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11/02/2025 | FRANCE | N°20VE02033

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 1ère chambre, 11 février 2025, 20VE02033


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le tribunal administratif de Paris a transmis au tribunal administratif de Montreuil la demande présentée par Mme G... I... épouse H... et M. E... H..., en leurs noms propres et au nom de leurs enfants mineurs A..., C... et B... H... tendant à condamner l'Etat à verser la somme de 1 125 226,54 euros à A... H..., de 854 371,50 euros à C... H..., de 100 000 euros à Mme G... I... épouse H..., de 100 000 euros à M. H... et de 20 000 euros à B... H....



Par u

n jugement n° 1704392 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le tribunal administratif de Paris a transmis au tribunal administratif de Montreuil la demande présentée par Mme G... I... épouse H... et M. E... H..., en leurs noms propres et au nom de leurs enfants mineurs A..., C... et B... H... tendant à condamner l'Etat à verser la somme de 1 125 226,54 euros à A... H..., de 854 371,50 euros à C... H..., de 100 000 euros à Mme G... I... épouse H..., de 100 000 euros à M. H... et de 20 000 euros à B... H....

Par un jugement n° 1704392 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à verser à A... H... la somme de 152 386,08 euros, à C... H... la somme de 63 718,10 euros, à Mme I... la somme de 32 000 euros, à M. E... H... la somme de 32 000 euros, à B... H... la somme de 5 000 euros et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 août 2020, 22 décembre 2021, 13 décembre 2022 et 26 août 2024, Mme H... et autres représentés par Me Joseph-Oudin, avocat, demandent à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 2 juillet 2020 en ce qu'il a limité le montant des indemnités à verser ;

2°) de condamner l'Etat à verser les indemnités suivantes :1 155 226,54 euros à M. A... H..., 884 371,50 euros à M. C... H..., 120 000 euros à Mme I..., 120 000 euros à M. E... H..., et 45 000 euros pour M. B... H...,

3°) de réserver les droits indemnitaires pour les postes de préjudice ne pouvant pas faire l'objet d'une évaluation à ce stade de la procédure ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'Etat a manqué à ses obligations en matière de police sanitaire car l'Agence du médicament devait recueillir les informations sur les effets toxiques des médicaments, procéder à l'évaluation des bénéfices et des risques, recueillir les informations scientifiques pour sa mission, modifier ou suspendre l'autorisation de mise sur le marché ;

- le principe de précaution aurait dû être appliqué, surtout pour les femmes enceintes ;

- le risque tératogène de la Dépakine pour les enfants in utero est apparu dès 1970 dans la littérature et les troubles de développement neurologique dès les années 1980, donc avant les grossesses ;

- le laboratoire produisant le médicament autorisé sur le marché supporte des obligations de suivi des effets des médicaments ; or les effets négatifs n'ont pas été indiqués par le laboratoire ;

- les autorités ont réagi tardivement, l'autorisation de mise sur le marché aurait dû être modifiée ;

- les notices issues des autorisations de mise sur le marché ne précisaient pas de précautions d'emploi avant janvier 2006, n'étaient pas conformes aux données acquises de la science, et le résumé des caractéristiques du produit (RCP) n'était pas conforme aux données acquises de la science (minimisation du risque de malformations et de retards neuro-développementaux); cela minimisait l'information portée aux médecins ; or le laboratoire Sanofi connaissait les cas de troubles neuro-développementaux dès 1992 ;

- les enfants A... et C... souffrent de préjudices liés à leur exposition in utero à la Dépakine.

- la faute de l'Etat emporte la totalité du dommage ; il y a lieu de condamner solidairement l'Etat et le laboratoire Sanofi.

Par un mémoire en défense, enregistrés les 2 mars 2022 et 15 novembre 2024, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le résumé des caractéristiques du produit du 25 janvier 2006 déconseille l'utilisation de Dépakine pendant la grossesse ; la sous-estimation des risques de malformations ne repose sur aucune étude concrète ; concernant les risques de troubles neurodéveloppementaux, un consensus n'a émergé qu'à partir de la fin des années 2000 et pourtant l'Agence nationale de sécurité du médicament a ajouté ces risques dans le RCP de 2006.

- l'évaluation des préjudices effectuée par le tribunal administratif est correcte.

Par des mémoires enregistrés les 22 octobre 2021, 14 février et 14 décembre 2022, l'Agence nationale de sécurité du médicament, représentée par Me Schmelck, avocate, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- les requérants ont intenté une action en indemnisation devant le tribunal judiciaire de Nanterre ; il conviendra qu'ils produisent les pièces relatives à cette procédure pour ne pas obtenir une double indemnisation ;

- aucune faute ne peut être reprochée à l'agence ;

- elle ne pouvait modifier l'autorisation de mise sur le marché (AMM) du médicament sans le décret d'application de la loi du 2 mai 1996 qui n'est paru qu'en 2004 ; il appartenait au titulaire de l'autorisation de soumettre à l'agence toute demande de modification de la notice ; le titulaire avait donc une obligation renforcée d'information ;

- la demande de modification de l'autorisation de mise sur le marché présentée par le laboratoire le 19 mai 2003 sur les risques de retards psychomoteurs n'a pas été suivie compte tenu des études produites par le laboratoire et des analyses menées ; cette position n'était pas isolée ;

