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11/02/2025 | FRANCE | N°24VE00818

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 1ère chambre, 11 février 2025, 24VE00818


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 juillet 2017 par lequel la directrice générale du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) lui a infligé la sanction disciplinaire de révocation.



Par un jugement n° 1708823 du 22 octobre 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demand

e.



Par un arrêt n° 19VE04135 du 5 avril 2022, la cour administrative d'appel de Versail...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 juillet 2017 par lequel la directrice générale du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) lui a infligé la sanction disciplinaire de révocation.

Par un jugement n° 1708823 du 22 octobre 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19VE04135 du 5 avril 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé le jugement du 22 octobre 2019 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et la décision du 26 juillet 2017 de la directrice générale du CNG.

Par une décision n° 464688 du 28 mars 2024, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire à la cour.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 décembre 2019 et, après cassation, par des mémoires enregistrés le 29 avril 2024 et le 17 décembre 2024, M. D..., représenté par Me Lucas-Baloup, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 26 juillet 2017 de la directrice générale du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière ou, subsidiairement, de réformer cette décision en lui infligeant une sanction moins sévère ;

3°) de mettre à la charge du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en ne tenant pas compte de ce que les faits selon lesquels il aurait envoyé des messages électroniques dévalorisants sur l'exercice de certains collègues et aurait tenté d'obtenir le retrait du témoignage écrit d'une sage-femme ne figuraient pas dans la lettre en date du 13 février 2017, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité ;

- la décision de révocation en litige a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense ;

- elle est fondée sur le rapport de l'inspection générale des affaires sociales qui ne lui a pas été transmis à temps pour préparer sa défense et est lui-même entaché d'irrégularités ;

- elle est entachée d'erreurs de fait, de qualification juridique des faits et d'appréciation.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 octobre 2021 et, après cassation, le 2 décembre 2024, le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière, représenté par Me Bazin, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. D... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 2 décembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 18 décembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Hameau,

- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public,

- et les observations de Me Chagnon, substituant Me Lucas-Baloup, représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., praticien hospitalier affecté au centre hospitalier René Dubos de Pontoise, a fait l'objet le 26 juillet 2017 d'un arrêté de la directrice générale du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) lui infligeant la sanction de révocation. M. D... fait appel du jugement 22 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. M. D... soutient qu'en neutralisant, au point 8 du jugement, la circonstance que ne figuraient pas dans la lettre en date du 13 février 2017 les faits selon lesquels il aurait envoyé des messages électroniques dévalorisants sur l'exercice de certains collègues et tenté d'obtenir le retrait du témoignage écrit d'une sage-femme, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité. Ce moyen, qui a trait au bien-fondé du jugement, ne permet pas à M. D... de critiquer utilement la régularité de celui-ci. Il doit être écarté.

Sur la légalité de l'arrêté du 26 juillet 2017 :

En ce qui concerne la légalité externe :

3. Aux termes de l'article R. 6152-75 du code de la santé publique : " Le conseil de discipline est saisi par le directeur général du Centre national de gestion. /Le praticien intéressé doit être avisé au moins deux mois à l'avance, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, de la date de sa comparution devant le conseil de discipline et avoir communication intégrale de son dossier. Il peut présenter devant le conseil de discipline des observations écrites ou orales, faire entendre des témoins et se faire assister d'un défenseur de son choix. /Le droit de citer des témoins appartient également à l'administration. /Le conseil entend toutes les personnes qu'il estime devoir convoquer. Il prend connaissance des observations du directeur général de l'agence régionale de santé, du directeur de l'établissement et de la commission médicale de l'établissement où exerce le praticien siégeant en formation restreinte aux praticiens titulaires et hors la présence du praticien. /Le conseil de discipline peut ordonner toute enquête complémentaire susceptible de l'éclairer. "

4. Si l'autorité qui prononce une sanction disciplinaire a l'obligation de préciser, dans sa décision, les griefs qu'elle entend retenir à l'encontre du fonctionnaire intéressé, de sorte que ce dernier puisse à la seule lecture de la décision qui lui est notifiée, connaître les motifs de la sanction qui le frappe, toutefois, le courrier par lequel cette même autorité informe le fonctionnaire de sa décision, qui n'est pas une sanction, d'engager des poursuites disciplinaires à son encontre, n'est soumis à aucun formalisme particulier. Au demeurant, il ressort des termes du courrier d'engagement de la procédure disciplinaire et de ceux de la décision contestée que les griefs qui y sont exposés coïncident : il est reproché à M. D... son comportement inapproprié et ses difficultés relationnelles, tant avec le personnel médical qu'avec les patients, et son refus de se plier aux règles de fonctionnement de son service, organisant le travail d'équipe. Dès lors, en tout état de cause, M. D... n'est pas fondé à soutenir que le courrier du 13 février 2017 n'a pas mentionné l'ensemble des griefs sur le fondement desquels il a finalement été sanctionné à l'issue de cette procédure.

