Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
I. Par une requête enregistrée sous le n° 1805281, la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner la commune d'Issy-les-Moulineaux à lui verser la somme de 4 661,39 euros assortie des intérêts au taux légal en remboursement des débours exposés à la suite de l'accident dont a été victime E... B..., outre l'indemnité forfaitaire de gestion d'un montant de 1 066 euros, et à ce que le jugement soit déclaré commun aux consorts B....
II. Par une requête enregistrée sous le n° 1912532, M. et Mme C... et A... B..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur E... B..., ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner la commune d'Issy-les-Moulineaux, le cas échéant solidairement avec la SEMADS, la société Michel Ferraz - Citeos, la société maintenance et installation d'équipements électriques électromagnétiques électroniques (MI4E), la société Tescon Sécurity Systems GMBH et Co et la société Qualiconsult à leur verser la somme de 59 233,89 euros assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices résultant de l'accident dont a été victime leur fils le 6 octobre 2013.
La caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne a demandé au tribunal administratif de condamner la commune d'Issy-les-Moulineaux à lui verser la somme de 4 661,39 euros assortie des intérêts au taux légal au titre de ses débours ainsi que la somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et à ce que le jugement soit déclaré commun aux consorts B....
Par un jugement nos 1805281, 1912532 du 28 avril 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ces deux demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 24 juin 2022, 31 août 2023 et 19 février 2024, M. et Mme B..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur E... B..., représentés par Me Duflos, avocate, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la commune d'Issy-les-Moulineaux, le cas échéant solidairement avec la société d'économie mixte Seine Ouest Habitat et Patrimoine (SOHP), venant aux droits de la SEMADS, la société Michel Ferraz - Citeos, la société maintenance et installation d'équipements électriques électromagnétiques électroniques (MI4E), la société Tescon Security Systems GMBH et Co et la société Qualiconsult, à leur verser la somme totale de 59 303,89 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2019, en réparation des préjudices subis du fait de l'accident dont a été victime leur fils ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Issy-les-Moulineaux ou de toute autre partie perdante la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est irrégulier, au regard de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, dès lors qu'il ne mentionne pas l'enfant E... B... en qualité de partie ;
- ce jugement a été rendu en méconnaissance du principe du contradictoire en l'absence de communication, dans le dossier n° 1805281, de l'ensemble de la procédure et, dans le dossier n° 1912532, des mémoires déposés par les sociétés MI4E et Michel Ferraz - Citeos le 6 avril 2022 ;
- le jugement est insuffisamment motivé, à défaut de préciser les motifs pour lesquels la demande d'indemnisation de la victime directe de l'accident a été rejetée ;
- le jugement méconnaît la théorie de la causalité adéquate et est entaché d'une erreur de droit à ce titre, le défaut de surveillance étant sans incidence directe sur la réalisation du dommage ;
- le jugement, ainsi que le rapporteur public, ont dénaturé les faits de l'espèce ;
- la commune était bien propriétaire de la borne litigieuse au jour de l'accident en vertu de l'article 14 de la convention de concession d'aménagement du 14 décembre 1999 ; elle en était, à tout le moins, responsable ;
- la responsabilité de la commune se trouve engagée en raison du vice de construction et du défaut d'entretien normal de l'ouvrage, auquel doit être assimilée l'absence de signalisation de son caractère dangereux ; le vice de construction résulte du dysfonctionnement du système de détection, de la non-conformité à la norme du disque supérieur et de la dissémination des télécommandes ;
- le lien de causalité entre le dysfonctionnement de la borne et le dommage subi est établi ;
- le défaut de surveillance des parents n'a eu aucune incidence directe dans la réalisation du dommage ; la faute de la victime privée de discernement ne saurait avoir d'effet exonératoire ;
- la société d'économie mixte SOHP et les sociétés Michel Ferraz - Citeos, MI4E, Qualiconsult et Tescon Security Systems GMBH et Co engagent également leur responsabilité ;
- les préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux temporaires subis par leur fils s'élèvent aux sommes respectives de 9 096,39 et 43 207,50 euros ; ils ont eux-mêmes subi des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux temporaires s'évaluant respectivement à 1 000 et 6 000 euros ;
- ils n'ont pas demandé à être indemnisés au titre des dépenses de santé.