- la demande de modification de la notice présentée par le laboratoire ne tendait pas à mentionner des risques de malformations ou de retards psychomoteurs ; elle ne portait donc pas sur le même élément que la demande de modification du RCP ;

- le 23 décembre 2004, le laboratoire Sanofi a déposé une nouvelle demande de modification de l'AMM proposant d'indiquer les risques de retards psychomoteurs, ainsi que dans la notice ; le groupe de travail "Reproduction, grossesse et allaitement" a souhaité des études complémentaires ; il a émis un avis favorable et proposé certaines modifications du RCP et de la notice qui ont été proposées au laboratoire et ont donné lieu à des échanges ; le RCP et la notice ont donc été modifiés en janvier 2006 déconseillant l'usage de la Dépakine en cas de grossesse ; cette AMM était celle en vigueur au moment de la grossesse du second enfant (2007-2008) ;

- il appartenait au médecin traitant d'informer Mme H... à cette époque ;

- les informations du RCP correspondaient aux données acquises de la science ;

- aucune demande de modification de la notice incluant les risques tératogènes n'a été formulée par le laboratoire lors de la 1ère grossesse de Mme H... ; et il incombait au médecin d'informer Mme H... des risques tels que mentionnés dans le RCP ; ces fautes sont totalement exonératoires de la responsabilité de l'Etat ;

- les préjudices ont été justement évalués par le tribunal administratif ;

- les recommandations européennes invoquées entre 2002 et 2006 ne concernent que les risques de malformations ;

- les conditions d'une condamnation solidaire de l'Etat et de la société Sanofi ne sont pas remplies.

Par des mémoires enregistrés les 9 juillet 2021, 23 novembre 2021, 26 janvier 2022, 14 mars 2022, 13 décembre 2022 et 17 mai 2024, la société Sanofi-Aventis France, représentée par Me Aviges, avocat, intervient volontairement dans l'instance et demande à ce que le jugement soit réformé en ce qu'il a retenu une part de responsabilité de la société exonérant partiellement l'Etat, à titre subsidiaire, de diminuer cette part de responsabilité et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a demandé dès décembre 2004 la modification de l'AMM, ainsi qu'en 2008 ;

- le rapport d'expertise collégiale conclut au respect par la société Sanofi de ses obligations d'information et de pharmacovigilance ;

- la procédure de récusation initiée à l'encontre d'un des experts a été rejetée ;

- son intervention est recevable ;

- concernant la première grossesse, aucune faute ne peut être reprochée au laboratoire Sanofi compte tenu des termes de la demande de modification de l'AMM du 19 mai 2003 ; l'information transmise a été reconnue complète par les experts ;

- le délai excessif de traitement de sa demande de modification de l'AMM déposée en décembre 2004 ne lui est pas imputable ;

- l'information portée par le laboratoire était complète ;

- concernant la seconde grossesse, entre septembre 2007 et juin 2008, la proposition de modification de la notice n'a pas été retenue par l'agence française de sécurité sanitaire ; le laboratoire ne pouvait pas modifier la notice du fait de l'absence de réponse de l'agence française de sécurité sanitaire dans la mesure où cette modification était liée à celle du RCP ; en tout état de cause, l'agence avait refusé la modification proposée ;

- sa responsabilité ne peut donc être retenue ;

- la part de responsabilité retenue à son encontre constitue un préjudice anormal et spécial ; les directives de l'autorité de santé relatives à la rédaction de la notice ne lui sont pas imputables ;

- l'agence française de sécurité sanitaire aurait pu, sur la base de l'article R. 5139 du code de la santé publique, retirer ou suspendre l'AMM ; une carence de l'Etat à prendre un décret d'application d'une loi de 1996 ne peut lui être imputable ; l'agene pouvait modifier l'AMM même en l'absence de décret d'application ;

- l'autorité de santé n'a pas demandé d'investigations supplémentaires au laboratoire après sa demande de modification de l'AMM de 2004 ;

- l'évolution de l'état des connaissances en 2005 ayant conduit à proposer une rédaction différente de celle proposée par le laboratoire en 2004 ne peut lui être opposée.

Par un mémoire enregistré le 19 juillet 2024, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Welsch, avocat, informe la cour de l'évolution de la procédure amiable.

Il explique que le collège d'experts a rendu un avis le 12 février 2024, lequel reconnaît des troubles des enfants A... et C... imputables au valproate de sodium, fixe la part de responsabilité de l'Etat à 40% et celle de Sanofi à 60 %, et évalue les différents chefs de préjudice invoqués.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie du Cher le 6 septembre 2021, qui n'a pas produit d'observations.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour condamner la société Sanofi-Adventis.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de retenir une perte de chance pour apprécier le préjudice indemnisable.

Par un mémoire enregistré le 14 novembre 2024, Mme H... et autres ont produit leurs observations relatives à la perte de chance.

Ils soutiennent que :

- si l'information sur les risques de la Dépakine avait été donnée, Mme H... n'aurait pas exposé ses enfants à ces risques ;

- le lien de causalité étant certain, aucune perte de chance ne peut être retenue ; à titre subsidiaire, elle ne peut être inférieure à 95 %.

