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11/02/2025 | FRANCE | N°22VE01960

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 1ère chambre, 11 février 2025, 22VE01960


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SARL Art Bâtiment Services et Rénovation a demandé au tribunal administratif de Versailles :

- d'annuler la décision du 8 octobre 2020 par laquelle le directeur général de l'office français de l'immigration et de l'intégration a décidé de lui appliquer, d'une part, une contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 54 300 euros, d'autre part, une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminemen

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Art Bâtiment Services et Rénovation a demandé au tribunal administratif de Versailles :

- d'annuler la décision du 8 octobre 2020 par laquelle le directeur général de l'office français de l'immigration et de l'intégration a décidé de lui appliquer, d'une part, une contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 54 300 euros, d'autre part, une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour un montant de 7 194 euros, ainsi que la décision expresse du 20 novembre 2020 par laquelle le directeur général de l'office a rejeté le recours gracieux qu'elle a formé contre cette décision ;

- de la décharger du paiement de ces sommes ou, subsidiairement, de minorer le montant de ces sanctions.

Par un jugement n° 2008641 du 9 juin 2022, le tribunal administratif de Versailles a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 3 août 2022 et le 6 avril 2023, la SARL Art Bâtiment Services et Rénovation, représentée par Me Trojman, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les décisions prises par le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration les 8 octobre 2020 et 20 novembre 2020 ;

3°) de la décharger de l'obligation de payer la contribution spéciale de 54 300 euros et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine de 7 194 euros ou, à tout le moins, d'en réduire les montants ;

4°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché d'une erreur d'appréciation ;

- le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a fait preuve de mauvaise foi ;

- la matérialité des faits n'est pas établie, dès lors qu'il n'est pas justifié d'un lien de subordination entre elle-même et les travailleurs à raison desquels la contribution spéciale a été mise à sa charge ;

- la décision par laquelle la contribution spéciale a été mise à sa charge est entachée d'erreur d'appréciation ;

- cette amende est disproportionnée ;

- elle a été prononcée en méconnaissance du principe d'individualisation des peines ;

- à titre subsidiaire, son montant devrait être réduit ;

- la contribution forfaitaire est infondée dès lors qu'il n'a pas été procédé à l'éloignement effectif des quatre salariés démunis de titre de séjour, qui sont repartis d'eux-mêmes dans leur pays d'origine.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 4 janvier 2023 et le 10 mars 2023, le directeur directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me Schegin, avocat, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la SARL Art Bâtiment Services et Rénovation la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens de la requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 24 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 24 octobre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Hameau,

- et les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 21 mai 2019, lors du contrôle du chantier de rénovation d'une maison individuelle située au Vésinet, les services de l'inspection du travail ont constaté l'emploi par la SARL Art Bâtiment Services et Rénovation de trois ressortissants ukrainiens dépourvus de titre les autorisant à travailler et à séjourner en France. Au vu du procès-verbal établi lors de ce contrôle, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à la charge de la société, par une décision initiale du 8 octobre 2020, la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail, à hauteur de 54 300 euros à raison de l'emploi de trois travailleurs étrangers, et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour un montant de 7 194 euros pour l'emploi de ces mêmes travailleurs étrangers. Le recours gracieux de la SARL Art Bâtiment Services et Rénovation a été rejeté par le directeur de l'OFII le 20 novembre 2020. La SARL Art Bâtiment Services et Rénovation relève appel du jugement rendu le 6 juin 2022, par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces décisions et à la décharge de l'obligation de payer les sommes mises à sa charge, ou subsidiairement, à leur réduction.

Sur la régularité du jugement :

2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La SARL Art Bâtiment Services et Rénovation ne peut donc utilement se prévaloir d'une erreur d'appréciation qu'auraient commise les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Sur le moyen communément dirigé contre la contribution prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement :

3. Il ne saurait être déduit ni du prononcé ni du maintien, par le directeur général de l'OFII, des contributions spéciale et forfaitaire en litige, que la procédure aurait été menée d'une façon partiale, empreinte de mauvaise foi.

Sur la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France ". L'article L. 5221-8 du même code dispose que : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi tenue par l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 ". Aux termes de l'article L. 8253-1 de ce code, dans sa rédaction en vigueur à la date des manquements relevés à l'encontre de la SARL Art Bâtiment Services et Rénovation : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. /L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et fixer le montant de cette contribution pour le compte de l'Etat selon des modalités définies par convention. (...) ".

5. Aux termes de l'article R. 8253-2 du même code : " I.- Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. (...) ".

6. Il appartient au juge administratif, lorsqu'il est saisi comme juge de plein contentieux d'une contestation portant sur une sanction prononcée sur le fondement de ces dispositions, d'examiner tant les moyens tirés des vices propres de la décision de sanction que ceux mettant en cause le bien-fondé de cette décision et de prendre, le cas échéant, une décision qui se substitue à celle de l'administration. Celle-ci devant apprécier, au vu notamment des observations éventuelles de l'employeur, si les faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application de cette sanction administrative, au regard de la nature et de la gravité des agissements et des circonstances particulières à la situation de l'intéressé, le juge peut, de la même façon, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, tant s'agissant du manquement que de la proportionnalité de la sanction, maintenir la contribution, au montant fixé de manière forfaitaire par les dispositions précitées, ou en décharger l'employeur.

