Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'EURL CAP 2020 Consult a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012, résultant d'une minoration d'actif et de la remise en cause partielle du crédit d'impôt sur les dépenses de recherche dont elle a bénéficié au titre des mêmes exercices.
Par un jugement n° 1602285 du 28 février 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour avant cassation :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 août 2020 et le 3 novembre 2021, l'EURL CAP 2020, représentée par Me Dotseva, avocate, a demandé à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle avait été assujettie au titre des exercices 2011 et 2012, résultant d'une minoration d'actif et de la remise en cause partielle du crédit d'impôt sur les dépenses de recherche dont elle a bénéficié au titre des mêmes exercices ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutenait que :
- s'agissant de la remise en cause partielle du crédit d'impôt recherche : c'est à tort que l'administration a considéré que n'étaient pas éligibles à ce crédit les dépenses exposées pour les opérations qu'elles a confiées à ses partenaires, organismes publics et privés de recherche au sens des dispositions du d) et du d) bis du II de l'article 244 quater B du code général des impôts ; elle était seule titulaire du marché conclu avec le centre national d'études spatiales (CNES), de sorte que toutes les dépenses de recherche afférentes à ce marché sont éligibles au crédit d'impôt, peu importe le fait que certaines dépenses aient été prises directement en charge par le CNES ; ses écritures comptables justifient la prise en compte de ces dépenses dans la calcul de son crédit d'impôt recherche ;
- s'agissant de la minoration d'actif : les dépenses concernées ne remplissent pas les critères permettant leur immobilisation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 février 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance a conclu au rejet de la requête, en faisant valoir que les moyens soulevés n'étaient pas fondés.
Par un arrêt n°20VE01942 du 7 juin 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté la demande de l'EURL CAP 2020.
Par une décision n° 466493 du 26 juillet 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour, où elle a été enregistrée sous le n°23VE01763.
Procédure devant la cour après cassation :
Par un mémoire enregistré le 15 septembre 2023, l'EURL CAP 2020, représentée par Me Dotseva, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 28 février 2020 du tribunal administratif de Versailles ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012, résultant de la réintégration à l'actif de son bilan de dépenses comptabilisées en charges et de la remise en cause partielle du crédit d'impôt sur les dépenses de recherche dont elle a bénéficié au titre des mêmes exercices ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- s'agissant de la remise en cause du crédit d'impôt recherche, les dépenses qu'elle a engagées auprès de ses quatre sous-traitants, qui ont agi dans le cadre du marché qu'elle avait conclu avec le CNES, doivent être retenues dans la base de calcul de son crédit d'impôt recherche ; ces organismes et sociétés sont identifiés clairement comme des sous-traitants dans le marché ; le paiement direct du CNES vers ceux-ci n'a pas d'incidence sur la prise en compte de ces dépenses dans le calcul de son crédit d'impôt ; ses écritures comptables sont d'ailleurs conformes à l'avis de la compagnie nationale des commissaires aux comptes ; elle est responsable de la totalité de l'exécution du marché ;
- s'agissant de la minoration d'actif, les dépenses remises en cause par l'administration ne remplissent pas les critères pour être immobilisées ; les dépenses litigieuses correspondent à des coûts de développement qui ne peuvent être inscrits à l'actif que si le projet de recherche est suffisamment abouti, conformément à l'article 212-3 du plan comptable général ; la faisabilité du projet qui était menée était encore incertaine ; les dépenses qu'elle a inscrites à l'actif sont des coûts de fonctionnement correspondant à la conception algorithmique de logiciels qui étaient susceptibles d'être utilisés dans d'autres projets.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 septembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Liogier,
- les conclusions de M. Illouz, rapporteur public,
- et les observations de Me Dotseva, représentant l'EURL CAP 2020.
Considérant ce qui suit :
1. L'EURL CAP 2020 Consult, spécialisée dans les nouvelles technologies et les solutions innovantes appliquées à l'agriculture, a bénéficié d'un crédit d'impôt recherche au titre des exercices clos en 2011 et 2012 à raison des dépenses exposées à l'occasion du projet de recherche dit " A... et Navigation par un système de Satellites), mené dans le cadre d'un appel à projets organisé par le centre national d'études spatiales aux fins d'améliorer pour les agriculteurs les prévisions météorologiques locales. A la suite de la vérification de sa comptabilité, l'administration lui a notifié des rehaussements d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2011 et 2012 résultant de la réintégration à l'actif de son bilan de dépenses comptabilisées en charges et de la remise en cause partielle du crédit d'impôt sur les dépenses de recherche dont elle a bénéficié au titre des mêmes exercices. Par un arrêt n° 20VE01942 du 7 juin 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société contre le jugement du tribunal administratif de Versailles du 28 février 2020 rejetant sa demande tendant à la décharge des impositions ainsi mises à sa charge. Le Conseil d'État statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la société, a, par une décision du 26 juillet 2023, annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour, où elle a été enregistrée sous le n°23VE01763.
