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12/07/2024 | FRANCE | N°22VE02792

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 2ème chambre, 12 juillet 2024, 22VE02792


Vu la procédure suivante :



Par une requête et cinq mémoires enregistrés respectivement les 13 décembre 2022, 22 février 2024, 15 avril 2024, 26 avril 2024, 31 mai 2024 et 28 juin 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société d'Exploitation Eolienne de Chaiseau, représentée par Me Balmette, avocat, demande à la Cour :



1°) d'annuler l'arrêté de la préfète d'Indre-et-Loire n° SAIPP/BE/n°21129 du 18 juillet 2022 refusant de lui accorder une autorisation environnementale pour la construction du parc éolien de Chaiseau compo

sé de 7 aérogénérateurs sur les communes de Charnizay et du Petit-Pressigny, et la décision d...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et cinq mémoires enregistrés respectivement les 13 décembre 2022, 22 février 2024, 15 avril 2024, 26 avril 2024, 31 mai 2024 et 28 juin 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société d'Exploitation Eolienne de Chaiseau, représentée par Me Balmette, avocat, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'arrêté de la préfète d'Indre-et-Loire n° SAIPP/BE/n°21129 du 18 juillet 2022 refusant de lui accorder une autorisation environnementale pour la construction du parc éolien de Chaiseau composé de 7 aérogénérateurs sur les communes de Charnizay et du Petit-Pressigny, et la décision du 14 octobre 2022 rejetant le recours gracieux qu'elle a formé à l'encontre de cet arrêté ;

2°) à titre principal, d'accorder cette autorisation environnementale, en l'assortissant, le cas échéant, des prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ;

3°) ou à titre subsidiaire, d'enjoindre à la préfète d'Indre-et-Loire de fixer ces prescriptions, dans un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt à venir, sous astreinte de 500 (cinq cents) euros par jour de retard ;

4°) et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5.000 (cinq mille) euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les décisions attaquées sont entachées d'une insuffisance de motivation ;

- l'arrêté attaqué est fondé sur des motifs erronés ;

- les motifs de refus de l'autorisation environnementale, tirés de ce que le dossier ne démontrerait pas l'absence d'atteinte à la biodiversité, en particulier à l'avifaune, eu égard à une insuffisante analyse des variantes d'implantation, à la sensibilité du secteur et aux effets du projet, sont erronés ;

- compte tenu de la sensibilité limitée de la cigogne noire à l'éolien et de la faible attractivité du site d'implantation du projet, aucun risque d'atteinte à cette espèce ne peut être caractérisé.

Par trois mémoires en intervention volontaire, enregistrés les 25 juin 2023, 10 mai 2024 et 19 juin 2024, l'association pour la protection de l'environnement Pressignois et l'association pour la défense de l'environnement Charnizéen et des territoires environnants, ont demandé à la Cour d'admettre leur intervention et de rejeter la requête.

Elles soutiennent que :

- elles ont intérêt à intervenir ;

- les moyens invoqués sont infondés.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 22 février 2024 et le 2 avril 2024, le préfet d'Indre-et-Loire a conclu au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage ;

- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 19 février 2007 du ministre de l'agriculture et de la pêche et de la ministre de l'écologie et du développement durable fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées ;

- l'arrêté du 23 avril 2007 du ministre de l'agriculture et de la pêche et de la ministre de l'écologie et du développement durable, fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- l'arrêté du 29 octobre 2009 du ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, et du ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- l'arrêté du 8 janvier 2021 fixant la liste des amphibiens et des reptiles représentés sur le territoire métropolitain protégés sur l'ensemble du territoire national et les modalités de leur protection ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Even, président de chambre,

- les conclusions de M. Frémont, rapporteur public,

- et les observations de Me Balmette représentant la société d'Exploitation Eolienne de Chaiseau, de M. A... représentant le préfet d'Indre-et-Loire et de Me Catry représentant l'association pour la protection de l'environnement Pressignois et l'association pour la défense de l'environnement Charnizéen et des territoires environnants.

Une note en délibéré présentée pour l'association pour la protection de l'environnement Pressignois et l'association pour la défense de l'environnement Charnizéen et des territoires environnants a été enregistrée le 4 juillet 2024.

Une note en délibéré présentée pour la société d'Exploitation Eolienne de Chaiseau a été enregistrée le 9 juillet 2024.

