Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une demande n° 1911018, la société Vert-Marine a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler le contrat conclu le 28 juin 2019 entre la communauté d'agglomération Plaine Vallée et la société S-Pass relatif à l'exploitation du centre aquatique " La Vague ".
Par une seconde demande n° 2004188, la société Vert-Marine a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner la communauté d'agglomération Plaine Vallée à lui verser, à titre principal, la somme de 336 000 euros toutes taxes comprises (TTC) correspondant à son manque à gagner et, à titre subsidiaire, la somme de 12 000 euros TTC correspondant aux frais de soumission de son offre à la suite de son éviction irrégulière de la procédure de passation du marché relatif à l'exploitation du centre nautique " La Vague ", augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 février 2020 et de leur capitalisation.
Par un jugement n° 1911018-2004188 du 28 juin 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la communauté d'agglomération Plaine Vallée à verser la somme de 140 000 euros à la société Vert-Marine en réparation de son préjudice lié à son éviction illégale du marché, avec intérêts au taux légal à compter du 3 février 2020 et capitalisation de ces intérêts au 3 février 2021, ainsi qu'à chaque échéance annuelle, a mis à la charge de la communauté d'agglomération une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 29 août 2022, sous le n° 22VE02144, la communauté d'agglomération Plaine Vallée, représentée par Me Gentilhomme, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par la société Vert-Marine devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
2°) de mettre à la charge de la société Vert-Marine la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait, d'une erreur de droit et d'une dénaturation des pièces du dossier ;
- ce jugement est insuffisamment motivé quant au rejet du moyen tenant à ce que la convention collective appliquée relève de l'exécution du contrat ;
- contrairement à la situation de 2015, la société S-Pass avait formulé une offre prévoyant expressément l'application de la convention collective nationale du sport (CCNS) si la Cour de cassation saisie désignait ladite convention ; après l'arrêt de la Cour de Cassation du 11 décembre 2019, la société a mis en œuvre ses prescriptions en se soumettant à la CCNS ; son offre n'était donc pas irrégulière ;
- la seule circonstance qu'une société a présenté une offre prévoyant l'application de la mauvaise convention collective n'entraîne pas automatiquement une méconnaissance de la législation applicable ; en l'espèce aucune incompatibilité entre la convention collective ELAC et la CCNS n'est établie ; après analyse, il apparaît que l'écart de coût entre les deux conventions représente en moyenne un peu plus de 5% du montant de la masse salariale ; au mieux, l'application de la mauvaise convention collective par la société attributaire lui aurait permis de présenter une offre moins chère au titre de sa masse salariale ; la société Vert-Marine ayant formulé le prix le plus bas, elle a obtenu la note maximale pour son critère prix ; il n'est donc pas avéré que la société S-Pass aurait tiré un avantage de l'application de la convention ELAC ; la question de la convention collective applicable relève par ailleurs de l'exécution du marché et non de la régularité de l'offre ; lors de la passation du contrat, il existait un doute sérieux quant à l'applicabilité de l'une ou l'autre convention au regard de la jurisprudence judiciaire ; à compter de l'avenant du 6 novembre 2009 et de l'arrêté du ministre du travail du 7 avril 2010, le champ d'application de la CCNS du 7 juillet 2005 a été étendu aux activités de gestion d'installations sportives, ce qui entre en contradiction avec les dispositions des articles L. 2222-1 et L. 2261-2 du code du travail dès lors que le champ d'application des conventions collectives est déterminé sur la base du critère de l'activité économique principale réellement exercée par l'employeur ; en outre, en vertu de l'article L. 2253-3 du code du travail, les conventions d'entreprise prévalent sur les conventions de branche et les conventions collectives donc mettre à la charge des pouvoirs adjudicateurs le respect de ces conventions collectives est d'autant plus difficile ;
- à titre subsidiaire, la société Vert-Marine n'avait pas de chance sérieuse d'emporter le marché dès lors que la procédure aurait été certainement déclarée sans suite à défaut de concurrence suffisante ;
- le manque à gagner de la société Vert-Marine évalué sur la base de la seule attestation de l'expert-comptable de la société est manifestement excessif et incohérent avec le manque à gagner dont la société avait demandé réparation lors de la précédente attribution du même marché.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2024, la société par actions simplifiée Vert-Marine, représentée par Me Boyer, avocat, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la communauté d'agglomération Plaine Vallée ;
2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en tant qu'il a limité à 140 000 euros son droit à indemnisation et de condamner la communauté d'agglomération Plaine Vallée à lui verser la somme de 336 000 euros TTC en réparation de son manque à gagner du fait de son éviction irrégulière, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 février 2020 et de la capitalisation de ces intérêts ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner la communauté d'agglomération Plaine Vallée à lui verser la somme la somme de 12 000 euros TTC en indemnisation de ses frais de soumission, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 février 2020 et de la capitalisation de ces intérêts ;