Par un mémoire enregistré le 20 septembre 2022, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val-de-Marne, représentée par Me Lefebvre, avocate, conclut à la condamnation de la commune d'Issy-les-Moulineaux à lui verser la somme de 4 661,39 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 novembre 2017 au titre de ses débours, la somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- si la cour annule le jugement et retient la responsabilité de la commune, celle-ci sera condamnée à lui rembourser les prestations qu'elle a versées à la victime de l'accident, dans les droits de laquelle elle se trouve subrogée, ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion ;
- l'état de la victime n'étant pas consolidé, son recours sera réservé pour les prestations qui pourraient lui être ultérieurement versées.
Par des mémoires en défense enregistrés les 7 décembre 2022 et 7 février 2024, la société Qualiconsult, représentée par Me de Cosnac, avocat, conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à sa mise hors de cause ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, à la condamnation solidaire des sociétés MI4E, Tescon Security Systems GMBH et Co et Michel Ferraz - Citeos à la garantir de toute condamnation éventuellement prononcée à son encontre, à ce que la somme réclamée par les requérants soit réduite à de plus justes proportions et au rejet de tout appel en garantie formé à son encontre ;
4°) à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge des requérants ou de toute autre partie perdante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- l'esplanade du Belvédère est un ouvrage public dont la borne escamotable en litige constitue un accessoire ; E... B... devant être regardé comme ayant eu la qualité d'usager de cette borne, le régime applicable est donc celui de la responsabilité pour défaut d'entretien normal ; dès lors que le jeune E... jouait dans un endroit emprunté par des véhicules et non destiné aux enfants, il aurait dû faire l'objet d'une surveillance accrue de ses parents ; alors que l'enfant faisait un usage de la borne non conforme à sa destination, l'accident trouve son origine exclusive dans le défaut de surveillance de ses parents, exonérant en totalité la commune de sa responsabilité et entraînant, par suite, le rejet des conclusions formées à l'encontre de la société exposante ;
- à titre subsidiaire, sa responsabilité ne saurait être retenue sur la base du rapport Musquin dès lors que l'expert n'a finalement pas procédé aux investigations complémentaires qu'il avait pourtant prévu de mener et que la cause réelle et déterminante de l'accident n'a pas été arrêtée avec certitude ; elle doit être mise hors de cause dès lors que la convention de contrôle technique du 7 juin 2010 ne mentionnait pas, au titre des installations à contrôler dans le cadre de sa mission F, les bornes escamotables en litige ; s'il devait être considéré que les bornes entraient finalement dans le champ de la mission qui lui a été confiée, elle n'a, en tout état de cause, commis aucune faute dans l'exécution de son contrat ;
- à titre infiniment subsidiaire, si sa responsabilité devait être retenue, les sociétés Michel Ferraz - Citeos, MI4E et Tescon Security Systems GMBH et Co devront la garantir solidairement de toute condamnation prononcée à son encontre ; l'article L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation, qui reprend les dispositions antérieurement applicables, fait, en tout état de cause, obstacle à ce qu'elle soit condamnée solidairement avec les autres constructeurs.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 février 2023, la société à responsabilité limitée Maintenance et Installation d'Equipements Electriques Electromagnétiques Electroniques (MI4E), représentée par Me Zayan, avocate, conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à la condamnation de la commune d'Issy-les-Moulineaux à indemniser les requérants, après fixation de la quote-part de responsabilité incombant à ces derniers au titre du défaut de surveillance ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, à la condamnation conjointe de la commune d'Issy-les-Moulineaux et des sociétés Qualiconsult, Tescon Security Systems GMBH et Co et Michel Ferraz - Citeos à indemniser les requérants, après fixation de la quote-part de responsabilité incombant à ces derniers au titre du défaut de surveillance ;