5. Ni les dispositions citées au point 4 du présent arrêt ni aucune autre disposition législative ou réglementaire ne faisaient obstacle à ce que le dossier individuel de M. D... fût enrichi de nouvelles pièces, postérieurement au transfert de son dossier par le centre hospitalier René Dubos de Pontoise au CNG le 26 décembre 2016, puis au cours de la procédure disciplinaire initiée par le courrier du 13 février 2017, et jusqu'à sa convocation devant le conseil de discipline par le courrier du 19 avril 2017. M. D... ne justifie pas que la sanction qu'il conteste aurait été prononcée au vu d'éléments fournis par le CNG postérieurement à cette date et à cet envoi, alors qu'il ressort des éléments du dossier que le CNG a, à plusieurs reprises au cours de la procédure et jusqu'à la convocation de l'intéressé devant le conseil de discipline, mis à jour son dossier en lui transmettant des pièces complémentaires. M. D... n'est donc pas fondé à se prévaloir de ce que des pièces ont été ajoutées à son dossier au cours de la procédure disciplinaire.

6. En affirmant avoir découvert lors de la séance du conseil de discipline " de nouvelles pièces qui n'avaient pas été évoquées antérieurement et dont il n'avait jamais obtenu la copie " sans d'ailleurs préciser, en appel, de quelles pièces il se serait agi, M. D... ne justifie pas que le conseil de discipline se serait prononcé au vu d'éléments fournis par le CNG qui ne lui auraient jamais été transmis ni d'ailleurs, comme l'a relevé à juste titre le tribunal, que des éléments en sa faveur n'auraient pas été portés à la connaissance du conseil de discipline. M. D... n'est donc pas fondé à soutenir que le dossier qui lui a été communiqué afin de lui permettre de préparer sa défense était incomplet.

7. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision d'engagement de poursuites disciplinaires aurait été précédée d'une enquête administrative concernant M. D..., à l'issue de laquelle aurait été rédigé un rapport. A supposer même que tel ait été le cas, l'intéressé n'aurait pas pu, en tout état de cause, soutenir utilement que la méconnaissance du principe d'impartialité par l'auteur d'un tel rapport aurait affecté la régularité de la procédure disciplinaire dont il a ensuite fait l'objet et entaché d'illégalité l'arrêté attaqué. M. D... ne critique donc pas utilement l'impartialité du centre hospitalier René Dubos dans la conduite de l'instruction de la procédure disciplinaire dont il a fait l'objet.

8. Par ailleurs, une fois la procédure disciplinaire engagée par la directrice du CNG, ce n'est pas cette autorité qui a instruit l'affaire et rédigé un rapport mais le Dr A..., membre de l'inspection générale des affaires sociales, et ce à la demande du président du conseil du discipline. M. D... ne critique donc pas utilement l'impartialité du CNG dans la conduite de l'instruction de la procédure disciplinaire dont il a fait l'objet.

9. L'appelant se prévaut de ce que le Dr A... ne s'est pas rendu dans les locaux du centre hospitalier René Dubos, entre autres afin de l'y rencontrer ainsi que ceux de ses collègues avec lesquels il travaille quotidiennement. L'appelant se prévaut également de ce que le Dr A..., en ne tenant pas suffisamment compte de la manière dont il avait pu ou non utiliser ses droits à congés, aurait sous-estimé à quel point il était surmené. M. D... qui, par de telles contestations, met en réalité en cause le bien-fondé du rapport, n'indique pas en quoi le comportement de l'auteur de ce rapport serait de nature à révéler de sa part une animosité à son égard et, en conséquence, un non-respect de l'exigence d'impartialité. La seule circonstance que le Dr A..., à l'issue de l'enquête menée, a conclu que les faits sont établis et qu'ils sont de nature à justifier l'engagement d'une procédure disciplinaire, ne suffit pas, par elle-même, à caractériser une telle partialité. M. D... ne critique donc pas valablement l'impartialité du rapporteur dans la conduite de l'instruction de la procédure disciplinaire dont il a fait l'objet.

10. Il suit de là que le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté a été pris à l'issue d'une procédure qui n'a pas respecté les droits de la défense ni le principe du contradictoire doit être écarté en toutes ses branches.