4°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Plaine Vallée la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'offre de la société S-Pass, prévoyant l'application d'une convention collective inapplicable, était irrégulière et ne pouvait qu'être écartée ;
- à titre subsidiaire, la communauté d'agglomération Plaine Vallée a mis en œuvre un sous-critère opérant une distinction entre gestion externe ou interne de la maintenance technique par l'attributaire qui n'était pas annoncé, en méconnaissance du principe d'égalité des candidats ; il en est de même de la quantité des moyens humains mis en œuvre ; la mise en œuvre de ces sous-critères est par ailleurs directement en lien avec son éviction ;
- elle disposait de chances sérieuses de remporter le contrat dès lors qu'elle était classée deuxième, à 3,47 points sur 100 de l'attributaire, et nettement mieux-disante sur le critère prix ; elle a été privée d'une rémunération de 336 000 euros TTC sur quatre ans, ainsi que l'atteste son expert-comptable ; c'est par suite à tort que le tribunal a limité à 140 000 euros son indemnisation ; à titre subsidiaire, elle est en droit d'obtenir l'indemnisation de ses frais de soumission à hauteur de 12 000 euros TTC.
La société en nom collectif La Vague et la société par actions simplifiée S-Pass, représentées par Me Cabanes, avocat, ont présenté des observations enregistrées le 28 juin 2024.
II. Par une requête, enregistrée le 29 août 2022, sous le n° 22VE02145, la société en nom collectif La Vague et la société par actions simplifiée S-Pass, représentées par Me Cabanes, avocat, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de la société Vert-Marine la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le tribunal administratif a méconnu son office dans le cadre d'un recours en contestation de validité dès lors qu'il a apprécié la validité du contrat au regard de ses futures condition d'exécution, plus particulièrement des contrats de travail qui lieront l'attributaire, et non de la régularité de l'offre, alors qu'en application de la jurisprudence Département Tarn-et-Garonne, seuls les manquements aux règles applicables à la passation du contrat ou entachant la convention elle-même sont invocables ; les conventions collectives relèvent des relations collectives entre employeurs et salariés en application des articles L. 2221-1 et L. 2261-15 du code du travail ; dès lors que la problématique de la convention collective applicable relève strictement des rapports de droit privé entre le titulaire du contrat et ses salariés, il ne revient pas à l'acheteur public et encore moins au juge administratif de s'immiscer dans la détermination de la convention collective applicable ; par ailleurs, lors de la passation du contrat litigieux, la Cour de Cassation ne s'était pas encore prononcée, le jugement du tribunal de grande instance n'étant pas assorti de l'exécution provisoire et l'application de la convention collective du sport était loin d'être évidente ;
- la détermination de la convention collective applicable relève de la compétence du seul juge judiciaire ; seule l'offre qui méconnaitrait effectivement une ou plusieurs garanties prévues par la convention collective pourrait être considérée comme irrégulière ; par suite, le moyen selon lequel l'offre qui n'annonçait pas l'application de la CCNS aurait dû être nécessairement considérée comme irrégulière manque en droit ; enfin, un employeur peut prévoir d'appliquer des garanties supérieures à celles de la convention collective ou peut prévoir un accord d'entreprise avec des règles propres, qui dérogerait à la CCNS, tout en proposant davantage que les minimas CCNS ; au demeurant, lorsque les opérateurs déposent une offre auprès de la collectivité, ils s'engagent à reprendre le personnel et à respecter la convention collective et les accords d'entreprise qui leur sont appliqués par le titulaire sortant ;
- le choix de la convention ELAC n'a pu conduire à une distorsion de concurrence dès lors que la société Vert-Marine était la mieux-disante sur le critère prix ; cet élément n'a donc pas été à l'origine de l'éviction de la société Vert-Marine ;
- à titre subsidiaire, la société Vert-Marine ne justifie aucunement, par la seule attestation de son expert-comptable, du manque à gagner dont elle demande réparation ; sur le même périmètre d'exploitation, la société a augmenté sa prétendue marge nette de 173 000 euros à 280 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2024, la société par actions simplifiée Vert-Marine, représentée par Me Boyer, avocat, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête;
2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en tant qu'il a limité à 140 000 euros son droit à indemnisation et condamner la communauté d'agglomération Plaine Vallée à lui verser la somme de 336 000 euros TTC en réparation de son manque à gagner du fait de son éviction irrégulière, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 février 2020 et de la capitalisation de ces intérêts ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner la communauté d'agglomération Plaine Vallée à lui verser la somme la somme de 12 000 euros TTC en indemnisation de ses frais de soumission, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 février 2020 et de la capitalisation de ces intérêts ;
4°) de mettre à la charge de toute partie succombante la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soulève les mêmes moyens de défense que ceux exposés sous la requête n° 22VE02144.
