Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL Blond et Roux architectes, la SAS Altia, la SAS Bureau Michel Forgue, la SAS Espace Temps et la SAS MD Conseil ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler ou, à défaut, de résilier le marché public de maîtrise d'œuvre conclu le 21 novembre 2018 entre la commune de Nanterre et le groupement composé des sociétés Snøhetta Oslo AS, SRA Architectes, Kanju, Studio DAP, Egis Concept, Egis Bâtiments, Khephren Ingénierie et Sletec Ingénierie relatif à la réhabilitation et à la transformation du centre dramatique national Nanterre-Amandiers et de condamner la commune de Nanterre à leur verser la somme de 671 990,69 euros en réparation des préjudices subis du fait de leur éviction irrégulière de la procédure litigieuse, majorée des intérêts au taux légal à compter du 24 janvier 2019 et de leur capitalisation.
Par un jugement n° 1900989 du 20 septembre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 20 novembre 2022, 24 juin, 25 octobre et 27 novembre 2024, la SARL Blond et Roux architectes, la SAS Altia, la SAS Bureau Michel Forgue, la SAS Espace Temps et la SAS MD Conseil, représentées par Me Maras, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, d'annuler ce marché et de condamner la commune de Nanterre à leur verser, en réparation des préjudices subis du fait de l'éviction irrégulière du groupement Blond et Roux, la somme de 671 990,69 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 24 janvier 2019 et de leur capitalisation, dans les proportions suivantes :
- 442 664,69 euros à la SARL Blond et Roux architectes ;
- 33 041 euros à la SAS Altia ;
- 104 022 euros à la SAS Bureau Michel Forgue ;
- 83 899 euros à la SAS Espace Temps ;
- 8 264 euros à la SAS MD Conseil ;
3°) à titre subsidiaire, d'annuler ce marché, d'ordonner une expertise contradictoire avec mission pour l'expert, qui sera désigné par le président de la cour, de déterminer la marge nette perdue par elles du fait de l'absence d'exécution du marché par leurs soins, et de condamner la commune de Nanterre à leur verser la somme définie par l'expert judiciaire au titre des préjudices subis ;
4°) en tout état de cause, de mettre à la charge de la commune de Nanterre la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les premiers juges ont commis une erreur de fait et une erreur manifeste d'appréciation en jugeant que l'offre présentée par le groupement Blond et Roux architectes était irrégulière ; l'offre présentée par le groupement Blond et Roux architectes est régulière ; en tout état de cause, les premiers juges ne pouvaient relever l'irrégularité de cette offre pour rejeter la demande des requérants comme irrecevable, alors que cette offre avait été classée et examinée par la commission d'appel d'offres ;
- le contrat est affecté d'un vice d'une particulière gravité tiré du manquement de la commune de Nanterre aux principes d'égalité de traitement et d'impartialité, dès lors que l'offre du groupement Snøhetta a été acceptée alors qu'elle dépassait de plus d'un million d'euros hors taxes (HT) l'enveloppe prévisionnelle affectée aux travaux ;
- la délibération du conseil municipal de la commune de Nanterre du 16 octobre 2018 est entachée d'un vice de consentement, dès lors que le conseil municipal n'a jamais été informé pleinement du coût prévisionnel du projet de Snøhetta ;
- le marché public litigieux est entaché de vices graves ; l'offre du groupement Snøhetta qui a été acceptée était irrégulière ; l'appréciation du mérite des offres est entachée d'erreur en ce qui concerne les critères de la qualité architecturale, de la crédibilité de l'estimation du coût des travaux et du planning prévisionnel, de la pertinence de la réponse au regard des enjeux du programme et des aspects fonctionnels, de la pertinence des solutions techniques et environnementales et de la prise en compte des critères d'accessibilité, de sécurité, de maintenance ; le recours à la procédure de dialogue compétitif est injustifié ; des critères de sélection pondérés différents ont été mis en œuvre entre les deux phases de dialogue, ce qui est illégal ; la méthode de notation du critère de prix est illégale ;