Considérant ce qui suit :

1. La société d'Exploitation Eolienne de Chaiseau a présenté une demande d'autorisation d'exploiter un parc éolien composé de 7 aérogénérateurs sur le territoire des communes de Charnizay et du Petit-Pressigny. La préfète d'Indre-et-Loire a, par un arrêté du 18 juillet 2022, refusé de délivrer cette autorisation. Cette société demande à la cour d'annuler cet arrêté.

Sur la recevabilité des interventions :

2. Aux termes de l'article R. 181-50 du code de l'environnement, les autorisations environnementales peuvent être déférées à la juridiction administrative " par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3 ". L'article L. 511-1 du même code, auquel renvoie l'article L. 181-3, vise les dangers et inconvénients " soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ". Ces dangers s'apprécient notamment en fonction de la situation des tiers au projet et de la configuration des lieux. Est recevable à former une intervention, devant le juge du fond toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige.

3. Il ressort de l'objet social et géographique de l'association pour la protection de l'environnement Pressignois et de l'association pour la défense de l'environnement Charnizéen et des territoires environnants précisé au dossier qu'il leur donne intérêt à intervenir pour maintenir l'arrêté attaqué. Dès lors, ces interventions sont recevables.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne la motivation de cette décision :

4. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ". L'article L. 211-5 du même code dispose : " La motivation exigée (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".

5. L'arrêté attaqué vise les textes dont il fait application et énonce les considérations de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'existence d'une insuffisance de motivation doit être écarté.

En ce qui concerne l'allégation d'erreur dans l'appréciation des atteintes aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement :

6. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle (...) d'animaux de ces espèces (...). " Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'État détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : / (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : / (...) / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ". D'autre part, aux termes de l'article L. 181-1 du code de l'environnement, créé par l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale : " L'autorisation environnementale, dont le régime est organisé par les dispositions du présent livre ainsi que par les autres dispositions législatives dans les conditions fixées par le présent titre, est applicable aux activités, installations, ouvrages et travaux suivants, lorsqu'ils ne présentent pas un caractère temporaire : / (...) / 2° Installations classées pour la protection de l'environnement mentionnées à l'article L. 512-1. / (...). " En vertu du I de l'article L. 181-2 du même code, créé par la même ordonnance, " l'autorisation environnementale tient lieu, y compris pour l'application des autres législations, des autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments suivants, lorsque le projet d'activités, installations, ouvrages et travaux relevant de l'article L. 181-1 y est soumis ou les nécessite : / (...) / 5° Dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats en application du 4° de l'article L. 411-2 ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement dans sa version applicable à la date de la décision attaquée : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. (...) II. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également : / (...) 4° Le respect des conditions, fixées au 4° de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code dans sa version applicable : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique.(...) ". Aux termes de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des (...) ouvrages à édifier (...), sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ".

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment des multiples études versées au dossier par les parties, que le site d'implantation du projet contesté, situé sur les communes de Charnizay et du Petit-Pressigny, est localisé entre les deux secteurs d'étangs de la Houssaye et du Chaiseau, et entre les forêts de Sainte-Jullite et de Preuilly, près de zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) et de zones Natura 2000 avec la présence de cours d'eau et de zones humides qui sont des secteurs favorables pour l'alimentation, la nidification et la reproduction des oiseaux. Il ressort notamment du document daté du 6 juin 2023 établi par le président du groupe régional de la cigogne noire du centre (GRCN) que les cours d'eau de l'Aigronne et de la Muanne constituent des zones de gagnage potentielle. La circonstance alléguée par le pétitionnaire que le site du projet étant environné par des grandes cultures ne constituerait pas lui-même un milieu favorable à la reproduction ou l'alimentation de la cigogne noire, ne fait pas obstacle à la possibilité de survols, d'autant que plusieurs des 7 éoliennes sont positionnées près de haies, de boisements et de zones humides. Il en résulte que ce site présente une sensibilité particulière au plan écologique et ornithologique.

8. En second lieu, la présence du nid d'un couple de cigognes noires à proximité du site d'implantation du projet, qui n'était pas mentionnée au stade du dossier de demande d'autorisation, est désormais avérée en forêt de Preuilly à environ 6 km au nord du projet contesté, par un rapport de l'office français de la biodiversité (OFB) daté du 13 décembre 2022, confortée par l'analyse produite par le pétitionnaire réalisée par le bureau d'étude Caldiris en février 2024, établie sur la base d'un suivi de terrain durant plusieurs mois en 2023.

