Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Métro France a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 9 juillet 2019 par laquelle la ministre du travail, de l'insertion et de l'emploi a rejeté son recours hiérarchique formé à l'encontre de la décision du 30 janvier 2019 de l'inspecteur du travail refusant d'autoriser le licenciement de M. A... et d'enjoindre à cette ministre d'autoriser ce licenciement dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir ou, à défaut, de procéder au réexamen de la demande dans les mêmes conditions de délai.
Par un jugement n° 1911262 du 15 décembre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision du 30 janvier 2019 de l'inspecteur du travail et la décision du 9 juillet 2019 de la ministre du travail et jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par la société Métro France.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 9 février 2023, sous le n° 23VE00336, la société Métro France, représentée par Me Desaint, demande à la cour :
1°) d'infirmer le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise uniquement en ce qu'il a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par elle ;
2°) de confirmer le jugement sur les autres points ;
3°) d'enjoindre à l'inspection du travail, à nouveau saisie de la demande d'autorisation de licenciement de M. A..., d'y faire droit dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou à tout le moins, de rendre une nouvelle décision dans ce même délai ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens de l'instance.
Elle soutient que les premiers juges ont commis une erreur de fait et une erreur d'appréciation en considérant qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par elle, au motif que M. A... était licencié depuis le 9 mars 2022, alors que la décision autorisant son licenciement fait actuellement l'objet d'un recours pendant.
Par un mémoire, enregistré le 6 mars 2024, le ministre du travail, de la santé et des solidarités demande à la cour d'annuler le jugement précité et de rejeter le recours formé par la société Métro France.
Il renvoie aux observations qu'il a présentées en première instance.
Par ordonnance du 7 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 8 avril 2024 en application de l'article L. 613-1 du code de justice administrative.
II. Par une requête et des mémoires, enregistrés les 16 février 2023, 20 mars 2023 et 30 avril 2024, sous le n° 23VE00337, M. B... A..., représenté par Me Condemine, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement attaqué ;
2°) de rejeter la demande de la société Métro France ;
3°) de mettre à la charge de la société Métro France la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le principe du contradictoire a été méconnu lors de la consultation du comité d'entreprise ;
- ce vice a entaché la procédure de licenciement d'irrégularité, étant donné que le comité d'entreprise a rendu un avis favorable au licenciement.
Par un mémoire, enregistré le 6 mars 2024, le ministre du travail, de la santé et des solidarités demande à la cour d'annuler le jugement précité et de rejeter la demande de première instance de la société Métro France.
Il soutient que le principe du contradictoire n'ayant pas été respecté lors de la consultation du comité d'entreprise, la procédure de licenciement se trouve entachée d'un vice substantiel justifiant à lui seul le refus de l'autorisation de licenciement sollicitée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 avril 2024, la société Métro France, représentée par Me Desaint, conclut au rejet de la requête, à l'infirmation du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise uniquement en ce qu'il a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par elle et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens de l'instance.
Elle soutient que :
- les moyens présentés par M. A... ne sont pas fondés ;
- la décision de la ministre du travail est insuffisamment motivée ;
- les faits reprochés à M. A... justifient son licenciement ;
- il n'y a pas de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats détenus par M. A... ;
- les premiers juges ont commis une erreur de fait et une erreur d'appréciation en considérant qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par elle, au motif que M. A... était licencié depuis le 9 mars 2022, alors que la décision autorisant son licenciement fait actuellement l'objet d'un recours pendant.
Par ordonnance du 25 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 10 juillet 2024 en application de l'article L. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code du travail ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pham,
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- les observations de Me Gandolfo substituant Me Condemine, pour M. A..., de Me Gholami Bavil pour la société Métro France et de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A... a été recruté par la société Métro France par contrat de travail à durée indéterminée conclu le 31 juillet 2001. Il exerçait, en dernier lieu, les fonctions d'organisateur et détenait le mandat de délégué du personnel suppléant sur l'établissement de Métro Cash et Carry France Services Centraux. Le 22 décembre 2018, la société Métro France a sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de licencier M. A... pour faute grave. Par une décision du 30 janvier 2019, l'inspecteur du travail a refusé de faire droit à cette demande. Par un courrier du 28 février 2019, la société a formé un recours hiérarchique à l'encontre de cette décision qui a été rejeté le 9 juillet 2019 par la ministre du travail, de l'insertion et de l'emploi. Par le jugement n° 1911262 du 15 décembre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé les décisions du 30 janvier 2019 et du 9 juillet 2019 et a jugé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par la société Métro France. Par la requête n° 23VE00337, M. A... relève appel de ce jugement en ce qu'il a annulé les décisions du 30 janvier 2019 et du 9 juillet 2019. Par la requête n° 23VE00336, la société Métro France relève appel de ce jugement uniquement en ce qu'il a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par elle. Ces requêtes étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu pour la cour de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur l'appel de M. A... :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu :
2. Aux termes de l'article 9 de l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales visée ci-dessus : " (...) V. - Lorsqu'il est fait application des dispositions prévues au I du présent article, ainsi que pendant la durée des mandats en cours, les dispositions des titres Ier et II du livre III de la deuxième partie du code du travail relatives aux délégués du personnel et au comité d'entreprise, les dispositions du titre VIII du livre III de la même partie du code du travail sur le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les dispositions du titre IX du livre III de la même partie du code du travail sur le regroupement par accord des institutions représentatives du personnel, les dispositions du titre X du livre III de la même partie du code du travail sur les réunions communes des institutions représentatives du personnel ainsi que les dispositions du titre Ier du livre VI de la quatrième partie, relatives au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail demeurent applicables dans leur rédaction antérieure à la date de publication de la présente ordonnance. (...) ". Aux termes de l'article L. 2421-3 du code du travail : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un délégué du personnel ou d'un membre élu du comité d'entreprise titulaire ou suppléant, d'un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'un représentant des salariés au comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement. (...) ". Aux termes de l'article R. 2421-9 du même code : " L'avis du comité d'entreprise est exprimé au scrutin secret après audition de l'intéressé. (...) ". Il résulte de ces dispositions, que, saisie par l'employeur d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé auquel s'appliquent ces dispositions, il appartient à l'administration de s'assurer que la procédure de consultation du comité d'entreprise a été régulière. Elle ne peut légalement accorder l'autorisation demandée que si le comité d'entreprise a été mis à même d'émettre son avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé sa consultation.