Par un mémoire enregistré le 15 novembre 2024, la société Sanofi Winthrop Industrie a produit des observations relatives à la perte de chance.

Elle soutient que :

- les femmes épileptiques ont un risque de mortalité deux fois plus élevé que les femmes non atteintes de cette pathologie ; l'interruption du traitement peut ainsi être très préjudiciable ;

- il existe bien d'autres étiologies susceptibles d'expliquer les troubles dont souffrent les enfants A... et C..., en particulier le facteur génétique ;

- les médecins ont conseillé de maintenir le traitement à la Dépakine pendant les grossesses et les experts judiciaires concluent que c'était le plus adapté ;

- selon l'article L.114-5 du code de l'action sociale et des familles, les parents ne peuvent demander l'indemnisation que de leur seul préjudice.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de santé publique ;

- la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Le Gars,

- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public,

- et les observations de Me Paucod, substituant Me Jospeh-Oudin, pour Mme H... et autres, de Me Germain, substituant Me Schmelck, pour l'Agence nationale de sécurité du médicament, Me Aviges pour la société Sanofi-Aventis France, et de Me Welsch pour l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Une note en délibéré présentée par le ministre de la santé et de l'accès aux soins le 29 novembre 2024.

Une note en délibéré été présentée pour Sanofi Winthrop Industrie a été enregistrée le 17 janvier 2025.

Considérant ce qui suit :

1. Mme I..., épouse H..., née le 8 janvier 1978, souffre d'épilepsie diagnostiquée en 1995 et traitée par l'administration de Dépakine. Elle a poursuivi un traitement à raison de deux comprimés de Dépakine Chrono 500 mg durant ses deux grossesses débutées respectivement les 7 mai 2005 et 15 septembre 2007. Elle a donné naissance à A... le 2 février 2006 et à C... le 12 juin 2008, tous deux atteints de diverses malformations physiques et de troubles neuro-développementaux. M. et Mme. H..., en leur nom propre et aux noms de leurs enfants mineurs, ont demandé au tribunal administratif de Paris, qui a transmis la demande au tribunal administratif de Montreuil, de condamner l'Etat à leur verser la somme totale de 2 199 598,04 euros en réparation des préjudices résultant des fautes commises par l'Etat dans ses activités de contrôle de la mise sur le marché de la Dépakine Chrono 500 mg. Ils relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Montreuil en ce qu'il a limité le montant des indemnités à leur verser.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Les requérants demandent à la cour de condamner solidairement l'Etat, la société Sanofi et les médecins prescripteurs à réparer leurs préjudices. Toutefois, les litiges entre les requérants et la société Sanofi ou les médecins prescripteurs qui n'agissaient pas au nom et pour le compte de l'Etat, ne relèvent pas de la compétence de la juridiction administrative. Par suite les conclusions tendant à leur condamnation solidaire ne peuvent qu'être rejetées.

Sur l'intervention de la société Sanofi Winthrop Industrie :

3. D'une part, la société Sanofi Winthrop Industrie demandant, comme les requérants, la réformation du jugement du 2 juillet 2020 du tribunal administratif de Montreuil qui retient une cause exonératoire de responsabilité de l'Etat, elle doit être regardée comme s'associant aux conclusions de la requête, alors même que la réformation du jugement n'est pas sollicitée pour les mêmes motifs. D'autre part, eu égard à la nature et l'objet des questions soulevées par le litige, la société Sanofi Winthrop Industrie justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir dans la présente instance. Par suite, son intervention est recevable.

Sur le principe de la responsabilité :

En ce qui concerne le régime applicable :

4. L'article R. 5121-8 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au présent litige, prévoyait que toute spécialité pharmaceutique ou tout autre médicament fabriqué industriellement dont la mise sur le marché n'avait pas été autorisée par la Communauté européenne devait faire l'objet, avant sa commercialisation ou sa distribution à titre gratuit, en gros ou au détail, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, renouvelable par période quinquennale et que l'agence pouvait modifier, suspendre ou retirer cette autorisation. En vertu des dispositions de l'article R. 5121-21 de ce code, la demande d'autorisation de mise sur le marché comporte un résumé des caractéristiques techniques du produit (RCP). Les dispositions de l'article R. 5121-23 de ce code, abrogé en 2008, prévoit que le RCP destiné au médecin prescripteur doit mentionner en particulier les contre-indications, les effets indésirables et les préconisations à tenir en cas de grossesse. Selon les dispositions de l'article R. 5121-25 de ce même code, la demande d'autorisation comprend également un projet de notice. L'article R. 5121-147 du même code dispose que : " Le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché se conforme aux bonnes pratiques de notice établies, par décision du directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. " Aux termes des dispositions de l'article R. 5121-149 du même code : " La notice est établie en conformité avec le résumé des caractéristiques du produit. Elle comporte, dans l'ordre, les indications suivantes : (...) / 3° L'énumération des informations nécessaires avant la prise du médicament relatives aux contre-indications, aux précautions d'emploi, aux interactions médicamenteuses et autres interactions susceptibles d'affecter l'action du médicament et aux mises en garde spéciales. / Cette énumération doit : / a) Tenir compte de la situation particulière des catégories suivantes d'utilisateurs : enfants, femmes enceintes ou allaitant, personnes âgées, personnes présentant certaines pathologies spécifiques ; (...) / 5° Une description des effets indésirables pouvant être observés lors de l'usage normal du médicament ou du produit et, le cas échéant, la conduite à tenir, ainsi qu'une invitation expresse pour le patient à communiquer à son médecin ou à son pharmacien tout effet indésirable qui ne serait pas mentionné dans la notice. (...) ".