11. Aux termes de l'article R. 6152-310 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " Ne peuvent siéger au conseil de discipline pour une affaire déterminée : 1° Le conjoint du praticien intéressé ou la personne ayant avec ce dernier un lien de parenté ou d'alliance jusqu'au quatrième degré inclus ; 2° L'auteur de la plainte ayant provoqué la saisine du conseil de discipline ; 3° L'auteur de l'enquête dont les conclusions ont motivé la saisine du conseil de discipline ; 4° Le praticien qui fait l'objet de la procédure ; 5° Les inspecteurs de l'agence régionale de santé ayant la qualité de médecin ou de pharmacien de la région où exerce le praticien concerné ; 6° Toute personne exerçant ses fonctions ou investie d'un mandat dans l'établissement où exerce le praticien qui fait l'objet de la procédure ". Aux termes de l'article R. 6152-313 du même code : " Pour chaque affaire, le président du conseil de discipline choisit un rapporteur soit parmi les membres ou anciens membres de l'inspection générale des affaires sociales, docteurs en médecine n'appartenant pas au conseil de discipline, soit parmi les inspecteurs des agences régionales de santé ayant la qualité de médecin et de pharmacien, exception faite des médecins ou des pharmaciens exerçant dans l'agence régionale de santé de la région de l'établissement où exerce le praticien intéressé. (...) Les incompatibilités prévues à l'article R. 6152-310 sont applicables pour le choix du rapporteur. ". Aux termes de l'article R. 6152-314 du même code : " Le rapporteur instruit l'affaire par tous les moyens propres à éclairer le conseil de discipline ; il établit un rapport écrit contenant l'exposé des faits et les moyens des parties et le transmet au président du conseil de discipline./ Si le rapporteur s'est appuyé sur des éléments nouveaux pour instruire l'affaire, le président doit ordonner la communication des pièces utilisées et reporter la date de la réunion du conseil de discipline afin que le praticien dispose d'un délai supplémentaire, dont la durée est fixée par le président pour préparer une défense. ".

12. Il ressort des pièces du dossier que le CNG, qui a reçu communication du rapport du Dr A... le 27 juin 2017, l'a transmis au conseil du requérant le surlendemain, ainsi qu'à ce dernier le 3 juillet 2017. M. D..., qui en a accusé réception le 4 juillet 2017, a produit un mémoire assorti de plusieurs pièces, le 5 juillet 2017, devant le conseil de discipline. M. D... a par ailleurs, en sus de ses observations écrites, présenté des observations orales devant ce conseil le 7 juillet 2017. Par suite, alors qu'il n'est ni établi ni même allégué que ce rapport aurait été fondé sur des éléments nouveaux justifiant le report de la date de la réunion du conseil de discipline, il ressort des pièces du dossier que M. D... a bénéficié du temps nécessaire pour préparer sa défense au vu du rapport établi par le Dr A..., document préparatoire dont, d'ailleurs, ni les dispositions citées au point 11 du présent arrêt ni aucune autre disposition ne prévoyait la communication à l'intéressé.

13. De la même façon, si ce document préparatoire ne mentionne pas de date plus précise que celle du mois de juin 2017 et n'est pas signé par le Dr C... A... dont les prénom, nom et qualité sont mentionnées sur la première page du rapport, toutefois, ni les dispositions citées au point 11 du présent arrêt, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire ne prévoient ces mentions, alors que M. D... n'explique pas en quoi de telles lacunes l'auraient privé d'une garantie ni auraient été susceptibles d'avoir exercé une quelconque influence sur le sens de la décision contestée.

14. Il suit de là que le moyen tiré de l'irrégularité en la forme du rapport établi par le rapporteur désigné par le président du conseil de discipline doit être écarté en toutes ses branches.

En ce qui concerne la légalité interne :

15. Aux termes de l'article R. 6152-75 du code de la santé publique : " Les sanctions disciplinaires applicables aux praticiens relevant de la présente section sont : (...) 6° La révocation. (...) ".

16. Il incombe à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'apporter la preuve de l'exactitude matérielle des griefs sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

17. Il ressort des termes de la décision de radiation en litige, qui vise les articles R. 4127-1 à R. 4127-84 du code de la santé publique, que la directrice du CNG s'est fondée, d'une part, sur le constat de la méconnaissance, par M. D..., de certaines de ses obligations déontologiques, relatives en particulier à ses devoirs envers les patients et aux rapports qu'il entretenait avec les autres médecins et les membres des autres professions de santé avec lesquels il travaillait. Pour prendre la décision en litige, qui vise également l'article R. 6152-28 du code de la santé publique, la directrice du CNG s'est aussi fondée, d'autre part, sur le constat de la méconnaissance, par l'intéressé, de certaines de ses obligations relatives à l'exercice de ses fonctions, et plus précisément à la responsabilité médicale de la continuité des soins.