- ces vices graves doivent entraîner l'annulation du marché et la condamnation de la commune au versement d'une indemnité en réparation des droits lésés du groupement représenté par la société Blond et Roux architectes ; ce groupement avait une chance sérieuse de remporter le marché ; le préjudice subi doit être estimé à la somme de 671 990,69 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 22 mai et les 18 et 28 octobre 2024, la commune de Nanterre, représentée par Mes Gauch et Couvreur, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge solidaire des requérantes la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande des sociétés requérantes est irrecevable dès lors que leur offre n'était pas régulière, peu important qu'elle ait été examinée et classée par la commission d'appel d'offres ;
- en tout état de cause, les moyens soulevés par les sociétés requérantes ne sont pas fondés ;
- les demandes indemnitaires des sociétés requérantes doivent être rejetées, dès lors que la commune n'a commis aucun manquement, que leur offre était irrégulière et que le préjudice n'est pas établi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics modifié ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pham,
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- les observations de Me Maras, pour les sociétés constituant le groupement Blond et Roux, et celles de Me Couvreur, pour la commune de Nanterre.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis publié le 2 août 2017 au bulletin officiel des annonces de marchés publics, la commune de Nanterre a décidé d'engager une procédure de dialogue compétitif en vue de l'attribution d'un marché public de mission de maîtrise d'œuvre pour la réhabilitation et la transformation du centre dramatique national Nanterre-Amandiers. Les sociétés Blond et Roux architectes, Architecture et technique, Altia, VP Green Engineering, Espace Temps, Bureau Michel Forgue, Eléments ingénierie, MD Conseil et Agence TER, réunies sous forme de groupement conjoint dont la SARL Blond et Roux Architectes était mandataire (ci-après, le groupement Blond et Roux architectes), ont déposé leur candidature, qui a été retenue pour participer à la première phase de dialogue compétitif avec cinq autres groupements. Par courrier du 29 mai 2018, le groupement Blond et Roux architectes a été informé de la sélection de son offre pour participer à la seconde phase du dialogue compétitif avec deux autres groupements. Au terme de l'analyse des offres, le groupement composé des sociétés Snøhetta Oslo AS, SRA Architectes, Kanju, Studio DAP, Egis Concept, Egis Bâtiments, Khephren Ingéniérie et Sletec Ingéniérie (ci-après, le groupement Snøhetta) a été déclaré attributaire avec 79 points sur 100 et le groupement Blond et Roux architectes a été classé en seconde position avec une note totale de 75 points sur 100. Par un courrier du 22 octobre 2018, la commune de Nanterre a notifié au groupement Blond et Roux architectes le rejet de son offre. Par délibération du 16 octobre 2018, le conseil municipal de la ville de Nanterre a approuvé la signature du marché de maîtrise d'œuvre avec l'équipe représentée par l'agence d'architecture norvégienne Snøhetta. Les sociétés composant le groupement Blond et Roux architectes ont saisi le juge des référés d'un recours fondé sur les dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, qui a été rejeté par une ordonnance n° 1811345 du 20 novembre 2018. Ils ont également présenté une demande indemnitaire le 25 janvier 2019, qui a été rejetée par la commune de Nanterre. Les sociétés Blond et Roux architectes, Altia, Bureau Michel Forgue, Espace Temps et MD Conseil ont alors saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'une demande tendant, d'une part, à l'annulation ou, à défaut, à la résiliation du marché public de maîtrise d'œuvre conclu le 21 novembre 2018 entre la commune de Nanterre et le groupement Snøhetta et, d'autre part, à la condamnation de la commune de Nanterre à leur verser la somme de 671 890,69 euros en réparation des préjudices qu'elles estiment avoir subis. Par le jugement n° 1900989 du 20 septembre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande. Ces sociétés relèvent appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si les sociétés requérantes soutiennent que les premiers juges ont commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation, de telles circonstances, qui sont seulement susceptibles d'affecter le bien-fondé du jugement dont le contrôle est opéré par l'effet dévolutif de l'appel, sont sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la régularité de l'offre du groupement Blond et Roux architectes :
3. Un candidat dont la candidature ou l'offre est irrégulière n'est pas susceptible d'être lésé par les manquements qu'il invoque, sauf si cette irrégularité est le résultat du manquement qu'il dénonce. Il en va ainsi alors même que son offre a été analysée, notée et classée par le pouvoir adjudicateur.