5. En vertu de l'article L. 5311-1 du code de la santé publique alors applicable, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, devenue l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, établissement public de l'Etat placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé, est chargée de procéder à l'évaluation des bénéfices et des risques liés à l'utilisation de ces produits à tout moment opportun et notamment lorsqu'un élément nouveau est susceptible de remettre en cause l'évaluation initiale. Elle assure la mise en oeuvre des systèmes de vigilance et prépare la pharmacopée. Elle est également chargée de prendre ou de demander aux autorités compétentes de prendre les mesures de police sanitaire nécessaires lorsque la santé de la population est menacée. Par ailleurs, l'article L. 5311-2 alors applicable de ce code dispose que cette agence procède ou fait procéder à toute expertise et à tout contrôle technique relatifs notamment aux médicaments et qu'elle est chargée de recueillir et d'évaluer les informations sur les effets inattendus, indésirables ou néfastes des médicaments. L'article R. 5121-155 du même code, dans sa rédaction alors applicable, dispose que " l'Agence (...) assure la mise en œuvre du système national de pharmacovigilance. Elle définit les orientations de la pharmacovigilance, anime et coordonne les actions des différents intervenants et veille au respect des procédures de surveillance organisées par la présente section / Elle reçoit les déclarations et les rapports qui sont adressés à son directeur général (...) par les entreprises et organismes exploitant des médicaments (...), ainsi que les informations qui lui sont transmises (...) par les centres régionaux de pharmacovigilance. / Le directeur général de l'agence peut demander aux centres régionaux de pharmacovigilance de mener à bien toutes enquêtes et tous travaux de pharmacovigilance. (...) / Les entreprises et organismes exploitant des médicaments (...) doivent, sur demande motivée du directeur général de l'agence, fournir toute information mentionnée au second alinéa de l'article R. 5121-151 ou effectuer toutes enquêtes et tous travaux concernant les risques d'effets indésirables que ces médicaments ou produits sont susceptibles de présenter. Les informations, enquêtes ou travaux ainsi demandés doivent être nécessaires à l'exercice de la pharmacovigilance. ". Aux termes de l'article R. 5121-156 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Après exploitation des informations recueillies, le directeur général de l'Agence (...) prend, le cas échéant, les mesures appropriées pour assurer la sécurité d'emploi des médicaments (...) et pour faire cesser les incidents et accidents qui se sont révélés liés à leur emploi, ou saisit les autorités compétentes. ".

6. Eu égard à la nature des pouvoirs ainsi conférés aux autorités chargées de la police sanitaire relative aux médicaments, et aux buts en vue desquels ces pouvoirs leur ont été attribués, la responsabilité de l'Etat peut être engagée par toute faute commise dans l'exercice de ces attributions pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain.

En ce qui concerne l'existence de fautes commises par l'Etat :

7. Les requérants soutiennent que les risques de malformations du fœtus exposé in utero au valproate de sodium étaient connus dès les années 1970, et que les risques de troubles neuro-développementaux ont fait l'objet de publications dès les années 1980. Il résulte de l'instruction que les risques tératogènes liés au valproate de sodium ont été connus au cours des années 1980. En revanche, concernant les risques de troubles neuro-développementaux, il ressort du rapport d'expertise collégiale du 25 février 2019 ordonnée par le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny, rédigé après un examen des études invoquées par les requérants, qu'" en 2003 lors de la demande de modification des mentions de la rubrique " Grossesse, Allaitement " le risque de troubles neuro-comportementaux concernait l'ensemble des antiépileptiques. Aucune publication ne permettait d'affirmer un lien de causalité certain entre l'exposition in utero à une monothérapie par valproate et la survenue de troubles neuro-comportementaux. ". Toutefois, si le lien de causalité entre l'exposition au Valproate de sodium et les troubles neuro-développementaux n'était pas établi de façon certaine, il ressort également du rapport collégial du 23 février 2016 de l'Inspection générale des affaires sociale relatif à l'enquête relative aux spécialités pharmaceutiques contenant du valproate de sodium que l'évocation des risques de troubles neuro-comportementaux était envisageable à titre d'hypothèse en 2003-2004 et que " dès 2004, l'imputabilité de ces retards au valproate de sodium paraissait acquise du point de vue de la pharmacovigilance ". Il résulte ainsi de l'instruction que le risque de retards de développement lié à l'exposition in utero au valproate de sodium sans être certain, était suffisamment caractérisé au cours de l'année 2003 pour devoir être indiqué dans les effets indésirables possibles du produit.