9. En troisième lieu, des études générales révèlent que la cigogne noire a la capacité de rejoindre des zones de gagnages sur un rayon de 20 kilomètres autour de son nid. Si le pétitionnaire affirme au vu des études qu'il produit que le corridor de passage des cigognes noires vers les zones de nourrissage potentielles identifiées, situées entre les forêts de Preuilly et de Sainte-Jullite, passerait à l'Est de la zone d'implantation du projet, il est néanmoins situé à proximité immédiate notamment de l'éolienne située la plus à l'Est. S'il ressort de l'étude versée au dossier par le pétitionnaire réalisée dans le cadre d'une tierce expertise que la tendance prioritaire des déplacements de la cigogne est de se déplacer vers la partie Nord et Est du nid, vers le réseau dense de cours d'eau et d'étangs situé au Nord de la forêt de Sainte-Julitte, à savoir vers les bassins versants du Brignon et du Rémillon, qui coulent d'Est en Ouest et passent au Nord de cette forêt, il n'en demeure pas moins que ces mêmes études n'excluent pas explicitement totalement des survols vers le site d'implantation des éoliennes contestées. La circonstance que de nombreuses détections ont été observées sur une zone de gagnage constituée d'étangs située à 1,9 kilomètres au Nord et à l'Est du nid situé dans la forêt de Sainte-Julitte, ne permet pas d'affirmer que ces cigognes ne sont pas susceptibles d'aller dans d'autres directions notamment vers le Sud-Est où se situe la zone d'implantation du projet et où il existe également des zones humides. L'affirmation du pétitionnaire selon laquelle les cigognes noires se déplaceraient exclusivement au Nord et Nord-Est de son nid, c'est-à-dire dans la direction opposée au projet, n'est donc pas établie, et l'argument selon lequel le projet contesté n'induit potentiellement aucune perturbation ni risque de collision pour la cigogne noire ne peut être donc accueilli. La possibilité de fréquentation du site d'implantation du projet par la cigogne noire peut être considérée comme réelle, actuelle et régulière.

10. En quatrième lieu, eu égard à son état de conservation, la cigogne noire est une espèce protégée classée en danger d'extinction, mentionnée par l'annexe I de la directive " oiseaux " et par les annexes II et IV de la directive européenne " Habitat-Faune-Flore ". Si le pétitionnaire affirme que l'Allemagne aurait retiré la cigogne noire de la liste des espèces d'oiseaux nicheurs menacés par la proximité des éoliennes en 2022, elle demeure protégée en France par l'article 2 de l'arrêté ministériel du 23 avril 2007 et l'article 3 de l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection, et est classée " danger critique " sur la liste des oiseaux nicheurs de la région Centre-Val de Loire. Ses effectifs recensés en France, estimés entre 60 à 80 couples dont seulement 5 en Centre-Val de Loire, sont faibles. L'affirmation de la société selon laquelle la population de la cigogne noire serait en croissance constante en Europe et aussi en France n'est pas établie. Si l'article L. 411-2 du code de l'environnement admet la délivrance de dérogations à l'interdiction de destruction des individus, sous réserve du " maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ", ce principe ne s'applique donc pas à l'égard des espèces qui sont particulièrement menacées. L'enjeu très fort de conservation qui existe à l'égard des cigognes noires ne permet la destruction d'aucun individu. Et la possibilité de dérogations au principe d'interdiction n'a donc pas lieu d'être analysée.

11. En cinquième lieu, si des guides régionaux élaborés par les Länder allemands concernant la protection des espèces recensent des exemples de nidification réussie de cigogne noire à proximité de parcs éoliens en Allemagne, et n'identifient un risque de perturbation important de la cigogne noire que dans un rayon de 1000 mètres autour du nid, et préconisent, lorsqu'un projet éolien est situé à une distance inférieure, une analyse des risques au cas par cas, cette approche demeure isolée. L'affirmation de la société selon laquelle des études récentes allemandes indiqueraient que la cigogne noire dispose d'une excellente capacité de perception et de contournement ou d'évitement à courte distance des éoliennes n'est pas établie. Enfin, si le pétitionnaire se réfère à un modèle mathématique " de Band " qui établirait un taux d'évitement des éoliennes par la cigogne noire de 99 %, ceci ne constitue pas une démonstration scientifique.