7. La contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail est due du seul fait de l'emploi de travailleurs étrangers démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français.

8. Il est constant, en l'espèce, que les trois travailleurs ukrainiens à raison desquels les sommes en litige ont été mises à la charge de la SARL Art Bâtiment Services et Rénovation étaient dépourvus de titres de séjour les autorisant à travailler en France. La SARL Art Bâtiment Services et Rénovation conteste l'existence d'un lien de subordination entre elle-même et ces travailleurs en arguant de l'absence de pouvoir de direction de l'épouse du requérant, laquelle a procédé à leur embauche en l'absence de son mari, alors à l'étranger. La SARL Art Bâtiment Services et Rénovation reconnaît pourtant les avoir effectivement embauchés le jour du contrôle et déclarés à l'URSSAF, et elle ne conteste pas qu'ils travaillaient, en l'absence du gérant, pour son compte sur le chantier inspecté. Ces conditions d'exercice traduisent l'existence, à l'égard de la SARL Art Bâtiment Services et Rénovation, d'un lien de subordination de nature à caractériser une activité salariée. La matérialité des faits reprochés à la SARL Art Bâtiment Services et Rénovation est établie.

9. La SARL Art Bâtiment Services et Rénovation soutient par ailleurs que les décisions litigieuses sont entachées d'une erreur d'appréciation et que la somme mise à sa charge est disproportionnée. Elle se prévaut notamment de sa bonne foi et de ce que jusqu'alors, elle ne s'était jamais rendue coupable de telle infraction. Elle se prévaut également de l'ignorance, par l'épouse du gérant, des obligations prescrites par le code du travail ou de ce que l'Ukraine n'est pas un Etat membre de l'Union européenne, et de la brièveté de la présence des trois travailleurs ukrainiens dans ses effectifs, par ailleurs très faibles, qu'ils ont quittés le lendemain du contrôle en raison de ce dernier, après avoir été embauchés dans les circonstances " exceptionnelles " précédemment décrites. Cependant, il résulte de ce qui a été exposé au point 8 du présent arrêt que l'infraction de travail illégal par l'emploi sans titre de travail ni titre de séjour des trois salariés étrangers visés est constituée. Au regard de la nature, de la gravité des agissements sanctionnés et de l'exigence de répression effective des infractions, les éléments dont fait état la société requérante, qui ne justifie pas d'ailleurs de difficultés financières, ne suffisent pas à établir que les circonstances propres à l'espèce nécessiteraient qu'elle soit, à titre exceptionnel, dispensée de la contribution spéciale. Par suite, le directeur général de l'OFII a pu légalement, sans commettre d'erreur d'appréciation ni méconnaître le principe d'individualisation des peines, fixer le montant de la contribution spéciale à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail. Par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation dont serait entachée la sanction en litige doit être écarté.

Sur la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement :

10. Aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. (...) ".

11. Ces dispositions ne subordonnent pas la mise à la charge de l'employeur de la contribution représentative des frais de réacheminement des étrangers dans leur pays d'origine à la justification, par l'administration, du caractère effectif de ce réacheminement. Par suite, la SARL Art Bâtiment Services et Rénovation ne peut utilement se prévaloir de ce que les trois travailleurs ukrainiens qu'elle a employés irrégulièrement seraient spontanément repartis dans leur pays d'origine pour contester la légalité de cette contribution.

12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la SARL Art Bâtiment Services et Rénovation aux fins d'annulation des décisions contestées et de décharge de l'obligation de payer ou, subsidiairement, de réduction, des sanctions en litige doivent être rejetées. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'OFII, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la SARL Art Bâtiments Services et Rénovation, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SARL Art Bâtiments Services et Rénovation la somme demandée par l'OFII, au même titre.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL Art Bâtiment Services et Rénovation est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Art Bâtiment Services et Rénovation et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Versol, présidente de chambre,

Mme Troalen, première conseillère,

Mme Hameau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2025.

La rapporteure,

M. HameauLa présidente,

F. VersolLa greffière,

A. Gauthier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 22VE01960


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22VE01960
Date de la décision : 11/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Emploi des étrangers - Mesures individuelles - Contribution spéciale due à raison de l'emploi irrégulier d'un travailleur étranger.

Travail et emploi - Réglementations spéciales à l'emploi de certaines catégories de travailleurs - Emploi des étrangers (voir : Étrangers).


Composition du Tribunal
Président : Mme VERSOL
Rapporteur ?: Mme Manon HAMEAU
Rapporteur public ?: M. LEROOY
Avocat(s) : SELARL TROJMAN-MOTILA ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-11;22ve01960 ?
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