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12/09/2024 | FRANCE | N°23VE00108

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 2ème chambre, 12 septembre 2024, 23VE00108


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... E... A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 16 février 2022 par lequel le préfet d'Eure-et-Loir a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, d'enjoindre à la préfète d'Eure-et-Loir, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de qui

nze jours à compter de la date du jugement à intervenir, sous astreinte d'un montant de 50 euros...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 16 février 2022 par lequel le préfet d'Eure-et-Loir a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, d'enjoindre à la préfète d'Eure-et-Loir, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de quinze jours à compter de la date du jugement à intervenir, sous astreinte d'un montant de 50 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir et sous astreinte d'un montant de 100 euros par jour de retard et en la munissant immédiatement d'une autorisation provisoire de séjour, de condamner l'Etat aux dépens, et enfin de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2200781 du 13 décembre 2022, le tribunal administratif d'Orléans, a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 janvier 2023, Mme B... E... A..., représentée par Me Renda, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'enjoindre, à titre principal, aux services préfectoraux de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

3°) d'enjoindre, à titre subsidiaire, aux services préfectoraux de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, en lui délivrant immédiatement une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation de son conseil du bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

5°) et de condamner l'Etat aux dépens.

Elle soutient que :

- il n'est pas établi que le rapport médical sur la base duquel a été rendu l'avis du collège de médecins concerne bien l'état de santé de sa fille ;

- faute de disposer de ce rapport médical, l'identité du médecin rapporteur ne peut être établie ;

- la réalité de la collégialité de la délibération du collège de médecins ayant rendu un avis sur son état de santé n'est pas établie ;

- la signature de l'un des médecins membre du collège de médecins n'a pas été apposée sur l'avis du 11 octobre 2021 ;

- le préfet s'est cru en situation de compétence liée ;

- la décision portant refus de séjour est entachée d'une erreur d'appréciation dans l'application des dispositions des articles L. 425-9 et L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en raison de l'état de santé de sa fille, qui ne peut pas bénéficier d'une prise en charge médicale effective et appropriée dans son pays d'origine ;

- les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ;

- les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination sont illégales en conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance de titre de séjour sur laquelle elles se fondent

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2023, le préfet d'Eure-et-Loir conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Un mémoire en observation, présenté par l'Office français de l'immigration et de l'intégration, a été enregistré le 5 juillet 2024.

L'Office soutient que l'intéressée ne remplissait pas les conditions pour se voir accorder un titre de séjour.

Mme E... A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Cozic a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... A..., ressortissante tchadienne, née le 11 mai 1986, est entrée sur le territoire français le 5 juillet 2018 sous couvert d'un visa de court séjour. Elle a sollicité le bénéfice de l'asile, qui lui a été refusé par décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 27 novembre 2018. Son recours contre cette décision a été rejeté par une décision de la Cour nationale du droit d'asile n° 19008697 du18 décembre 2019. Elle a présenté le 14 février 2020 une demande de délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant malade. Une autorisation provisoire de séjour lui a été délivrée pour la période du 11 février 2021 au 10 août 2021. Mme E... A... a présenté une nouvelle demande le 27 août 2021 en qualité de parent d'enfant malade. Par un arrêté du 16 février 2022, le préfet d'Eure-et-Loir a refusé de lui délivrer l'autorisation provisoire de séjour sollicitée, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée. Mme E... A... demande à la cour d'annuler, d'une part, le jugement n° 2200781 du 13 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande et, d'autre part, cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté du 16 février 2022 :

2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ". L'article L. 425-10 du même code : " Les parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions prévues à l'article L. 425-9, ou l'étranger titulaire d'un jugement lui ayant conféré l'exercice de l'autorité parentale sur ce mineur, se voient délivrer, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, une autorisation provisoire de séjour d'une durée maximale de six mois. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. (...) Elle est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de l'étranger mineur, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. / Elle est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues à l'article L. 425-9. " Aux termes de l'article R. 425-11 du même code : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'office et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ". Les dispositions de l'article R. 425-12 du même code précisent que : " Le rapport médical mentionné à l'article R. 425-11 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement le demandeur ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre (...). Il transmet son rapport médical au collège de médecins. (...) ". Les dispositions de l'article R. 425-13 du même code prévoient que " Le collège à compétence nationale mentionné à l'article R. 425-12 est composé de trois médecins, il émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du même article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège. / Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. (...) ". Enfin, aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le collège de médecins à compétence nationale de l'office comprend trois médecins instructeurs des demandes des étrangers malades, à l'exclusion de celui qui a établi le rapport. (...) ". Aux termes de l'article 6 du même arrêté : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis (...) / Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. / L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège. ".