4°) à titre encore plus subsidiaire, à ce que la condamnation éventuellement prononcée à son encontre n'excède pas 5 % du montant total du préjudice subi par les requérants et à ce que la somme demandée par ces derniers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soit ramenée à de plus justes proportions n'excédant pas 1 500 euros ;
5°) en tout état de cause, au rejet des appels en garantie formés par la société Qualiconsult, la commune d'Issy-les-Moulineaux et la société d'économie mixte Seine Ouest Habitat et Patrimoine ;
6°) à la mise à la charge des requérants d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- à titre principal, le défaut de surveillance des parents a été déterminant dans la survenance de l'accident et exonère ainsi la commune et l'ensemble des constructeurs ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité de la commune se trouve engagée dès lors que la borne escamotable en litige lui appartenait, en vertu de l'article 14 de la convention d'aménagement du 14 décembre 1999, depuis l'ouverture au public de la voie dont elle limitait l'accès et avait ainsi la qualité d'ouvrage public au moment de l'accident ; la jeune victime, qui jouait avec la borne lorsqu'elle a été blessée, ne saurait être considérée comme en ayant été l'usager de sorte que la responsabilité de la commune se trouve engagée même en l'absence de faute de sa part ;
- à titre infiniment subsidiaire, la responsabilité exclusive du bureau de contrôle se trouve engagée, dès lors qu'il résulte des annexes A, B et C à la convention de contrôle technique du 7 juin 2010 que sa mission F relative au fonctionnement des installations comprenait les bornes en litige ; les appels en garantie formés par la société Qualiconsult ne peuvent dès lors qu'être rejetés ; la non-conformité de la borne à la norme NF P 98-310 rend l'ouvrage impropre à sa destination de sorte que la responsabilité de la société Tescon se trouve également engagée ; elle n'a, quant à elle, commis aucune faute, le réglage en faveur d'une grande sensibilité de la détection des véhicules étant indispensable à l'utilisation des voitures électriques légères de La Poste ;
- à titre encore plus subsidiaire, l'éventuelle quote-part de responsabilité qui pourrait lui incomber ne saurait être supérieure à 5 % ; en tout état de cause, il ne saurait y avoir lieu à condamnation solidaire des différents intervenants, sans que soient déterminées les quotes-parts incombant à chacun ; seuls les postes de préjudices retenus dans le rapport d'expertise du Dr D... pourront donner lieu à indemnisation, ce qui exclut donc le préjudice scolaire et de suivi psychologique ; le détail des sommes correspondant à la créance de la CPAM devra être produit ; la demande tendant à l'octroi d'une somme de 2 500 euros en réparation du préjudice lié au suivi psychologique du jeune E... est irrecevable ; les consorts B... ne sauraient demander réparation du déficit fonctionnel temporaire futur de leur fils ; l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire sera ramenée à la somme de 3 123,60 euros ; les souffrances endurées par l'enfant seront justement évaluées à la somme de 20 000 euros ; l'évaluation du préjudice esthétique temporaire sera ramenée à la somme de 500 euros ; la somme que demandent M. et Mme B... au titre de leur perte de revenus n'est aucunement justifiée ; l'indemnisation de leur préjudice d'affection ne pourra excéder la somme de 1 500 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 16 mars 2023 et 12 mars 2024, la commune d'Issy-les-Moulineaux et la société d'économie mixte Seine Ouest Habitat et Patrimoine (SOHP) venant aux droits de la société d'économie mixte de l'Arc de Seine (SEMADS), représentées par Me Bodin, avocat, concluent :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à ce que l'indemnisation sollicitée par les requérants soit ramenée aux sommes de 1 670 et 24 338,80 euros au titre des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux temporaires subis par E... B... et 4 400 euros au titre des préjudices extra-patrimoniaux temporaires subis par M. et Mme B... et à ce que leur condamnation soit limitée au tiers de ces sommes ;
3°) en tout état de cause, à la condamnation solidaire des sociétés Michel Ferraz - Citeos, MI4E, Tescon Security Systems GMBH et Co et Qualiconsult à les garantir de toute somme susceptible d'être mise à leur charge ;