Sur le crédit d'impôt recherche :
2. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...) / II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : / (...) / d) Les dépenses exposées pour la réalisation d'opérations de même nature confiées à : / 1° Des organismes de recherche publics ; (...) / d bis) Les dépenses exposées pour la réalisation d'opérations de même nature confiées à des organismes de recherche privés agréés par le ministre chargé de la recherche, ou à des experts scientifiques ou techniques agréés dans les mêmes conditions. (...) / ".
3. Lorsqu'une entreprise confie à un organisme mentionné au d ou au d bis du II de l'article 244 quater B du code général des impôts, l'exécution de prestations nécessaires à la réalisation d'opérations de recherche qu'elle mène, les dépenses correspondantes peuvent être prises en compte pour la détermination du montant de son crédit d'impôt, quand bien même les prestations sous-traitées à cet organisme feraient l'objet d'un paiement direct à celui-ci par le cocontractant de l'entreprise donneuse d'ordre.
4. Il résulte de l'instruction qu'à la suite d'un appel à projets lancé par le Centre national d'études spatiales (CNES), l'EURL CAP 2020, en partenariat avec le Laboratoire de Météorologie Physique de Clermont Ferrand (LaMP), la société Numtech, l'Institut Supérieur d'Électronique de Paris (ISEP) et l'INRA d'Avignon, a présenté le projet commun dénommé " Agri-GNSS ", que le CNES a retenu. Ce dernier a ainsi conclu le 6 mai 2011 un marché avec l'EURL CAP 2020 en qualité de " titulaire " du marché. Ce contrat détaille précisément les lots incombant à chacun des cinq partenaires du projet, ainsi que le chiffrage de leurs travaux et la part du coût du projet revenant à chacun d'eux. Il ressort ainsi de ces mentions que chaque organisme prend à sa charge une partie des dépenses de recherche, le CNES ne supportant que 47,5% du coût du projet. Ainsi que le prévoit l'article 4 de ce contrat, le CNES verse directement à chaque partenaire la part du financement qui lui revient en fonction des lots dont il avait la charge. Par ailleurs, l'EURL CAP 2020 et les quatre autres organismes ont conclu entre eux un " accord de consortium " le 26 décembre 2011 pour définir les modalités d'exécution de ce projet. Selon l'article 3.1 de cet accord, l'EURL Cap 2020 est le " coordonnateur" du projet et est, à ce titre, chargé de faire le lien entre le CNES et les autres parties au projet, de centraliser et synthétiser les comptes-rendus et de déclencher les paiements du CNES, selon un échéancier de paiement joint à l'accord, en validant auprès du CNES l'effectivité des travaux présentés par les autres membres du consortium. En vertu de l'article 3.2 du même accord, la réalisation et l'avancement des travaux sont suivis par un comité réunissant les cinq parties au projet, les règles de vote ne donnant la primeur à aucun des acteurs. En outre, cet accord prévoit, dans son article 5, que chaque partie garde la propriété intellectuelle des connaissances acquises pour réaliser le projet, soit en totalité s'il s'agit de connaissances nouvelles qu'elle aura acquises seules, soit pour la partie qui lui revient en cas de connaissances nouvelles conjointes. Si l'EURL CAP 2020 fait valoir que les sociétés et organismes publics LaMP, Numtech, ISEP et INRA sont identifiés comme étant des " sous-traitants " dans les modalités financières du marché et de l'accord de consortium, ces mentions ne suffisent pas à établir que les quatre organismes auraient agi pour le compte de l'EURL CAP 2020 pour l'exécution d'une mission qui lui aurait été confiée dès lors qu'ils sont également désignés, dans ces mêmes documents, comme des partenaires ou des parties au projet. De même, les deux attestations établies postérieurement à la mise en recouvrement des impositions litigieuses, par le président de Numtech et l'ancienne directrice de la recherche de l'ISEP, attestant que les organismes agissaient comme " sous-traitants " ne sont pas suffisamment précises pour confirmer les allégations de l'EURL CAP 2020. L'avis du 2 février 2015 de la compagnie nationale des commissaires aux comptes, sollicité par l'EURL CAP 2020 après le contrôle, et exclusivement fondé sur les déclarations de cette dernière, ne permet pas davantage d'établir la sous-traitance alléguée. Dans ces conditions et eu égard à l'ensemble des éléments figurant dans les documents contractuels et régissant les relations entre l'EURL CAP 2020 et les quatre autres acteurs, les dépenses de 113 500 euros en 2011 et 229 500 euros en 2012, qualifiées de sous-traitance par l'EURL CAP 2020, ne sauraient être regardées comme des dépenses de recherche qui auraient été réalisées par les cosignataires de l'accord de consortium pour le compte de l'EURL CAP 2020. En conséquence, ces dépenses ne sauraient être incluses dans la base de calcul du crédit d'impôt recherche dont elle a bénéficié au titre des exercices clos en 2011 et 2012.
