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30/01/2025 | FRANCE | N°22VE00237

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 5ème chambre, 30 janvier 2025, 22VE00237


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme G... F... et M. A... D... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'ordonner avant-dire droit une expertise afin de déterminer l'ensemble des préjudices imputables au centre hospitalier de Chartres du fait du défaut d'information de Mme F... des risques qu'elle encourait en subissant l'intervention chirurgicale du 12 mars 2015 et de condamner le centre hospitalier de Chartres à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice d'impréparation et à verse

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... F... et M. A... D... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'ordonner avant-dire droit une expertise afin de déterminer l'ensemble des préjudices imputables au centre hospitalier de Chartres du fait du défaut d'information de Mme F... des risques qu'elle encourait en subissant l'intervention chirurgicale du 12 mars 2015 et de condamner le centre hospitalier de Chartres à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice d'impréparation et à verser à son conjoint, M. D..., la somme de 10 000 euros en réparation du même chef de préjudice.

Par un jugement avant-dire droit n° 1901800 du 18 février 2021, le tribunal administratif d'Orléans a condamné le centre hospitalier de Chartres à verser à Mme F... la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice d'impréparation, rejeté les conclusions tendant à la réparation du préjudice d'impréparation de M. D... et diligenté une expertise avant de statuer sur l'éventuelle réparation des autres préjudices de Mme F....

Par un jugement n° 1901800 du 6 janvier 2022, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté le surplus des conclusions de Mme F... et M. D....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 février et 15 juin 2022, Mme G... F... et M. A... D..., représentés par Me Gaillard, avocate, demandent à la cour :

1°) de réformer ces jugements en tant qu'ils ont rejeté le surplus des conclusions de leur demande ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Chartres à verser à Mme F... la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice d'impréparation et à son conjoint, M. D..., la somme de 10 000 euros en réparation du même chef de préjudice ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Chartres à verser à Mme F... la somme totale de 141 906,08 euros en réparation des préjudices résultant de sa perte de chance, évaluée à 30 %, de se soustraire au risque qui s'est réalisé en refusant l'acte de soin ou en sollicitant un second avis ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Chartres la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Ils soutiennent que :

- le préjudice moral de l'exposante a été sous-estimé par le tribunal administratif dès lors qu'elle a dû subir de nombreuses hospitalisations, d'importantes douleurs physiques ainsi qu'une colostomie durant plusieurs mois et n'a jamais pu reprendre son activité d'auxiliaire de vie dans une maison de retraite ;

- l'exposant a également subi un préjudice moral lié au choc causé par la découverte des complications survenues, auxquelles il n'avait pas été préparé ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que l'exposante ne pouvait se prévaloir d'aucune perte de chance au motif que l'intervention chirurgicale en cause était nécessaire et qu'elle y aurait consenti même si elle avait été correctement informée, en contradiction avec les conclusions de l'expertise diligentée qui avait retenu une perte de chance de 30 % ;

- il y a lieu d'évaluer ses préjudices patrimoniaux temporaires aux sommes de 10 000 euros au titre de sa perte de gains professionnels, 44 660 euros au titre de ses frais divers / aide humaine et 1 297,77 euros au titre de ses frais kilométriques, ses préjudices patrimoniaux permanents aux sommes de 351 550 euros au titre de sa perte de gains professionnels futurs et 20 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, ses préjudices extrapatrimoniaux temporaires aux sommes de 10 012,50 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire, 20 000 euros au titre du pretium doloris et 1 000 euros de préjudice esthétique temporaire, ses préjudices extrapatrimoniaux permanents aux sommes de 7 500 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 4 000 euros au titre du préjudice esthétique, 3 000 euros au titre du préjudice d'agrément et 10 000 euros au titre du préjudice sexuel, soit une condamnation totale de 141 906,08 euros au titre de sa perte de chance évaluée à 30 %.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 avril 2022, le centre hospitalier de Chartres, représenté par Me Capdevila, avocat, demande à la cour, à titre principal, de rejeter la requête, à titre subsidiaire, d'évaluer à 164 912,39 euros le préjudice corporel de Mme F... et de limiter la condamnation à 49 473, 71 euros au titre de sa perte de chance et de mettre à la charge solidaire des requérants la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Il fait valoir que :