18. Il ressort des pièces du dossier que la radiation de M. D... était justifiée par son comportement conflictuel, parfois même agressif avec les autres médecins et les autres professionnels de santé avec lesquels il aurait dû travailler en équipe au centre hospitalier René Dubos, où il était affecté en néonatologie depuis 2011. La directrice du CNG a été saisie le 26 décembre 2016 par le directeur du centre hospitalier René Dubos au vu d'un certain nombre d'incidents survenus entre 2014 et 2016.

19. Le CNG expose que ces incidents ont d'abord consisté en des insultes, des propos agressifs ou dégradants, voire des gestes menaçants. Au mois de mai 2014, M. D... a tenu des propos déplacés concernant la vie personnelle d'une cadre du pôle mère-enfant, en l'absence de l'intéressée. Des insultes concernant cette même personne ont été prononcées à nouveau en son absence quelques mois plus tard, à la suite de quoi la victime a porté plainte. M. D... lui a adressé un message au ton menaçant après avoir été convoqué par les services de police, à la suite de cette plainte. D'autres insultes ont été proférées, notamment à plusieurs reprises à l'encontre de la cheffe de service de pédiatrie, en la présence de cette dernière. Le 23 octobre 2016 en particulier, M. D... a insulté sa consœur en lui lançant des imprécations et en assortissant ses paroles de gestes menaçants, ayant justifié le dépôt d'une main courante par l'intéressée.

20. Le CNG expose également que ces incidents ont aussi consisté en des comportements critiques et même ouvertement dénigrants qui ont concerné les compétences, non seulement de plusieurs confrères et consœurs de M. D..., en particulier celle des chefs de service qu'il a qualifiés le 12 août 2016, devant une cadre sage-femme qui a formellement signalé les faits à la direction, d'incompétents en fustigeant " l'idiocratie généralisée " qu'il estimait subir, mais aussi d'autres personnels de santé, et ce parfois devant les patients dont certains s'en sont plaints auprès de la direction. M. D... a ainsi, en particulier, critiqué les compétences de la cadre du pôle mère-enfant, dans un courriel qu'il lui a adressé le 27 janvier 2015, où il évoque " [l']attachement " de cette professionnelle " à la médiocrité et à des concepts médicaux dépassés ".

21. Il ressort des éléments produits par le CNG que, si les compétences médicales de l'appelant ne sont pas remises en cause, les comportements évoqués rejaillissaient sur la manière de servir de M. D... qui, isolé, a parfois refusé de respecter le principe hiérarchique, d'appliquer des règles d'organisation du service, et d'assister aux réunions d'équipe pourtant obligatoires parce que nécessaires à la coordination des soins. Ces comportements retentissaient finalement, surtout, sur l'organisation du service et la qualité générale des soins prodigués. Optant parfois pour des prises en charge qui différaient des pratiques d'équipe recommandées, sans que ses choix ne puissent être discutés à moins de susciter une réaction agressive ou méprisante de sa part, les difficultés de M. D... à travailler en équipe et son attitude contestataire l'ont conduit à prendre des décisions médicales sans concertation, à revenir sur des prescriptions de soins effectuées par des confrères sans en avertir ces derniers, à mettre en péril la continuité des soins prodigués aux enfants pris en charge et finalement la sécurité de ces derniers, au désarroi de certains parents, inquiets et plongés dans l'incompréhension du parcours de soins décidé pour leur enfant. C'est en effet ce qui ressort du rapport circonstancié établi le 8 novembre 2016 par une cadre du service maternité, qui fait état de plusieurs épisodes, survenus en 2015 et 2016, au cours desquels des prises de position de M. D... notamment alors qu'il était de garde, inhabituelles et parfois en contradiction avec celles de ses confrères, ont placé les équipes de soignants en situation difficile, générant un malaise et un sentiment d'insécurité perçu par les parents des nouveau-nés. L'attitude dénigrante de M. D... a ainsi entraîné une perte de confiance chez certains personnels conduits à adopter à leur tour des comportements d'évitement le concernant, et a affaibli significativement l'autorité et donc la capacité d'encadrement des cadres du service, médecins ou non, avec lesquels il aurait dû travailler en bonne intelligence, au point qu'en 2015, le chef de service de réanimation et médecine néonatales a prédit, dans un courrier d'alerte à la direction où il faisait un bilan des conséquences sur le fonctionnement du service du comportement de M. D..., qu'elles se traduiraient " immanquablement par un incident grave ".