8. Concernant la première grossesse de Mme H... débutée en mai 2005, le RCP résultant de l'autorisation de mise sur le marché ne mentionnait que le risque, en cas de grossesse, de malformations physiques, " tous antiépileptiques confondus " et indiquait certaines malformations plus spécifiquement observées avec le valproate de sodium. Il ne mentionnait toutefois aucun risque de retards neuro-développementaux. Quant à la notice, elle ne comportait aucune information sur les risques tant de malformations physiques que de retards neuro-développementaux. Ces documents qui devaient comporter les informations nécessaires avant la prise du médicament relatives aux contre-indications, aux précautions d'emploi, notamment pour les femmes enceintes, ne reflétaient pas l'état des connaissances scientifiques. Par suite, en ne modifiant pas ou en ne faisant pas modifier l'autorisation de mise sur le marché de la Dépakine afin que la notice et le RCP reflètent l'état des connaissances scientifiques, l'agence exerçant au nom de l'Etat ses missions de pharmacovigilance a manqué à ses obligations de contrôle, et, ce faisant, commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

9. Concernant la deuxième grossesse de Mme H... débutée en septembre 2007, il résulte de l'instruction que le RCP du 25 janvier 2006 alors en vigueur, mentionnait notamment " une légère diminution des capacités verbales et/ou une augmentation de la fréquence du recours à l'orthophonie ou au soutien scolaire ont été décrites chez ces enfants. ", et que " par ailleurs, quelques cas isolés d'autisme et de troubles apparentés ont été rapportés chez les enfants exposés in utero au valproate de sodium ". Ces mentions étaient alors conformes aux connaissances scientifiques de l'époque. Toutefois, la notice destinée à l'information des patientes ne comportait aucune indication tant sur les risques de malformations physiques que sur les risques de diminution des capacités verbales et des besoins de soutien scolaire des enfants exposés in utero à la Dépakine, en méconnaissance des indications portées sur le RCP et des données scientifiques de l'époque. Par suite, en ne modifiant pas ou en ne faisant pas modifier l'autorisation de mise sur le marché de la Dépakine afin que la notice soit conforme au RCP, reflète ainsi l'état des connaissances scientifiques et informe directement les utilisatrices des risques en cas d'exposition du fœtus à ce médicament, l'agence exerçant au nom de l'Etat ses missions de pharmacovigilance a manqué à ses obligations de contrôle, et, ce faisant, commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

10. Ces manquements constituent une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat pour les grossesses A... et C..., tant pour les préjudices résultant des malformations physiques que des troubles neuro-développementaux, sans que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ne puisse utilement se prévaloir d'obstacles règlementaires antérieurs à 2004, pour modifier ou suspendre d'office une autorisation de mise sur le marché, pour des grossesses débutées en mai 2005 et septembre 2007 .

Sur les faits de tiers :

11. Si, dans un tel cas, l'Etat ne peut s'exonérer de l'obligation de réparer intégralement les préjudices trouvant directement leur cause dans sa faute en invoquant les fautes commises par des personnes publiques ou privées avec lesquelles il collabore étroitement dans le cadre de la mise en œuvre d'un service public, il n'en va pas de même lorsqu'il invoque la faute d'une personne privée qui est seulement soumise à son contrôle, ou à celui d'une autorité agissant en son nom. Par ailleurs, les fautes de l'agence, de la société Sanofi et des médecins ne peuvent être regardées comme portant chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites. Ainsi le tribunal a pu, à bon droit, considérer que des agissements fautifs de tiers pouvaient, le cas échéant, être de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat. Les appelants ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que l'Etat devrait être condamné à indemniser l'intégralité de leurs préjudices, à charge pour lui d'engager des actions récursoires contre d'éventuels tiers responsables.

S'agissant de la responsabilité des médecins prescripteurs de Dépakine :

12. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique dans sa version alors applicable : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. ". Aux termes de l'article R. 4127-35 du même code dans sa version applicable : " Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension/ (...) ".

13. Le régime spécifique de preuve prévu par l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, qui prévoit qu'en cas de litige, il appartient au professionnel de santé d'apporter la preuve que l'information prévue par cet article a été délivrée à l'intéressé, ne trouve pas à s'appliquer dans des litiges autres que ceux où un patient reproche à un médecin ou à un établissement un défaut d'information médicale. Il suit de là que, dans le cadre du présent litige, la faute éventuelle des médecins ne saurait être retenue que si elle résulte de l'instruction, en particulier du ou des expertises judiciaires, de l'avis du collège d'experts auprès de l'ONIAM si un tel avis a été rendu ou des pièces médicales versées au dossier de l'instance.

14. En l'espèce, si Mme H... n'a pas été informée de l'ensemble des risques et des malformations physiques possibles reconnues imputables à la Dépakine telles qu'elles étaient mentionnées dans les RCP en vigueur et n'a pas reçu le courrier du 14 juin 2005 du centre régional de pharmacovigilance consulté par le Dr D..., gynécologue, il résulte toutefois de l'instruction que ce médecin qui la suivait, l'a renvoyée le 30 juin 2005 vers son neurologue, le Dr F..., afin d'évaluer, compte tenu des risques liés à la prise de valproate de sodium au cours d'une grossesse, la pertinence de maintenir son traitement. Il ressort notamment du rapport d'expertise judiciaire que ce dernier lui a conseillé de prendre la Dépakine en deux prises, de réaliser des échographies de surveillance pour la détection du spina bifida et de prendre un traitement prophylactique par Spéciafoldine. Concernant la deuxième grossesse de Mme H..., il ne résulte pas de l'instruction qu'elle n'aurait pas été informée par les médecins qui l'ont suivie, des risques tels qu'ils étaient mentionnés dans le RCP alors en vigueur. Dans ces conditions, aucune faute résultant d'un défaut d'information ne peut être retenue à l'encontre de ces médecins.