4. Aux termes de l'article 59 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics modifié visé ci-dessus : " I. - L'acheteur vérifie que les offres qui n'ont pas été éliminées en application du IV de l'article 43 sont régulières, acceptables et appropriées. / Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. (...) / III. - Dans les autres procédures, les offres inappropriées sont éliminées. Les offres irrégulières ou inacceptables peuvent devenir régulières ou acceptables à l'issue de la négociation ou du dialogue, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. / Lorsque la négociation ou le dialogue a pris fin, les offres qui demeurent irrégulières ou inacceptables sont éliminées. Toutefois, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. / IV. - La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet de modifier des caractéristiques substantielles des offres ".
5. Aux termes de l'article V.3 de l'additif du règlement de dialogue compétitif du marché de maîtrise d'œuvre pour la réhabilitation et la transformation du centre dramatique national Nanterre-Amandiers : " Le budget prévisionnel d'investissement alloué par le maitre d'ouvrage et ses partenaires à l'ensemble des travaux de réhabilitation et de transformation du centre dramatique national Nanterre-Amandiers est fixé à 28 000 000 d'euros HT maximum (valeur juin 2018). Les candidats devront veiller au strict respect de cette enveloppe pour la remise de leur proposition ". L'annexe de l'additif du règlement de dialogue compétitif du marché précise que : " (...) le dossier final à remettre par les candidats comportera les pièces et prestations suivantes : (...) / g) une note estimative du coût des travaux présentés de façon explicite et détaillée (...) ". Aux termes de l'article 2 de l'acte d'engagement : " L'enveloppe financière prévisionnelle affectée à la réalisation des travaux par le maitre d'ouvrage est fixée à 28 000 000 euros HT, valeur juillet 2018. Cette enveloppe inclut également le coût lié à l'installation d'une salle de diffusion éphémère, hors site, pendant la durée des travaux et pour laquelle une mission complémentaire spécifique est également confiée au maitre d'œuvre (coût évalué à 450 000 euros HT) ". Aux termes de l'article 6.1. du cahier des clauses administratives particulières du marché : " L'enveloppe financière par le maître de l'ouvrage comprend l'ensemble des travaux nécessaires à la réalisation du programme de l'opération. Le montant de cette enveloppe est fixé à 28 ME HT. / NB : cette enveloppe inclut également le coût lié à l'installation d'une salle de diffusion éphémère, hors site, pendant la durée des travaux et pour laquelle une mission complémentaire spécifique est également confiée au maître d'œuvre (coût évalué à 450 000 euros HT). ".
6. Le groupement Blond et Roux architectes a remis au pouvoir adjudicateur, le 28 septembre 2018, une offre finale estimant le montant des travaux de réhabilitation et de transformation du centre dramatique national Nanterre-Amandiers à 27 553 840 euros HT. Il ressort de la note estimative de travaux jointe à cette offre finale que ce montant global comprend le coût des travaux de désamiantage du site, soit 480 000 euros HT. Or, la commune de Nanterre a soutenu sans ambiguïté dans ses écritures d'appel que ces travaux n'avaient pas à être pris en compte dans l'estimation, ce qui est confirmé par les termes de l'article 2 de l'acte d'engagement et de l'article 6.1. du cahier des clauses administratives particulières du marché.
7. Par ailleurs, les requérantes ne contestent pas qu'il convient d'ajouter au montant de leur offre finale le coût des travaux liés à l'installation hors site de la salle de diffusion éphémère, soit 450 000 euros HT, en application de l'article 2 de l'acte d'engagement.
8. Par suite, il doit être considéré que l'offre finale du groupement Blond et Roux architectes, déduction faite des coûts de désamiantage et après rajout des coûts des travaux liés à l'installation hors site de la salle de diffusion éphémère, était d'un montant total de 27 523 840 euros HT. Cette offre n'étant pas irrégulière, les sociétés requérantes sont recevables à présenter leurs conclusions aux fins d'annulation, de résiliation et indemnitaires.