3. En premier lieu, en vertu des dispositions citées au point précédent, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dont l'avis est requis préalablement à la décision du préfet relative à la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 425-9, doit émettre son avis dans les conditions fixées par l'arrêté du 27 décembre 2016 cité au point précédent, au vu notamment du rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il appartient au juge administratif de prendre en considération l'avis médical rendu par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Si le demandeur entend contester le sens de cet avis, il appartient à lui seul de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment l'entier dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, en sollicitant sa communication, ainsi que les éléments versés par le demandeur au débat contradictoire.

4. Il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient la requérante, le rapport médical du 29 septembre 2021 sur la base duquel a été rendu l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 11 octobre 2021, est bien relatif à l'état de santé de sa fille, F..., et a bien été établi par le docteur C... D..., du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

5. En deuxième lieu, les dispositions citées au point 2 ont institué une procédure particulière aux termes de laquelle le préfet statue sur la demande de titre de séjour présentée par l'étranger malade au vu de l'avis rendu par trois médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui se prononcent en répondant par l'affirmative ou par la négative aux questions figurant à l'article 6 précité de l'arrêté du 27 décembre 2016, au vu d'un rapport médical relatif à l'état de santé du demandeur établi par un autre médecin de l'Office, lequel peut le convoquer pour l'examiner et faire procéder aux examens estimés nécessaires. Cet avis commun, rendu par trois médecins, au vu du rapport établi par un quatrième médecin, le cas échéant après examen du demandeur, constitue une garantie pour celui-ci. Les médecins signataires de l'avis ne sont pas tenus, pour répondre aux questions posées, de procéder à des échanges entre eux, l'avis résultant de la réponse apportée par chacun à des questions auxquelles la réponse ne peut être qu'affirmative ou négative. Par suite, la circonstance que, dans certains cas, ces réponses n'aient pas fait l'objet de tels échanges, oraux ou écrits, est sans incidence sur la légalité de la décision prise par le préfet au vu de cet avis.

6. En l'espèce, alors que l'avis du collège de médecins du 11 octobre 2021, signé par chacun des trois médecins l'ayant composé, fait mention du délibéré ayant précédé la formulation dudit avis, la circonstance qu'aucune précision ne soit apportée concernant la date et les modalités de la délibération des médecins est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie.

7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier et en particulier des termes de l'arrêté en litige que le préfet d'Eure-et-Loir, conformément aux dispositions de l'article R. 425-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, s'est prononcé au vu de l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 11 octobre 2021, dont il a entendu s'approprier le sens. Le préfet a également procédé à l'examen particulier de la situation de la requérante, notamment au regard de sa situation familiale en France et au Tchad, ainsi que les conditions de son entrée et de son séjour sur le territoire national. Il suit de là que le moyen tiré de ce que le préfet de la Seine-Saint-Denis se serait à tort cru lié par l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et aurait commis une erreur de droit manque en fait et doit être écarté.

8. En quatrième lieu, il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des dispositions des articles L. 425-9 et L. 425-10, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

9. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.

10. Pour refuser la délivrance du titre de séjour sollicité, le préfet d'Eure-et-Loir s'est fondé sur l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, du 11 octobre 2021, indiquant que si l'état de santé de la fille de la requérante nécessite une prise en charge médicale, le défaut de celle-ci ne devrait pas entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, et qu'au vu des éléments du dossier à la date de l'avis, l'état de santé de l'intéressée peut lui permettre de voyager sans risque vers son pays d'origine. Mme E... A... fait valoir que sa fille F... souffre d'un syndrome anxio-dépressif et de séquelles post-traumatiques et que " ses troubles neurologiques, psychiatriques et psychologiques " résultent de l'assassinat de son père, dont elle a été le témoin en juillet 2018. La requérante précise que les pathologies dont souffre sa fille se caractérisent " par de la dépression et des troubles du comportement se manifestant notamment par de l'agressivité, une irritabilité, des angoisses majeures ". Si dans ses écritures Mme E... A... souligne, de manière générale, les possibles conséquences d'une dépression, au regard notamment de ses multiples retentissements sur la santé somatique et le risque suicidaire, les pièces qu'elle verse au dossier n'établissent nullement que l'état de santé de sa fille atteint un tel degré de gravité. La requérante communique en particulier un certificat médical, établi par un médecin généraliste le 26 février 2022 indiquant que l'enfant présente un " état de stress post-traumatique (...) nécessitant une prise en charge psychothérapique, actuellement en cours (...) avec un risque d'évolution vers une chronicisation de ses symptômes ". Elle communique également un autre rapport médical établi par le même médecin le 3 février 2022 faisant état des mêmes pathologies, en précisant, à titre de " signes cliniques invalidants " que l'enfant présente des troubles de sommeil permanents et est sujette à de régulières crises d'angoisse, plus de quinze jours par mois, et qu'elle présente une " labilité émotionnelle et thymique ". Ce même rapport médical ne dresse aucune perspective d'évolution globale, tout en précisant que l'intéressée bénéficie d'un suivi médical spécialisé dans un centre médico-psychologique et dans un dispositif d'accompagnement médico-éducatif (DAME). Si dans sa requête, Mme E... A... soutient que sa fille souffre de dépression, aucune des pièces versées au dossier ne corrobore cette assertion, ni ne précise le degré de gravité de cette pathologie. Les seuls éléments précités, au regard des termes dans lesquels ils sont rédigés, ne sauraient suffire à remettre en cause l'avis rendu par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et l'appréciation portée par l'administration. Est alors sans incidence la circonstance, à la supposer même établie, que la fille de la requérante ne pourrait pas bénéficier d'une prise en charge médicale effective et appropriée dans son pays d'origine. En conséquence, l'arrêté attaqué par lequel le préfet d'Eure-et-Loir a refusé à Mme E... A... la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour sur le fondement de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'a pas méconnu ces dispositions.

11. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

12. Mme E... A..., entrée sur le territoire français le 5 juillet 2018, ne justifie pas d'une durée de présence en France particulièrement importante à la date de l'arrêté en litige. Elle ne se prévaut par ailleurs d'aucune attache personnelle ou familiale en France à l'exception de ses enfants mineurs, ni n'allègue être dépourvue d'attaches personnelles ou familiales dans son pays d'origine, où résident notamment son époux et ses parents, selon les termes non contestés de l'arrêté attaqué. Elle ne se prévaut pas davantage d'une quelconque forme d'intégration à la société française, hormis l'exercice d'une activité professionnelle, dont elle ne justifie que pour une courte période, entre août et octobre 2021. Ainsi, l'arrêté par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de délivrer à Mme E... A... une autorisation provisoire de séjour n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Cette décision n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

13. En sixième lieu, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

14. Le moyen tiré de ce que le préfet d'Eure-et-Loir aurait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison des risques auxquels la fille de Mme E... A... serait exposée en cas de retour dans son pays d'origine est inopérant à l'encontre des décisions de refus de titre de séjour et d'obligation de quitter le territoire qui, par elles-mêmes, n'ont ni pour objet, ni pour effet, de contraindre l'intéressée à retourner dans son pays d'origine. Si ce moyen est également dirigé contre la décision fixant le pays de renvoi, il ne ressort pas des pièces du dossier, ainsi qu'il a été relevé au point 10 du présent arrêt, que le défaut de prise en charge médicale risquerait d'entraîner pour la fille de la requérante des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Enfin, si Mme E... A... fait état de " risques d'enlèvement par des terroristes " au Tchad ou encore d' " attaques de coupeurs de route ", alors que sa demande d'asile a été rejetée, elle n'apporte à l'appui de ces allégations, peu précises, aucun élément déterminant permettant de les tenir pour établies. Ce faisant la requérante n'établit pas le caractère actuel et personnel des risques qu'elle encourrait en cas de retour dans son pays d'origine. Le moyen tiré de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit par suite être écarté.

15. En dernier lieu, compte tenu des éléments mentionnés précédemment, en réponse aux moyens dirigés contre la décision de refus de séjour, le moyen tiré de ce que les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination seraient illégales en conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance de titre de séjour sur laquelle elles se fondent, doit être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 février 2022 par lequel le préfet d'Eure-et-Loir a refusé de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

17. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fins d'annulation, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions susvisées doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant au remboursement des dépens :

18. Aucun dépens n'ayant été exposé dans la présente instance, les conclusions tendant à en obtenir le remboursement ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :

19. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme de 2 000 euros que Me Renda, avocat de Mme E... A..., demande sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 au titre des frais qu'elle aurait exposés si elle n'avait pas bénéficié de l'aide juridictionnelle.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... E... A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... A..., à Me Renda, à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet d'Eure-et-Loir.

Délibéré après l'audience du 5 septembre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Even, président,

Mme Aventino, première conseillère,

M. Cozic, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 septembre 2024

Le rapporteur,

H. COZICLe président,

B. EVEN

La greffière,

I. SZYMANSKI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 23VE00108


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE00108
Date de la décision : 12/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Hervé COZIC
Rapporteur public ?: M. FREMONT
Avocat(s) : MERY - RENDA - KARM - GENIQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-12;23ve00108 ?
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