4°) à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles font valoir que :
- le jugement attaqué n'est entaché d'aucune irrégularité ;
- leur responsabilité ne saurait être engagée en l'absence de propriété publique de l'ouvrage à la date de l'accident ;
- si la borne devait toutefois être qualifiée d'ouvrage public, la qualité d'usager de la victime rendrait applicable le régime de responsabilité pour défaut d'entretien normal ;
- les conditions d'engagement de la responsabilité de la commune ne sont pas réunies ; aucun vice de construction ou défaut d'entretien normal de l'ouvrage ne sont à relever ; il n'existe aucun lien de causalité entre le dysfonctionnement supposé de la borne et le préjudice subi par l'enfant, dès lors que seul son usage anormal et le défaut de surveillance des parents ont conduit à la réalisation du dommage ; la borne, qui ne saurait être considérée comme un ouvrage anormalement dangereux, était équipée de trois bandes réfléchissantes, d'un feu de signalisation et de deux boucles d'induction, dans le strict respect des prescriptions du fabricant ;
- la responsabilité de SOHP, simple aménageur, ne saurait davantage être recherchée dès lors qu'elle n'est pas intervenue dans l'installation de la borne et n'en avait ni la propriété ni la garde ;
- à titre subsidiaire, les demandes d'indemnisation des dépenses de santé et du suivi thérapeutique sont irrecevables ; le préjudice scolaire est inexistant et son chiffrage est excessif ; l'évaluation des préjudices extra-patrimoniaux temporaires du jeune E... sera ramenée à de plus justes proportions ; la perte de revenus de M. et Mme B... n'est nullement justifiée et les souffrances qu'ils ont endurées seront évaluées à 2 200 euros chacun.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 juin 2023, la société Michel Ferraz - Citeos, représentée par Me Claudon, avocat, conclut :
1°) à titre principal, à la confirmation du jugement attaqué, à sa mise hors de cause et au rejet des appels en garantie formés à son encontre par la société Qualiconsult et la commune d'Issy-les-Moulineaux ;
2°) à titre subsidiaire, à ce que l'indemnisation soit limitée à la somme de 23 123,60 euros au titre des préjudices extra-patrimoniaux temporaires de E... B... et à la somme de 1 500 euros chacun au titre des souffrances endurées par les parents ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, à ce que les sociétés Tescon Security Systems GMBH et Co et Qualiconsult soient solidairement condamnées à la garantir de toute somme susceptible d'être mise à sa charge ;
4°) en tout état de cause, à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge des requérants ou de toute autre partie perdante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le jugement attaqué n'est entaché d'aucune irrégularité ;
- à titre principal, l'inadaptation de l'automatisme d'effacement à un usage sûr de la borne, son manque de signalétique ou encore la dissémination des télécommandes ne peuvent lui être reprochés ;
- l'accident a résulté de l'imprudence du jeune garçon et du défaut de surveillance de ses parents ;
- à titre subsidiaire, le préjudice scolaire n'a pas été retenu par l'expert, le poste de préjudice correspondant au suivi psychothérapeutique ne figurait pas dans la demande indemnitaire préalable et n'est pas justifié, le déficit fonctionnel temporaire sera ramené à la somme de 3 123,60 euros, les souffrances endurées et le préjudice esthétique du jeune E... ainsi que la perte de revenus des parents ne sont pas étayés, le préjudice extra-patrimonial temporaire des parents sera évalué à la somme de 1 500 euros chacun ;
- à titre infiniment subsidiaire, elle est fondée à demander la condamnation in solidum des sociétés Tescon Security Systems GMBH et Co et Qualiconsult, dont la responsabilité a été retenue par l'expert, à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre au titre de sa responsabilité quasi-délictuelle reposant sur les principes dont s'inspirent les articles 1240 et suivants du code civil.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bahaj,
- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,
- les observations de Me Duflos, pour les consorts B..., celles de Me Azerou, pour la commune d'Issy-les-Moulineaux et la société d'économie mixte Seine Ouest Habitat et Patrimoine, celles de Me Grandpierre, pour la société Michel Ferraz - Citeos et celles de Me Zayan, pour la société MI4E.