Par un courrier du 30 octobre 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré du défaut d'intérêt pour faire appel de la société S-Pass et de la société La Vague eu égard à la portée du dispositif du jugement attaqué.
Par un mémoire, enregistré le 6 novembre 2024, la société S-Pass et la société La Vague ont présenté leurs observations en réponse au moyen relevé d'office.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2015- 899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florent,
- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,
- les observations de Me Guranna pour la communauté d'agglomération Plaine Vallée, celles de Me Misséri-Guesdon pour la société Vert-Marine et celles de Me Girard pour les sociétés S-Pass et La Vague.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 22VE02144 et n° 22VE02145 étant dirigées contre le même jugement, présentant à juger des questions semblables et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. Par un avis d'appel public à la concurrence du 9 janvier 2019, la communauté d'agglomération Plaine Vallée a engagé une procédure adaptée pour conclure un nouveau marché relatif à l'exploitation de l'espace nautique intercommunal " La Vague ". La société S-Pass a été déclarée attributaire et la société Vert-Marine a été classée en seconde position. Par les présentes requêtes, la communauté d'agglomération Plaine Vallée, la société S-Pass et la société La Vague, filiale dédiée créée pour assurer l'exploitation de l'espace nautique, relèvent appel du jugement du 28 juin 2022 en tant que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, après avoir jugé l'offre de l'attributaire irrégulière, a condamné la communauté d'agglomération à verser la somme de 140 000 euros à la société Vert-Marine en réparation de son préjudice lié à son éviction illégale du marché, augmentée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation. Par la voie de l'appel incident, la société Vert-Marine sollicite la réformation de ce jugement en tant qu'il a limité son indemnisation à la somme de 140 000 euros et demande à la cour de porter cette condamnation à la somme de 336 000 euros TTC.
Sur la requête n° 22VE02145 présentée par la société S-Pass et la société La Vague et la demande d'intervention de ces sociétés enregistrée sous le n° 22VE02144 :
3. L'intérêt à faire appel d'un jugement s'apprécie par rapport à son dispositif et non par rapport à ses motifs. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté les conclusions de la société Vert-Marine tendant à l'annulation du contrat conclu avec la société S-Pass au motif que le vice constaté n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier une telle décision et s'est borné à condamner la communauté d'agglomération Plaine Vallée à indemniser la société Vert-Marine. Si, dans l'appel qu'elles forment contre ce jugement, la société S-Pass et la société La Vague demandent à la cour de constater que le contrat litigieux n'était entaché d'aucune irrégularité, ces conclusions ne sont pas dirigées contre le dispositif du jugement mais contre ses motifs. Par suite, la requête de ces sociétés, dépourvues d'intérêt à faire appel, doit être rejetée comme irrecevable, de même, par voie de conséquence, que les conclusions incidentes de la société Vert-Marine présentées sous cette requête.
4. Par ailleurs, les société S-Pass et La Vague ayant reçu communication de la requête de la communauté d'agglomération Plaine Vallée n° 22VE02144, le mémoire présenté au nom des sociétés constitue non une intervention mais des observations en réponse à cette communication.
Sur la requête n° 22VE02144 présentée par la communauté d'agglomération Plaine Vallée :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort du point 7 du jugement attaqué que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a expressément écarté le moyen en défense de la communauté d'agglomération tiré de ce que la détermination de la convention collective applicable relèverait uniquement des conditions d'exécution du contrat après avoir considéré que l'offre de la société S-Pass, en ce qu'elle méconnaissait la législation et la réglementation sociales en vigueur, à savoir l'article L. 2261-15 du code du travail et la convention collective nationale du sport, aurait dû être écartée comme irrégulière. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement doit être écarté.