22. Pour contester ce tableau général notamment fondé sur le rapport du Dr A..., sur des courriers, témoignages ou rapports circonstanciés de confrères et consœurs, professionnels de santé, parents de patients, et même sur des pièces écrites de la main de l'intéressé, tous éléments concordants, M. D... produit huit attestations ou courriers de médecins et personnels de santé et fait également état de son surmenage, auquel il attribue les excès de son comportement injurieux, et dont il entend justifier par des pièces relatives à la sous-consommation de ses jours de congés, induite par la situation de sous-effectif chronique qui était celle du service de néonatologie où il était affecté à l'époque des faits qui lui sont reprochés. Des éléments produits ressortent ses grandes qualités intellectuelles, le sérieux de son travail et son implication dans le fonctionnement des deux services successifs au sein desquels il a exercé, ainsi que de bonnes relations personnelles qu'il a pu y nouer. Les éléments produits sont également de nature à démontrer l'importante charge de travail que M. D... a assumée sur une longue période, en néonatologie où les effectifs étaient structurellement très faibles par rapport aux soins à fournir. Cependant, ni les attestations produites, ni les éléments de contexte apportés, ne suffisent à infirmer la réalité de l'ensemble des nombreux comportements, gravement injurieux ou mettant en péril la continuité des soins prodigués aux enfants pris en charge, qui sont à l'origine de la sanction contestée, ni à accréditer que, comme l'affirme l'intéressé, il serait victime d'une cabale orchestrée par sa hiérarchie. Ces éléments ne sont pas non plus de nature à expliquer, à titre subsidiaire, les faits reprochés à M. D... par la situation de sous-effectif permanent du service de néonatologie où il était affecté. Le CNG doit donc être regardé comme prouvant la matérialité des faits reprochés à M. D....

23. En estimant que ces faits constituaient des fautes de nature à justifier une sanction, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire ne les a pas inexactement qualifiés.

24. Les faits reprochés, qui pour les uns relèvent d'une méconnaissance par M. D... de certaines de ses obligations déontologiques, et pour d'autres de la méconnaissance de certaines de ses obligations relatives à l'exercice de ses fonctions, notamment à la responsabilité médicale de la continuité des soins, présentent un caractère de gravité certain. Ils se sont déroulés sur une longue période et présentent un caractère réitéré. Il ressort en effet des pièces du dossier que M. D... a rencontré des difficultés relationnelles tôt après son arrivée au centre hospitalier René Dubos en 2007 qui ont justifié non seulement la prolongation de sa période probatoire d'un an avant sa titularisation en 2009, mais aussi sa réaffectation en néonatalogie en 2011, et le prononcé d'un blâme en 2013 à l'issue d'une première procédure disciplinaire. La sanction en litige, issue d'une seconde procédure, trouve son origine dans des faits et comportements analogues à ceux qui avaient déclenché les premières poursuites. Si M. D... admet avoir eu un comportement inadapté, le propos général de l'intéressé dans ses écritures, largement exonératoire de sa responsabilité dans la survenue des faits à l'origine de la sanction en litige, ne traduit pas de réelle prise de conscience des risques induits par son comportement, en particulier quant à la continuité des soins et la sécurité des nouveau-nés placés sous sa responsabilité. Ainsi, en prenant la décision de révocation en litige, intervenue en 2017 après le changement de service d'office dont M. D... a fait l'objet en 2011 et le prononcé d'un blâme en 2013 dans l'objectif de permettre au service de néonatologie du centre hospitalier René Dubos de retrouver un fonctionnement normal, la directrice du CNG a prononcé une sanction adaptée, nécessaire et proportionnée, exempte d'erreur d'appréciation, à laquelle il n'y a donc pas lieu de substituer une sanction moins sévère.

Sur les frais liés à l'instance :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CNG, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. D... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D... la somme demandée par le CNG, au même titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du CNG présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG).

Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Versol, présidente de chambre,

Mme Troalen, première conseillère,

Mme Hameau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2025.

La rapporteure,

M. HameauLa présidente,

F. VersolLa greffière,

A. Gauthier

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24VE00818


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24VE00818
Date de la décision : 11/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09 Fonctionnaires et agents publics. - Discipline.


Composition du Tribunal
Président : Mme VERSOL
Rapporteur ?: Mme Manon HAMEAU
Rapporteur public ?: M. LEROOY
Avocat(s) : LUCAS-BALOUP

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-11;24ve00818 ?
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