12. En sixième lieu, il ressort d'une des études écologiques versées au dossier par le pétitionnaire lui-même que la phase de travaux génère un risque de dérangement ou de destruction modéré à fort pour six espèces nicheuses, qui serait limité à la période de reproduction et de nidification. Cette même étude estimant qu'en période d'exploitation, il existe des risques de collision, de dérangement, de perte d'habitat et d'effet barrière qualifiées de négligeables à faibles pour l'ensemble des espèces ornithologiques, ces risques ne sont donc pas nuls. De même, si le pétitionnaire affirme que des statistiques européennes notamment allemandes ne révèlent qu'un nombre très faible de collisions avec des éoliennes recensées en Europe depuis 2002, surtout en Espagne, il n'en demeure pas moins que ce risque n'est pas nul. Il qualifie d'ailleurs le risque de mortalité ou de dérangement pour les cigognes noires par les éoliennes de " très limité ou résiduel ", et reconnait donc qu'il existe. Contrairement à ce qu'affirme le pétitionnaire, face à une espèce migratrice menacée, une action au niveau régional et local est pertinente pour préserver l'enjeu de conservation. Et la circonstance que les spécimens identifiés dans le secteur seraient pour l'essentiel des individus en migration transitant par le territoire français dans leur déplacement entre l'Europe du nord et l'Espagne, ne permet pas de les exclure au motif qu'ils ne pourraient être rattachés à la population du Centre-Val de Loire ou de France métropolitaine.

13. En septième lieu, le pétitionnaire a progressivement renforcé la liste des mesures ERC prévues au cours du débat contradictoire, dont les effets sont détaillés dans les pièces du dossier, sans qu'il soit possible d'identifier clairement celles qu'il a vraiment décidées de mettre en œuvre ou simplement mentionnées comme possibles. S'agissant des mesures d'évitement, le pétitionnaire fait observer à cet égard qu'il est prévu de maintenir une végétation rase aux pieds des éoliennes pour réduire la fréquentation du site, d'adapter le calendrier des travaux afin d'éviter tout dérangement de l'avifaune nicheuse pendant la période de nidification et de reproduction de la cigogne noire, en excluant le démarrage des opérations de terrassement entre le 1er avril et le 31 juillet. Le chantier sera également suivi par un expert écologue, dont un passage est prévu une semaine avant le début du chantier, pour vérifier l'absence de nids. Le pétitionnaire relève que rien n'exclurait la mise en œuvre d'un système de bridage ou d'arrêt des éoliennes, de 1 heure après le lever du soleil à 1 heure avant le coucher du soleil, pendant toute la période de reproduction. Et cette période d'arrêt pourrait être ajustée en fonction des observations réalisées par des écologues chargés de la surveillance du site, notamment en cas d'abandon du nid sur l'année concernée ou à travers un algorithme de détection. Le parc éolien pourrait être arrêté globalement en journée de début mars à fin juillet pendant la période de nidification. Il serait aussi possible d'installer un nouveau modèle d'éoliennes permettant de déclencher un arrêt d'urgence en cas de détection d'oiseaux à proximité. Le pétitionnaire mentionne également un suivi pour s'assurer de la pertinence des mesures d'évitement et de réduction proposées tout au long de l'exploitation, ainsi que des mesures indirectes consistant à améliorer l'attractivité des zones d'alimentation situées loin du projet au nord de la forêt de Sainte-Julitte en restaurant des mares forestières et prairiales, participer à un programme de baguage à l'échelle locale en coordination avec le réseau national cigogne noire, et participer financièrement à des programmes d'étude et de suivi de l'espèce.

14. Cependant, si le pétitionnaire affirme, d'ailleurs sans le démontrer, qu'après application des mesures ERC possibles, les impacts résiduels du projet sur l'avifaune peuvent être considérés comme non significatifs, que ce soit en phase de travaux ou en phase d'exploitation, il reconnait ainsi que ce risque n'est pas nul. Il n'est donc pas établi que la mise en œuvre de ces mesures ERC ferait totalement disparaitre les risques à l'égard des cigognes noires, en particulier la fiabilité du système de détection évoqué par le bureau d'étude Calidris qui entrainerait un arrêt automatique d'urgence dès lors qu'une cigogne noire passe à proximité immédiate, dont l'efficacité n'est pas démontrée. Et en l'état du dossier, la circonstance que les mesures ERC prévues pourraient être adaptées et complétées en cours d'exploitation, en fonction des résultats des suivis environnementaux, ne permet pas d'établir que le risque induit par le projet à l'égard des cigognes noires serait nul.