S'agissant de la société Sanofi Aventis :

15. Aux termes de l'article R. 5121-171 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable: " Toute entreprise ou tout organisme exploitant un médicament ou produit mentionné à l'article R. 5121-150 est tenu d'enregistrer et de déclarer sans délai au directeur général de l'Agence (...), et au plus tard dans les quinze jours suivant la réception de l'information : / 1° Tout effet indésirable grave et toute transmission d'agents infectieux, survenus en France et susceptibles d'être dus à ce médicament ou produit, ayant été portés à sa connaissance par un professionnel de santé ; / 2° Tous les autres effets indésirables graves survenus en France et susceptibles d'être dus à ce médicament ou produit, dont il peut prendre connaissance, compte tenu notamment de l'existence de publications en faisant état ou de leur enregistrement dans des bases de données accessibles, ou qui ont fait l'objet d'une déclaration répondant aux critères fixés par les bonnes pratiques de pharmacovigilance définies en application de l'article R. 5121-179 ; / 3° Tout effet indésirable grave et inattendu ainsi que toute transmission d'agents infectieux, survenus dans un pays tiers et susceptibles d'être dus à ce médicament ou produit, ayant été portés à sa connaissance (...) ". En vertu de l'article R. 5121-173 du même code, dans sa version applicable au présent litige, toute entreprise ou tout organisme exploitant un médicament est tenu de transmettre au directeur général de l'Agence, à intervalle réguliers et le cas échant immédiatement sur demande de celui-ci, les informations relatives aux effets indésirables susceptibles d'être dus à ce médicament qu'il a déclarés ou qui lui ont été signalés ainsi que toutes les informations utiles à l'évaluation des risques et des bénéfices liés à l'emploi de ce médicament ou produit.

16. Il résulte de l'instruction que la société Sanofi Aventis a présenté une demande de modification du RCP le 19 mai 2003 afin de mentionner la fréquence du risque malformatif et " le risque de retard psychomoteur chez l'enfant né de mère épileptique " et exposé in utero aux antiépileptiques. Cette demande ne contenait pas de proposition de modification de la notice en ce sens. Toutefois la société a présenté une nouvelle demande le 23 décembre 2004 afin de modifier le RCP et la notice et d'y faire figurer les deux catégories de risques. Si l'ANSM soutient que le groupe de travail " grossesse, reproduction et allaitement " a étudié les études fournies avec la demande et a rendu un avis défavorable aux modifications demandées relatives au risque de retard psychomoteur compte tenu des résultats contradictoires des études et en attendant des avis complémentaires de spécialistes de la prise en charge de ces retards, il résulte toutefois de l'instruction, notamment du rapport de l'IGAS de 2016, que le risque des retards de développement liés à la prise de valproate de sodium au cours de la grossesse était en débat parmi les experts et apparaissait déjà dans les RCP au Royaume-Uni, en Allemagne et en Irlande dès 2003, même s'ils mentionnaient également les facteurs possibles de confusion. Par ailleurs l'ANSM ne peut utilement soutenir que la société disposait de la faculté de modifier unilatéralement la notice dès lors que les modifications envisagées étaient communes au RCP et à la notice. Dans ces conditions, compte tenu des demandes de modification de l'information sur la Dépakine présentées par la société Sanofi-Aventis, aucune faute ne peut être retenue à son encontre.

17. Il résulte de ce qui précède qu'aucune faute exonératoire de la responsabilité de l'Etat ne peut être retenue à l'encontre des médecins ou de la société Sanofi.

Sur le lien de causalité :

18. Il résulte de l'instruction qu'Abel souffre de particularités morphologiques, de retard dans l'acquisition du langage sur le plan de l'expression et de la compréhension, d'un trouble du développement d'intensité légère, d'une tendance à l'anxiété, de capacités cognitives en retard et en décalage léger avec la moyenne de son âge, de difficultés dans le repérage dans le temps et dans l'espace ou encore d'un trouble dans la motricité fine. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise judiciaire du 25 février 2019 et de l'avis de l'ONIAM du 13 juin 2024, que ces dommages doivent être regardés comme imputables à l'imprégnation au valproate de sodium in utero. En revanche, le lien entre l'exposition in utero à la Dépakine et les troubles ORL infantiles et les angiomes cutanés en période prénatale n'est pas établi au regard de la prévalence de ces pathologies dans la population générale.

19. Concernant C..., il résulte de l'instruction que les particularités morphologiques, le retard de langage qui a été qualifié de retard simple avec immaturité, les difficultés comportementales, les balancements lors de l'endormissement, le manque d'attention et de concentration, les difficultés motrices à type de maladresse ne peuvent être imputés à une autre cause qu'à l'exposition à la Dépakine Chrono 500 mg durant la grossesse. En revanche, le lien de causalité avec l'exposition à la Dépakine n'est pas établi s'agissant des troubles ORL au regard de la prévalence de ces pathologies dans la population générale.