Sur la minoration d'actif :
5. Aux termes du I de l'article 236 du code général des impôts : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, les dépenses de fonctionnement exposées dans les opérations de recherche scientifique ou technique peuvent, au choix de l'entreprise, être immobilisées ou déduites des résultats de l'année ou de l'exercice au cours duquel elles ont été exposées. (...) ". Aux termes de l'article L. 123-17 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige : " A moins qu'un changement exceptionnel n'intervienne dans la situation du commerçant, personne physique ou morale, la présentation des comptes annuels comme des méthodes d'évaluation retenues ne peuvent être modifiées d'un exercice à l'autre. (...) ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 123-186 du même code : " Les frais de développement peuvent être inscrits à l'actif du bilan, au poste correspondant, à la condition de se rapporter à des projets nettement individualisés, ayant des sérieuses chances de rentabilité commerciale ".
6. Il résulte des dispositions du I de l'article 236 du code général des impôts, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 9 juillet 1984 sur le développement de l'initiative économique, que le législateur a entendu aligner le traitement fiscal des dépenses de fonctionnement exposées au titre d'opérations de recherche scientifique ou technique sur la règle comptable, définie notamment par l'article 212-3 du plan comptable général. Il en résulte que l'option prévue par le I de l'article 236 du code général des impôts est, conformément au principe de permanence des méthodes comptables énoncé à l'article L. 123-17 du code de commerce, irréversible sauf changement exceptionnel de situation du contribuable ou modification des règles comptables, et doit s'exercer pour l'ensemble des dépenses des projets de recherche de l'entreprise qui satisfont aux critères prévus à l'article R. 123-186 du code de commerce
7. Il résulte de l'instruction, ainsi qu'il vient d'être dit au point 4, que les travaux effectués dans le cadre du projet commun " Agri-GNSS " par le Laboratoire de Météorologie Physique de Clermont Ferrand, la société Numtech, l'Institut Supérieur d'Électronique de Paris et l'INRA d'Avignon n'ont pas été effectués pour le compte de l'EURL CAP 2020, que la propriété intellectuelle des connaissances nouvelles revient à chacune des parties au consortium selon leur apport dans l'acquisition de ces connaissances, en vertu de l'article 5 de l'accord de consortium du 26 décembre 2011, et que les autres parties ne pourront utiliser ces connaissances qu'après concession, moyennant paiement, d'un droit d'exploitation, non exclusif et non cessible. L'EURL CAP 2020 ne disposait donc pas de la possibilité d'utiliser ou de vendre les fruits issus des travaux menés par ses partenaires. En outre, ainsi que le fait valoir la société requérante, l'étude de faisabilité du projet courait jusqu'à la fin de l'été 2011, les prestations des partenaires se déroulant principalement sur le second semestre de l'année 2012 et il ressort du compte-rendu de la réunion du 14 novembre 2013 que la phase expérimentale s'achevait à peine et les premiers fruits du projet n'étaient attendus qu'au printemps 2013. Par ailleurs, la société fait valoir, sans être contredite, que ses dépenses propres dans le projet, qu'elle a immobilisées, correspondent à des frais de développement de logiciel qu'elle entendait réutiliser dans d'autres projets en cours ou à venir, ce que ne conteste pas l'administration. Au cours des années en litige, le projet " Agri-GNSS " était donc dans une phase de recherche, en amont de toute perspective de commercialisation. Dans ces conditions, les dépenses liées aux travaux des quatre partenaires ne correspondaient pas à une immobilisation incorporelle dont l'EURL CAP 2020 aurait pu disposer, de façon probable, pour générer des avantages économiques futurs et ne répondaient ainsi pas aux critères prévus à l'article R. 123-186 du code de commerce pour être immobilisées. Par suite, l'EURL CAP 2020 est fondée à soutenir que l'administration ne pouvait pas remettre en cause les charges d'un montant de 60 000 euros au titre de l'exercice clos en 2011 et 126 500 euros au titre de l'exercice clos en 2012 pour ce motif.
8. Il résulte de ce qui précède que l'EURL CAP 2020 est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande de décharge des impositions litigieuses à raison de la minoration d'actif, ainsi qu'il vient d'être dit au point 7.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'EURL CAP 2020 et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La base d'impôt sur les sociétés de l'EURL CAP 2020 est réduite du montant de la minoration d'actif pour un montant de 60 000 euros au titre de l'exercice clos en 2011 et 126 500 euros au titre de l'exercice clos en 2012.
Article 2 : L'EURL CAP 2020 est déchargée de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés, en droits et pénalités, à laquelle elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012 correspondant à la réduction de la base d'imposition définie à l'article 1er.
Article 3 : Le jugement n°1602285 du 28 février 2020 du tribunal administratif de Versailles est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à l'EURL CAP 2020 une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL CAP 2020 et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Danielian, présidente,
M. de Miguel, premier conseiller,
Mme Liogier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.
La rapporteure,
C. LiogierLa présidente,
I. Danielian
La greffière,
T. Tollim
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 23VE01763 2