Considérant ce qui suit :
1. Le dimanche 6 octobre 2013, alors qu'il jouait sur l'esplanade du Belvédère à Issy-les-Moulineaux, le jeune E... B..., alors âgé de 5 ans et demi, a été blessé aux mains, lorsque la borne escamotable sur laquelle il s'était assis est rentrée dans le sol. M. et Mme B..., agissant pour leur compte et en tant que représentants légaux de leur enfant mineur, relèvent appel du jugement du 28 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande tendant à ce que la commune d'Issy-les-Moulineaux soit condamnée, le cas échéant solidairement avec les constructeurs, à leur verser la somme de 59 233,89 euros en réparation des préjudices résultant de cet accident.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) / contient le nom des parties (...). ".
3. Alors que la demande, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Cergy-Pontoise sous le n° 1912532, a été présentée pour M. et Mme B... agissant, tant en leur nom propre, qu'en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur E..., le jugement attaqué comporte l'indication erronée de ce qu'elle l'a été uniquement pour M. et Mme B.... Toutefois, l'analyse des écritures des demandeurs fait bien apparaître les différents préjudices dont il est demandé réparation à savoir, ceux de l'enfant d'une part et ceux de ses parents d'autre part. De plus, les consorts B... ont été déboutés, tant de leurs demandes propres, que de celles présentées pour le compte de leur fils mineur. Par suite, l'inexactitude précitée affectant l'identité des parties au litige constitue une simple erreur matérielle dépourvue d'incidence sur la régularité du jugement attaqué.
4. En deuxième lieu, aux termes du huitième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun ou réciproquement. (...) ". Il appartient au juge administratif d'assurer, en tout état de la procédure, le respect de ces dispositions. Ainsi, le tribunal administratif, saisi par la victime d'une demande tendant à la réparation du dommage corporel par l'auteur de l'accident doit appeler en cause la caisse à laquelle la victime est affiliée, la méconnaissance de ces obligations entachant le jugement d'une irrégularité que le juge d'appel doit, au besoin, relever d'office. De même, saisi par la caisse de sécurité sociale, le tribunal doit appeler en cause la victime de l'accident.
5. En l'espèce, si les consorts B... soutiennent que la procédure relative à l'instance n° 1805281, introduite par la CPAM du Val-de-Marne, ne leur aurait pas été communiquée, cette affirmation est toutefois contredite par les pièces du dossier de première instance. Au surplus, il ressort des pièces du dossier qu'ils ont reçu communication, dans l'instance n° 1912532 qu'ils avaient eux-mêmes introduite, des mémoires en défense produits par la commune d'Issy-les-Moulineaux. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité entachant le jugement attaqué à ce titre ne peut qu'être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. (...) ".
7. Si les consorts B... font grief au tribunal administratif de ne pas leur avoir communiqué les deux mémoires enregistrés le 6 avril 2022 pour les sociétés MI4E et Michel Ferraz - Citeos, alors qu'ils " soutenaient, apparemment, à titre principal, que l'accident relevait du défaut de surveillance " des parents et auraient ainsi " exercé une influence primordiale sur le sens de la décision ", il ressort toutefois des pièces du dossier de première instance que le défaut de surveillance des parents avait été invoqué dès le 29 avril 2020 par la commune d'Issy-les-Moulineaux et avait déjà été opposé, par les deux sociétés concernées, dans leurs mémoires respectifs des 1er mars 2021 et 29 mars 2022. Par suite, les consorts B... ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'irrégularité de ce chef.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".
