'ONIAM est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société AM Trust International Underwriters Dac, à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,

M. Camenen, président assesseur,

Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2025.

Le rapporteur,

G. CAMENEN

La présidente,

C. SIGNERIN-ICRE

La greffière,

C. RICHARD

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

No 22VE01133


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE01133
Date de la décision : 13/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-02-01-01-01-01-06 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. - Existence d'une faute. - Défauts de surveillance.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: M. Gildas CAMENEN
Rapporteur public ?: Mme JANICOT
Avocat(s) : SCP NORMAND ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-13;22ve01133 ?
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