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07/02/2025 | FRANCE | N°23VE02382

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 2ème chambre, 07 février 2025, 23VE02382


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 7 novembre 2022 par lequel la préfète d'Indre-et-Loire a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le Maroc ou tout autre pays dans lequel il est légalement admissible comme pays de destination, d'enjoindre à la préfète d'Indre-et-Loire de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un d

lai de quinze jours suivant la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 7 novembre 2022 par lequel la préfète d'Indre-et-Loire a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le Maroc ou tout autre pays dans lequel il est légalement admissible comme pays de destination, d'enjoindre à la préfète d'Indre-et-Loire de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours suivant la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2300118 du 5 octobre 2023, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 octobre 2023, M. A... B..., représenté par Me Rouille-Mirza, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 7 novembre 2022 de la préfète d'Indre-et-Loire ;

3°) d'enjoindre au préfet d'Indre-et-Loire, à titre principal, de lui délivrer le titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour pendant le temps de cet examen ;

4°) de mettre à la charge l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision l'obligeant à quitter le territoire français a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale par voie d'exception, en conséquence de l'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français.

La requête a été transmise au préfet d'Indre-et-Loire, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Par une ordonnance du 17 septembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 octobre 2024, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Cozic a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant marocain né le 4 septembre 1984, a sollicité le 22 octobre 2021 le renouvellement de sa carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " pour raisons de santé, dont la validité expirait le 27 janvier 2022. Par arrêté du 7 novembre 2022, la préfète d'Indre-et-Loire a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné. M. B... a contesté cet arrêté devant le tribunal administratif d'Orléans, qui a rejeté sa requête par un jugement du 5 octobre 2023. M. B... fait appel de ce jugement.

Sur la légalité de l'arrêté du 7 novembre 2022 :

En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :

2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article 3 de l'arrêté du ministre des affaires sociales et de la santé du 5 janvier 2017 : " L'avis du collège de médecins de l'OFII est établi sur la base du rapport médical élaboré par un médecin de l'office selon le modèle figurant dans l'arrêté du 27 décembre 2016 mentionné à l'article 2 ainsi que des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays dont le demandeur d'un titre de séjour pour raison de santé est originaire./ Les possibilités de prise en charge dans ce pays des pathologies graves sont évaluées, comme pour toute maladie, individuellement, en s'appuyant sur une combinaison de sources d'informations sanitaires. / L'offre de soins s'apprécie notamment au regard de l'existence de structures, d'équipements, de médicaments et de dispositifs médicaux, ainsi que de personnels compétents nécessaires pour assurer une prise en charge appropriée de l'affection en cause. / L'appréciation des caractéristiques du système de santé doit permettre de déterminer la possibilité ou non d'accéder effectivement à l'offre de soins et donc au traitement approprié. (...) ".

3. Il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des dispositions des articles L. 425-9 et L. 425-10, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

4. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.

5. Pour refuser d'accorder à M. B... le renouvellement de son titre de séjour, la préfète d'Indre-et-Loire s'est fondée sur l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, en date du 6 avril 2022, indiquant que si l'état de santé du requérant nécessite une prise en charge médicale et si le défaut de celle-ci peut entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, l'intéressé peut bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

6. M. B... fait valoir qu'après être entré sur le territoire français le 8 octobre 2014, il a été victime d'un premier accident vasculaire cérébral (AVC) en septembre 2015 puis d'un second AVC dans la nuit du 1er au 2 juin 2016 entraînant la paralysie de sa jambe gauche et de son bras gauche ainsi que d'une partie de son visage, nécessitant une hospitalisation de plusieurs mois et une rééducation intensive. Il soutient qu'il doit suivre un traitement lourd et coûteux depuis cette date, dont il ressort des pièces du dossier qu'il est composé notamment des médicaments Keppra, Kardegic, Baclofène, Paroxetine, Tramadol, et Inexium, d'injections de toxines botuliques, de séances de kinésithérapie plusieurs fois par semaine, ainsi que d'un suivi neurologique. M. B... soutient également qu'il est aujourd'hui une " personne dépendante ", " dans l'incapacité la plus complète de pourvoir à ses besoins élémentaires ", et qu'il a besoin d'un " hébergement adapté ".