9. Si les requérants soutiennent que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé, faute de préciser les motifs pour lesquels la demande d'indemnisation de la victime directe de l'accident a été rejetée, ce jugement expose toutefois, en son point 4, la raison pour laquelle l'ensemble des requérants, parents et enfant, ne peuvent prétendre à l'indemnisation de leur préjudice, à savoir que le dommage est exclusivement imputable à un défaut de surveillance des parents. Il en résulte que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative doit être écarté.
10. Enfin, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, les consorts B... ne peuvent utilement se prévaloir, pour demander l'annulation du jugement attaqué, de l'erreur de droit et de la dénaturation des faits qu'auraient commises, selon eux, les juges de première instance.
Sur la responsabilité :
11. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre celui-ci et le préjudice invoqué. Le maître de l'ouvrage ne peut être exonéré de l'obligation d'indemniser la victime qu'en rapportant, à son tour, la preuve soit que cet ouvrage faisait l'objet d'un entretien normal, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.
12. Il résulte de l'instruction que le 6 octobre 2013, le jeune E... B... était assis sur la borne automatique de sortie de la voie desservant l'esplanade du Belvédère lorsque celle-ci s'est déclenchée. Afin de maintenir son équilibre, il s'est accroché au disque supérieur de l'ouvrage qui a poursuivi sa descente jusqu'à rétractation complète. Les doigts de l'enfant se sont alors retrouvés coincés entre ce disque et la partie métallique fixe de la borne, provoquant " une plaie palmaire par écrasement de l'extrémité distale de P1 des quatrième et cinquième doigts droits, une perte de substance cutanée des troisième et quatrième doigts gauches sans fracture " pour lesquelles il a dû être opéré.
13. Toutefois alors qu'une borne escamotable présente, de par sa nature même, un caractère dangereux du fait de sa possible mise en mouvement, il résulte de l'instruction que E... a été blessé alors qu'il jouait avec la borne litigieuse, s'amusant de ses mouvements de montée et descente inopinés, et faisait ainsi un usage anormal de cet ouvrage. De plus, il est notamment établi par une attestation d'un témoin de l'accident, que le jeu auquel se livrait ainsi le jeune garçon a duré un certain temps, ce qui aurait dû permettre à ses parents, présents sur le lieu de l'accident, de réagir à temps pour mettre en sécurité leur enfant. Par suite, en s'abstenant d'intervenir pour faire cesser ce jeu dangereux, les parents de la victime ont commis une imprudence qui doit être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme étant de nature à exonérer totalement la commune d'Issy-les-Moulineaux de sa responsabilité. Il en résulte que les consorts B... ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité de la commune ni, en tout état de cause, celle du concessionnaire et des constructeurs. Par voie de conséquence, les conclusions aux fins de condamnation présentées par la CPAM du Val-de-Marne doivent également être rejetées.
14. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts B... et la CPAM du Val-de-Marne ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leurs demandes.
Sur les frais d'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la commune d'Issy-les-Moulineaux, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que demandent les consorts B... et la CPAM du Val-de-Marne au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des consorts B... les sommes demandées par la commune d'Issy-les-Moulineaux, les sociétés Qualiconsult, MI4E, Michel Ferraz - Citeos et la société d'économie mixte SOHP sur le même fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête des consorts B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la CPAM du Val-de-Marne sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune d'Issy-les-Moulineaux, les sociétés Qualiconsult, MI4E, Michel Ferraz - Citeos et la société d'économie mixte SOHP sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... et Mme A... B..., agissant en leur nom propre ainsi qu'en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur E... B..., à la CPAM du Val-de-Marne, à la commune d'Issy-les-Moulineaux, à la société d'économie mixte SOHP venant aux droits de la SEMADS, à la société Michel Ferraz - Citeos, à la société MI4E, à la société Tescon Security Systems GMBH et Co et à la société Qualiconsult.
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente,
M. Camenen, président assesseur,
Mme Bahaj, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2025.
La rapporteure,
C. BAHAJ
La présidente,
C. SIGNERIN-ICRE
La greffière,
V. MALAGOLI
La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 22VE01561 2