- la requête, en tant qu'elle est dirigée contre le jugement du 18 février 2021, est tardive ;

- la perte de chance alléguée n'est pas établie dès lors que l'intervention subie par Mme F... était nécessaire et ne pouvait être différée ;

- à titre subsidiaire, la requérante estime à 10 000 euros ses pertes de gains professionnels de la date de l'accident à la date de la consolidation de son état mais ne précise pas le montant des indemnités journalières pour lesquelles l'organisme de sécurité sociale dispose d'un recours prioritaire ; le taux horaire pour l'assistance par une tierce personne devra être fixé à 13 euros, correspondant au montant du salaire minimum augmenté des charges sociales et patronales en vigueur en tenant compte des congés payés, les pertes de gains professionnels futurs ne sont pas justifiées, ni sur le plan médico-légal, ni sur le plan comptable, l'incidence professionnelle pourra être fixée à 10 000 euros, l'assistance par une tierce personne et les dépenses consécutives à la réduction d'autonomie pourront être fixées à 96 073,12 euros, le déficit fonctionnel temporaire à 10 012,50 euros, les souffrances endurées à 8 000 euros, le préjudice esthétique temporaire à 1 000 euros, le déficit fonctionnel permanent à 4 500 euros, le préjudice esthétique permanent à 2 000 euros, le préjudice d'agrément n'est pas justifié, le préjudice sexuel à 3 000 euros, soit un total de 164 912,39 euros.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure-et-Loir qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Les parties ont été informées, par un courrier en date du 10 septembre 2024, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de la responsabilité sans faute de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales en raison des complications post-opératoires de nature non fautives résultant de l'intervention chirurgicale du 12 mars 2015 sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

Par un mémoire, enregistré le 30 octobre 2024, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Roquelle-Meyer, avocate, demande à la cour, à titre principal, sa mise hors de cause, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit ordonné une expertise médicale avant-dire droit.

Il soutient que le dommage subi par Mme F... n'est pas anormal au sens de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique dès lors, d'une part, que le déficit fonctionnel permanent en lien avec l'accident est évalué à 5 % et que l'acte chirurgical était indispensable, d'autre part, que le taux d'occurrence du risque a été sous-évalué par les experts, les taux d'occurrence de plaies entérales mentionnés par la littérature médicale variant entre 6,7 et 19 % selon les situations et ne pouvant donc être qualifiés de faibles.

Par un courrier enregistré le 15 janvier 2025, Me Gaillard a informé la cour du décès de Mme F....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florent,

- et les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 12 mars 2015, Mme G... F..., née le 25 février 1967, a subi une annexectomie gauche par laparotomie au centre hospitalier de Chartres. Peu après l'intervention, d'importantes complications sont survenues en raison d'une perforation secondaire du sigmoïde. L'intéressée et son conjoint, M. D..., relèvent appel des jugements du 18 février 2021 et du 6 janvier 2022 par lesquels le tribunal administratif d'Orléans, après avoir diligenté une expertise avant-dire-droit, a condamné le centre hospitalier de Chartres à verser à Mme F... la somme de 3 000 euros en réparation de son seul préjudice d'impréparation et rejeté le surplus des conclusions indemnitaires de l'intéressée et de son époux.

