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21/01/2025 | FRANCE | N°24VE02733

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 4ème chambre, 21 janvier 2025, 24VE02733


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 5 septembre 2024 par lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer a prononcé le renouvellement à son encontre des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance prises par un arrêté du 13 juin 2024 et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des dispositions

de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.



Par un jugement n° 2413299 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 5 septembre 2024 par lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer a prononcé le renouvellement à son encontre des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance prises par un arrêté du 13 juin 2024 et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2413299 du 11 octobre 2024, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 octobre 2024, M C..., représenté par Me Quinquis, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le ministre a commis une erreur d'appréciation en estimant que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics ;

- le ministre a commis une erreur d'appréciation en estimant qu'il adhérait à des thèses en lien avec une idéologie terroriste ;

- il n'est pas démontré qu'il entretiendrait des relations habituelles avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. V,

- et les conclusions de Mme Z, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... C..., ressortissant français, né le 21 mars 1976 à Villepinte, a été condamné par la cour d'assises de Paris spécialement composée, le 9 avril 2021, à une peine de douze ans d'emprisonnement, assortie d'une période de sûreté des deux tiers, pour des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime d'atteinte aux personnes, entrant dans le champ d'application des dispositions de l'article 706-16 du code de procédure pénale visant des actes de terrorisme, commis de 2014 à 2015 à Nanterre et, de manière indivisible, en Turquie, et ce en état de récidive légale pour avoir été condamné définitivement par la chambre des appels correctionnels de Paris le 8 novembre 2010. Par un arrêté du 13 juin 2024, notifié le 15 juin 2024, le ministre de l'intérieur a, sur le fondement des articles L. 228-1 à L. 228-7 du code de la sécurité intérieure, prononcé des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance à son encontre pour une durée de trois mois. Par un jugement du 18 juillet 2024 le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la requête de M. C... tendant à l'annulation de cet arrêté. Par un arrêté du 5 septembre 2024 le ministre de l'intérieur a renouvelé en partie ces mesures pour une nouvelle durée de trois mois. Ce nouvel arrêté interdit à M. C... de se déplacer en dehors du territoire de la commune de Nanterre, sauf autorisation écrite préalable, lui fait obligation de se présenter une fois par jour, à 16 heures, au commissariat de police de Nanterre, tous les jours de la semaine, y compris les dimanches, les jours fériés ou chômés et de confirmer et justifier son lieu d'habitation auprès de ce commissariat de police, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de cet arrêté, ainsi que, le cas échéant, tout changement de domicile. M. C... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 5 septembre 2024. Par un jugement n° 2413299 du 11 octobre 2024, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. M. C... relève appel de ce jugement.

Sur l'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence [...], l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ".

3. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer l'admission provisoire de M. C..., qui justifie du dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

4. Aux termes de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure : " Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l'intérieur les obligations prévues au présent chapitre. ". Aux termes de l'article L. 228-2 du même code : " Le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République antiterroriste et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à la personne mentionnée à l'article L. 228-1 de : 1° Ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune. La délimitation de ce périmètre permet à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle et s'étend, le cas échéant, aux territoires d'autres communes ou d'autres départements que ceux de son lieu habituel de résidence ; 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ; 3° Déclarer son lieu d'habitation et tout changement de lieu d'habitation. Les obligations prévues aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre. Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée maximale de trois mois, lorsque les conditions prévues à l'article L. 228-1 continuent d'être réunies. Au-delà d'une durée cumulée de six mois, chaque renouvellement est subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article ne peut excéder douze mois. Les mesures sont levées dès que les conditions prévues à l'article L. 228-1 ne sont plus satisfaites (...) ".

En ce qui concerne la condition relative à l'existence de raisons sérieuses de penser que le comportement de M. C... constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics :

5. A l'appui de sa requête, M. C... conteste l'existence de raisons sérieuses de penser qu'à la date de l'arrêté attaqué, son comportement constituait une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics. A cet effet, il se prévaut de l'ancienneté des faits à l'origine de sa condamnation le 9 avril 2021, de l'appréciation portée par le tribunal de l'application des peines de Paris le 16 avril 2024 et la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris le 11 juin 2024 sur l'absence de dangerosité criminologique et d'un risque de récidive avéré de l'investissement constant dont il a fait preuve durant ses neuf années de détention depuis le 28 novembre 2015 ainsi que des résultats des diverses expertises psychiatriques et évaluations pluridisciplinaires dont il a fait l'objet au cours de cette détention.

6. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le 8 novembre 2010, M. C... a été condamné par la cour d'appel de Paris à une peine de quatre années d'emprisonnement, dont deux ans avec sursis, pour des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme (faits de nature terroriste commis dès la fin de l'année 2006 dans le cadre d'une filière de soutien à AQMI). Les mêmes pièces révèlent qu'en novembre 2015, M. C... a été à nouveau interpellé dans le cadre d'une opération antiterroriste turque menée dans une ville frontalière de la Syrie et qu'il a été expulsé vers la France pour y effectuer sa garde à vue. Le 9 avril 2021, il a été condamné par la cour d'assises de Paris à une peine de douze années d'emprisonnement, assortie d'une période de sûreté des deux tiers pour de nouveaux faits de terrorisme commis entre 2014 et le 7 novembre 2015 en état de récidive légale. Au cours de sa détention, M. C... a notamment été affecté au quartier d'évaluation de la radicalisation (QER) de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis et fait l'objet d'une évaluation par une équipe pluridisciplinaire au terme de laquelle cette équipe s'est interrogée sur la mise en œuvre par M. C... d'une stratégie de dissimulation et de manipulation. Au cours de ce passage en QER, l'équipe pluridisciplinaire a relevé que M. C... était réticent à parler des faits à l'origine de ses condamnations ou les minimisait ce qui ne permettait pas d'exclure une volonté de dissimulation. Enfin, d'après l'expertise réalisée par le docteur A... le 29 septembre 2023, M. C... nie les faits et n'a pas manifesté de sentiment de culpabilité. Si les faits commis en 2014 et 2015 à l'origine de la condamnation de M. C... en 2021 sont anciens, cette ancienneté est cependant due, pour l'essentiel, à la longue période de détention de l'intéressé. S'il est aussi exact que M. C... s'est bien investi dès le début de sa détention sur le plan du travail, du scolaire et du suivi psychologique, d'ailleurs récompensé par l'octroi de réductions de peine conséquentes et si les auteurs de certaines des évaluations dont il a fait l'objet au cours de sa détention ont estimé, qu'à la date où elles ont été réalisées, l'intéressé ne présentait pas de pathologies psychiatriques, de dangerosité psychiatrique, de signe de dangerosité criminologique, de troubles de l'humeur, de névroses ou psychoses, de troubles de la personnalité, de traits narcissiques, d'égocentrisme, de conduites addictives, de risque de récidive, que celui-ci s'inscrivait dans une dynamique de réinsertion, souhaitait s'investir dans un rôle de père, pour autant, comme indiqué précédemment, les équipes pluridisciplinaires des QER de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis et de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis se sont interrogées sur l'existence d'une stratégie chez M. C... de dissimulation et de manipulation. Dans ces conditions, et compte tenu, en particulier, d'une part, de la gravité des faits et, d'autre part, d'une absence, de la part de M. C..., de renonciation claire et non équivoque à son idéologie, au cours de sa détention, le ministre de l'intérieur a pu légalement estimer qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que le comportement de M. C... constituait une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics.

En ce qui concerne la condition que l'intéressé soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes :

7. Il ressort, par ailleurs, des pièces du dossier que la perquisition qui a suivi l'interpellation de M. C... à son domicile le 18 décembre 2008, a permis la découverte de plus d'une dizaine de CD-Rom contenant des propos jihadistes et des prêches anti-occidentaux et antisémites, une clé USB contenant des fichiers audio jihadistes et l'ouvrage du Cheik saoudien Al-Khoder, figure des milieux salafistes jihadistes, que l'information judiciaire qui s'en est suivie a révélé l'existence de relations entre M. C... et M. E... D..., émir de l'AQMI, que l'exploitation de la téléphonie de M. C... a également mis en évidence que celui-ci avait été en relation avec des individus liés à la structure d'acheminement des volontaires jihadistes entre l'Algérie et l'Irak et qu'enfin, M. C... avait été interpellé en Turquie en novembre 2015 dans le cadre d'une opération anti-terroriste dans une ville frontalière avec la Syrie. Au vu de ces éléments, le ministre de l'intérieur a pu, sans erreur d'appréciation, estimer que l'intéressé était entré en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme et avait soutenu et adhéré à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes alors même que durant sa détention, M. C... n'aurait mis en avant aucun propos idéologisé, tenu aucun propos radical, a participé en 2022 à un programme sur le désengagement de la violence, qu'il a démontré son implication en détention par ses demandes de travail, la participation à des formations et des activités, à des soins, par son très bon comportement et sa préparation active à sa sortie, et que, comme indiqué précédemment, les expertises et évaluations pluridisciplinaires n'ont pas mis en évidence un risque avéré de récidive.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement au conseil de M. C... d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. C... doit être rejetée.

D É C I D E :

Article 1er : M. C... est admis à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : La requête de M. C... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... C... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 7 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

M. V, président de chambre,

M. W, premier conseiller,

Mme X, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2025.

L'assesseur le plus ancien,

Signé

M. WLe président-rapporteur,

Signé

M. VLa greffière,

Signé

Mme B...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 24VE02733 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24VE02733
Date de la décision : 21/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

49-05 Police. - Polices spéciales.


Composition du Tribunal
Président : M. ETIENVRE
Rapporteur ?: M. Franck ETIENVRE
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : GOLDMAN & QUINQUIS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 26/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-21;24ve02733 ?
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