En ce qui concerne la régularité de la procédure de passation du contrat :
9. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
10. Saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.
11. Aux termes de l'article 76 du décret du 25 mars 2016 précité : " (...) III. - Lorsqu'il estime que le dialogue est arrivé à son terme, l'acheteur en informe les participants restant en lice et les invite à présenter leur offre finale sur la base de la ou des solutions qu'ils ont présentées et spécifiées au cours du dialogue. Il vérifie que les offres finales comprennent tous les éléments requis et nécessaires pour la réalisation du projet. / Des précisions, clarifications, perfectionnements ou compléments peuvent être demandés aux participants sur leur offre finale. Cependant, ces demandes ne peuvent avoir pour effet de modifier les aspects essentiels de l'offre finale, notamment les besoins et exigences indiqués dans les documents de la consultation, lorsque les modifications apportées sont susceptibles de fausser la concurrence ou d'avoir un effet discriminatoire. / IV. - A la demande de l'acheteur, l'attributaire peut être amené à clarifier des aspects de son offre ou à confirmer les engagements figurant dans celle-ci. Cependant, ces demandes ne peuvent avoir pour effet de modifier des éléments fondamentaux de l'offre ou des caractéristiques essentielles du marché public, dont la variation est susceptible de fausser la concurrence ou d'avoir un effet discriminatoire. ". Il ressort des dispositions des articles 59 et 76 du décret du 25 mars 2016 que le pouvoir adjudicateur qui, dans le cadre d'une procédure adaptée, décide de recourir à une négociation, peut librement choisir les candidats avec lesquels il souhaite négocier et peut en conséquence, dans le respect du principe d'égalité de traitement entre les candidats, admettre à la négociation les candidats ayant remis des offres inappropriées, irrégulières ou inacceptables et ne pas les éliminer d'emblée. Il doit cependant, à l'issue de la négociation, rejeter sans les classer les offres qui sont demeurées inappropriées, irrégulières ou inacceptables. Ainsi, si le pouvoir adjudicateur peut, dans le cadre d'une procédure adaptée, décider d'engager une négociation avec les candidats ayant remis une offre irrégulière, il ne peut plus le faire après la fin de la dernière phase de négociation.
12. En l'espèce, il est constant qu'à l'issue de la dernière phase de négociation, l'offre finale du groupement Snøhetta, même après déduction du coût des travaux de désamiantage de 480 000 euros HT, était d'un montant supérieur à 28 millions d'euros HT. Du fait de cette irrégularité et de l'impossibilité de négocier après la fin de la dernière phase de négociation, la commune de Nanterre n'avait d'autre choix que de rejeter cette offre. Elle ne peut utilement faire valoir qu'aux termes de cette offre, un travail de concertation et des études approfondies devaient être menés afin de rentrer dans l'enveloppe de 28 millions d'euros HT et qu'in fine, l'acte d'engagement signé postérieurement fixe l'enveloppe financière prévisionnelle à 28 millions d'euros HT.
13. Il en résulte, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres manquements invoqués par les sociétés requérantes, que celles-ci sont fondées à soutenir que le marché en cause est entaché de vices entachant sa validité et à saisir dès lors le juge du contrat de conclusions aux fins d'annulation.
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation ou de résiliation :
14. Saisi de conclusions à fins d'annulation d'un contrat par un concurrent évincé, il appartient au juge, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité de ce contrat, d'en apprécier les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d'accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l'annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits du cocontractant, d'annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat.
15. Il résulte de l'instruction que la réception du bâtiment est prévue en juin 2025 et que seuls des travaux de finition sont prévus aux mois d'avril et de mai 2025. Etant donné l'état d'avancement du projet, il y a lieu de décider de la poursuite de l'exécution de ce contrat.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
S'agissant du principe de l'indemnisation :
16. D'une part, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, qui inclut nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre.