6. En second lieu, si la communauté d'agglomération Plaine Vallée soutient que les juges de première instance ont commis une erreur de droit, une erreur de fait et ont dénaturé les pièces du dossier, ces moyens sont sans incidence sur la régularité du jugement attaqué et ne peuvent qu'en affecter le bien-fondé. Ils doivent, par suite être écartés.
En ce qui concerne la validité du contrat :
7. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
8. Aux termes du I de l'article 59 du décret du 25 mars 2016, alors en vigueur : " L'acheteur vérifie que les offres qui n'ont pas été éliminées en application du IV de l'article 43 sont régulières, acceptables et appropriées. / Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 2261-15 du code du travail : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel (...) peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 2253-3 du code du travail : " Dans les matières autres que celles mentionnées aux articles L. 2253-1 et L. 2253-2, les stipulations de la convention d'entreprise conclue antérieurement ou postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la convention de branche ou de l'accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large prévalent sur celles ayant le même objet prévues par la convention de branche ou l'accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large. En l'absence d'accord d'entreprise, la convention de branche ou l'accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large s'applique. ".
9. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 2261-15 du code du travail que les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel rendues obligatoires par arrêté ministériel s'imposent aux candidats à l'octroi d'un marché public lorsqu'ils entrent dans le champ d'application de cette convention. Par suite, une offre mentionnant une convention collective inapplicable ou méconnaissant la convention applicable méconnaît la législation applicable en matière sociale au sens de l'article 59 du décret du 25 mars 2016 et doit être écartée par le pouvoir adjudicateur comme irrégulière, sans qu'il y ait lieu de rechercher si cette irrégularité avantage ou non le candidat et sans qu'y fasse obstacle la circonstance que l'article L. 2253-3 du code du travail autorise les accords d'entreprise à déroger à certaines clauses des conventions collectives.
10. En l'espèce, il résulte de l'instruction, et plus particulièrement des mentions du compte prévisionnel d'exploitation annexé à son offre, que les conditions prévues par la société S-Pass pour l'exploitation de l'espace nautique " La Vague " prévoyaient l'application de la convention collective des espaces de loisirs, d'attractions et culturels (ELAC) aux salariés placés sous sa responsabilité. Si la communauté d'agglomération Plaine Vallée fait valoir que la société S-Pass avait anticipé dans son offre la possible obligation d'appliquer à terme la convention collective nationale du sport (CCNS), il n'en demeure pas moins qu'à la date d'attribution du contrat, l'offre prévoyait l'application de la convention ELAC. Il résulte, par ailleurs, du jugement n° RG 18/00409 du tribunal de grande instance de Pontoise du 10 juillet 2018 et de l'arrêt n° 18-20.145 et 18-20.219 de la Cour de cassation du 11 décembre 2019 que les employés de la société S-Pass devaient se voir appliquer la CCNS du 7 juillet 2005, dont il est au demeurant admis que les conditions sont plus favorables que celles de la convention collective ELAC en matière de rémunération, et dont le champ d'application a été étendu aux entreprises de droit privé à but lucratif exerçant à titre principal des activités récréatives ou de loisirs sportifs par l'arrêté du 7 avril 2010 portant extension de l'avenant n° 37 bis du 6 novembre 2009, sur le fondement de l'article L. 2261-15 du code du travail. Contrairement à ce que soutient la communauté d'agglomération Plaine Vallée, cette application ne méconnaît pas l'article L. 2222-1 du code du travail qui prévoit seulement que les partenaires sociaux déterminent le champ d'application des conventions de branche en termes d'activités économiques. Par conséquent, sans qu'y fassent obstacle les difficultés alléguées par la communauté d'agglomération quant à la détermination de la convention collective applicable, l'offre présentée par la société S-Pass, dont les conditions prévues pour son exécution méconnaissent la législation sociale en vigueur, devait être écartée comme irrégulière.
11. En second lieu, il résulte de l'instruction que l'offre de la société Vert-Marine a été classée en seconde position par le pouvoir adjudicateur, après avoir obtenu la note de 86,75 sur 100. En outre, il n'est ni établi, ni même d'ailleurs allégué, que cette offre aurait été inappropriée, irrégulière ou inacceptable. Dès lors, le manquement tiré de ce que l'offre de la société attributaire était irrégulière et ne pouvait, pour ce motif, être retenue est en rapport direct avec l'éviction de la société Vert-Marine et pouvait être utilement invoqué à l'appui de ses conclusions.