2. Aux termes de l'article R. 634-1 du code de justice administrative : " Dans les affaires qui ne sont pas en état d'être jugées, la procédure est suspendue par la notification du décès de l'une des parties ou par le seul fait du décès, de la démission, de l'interdiction ou de la destitution de son avocat. Cette suspension dure jusqu'à la mise en demeure pour reprendre l'instance ou constituer avocat. " Par courrier enregistré le 15 janvier 2025, la cour a été informée du décès de Mme F.... L'affaire étant néanmoins en état d'être jugée, il n'y a pas lieu de suspendre la procédure dans l'attente de la reprise de l'instance par ses ayants-droits.

Sur la perte de chance :

3. Il résulte de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

4. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération.

5. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du docteur E..., que seule une intervention chirurgicale pouvait être envisagée pour traiter le kyste dont Mme F... était porteuse, à l'exception de toute autre alternative thérapeutique tels que surveillance ou traitement médicamenteux et ce, en raison du volume important de ce kyste. L'expert relève également qu'en l'absence de traitement chirurgical, les douleurs abdominales ressenties par la requérante depuis environ une année, et qui avaient justifié à l'origine la consultation aux urgences le 26 décembre 2014, auraient augmenté en durée et en intensité et auraient entrainé un risque d'infection avec éventuelle abcédation et risque de compression des organes voisins, en particulier des voies urinaires. La requérante indique par ailleurs dans ses écritures qu'une meilleure information l'aurait seulement conduite à solliciter un second avis médical pour être opérée par un chirurgien plus expérimenté, alors même qu'aucune faute dans l'exécution du geste chirurgical n'est alléguée. Il résulte donc de l'instruction que, même correctement informée de la nature et de l'importance du risque de complications digestives en raison des adhérences possibles consécutives à une intervention par laparotomie, laquelle était préférable à une opération par cœlioscopie compte tenu du volume du kyste et d'un risque adhérentiel important du fait d'antécédents d'interventions abdominales multiples, Mme F... aurait consenti à l'acte en question compte tenu des douleurs éprouvées, de l'évolution prévisible de son état de santé en l'absence de réalisation de l'acte chirurgical en cause et de l'absence d'alternative thérapeutique pouvant lui être proposée.

7. Par suite, les conclusions indemnitaires de Mme F... au titre de sa perte de sa chance de se soustraire au risque en refusant l'acte de soin doivent être rejetées.

Sur le préjudice d'impréparation :

8. Indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.

9. En l'espèce, bien que les complications de Mme F... aient été importantes à la suite de son opération, l'intéressée ayant dû être hospitalisée à six reprises et vivre avec une stomie durant neuf mois, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'indemnité allouée par le tribunal administratif au titre de son préjudice moral d'impréparation, fixée à 3 000 euros, est insuffisante.

10. Par ailleurs, dès lors que l'obligation d'information à laquelle était tenu le centre hospitalier de Chartres ne concernait que la patiente, M. D..., son conjoint, ne peut demander la réparation de son préjudice d'impréparation faute de lien de causalité direct entre son préjudice et le manquement à cette obligation.

11. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier de Chartres, Mme F... et M. D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif d'Orléans a limité à 3 000 euros l'indemnité allouée à Mme F... au titre du préjudice d'impréparation et a rejeté le surplus de leurs conclusions indemnitaires. Par conséquent, les conclusions des requérants tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu par ailleurs de mettre à la charge de Mme F... et M. D... la somme que le centre hospitalier de Chartres sollicite sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme F... et M. D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Chartres sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., M. B... D... et M. C... D... en qualité d'ayants-droits de Mme G... F..., au centre-hospitalier de Chartres et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Signerin-Icre, présidente,

M. Camenen, président assesseur,

Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2025.

La rapporteure,

J. FLORENTLa présidente,

C. SIGNERIN-ICRE

La greffière,

V. MALAGOLI

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 22VE00237 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE00237
Date de la décision : 30/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-01-04 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. - Existence d'une faute. - Manquements à une obligation d'information et défauts de consentement.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: Mme Julie FLORENT
Rapporteur public ?: Mme JANICOT
Avocat(s) : CAPDEVILA

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-30;22ve00237 ?
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