17. D'autre part, lorsqu'il est saisi par une entreprise qui a droit à l'indemnisation de son manque à gagner du fait de son éviction irrégulière à l'attribution d'un marché, il appartient au juge d'apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain. Dans le cas où le marché est susceptible de faire l'objet d'une ou de plusieurs reconductions si le pouvoir adjudicateur ne s'y oppose pas, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu'en tant qu'il porte sur la période d'exécution initiale du contrat, et non sur les périodes ultérieures qui ne peuvent résulter que d'éventuelles reconductions. Le manque à gagner de l'entreprise est évalué par la soustraction du total du chiffre d'affaires non réalisé de l'ensemble des charges variables et de la quote-part des coûts fixes affectée à l'exécution du marché.
18. Dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que le pouvoir adjudicateur aurait été conduit à déclarer la procédure infructueuse ou sans suite s'il avait éliminé l'offre du groupement Snøhetta et qu'il n'est ni soutenu ni démontré qu'il aurait renoncé à signer le contrat pour un motif d'intérêt général, l'irrégularité relevée au point 12 commise par la commune de Nanterre dans l'attribution du marché en litige est à l'origine de l'éviction du groupement Blond et Roux architectes, qui était classé en deuxième position. Par suite, il existe un lien direct entre la faute tenant à l'irrégularité commise par le pouvoir adjudicateur dans l'attribution du marché et le manque à gagner subi par les sociétés constituant le groupement Blond et Roux architectes, cette faute les ayant privées d'une chance sérieuse de remporter le contrat.
S'agissant de l'estimation du préjudice subi :
19. Les sociétés requérantes sollicitent l'indemnisation des frais engagés pour présenter leur candidature au marché, ainsi que l'indemnisation du manque à gagner.
20. D'une part, les frais exposés pour l'établissement de leur offre sont au nombre de ceux qu'il leur incombait normalement d'engager pour obtenir l'attribution du marché et qui devaient trouver leur contrepartie dans la rémunération afférente à la réalisation de ce dernier. Ainsi, ces sociétés ne sont pas fondées à en demander l'indemnisation.
21. D'autre part, les sociétés Blond et Roux architectes, Altia, Bureau Michel Forgues et MD Conseil ont produit des calculs de leur expert-comptable ou de personnes chargées de la transcription comptable de leurs opérations indiquant la marge nette bénéficiaire escomptée sur l'opération du théâtre des Amandiers. Il convient toutefois de déduire de cette marge nette les frais de présentation de l'offre exposés par chacune de ces entreprises, qui ont été omis dans leur calcul des charges afférentes au marché. Par suite, il y a lieu d'allouer les sommes de 272 142,69 euros à la société Blond et Roux architectes, de 17 168 euros à la société Altia, de 71 122 euros à la société Bureau Michel Forgues et de 264 euros à la société MD Conseil.
22. La société Espace Temps n'ayant produit que des documents dépourvus de validation comptable, il y a lieu, avant de statuer sur ses conclusions, de procéder à un supplément d'instruction tendant à la production par cette société d'une attestation comptable déterminant son taux de marge nette sur les cinq exercices précédents. Ces documents devront parvenir au greffe de la cour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1900989 du 20 septembre 2022 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 2 : La commune de Nanterre est condamnée à verser les sommes de 272 142,69 euros à la société Blond et Roux architectes, de 17 168 euros à la société Altia, de 71 122 euros à la société Bureau Michel Forgues et de 264 euros à la société MD Conseil.
Article 3 : Les conclusions aux fins d'annulation et de résiliation du marché présentées par les sociétés constituant le groupement Blond et Roux sont rejetées.
Article 4 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de la SAS Espace Temps, procédé à un supplément d'instruction tendant à la production par cette société d'une attestation comptable déterminant son taux de marge nette sur les cinq exercices précédents.
Article 5 : Ces documents devront parvenir au greffe de la cour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 6 : Les droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Blond et Roux architectes, à la SAS Altia, à la SAS Bureau Michel Forgue, à la SAS Espace Temps, à la SAS MD Conseil, à la commune de Nanterre et à la société Snøhetta Studio Paris.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Etienvre, président de chambre,
M. Pilven, président-assesseur,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 décembre 2024.
La rapporteure,
C. Pham
Le président,
F. Etienvre
La greffière,
S. Diabouga
La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 22VE02630