Sur la perte de chance :

20. La non-conformité au RCP des mentions de la notice de la Dépakine n'a pas permis à Mme H... de prendre directement connaissance des risques encourus en cas de grossesse, s'agissant tant des malformations congénitales que des troubles du développement et du comportement. La faute commise par l'Agence de sécurité des médicaments et des produits de santé exerçant au nom de l'Etat ses missions de pharmacovigilance n'a entraîné, pour les victimes qu'une perte de chance de se soustraire aux risques qui se sont réalisés. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'IGAS que l'éviction systématique du Valproate de sodium ne pouvait être envisagée que dans le cadre de stratégies thérapeutiques s'appuyant sur l'existence de traitements alternatifs et sur une analyse des bénéfices et des risques associés aux traitements, parmi lesquels les risques tératogènes. Par ailleurs, une étude parue en 2014 montrait que les décès subits et inattendus des épileptiques chez les femmes enceintes souffrant d'épilepsie apparaissaient comme un risque significatif. Cette étude attribuait l'augmentation de ce risque de décès subit et inattendu de la femme épileptique enceinte à la réduction des doses du fait de la tératogénicité des traitements et de clairance du médicament. Par conséquent, tout arrêt brutal d'un traitement antiépileptique chez la femme enceinte était déconseillé. Ce même rapport expose que " s'il est démontré que le valproate augmente le risque de malformation à la naissance, doivent également être pris en compte le fait qu'il n'y a pas toujours d'alternative thérapeutique à la Dépakine dans certains cas d'épilepsie et qu'il existe des risques liés à ce que les épileptologues appellent un " switch " (changement de traitement) ". Il résulte ainsi également de l'instruction que tant l'arrêt du traitement, que son changement ou la diminution du dosage comportaient également des risques soit tératogènes soit de décès subit. En l'espèce, il résulte de l'instruction que Mme H... prenait de la Dépakine depuis 1995, qu'à cette époque la fréquence des crises pouvait être de trois fois par jour, et que la prise de Dépakine Chrono d'1 g/jour les avait fait disparaître rapidement. Dans ces conditions, compte tenu de la gravité des risques liés à l'arrêt du traitement par Dépakine lors d'une grossesse, ainsi que des risques liés à un changement de thérapie, il ne résulte pas de l'instruction que le maintien de la prescription de Dépakine n'aurait pas été adapté à la situation de Mme H... dont l'épilepsie était traitée depuis 1995. En outre le médecin gynécologue de Mme H... a pris la peine de consulter son neurologue et le centre régional de pharmacovigilance lors de la première grossesse sur l'opportunité de maintenir le traitement. Enfin, tant l'expertise judiciaire du 25 février 2019 que le collège d'expert de l'ONIAM qui s'est prononcé sur le cas A... et C..., ont conclu que le traitement par Dépakine était le plus adapté à l'époque. Dans ces conditions, compte tenu des risques significatifs de décès subit, et des risques tératogènes inhérents à une autre thérapie, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'ils auraient été moins fréquents ou moins graves que ceux liés à la prise de Dépakine, ce maintien du traitement pendant les grossesses de Mme H... lui a fait perdre une chance d'éviter les risques qui se sont réalisés, dont le taux doit être fixé à 30 %

Sur les préjudices :

Concernant A... H..., né le 2 février 2006 :

21. Les requérants demandent la réparation des préjudices jusqu'au jour du jugement attaqué soit le 2 juillet 2020.

22. Il y a lieu, compte tenu des éléments figurant dans les rapports d'expertise des 27 décembre 2018 et 25 février 2019 et de l'avis du collège d'experts de l'ONIAM du 12 février 2024 de retenir que l'assistance par une tierce personne non spécialisée doit être fixée à 1 heure par jour de 18 mois à 3 ans, à 1,5 heures par jour de 3 ans à 6 ans et à 3 heures par jour au-delà de 6 ans en moyenne durant la période scolaire et hors vacances scolaires, y compris les temps d'accompagnement aux rendez-vous médicaux, sur la base d'un taux horaire de 18 euros sur la base de 412 jours par an incluant les charges sociales et les surcoûts liés aux fins de semaine et jours fériés, jusqu'au 2 juillet 2020, soit la somme totale de 185 325 euros. L'assistance par une tierce personne spécialisée doit être fixée, compte tenu de la prise en charge institutionnalisée dont bénéfice l'enfant, à 1 heure par jour au taux horaire de 20,50 euros depuis l'âge de six ans jusqu'au jour du jugement attaqué, à la somme de 70 380 euros. Enfin, la surveillance passive à compter de ce même âge jusqu'au jour du jugement attaqué doit être fixée à 2 heures par jour au taux horaire de 10 euros sur une base de 412 jours annuels incluant les charges sociales et les surcoûts liés aux fins de semaine et jours fériés, soit une somme de 68 639 euros. Le montant total de l'assistance spécialisée et non spécialisée et de la surveillance passive doit être, par suite, évalué à la somme de 324 344 euros jusqu'au jour du jugement attaqué.

23. Il sera fait une juste appréciation du déficit fonctionnel temporaire qui doit être fixé à 60 % à compter de 18 mois, en l'évaluant à la somme totale de 50 000 euros.

24. Les souffrances endurées peuvent être évaluées à 5/7. En évaluant ce chef de préjudice à la somme de 25 000 euros, les premiers juges l'ont justement apprécié.