3. En l'espèce, il est constant que M. A... a été convoqué à 14 heures à la réunion du comité d'entreprise du 21 décembre 2018 qui devait examiner le projet de son licenciement et qu'il a averti son employeur qu'il ne pourrait être présent qu'à partir de 16h30, afin de respecter les horaires de sortie imposés par son arrêt de travail. Il ressort des termes du procès-verbal de la réunion que celle-ci a débuté à 14h04 malgré l'indisponibilité de M. A.... Entre 14h04 et 15h13, le directeur des ressources humaines a procédé à la lecture d'une note d'information, qui avait été transmise au préalable à M. A..., et exposé les griefs retenus à l'encontre du requérant, dont il n'est pas contesté qu'ils ont été portés à sa connaissance lors de l'entretien préalable qui s'est tenu le 19 décembre 2018. Cependant, le directeur des ressources humaines a également commenté ces griefs et répondu aux questions des membres du comité d'entreprise, notamment en faisant valoir que M. A... avait détourné, dans un tract qu'il avait distribué au sein de l'entreprise, une citation de Mirabeau pour la rendre plus agressive, plus menaçante et plus irrespectueuse à son encontre, et en affirmant d'une part, qu'une ancienne collaboratrice avait demandé à l'entreprise d'intervenir auprès de M. A... afin que celui-ci cesse de l'importuner, et d'autre part, que M. A... avait fait preuve d'intimidation auprès des collaborateurs qui devaient être auditionnés lors de l'enquête administrative. Ces commentaires, qui étaient de nature à influencer les membres du comité d'entreprise, ont été tenus en l'absence de M. A... et n'ont pas été mentionnés de nouveau en sa présence afin qu'il puisse y répondre, bien que la personne assistant M. A... l'ait demandé expressément. Par suite, l'inspecteur du travail et la ministre du travail étaient fondés à constater que la procédure devant le comité d'entreprise était entachée d'une méconnaissance du principe du contradictoire. Etant donné que le comité d'entreprise a rendu un avis favorable au licenciement de M. A..., cette irrégularité dans la procédure de consultation du comité d'entreprise a entaché d'une illégalité substantielle la procédure de licenciement.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par la société Métro France :
4. Du fait du vice substantiel entachant la procédure de licenciement, l'administration était dans l'obligation de refuser à la société Métro France l'autorisation de licencier M. A.... Par suite, la ministre du travail n'avait pas à examiner si les griefs retenus à l'encontre de celui-ci étaient ou non fondés. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit en conséquence être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que les faits reprochés à M. A... justifieraient son licenciement doit être écarté comme inopérant.
5. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé les décisions du 9 juillet 2019 et du 30 janvier 2019.
Sur l'appel de la société Métro France :
6. Etant donné l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de la société Métro France tendant à ce qu'il soit enjoint à la ministre du travail d'autoriser le licenciement de M. A... sont devenues sans objet.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Métro France demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Métro France une somme de 1 500 euros à verser à M. A... sur le fondement des mêmes dispositions.
Sur les dépens :
8. La société Métro France ne justifiant pas avoir, au cours de l'instance, exposé de dépens, au sens et pour l'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, ses conclusions présentées à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1911262 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 15 décembre 2022 est annulé.
Article 2 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par la société Métro France.
Article 3 : Les autres conclusions présentées par la société Métro France sont rejetées.
Article 4 : La société Métro France versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la société Métro France et à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Etienvre, président de chambre,
M. Pilven, président-assesseur,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2024.
La rapporteure,
C. Pham Le président,
F. Etienvre
La greffière,
S. Diabouga
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
Nos 23VE00336, 23VE00337