En ce qui concerne l'indemnisation de la société Vert-Marine :
12. D'une part, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.
13. D'autre part, lorsqu'il est saisi par une entreprise qui a droit à l'indemnisation de son manque à gagner du fait de son éviction irrégulière à l'attribution d'un marché, il appartient au juge d'apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain. Dans le cas où le marché est susceptible de faire l'objet d'une ou de plusieurs reconductions si le pouvoir adjudicateur ne s'y oppose pas, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu'en tant qu'il porte sur la période d'exécution initiale du contrat, et non sur les périodes ultérieures qui ne peuvent résulter que d'éventuelles reconductions.
14. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société Vert-Marine a été admise à participer aux négociations et que son offre a été classée en deuxième position par le pouvoir adjudicateur, avec une note globale inférieure à celle de la société attributaire de seulement 3,47 points sur 100, après avoir en particulier obtenu la meilleure note sur le critère du prix. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction, compte tenu en particulier de l'expiration en octobre 2019 du précédent contrat d'exploitation de l'espace nautique et de la nécessité d'assurer la continuité du service public, que la communauté d'agglomération Plaine Vallée aurait été conduite à déclarer la procédure sans suite si elle avait éliminé l'offre de la société S-Pass comme irrégulière. Dans ces conditions, l'irrégularité relevée au point 10 a privé la société Vert-Marine d'une chance sérieuse de remporter le contrat.
15. En second lieu, l'article 5.1 du cahier des clauses administratives particulières prévoit que le marché est conclu pour une durée initiale de vingt-quatre mois, reconductible pour vingt-quatre mois supplémentaires. Dès lors, le manque à gagner de la société Vert-Marine ne revêt un caractère certain que pour la période d'exécution initiale de vingt-quatre mois. Pour justifier de la réalité et du quantum de ce manque à gagner, la société Vert-Marine verse aux débats son acte d'engagement prévoyant une rémunération de 70 000 euros HT annuels en sus de la couverture des différentes charges d'exploitation, ainsi qu'une attestation établie par un expert-comptable en date du 4 novembre 2021, dont il résulte que sa marge bénéficiaire annuelle aurait correspondu à cette somme. Il résulte, toutefois, de l'instruction, ainsi que le fait valoir la communauté d'agglomération Plaine Vallée, que la marge bénéficiaire annuelle sollicitée par la société Vert-Marine a augmenté de 50% par rapport à celle qu'elle avait sollicitée quatre ans plutôt dans le cadre d'un précédent contentieux relatif à l'attribution du même marché d'exploitation de l'espace " La Vague ", sans que la société évincée n'explique l'ampleur de cet écart. Il résulte, par ailleurs, de l'instruction que la marge bénéficiaire prévue à l'acte d'engagement de la société S-Pass était fixée à 50 000 euros HT annuels. Dans ces conditions, la communauté d'agglomération est fondée à soutenir que l'évaluation du manque à gagner de la société Vert-Marine fixée par le tribunal administratif à 140 000 euros est excessive. Il sera, par suite, fait une juste évaluation de ce manque à gagner en l'évaluant à la somme totale de 100 000 euros sur deux ans, laquelle ne saurait être augmentée de la TVA et inclut nécessairement les frais de présentation.
16. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la communauté d'agglomération Plaine Vallée est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a condamnée à verser à la société Vert-Marine une somme supérieure à 100 000 euros et, d'autre part, que la société Vert-Marine n'est pas fondée à demander, par la voie de l'appel incident, que cette condamnation soit portée à la somme de 336 000 euros TTC.
Sur les frais relatifs à l'instance :
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter les conclusions des parties tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 140 000 euros que la communauté d'agglomération Plaine Vallée a été condamnée à verser à la société Vert-Marine par le jugement n° 1911018-2004188 du 28 juin 2022 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est ramenée à 100 000 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 28 juin 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la communauté d'agglomération Plaine Vallée est rejeté.
Article 4 : La requête n° 22VE02145 des sociétés La Vague et S-Pass est rejetée.
Article 5 : Les conclusions de la société Vert-Marine présentées par la voie de l'appel incident sur la requête n° 22VE02144 et sur la requête n° 22VE02145 et ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération Plaine Vallée, à la société S-Pass, à la société La Vague et à la société Vert-Marine.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente,
M. Camenen, président assesseur,
Mme Florent, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2024.
La rapporteure,
J. FLORENT
La présidente,
C. SIGNERIN-ICRE
La greffière,
C. RICHARD
La République mande et ordonne au préfet du Val-d'Oise en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 22VE02144...