25. Le préjudice esthétique doit être évalué à 3/7 et être réparé à hauteur de 5 000 euros.

26. Il résulte de tout ce qui précède qu'il doit être mis à la charge de l'Etat, compte tenu de l'application du taux de perte de chance de 30 %, la somme totale de 121 303 euros en réparation des préjudices subis par A... H....

Concernant C... H..., né le 12 juin 2008 :

27. Il résulte de l'instruction, des rapports d'expertise et de l'avis de l'ONIAM que l'assistance par une tierce personne non spécialisée doit être fixée à 0,5 heure par jour de 18 mois à trois ans, à 1 heure par jour de 3 ans à 6 ans et à une moyenne de 2 heures par jour à compter de l'âge de 6 ans, période scolaire et hors période scolaire confondues, au taux horaire de 18 euros sur une base de 412 jours annuels incluant les charges sociales et les surcoûts liés aux fins de semaine et jours fériés jusqu'au 2 juillet 2020, soit une somme de 116 802 euros. L'assistance spécialisée doit être fixée à 5 heures par semaine, période scolaire et hors période scolaire confondues, à compter de l'âge de 6 ans, en dépit de l'aide apportée en milieu scolaire, au taux horaire de 20,50 euros incluant les charges sociales, soit un total de 33 206 euros. Enfin, la surveillance passive à compter de ce même âge doit être fixée à 1 heure par jour au taux horaire de 10 euros incluant les charges sociales et les surcoûts liés aux fins de semaine et jours fériés, soit un total de 24 720 euros. Le montant total de l'assistance spécialisée et non spécialisée et de la surveillance passive doit être par suite évalué à la somme de 174 728 euros jusqu'au jour du jugement attaqué.

28. Concernant le déficit fonctionnel temporaire, il résulte de l'instruction qu'Elie souffre de particularités morphologiques, d'un antécédent de retard de langage qualifié de retard simple avec immaturité, de difficultés comportementales avec une tendance à l'anxiété, des accès de colère, des phobies, d'un manque d'attention et de concentration et de maladresses motrices. Le déficit temporaire doit être fixé à 30 % à partir de l'âge de 18 mois. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme totale de 21 600 euros.

29. Les souffrances endurées liées aux crises d'angoisse, à la fatigabilité et la lenteur impactant la sociabilité de l'enfant doivent être fixées à 4/7 et indemnisées à hauteur de 7 000 euros.

30. Le préjudice esthétique lié à la dysmorphie doit être fixé à 3/7 et indemnisé à hauteur de 6 000 euros.

31. Il résulte de tout ce qui précède qu'il doit être mis à la charge de l'Etat, compte tenu de l'application du taux de perte de chance de 30 %, à la somme totale de 62 798 euros en réparation des préjudices subis par C... H....

Concernant les victimes indirectes :

32. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence de M. et Mme H... en l'évaluant à la somme totale de 80 000 euros pour chacun des parents, soit une somme de 24 000 euros chacun à mettre à la charge de l'Etat, et du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence B... H... en l'évaluant à la somme totale de 15 000 euros, soit une somme de 4 500 euros à mettre à la charge de l'Etat.

33. Concernant les préjudices d'affection et troubles dans les conditions d'existence A... et C... en tant que victimes indirectes, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à 7 500 euros pour chacun des deux enfants, soit une somme de 2 250 euros pour chacun à mettre à la charge de l'Etat.

Sur les dépens :

34. En application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre les frais de l'expertise ordonnée le 17 novembre 2017, taxés et liquidés à la somme de 1 500 euros par ordonnance de taxation du 19 février 2019, à la charge définitive de l'Etat.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

35. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser aux requérants la somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée à ce titre par la société Sanofi-Aventis.

D E C I D E :

Article 1er : L'intervention de la société Sanofi-Aventis France est admise.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à A... H... la somme de 121 303 euros, à C... H... la somme de 62 798 euros, à Mme H... la somme de 24 000 euros, à M. E... H... la somme de 24 000 euros, à B... H... la somme de 4 500 euros, et la somme de 2 250 euros à A... ainsi qu'à C... en tant que victimes indirectes.

Article 3 : L'Etat versera aux requérants la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 500 euros sont mis à la charge définitive de l'Etat.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête des parties est rejeté.

Article 6 : Les conclusions présentées par la société Sanofi-Aventis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le jugement n° 1704392 du 2 juillet 2020 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... H..., à M. E... H..., à M. A... H..., à M. C... H..., à M. B... H..., au ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, à l'Agence nationale de sécurité du médicament, à la caisse primaire d'assurance maladie de Cher, à la société Sanofi-Aventis France et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Versol, présidente de chambre,

Mme Le Gars, présidente-assesseure,

Mme Hameau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2025 .

La rapporteure,

AC Le GarsLa présidente,

F. Versol

La greffière,

A. Gauthier

La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 20VE02033


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20VE02033
Date de la décision : 11/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

61-02-02 Santé publique. - Protection de la famille et de l`enfance. - Santé scolaire et universitaire.


Composition du Tribunal
Président : Mme VERSOL
Rapporteur ?: Mme Anne-Catherine LE GARS
Rapporteur public ?: M. LEROOY
Avocat(s) : SELARL DANTE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-11;20ve02033 ?
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