7. Si le requérant se prévaut d'un certificat médical établi le 13 janvier 2023 par son médecin généraliste selon lequel le traitement suivi par l'intéressé " n'est pas accessible dans son pays ", ce certificat apparaît sur ce point peu probant dès lors qu'il est rédigé sans la moindre précision, en des termes aussi généraux que laconiques. Ce même certificat ne se prononce pas davantage sur la disponibilité d'un traitement adapté au Maroc. Le requérant verse également au dossier une attestation, rédigée par un médecin généraliste marocain le 20 janvier 2017, indiquant que les médicaments Baclofène, Topalgic et Gelox ne sont pas disponibles au Maroc et que les médicaments Inexium, Paroxetine et Lovenox sont disponibles mais coûteux pour un traitement de longue durée. Cette attestation est cependant antérieure de plusieurs années à l'arrêté en litige et n'évoque la disponibilité que de certains médicaments, dont une partie n'est plus prescrite à l'intéressé, et de surcroît n'en fait état que sous leur dénomination commerciale, sans aucune mention de la disponibilité des principes actifs pouvant entrer dans la composition de médicaments génériques. Ces certificats sont en conséquence insuffisants pour remettre en cause l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. En outre, alors que le requérant se prévaut du " coût prohibitif de son traitement ", qu'il ne saurait assumer financièrement, étant incapable de travailler en raison de son handicap, il ne verse au dossier aucun élément permettant de connaître le coût dudit traitement tant en France qu'au Maroc, hormis l'attestation précitée du 21 janvier 2017, qui fait seulement état du prix de trois médicaments, à savoir Inexium, Paroxetine et Lovenox. Alors que cette attestation apparaît ancienne et qu'elle n'indique le prix que de trois médicaments, seuls l'Inexium et la Paroxetine étant encore prescrits à M. B..., ce dernier ne conteste pas les indications apportées par le préfet en première instance, selon lesquelles une loi marocaine du 3 octobre 2002, portant code de la couverture médicale de base, institue une assurance maladie obligatoire au profit des ressortissants marocains exerçant une activité lucrative, ainsi qu'un régime d'assistance médicale fondé sur la solidarité nationale, et prévoit que " les personnes économiquement faibles sont éligibles pour la prise en charge de leurs soins ". Ainsi, la décision du 7 novembre 2022 par laquelle la préfète d'Indre-et-Loire a refusé à l'intéressé la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'a pas méconnu ces dispositions.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

8. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. M. B... soutient qu'il est entré en France le 8 octobre 2014, et qu'il y réside de manière habituelle depuis cette date, en partie sous couvert de titres de séjour qui lui ont été délivrés à plusieurs reprises. Il précise qu'il est dépourvu de toute attache familiale au Maroc depuis le décès de sa mère et de son père, respectivement en 2000 et 2014. Si M. B..., célibataire et sans enfant à charge, soutient qu'il est très proche d'une tante et d'un cousin, qui vivraient régulièrement en France, et qui lui apporteraient un soutien moral et matériel, il ne verse au dossier aucun élément étayant cette allégation. Il ne justifie en outre d'aucune attache personnelle ni d'aucune forme d'intégration sociale en France et ne conteste pas les termes de l'arrêté en litige, selon lesquels il a été interpellé et placé en garde à vue le 2 février 2020 pour dégradation volontaire de véhicule, usage de stupéfiants et détention d'une arme de catégorie D2. Au regard de ces éléments, la décision par laquelle la préfète d'Indre-et-Loire a obligé M. B... à quitter le territoire français n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Cette décision n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

10. Compte tenu des éléments mentionnés précédemment, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de renvoi serait illégale en conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de renouvellement d'un titre de séjour et de celle portant obligation de quitter le territoire français sur lesquelles elle se fonde, doit être écarté.

11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Sur les frais de justice :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet d'Indre-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Mornet, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Aventino, première conseillère,

- M. Cozic, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 février 2025.

Le rapporteur,

H. COZICLa présidente,

G. MORNET

La greffière,

S. DE SOUSA

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23VE02382


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE02382
Date de la décision : 07/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme MORNET
Rapporteur ?: M. Hervé COZIC
Rapporteur public ?: M. FREMONT
Avocat(s) : SELARL EQUATION AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-07;23ve02382 ?
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