15. En huitième lieu, une autorisation d'exploiter ne peut être refusée sur le fondement de l'article L. 181-3 du code de l'environnement, que si les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du même code, et notamment la protection de la nature et de l'environnement, ne peuvent être préservés par des prescriptions particulières, des mesures d'évitement et de réduction, qu'il appartient au préfet d'édicter. L'autorisation environnementale peut, conformément aux article L. 181-12 et R. 181-43 du code de l'environnement, être assortie des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts protégés par le code de l'environnement. Des mesures additionnelles peuvent également être imposées par arrêté préfectoral complémentaire à tout moment au cours du fonctionnement du parc éolien, en application des articles L. 181-14 et R. 181-45 du même code. Et il est possible d'adapter et de compléter ces mesures au cours de l'exploitation du projet, en fonction des résultats des suivis environnementaux.

16. Cependant, en l'espèce, la simple énumération par le pétitionnaire d'une longue liste de mesures complémentaires qui pourraient être mises en œuvre, à son initiative ou sur prescription du préfet, ne suffit pas à faire disparaitre l'existence du risque induit par le projet pour les cigognes noires, d'autant que l'efficacité de la plupart d'entre elles n'est pas avérée ou demeure purement théorique. C'est notamment le cas de la mise en place d'un système de détection et d'arrêt d'urgence des éoliennes dont l'efficacité n'est pas avérée, tandis que le renforcement du système de détection par la présence continue d'observateurs pendant la période de reproduction constitue un dispositif purement théorique qui n'a jamais été mis en œuvre. Il ne ressort pas des pièces du dossier, que de telles prescriptions complémentaires susceptibles d'être imposées par le préfet seraient en l'espèce susceptibles de faire disparaitre le risque induit par le projet contesté sur les cigognes noires.

17. Enfin, les décisions juridictionnelles prises en matière d'autorisation environnementale afférentes aux éoliennes relevant conformément à l'article L. 181-17 du code de l'environnement d'un contentieux de pleine juridiction, le juge administratif a effectivement le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation classée pour la protection de l'environnement en l'assortissant le cas échéant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée et d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions. Cependant, il ne résulte pas de l'instruction qu'en l'espèce de telles conditions permettraient de faire disparaitre les risques induits par le projet contesté à l'égard des cigognes noires.

18. Il résulte de tout ce qui précède que, dans la mesure où le parc éolien projeté ferait peser sur la conservation de la population de cigognes noires nichant à proximité un danger sur l'exigence de conservation de cette espèce, qui ne peut être totalement prévenu par des mesures ERC, ce motif de refus de l'autorisation n'est pas entaché d'une erreur d'appréciation.

19. A supposer que la préfète d'Indre-et-Loire ait commis des erreurs dans l'appréciation des autres atteintes aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, ces éléments sont sans influence sur la légalité de la décision attaquée dès lors qu'il résulte de l'instruction qu'elle aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur les atteintes existantes à l'égard des cigognes noires, ce qui justifie à elles-seules le rejet de la requête, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens invoqués.

20. Les conclusions à fin d'annulation du refus contesté doivent donc être rejetées, et par voie de conséquence celles à fin d'injonction sous astreinte et celles afférentes aux frais de justice fondées sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Les interventions sont admises.

Article 2 : La requête de la société d'Exploitation Eolienne de Chaiseau est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'Exploitation Eolienne de Chaiseau, au préfet d'Indre-et-Loire, à l'association pour la protection de l'environnement Pressignois, à l'association pour la défense de l'environnement Charnizéen et des territoires environnants, et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 4 juillet 2024, à laquelle siégeaient :

M. Even, premier vice-président de la Cour, président de chambre,

Mme Aventino, première conseillère,

M. Cozic, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.

Le président-rapporteur,

B. Even

L'assesseure la plus ancienne,

B. Aventino

La greffière,

I. Szymanski

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 22VE02792


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE02792
Date de la décision : 12/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Energie.

Nature et environnement - Installations classées pour la protection de l'environnement - Régime juridique - Actes affectant le régime juridique des installations - Première mise en service.

Nature et environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Bernard EVEN
Rapporteur public ?: M. FREMONT
Avocat(s) : AARPI RAVETTO ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-12;22ve02792 ?
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