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11/07/2024 | FRANCE | N°22VE01853

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 6ème chambre, 11 juillet 2024, 22VE01853


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société La Poste a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision implicite de l'inspectrice du travail en date du 5 juin 2018 refusant d'autoriser le licenciement de M. C... B... et la décision implicite de la ministre du travail en date du 3 décembre 2018 rejetant son recours hiérarchique.



Par un jugement n° 1901270, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit à cette demande.



Procédure

devant la cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 juillet 2022 et le 17 juillet 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société La Poste a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision implicite de l'inspectrice du travail en date du 5 juin 2018 refusant d'autoriser le licenciement de M. C... B... et la décision implicite de la ministre du travail en date du 3 décembre 2018 rejetant son recours hiérarchique.

Par un jugement n° 1901270, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 juillet 2022 et le 17 juillet 2023, M. C... B..., représenté par Me Fages, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la requête de la société La Poste présentée devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

3°) de condamner la société La Poste à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier, a commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation ;

- la présence de M. B... dans les différents locaux de La Poste n'était pas constitutive d'une " intrusion " fautive qui aurait porté atteinte au bon fonctionnement et à la sécurité des services, méconnaissant notamment l'article 8 du règlement intérieur de La Poste, dès lors que les représentants syndicaux disposent d'une liberté de circulation en vertu de l'article L. 2143-20 du code du travail leur permettant d'avoir accès à tous les lieux de travail pour remplir leurs fonctions, tout particulièrement en temps de grève pour pouvoir rencontrer et informer les agents et que le décret n° 82-447 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique, tel qu'interprété par La Poste, n'est pas compatible avec les conventions nos 87 et 135 de l'Organisation internationale du travail (OIT) ; d'autre part, l'article 8 du règlement intérieur de La Poste, qui n'a pas été soumis au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), n'a pas vocation à réglementer le droit de grève et à s'appliquer aux représentants syndicaux et du personnel ; en outre, le président du tribunal de grande instance de Nanterre a expressément autorisé par ordonnance du 31 janvier 2014 les représentants syndicaux et du personnel à rester dans les lieux, en raison de leurs fonctions syndicales ; la démonstration de l'atteinte au bon fonctionnement et à la sécurité des services n'est pas rapportée ;

- il n'est pas démontré que M. B... aurait été meneur de la contestation, violent ou aurait détérioré du matériel ; La Poste a produit un certain nombre de constats d'huissier sur lesquels la présence de M. B... n'est pas rapportée ; les griefs de non-respect des consignes de sécurité et d'occupation illicite des lieux ne sont pas davantage établis par les pièces du dossier, les grévistes et leurs représentants étant présents pour obtenir des audiences, la direction ne répondant pas à leurs demandes ; M. B... conteste par ailleurs formellement le moindre écart de langage ; la perturbation du service le 14 mars 2014, si tant est qu'elle soit avérée, n'est pas imputable à l'agent ;

- les faits du 13 février 2014 ne sauraient fonder le licenciement dès lors qu'ils n'ont pas été évoqués lors de la procédure préalable ; au demeurant, les faits reprochés au requérant ne sont pas davantage établis, les différents documents produits ne mentionnant pas M. B..., à l'exception d'un second constat d'huissier réalisé postérieurement à la procédure disciplinaire et à l'établissement d'un premier constat, sous les indications de Mme A..., directrice de la sûreté ;

- les faits du 20 février 2014 tels que décrits par le procès-verbal de la commission consultative paritaire (CCP) sont contredits par le constat d'huissier de Me Castalan, tiré d'une vidéo du 20 février ; le second constat réalisé le 17 avril 2014 est par ailleurs dénué de force probante compte tenu de ses conditions d'édiction ;

- les seuls faits établis ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;

- la demande d'autorisation de licenciement est en lien avec le mandat exercé par M. B....

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 30 mars et 25 août 2023, la société anonyme (SA) La Poste, représentée par Me Bellanger, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée le 17 janvier 2023 à la ministre du travail, qui n'a pas produit d'observations.

Par ordonnance du président de la 6ème chambre du 30 août 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

- le décret n° 82-447 du 28 mai 1982 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florent,

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,

- et les observations de Me Blanleuil, substituant Me Fages, pour M. B..., et de Me Bellanger, pour la société La Poste.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 6 juin 2014, reçu le 11 juin suivant, la société La Poste a sollicité l'autorisation de licencier, pour motif disciplinaire, M. B..., facteur au centre courrier d'Asnières-sur-Seine et ayant la qualité de représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Par une décision du 8 août 2014, l'inspectrice du travail a refusé d'accorder l'autorisation sollicitée, refus confirmé par une décision implicite du ministre du travail née le 9 février 2015. Par un jugement du 5 avril 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé ces deux décisions. L'inspectrice du travail, à nouveau saisie par l'effet de l'annulation de la demande de licenciement de M. B..., lequel avait désormais les qualités de membre du comité technique local et membre de la commission consultative paritaire locale, a implicitement rejeté cette demande. Cette décision a été motivée le 10 juillet 2018. Par un courrier du 2 août 2018, reçu le 3 août suivant, la société La Poste a présenté un recours hiérarchique à l'encontre de cette décision, implicitement rejeté par la ministre du travail le 3 décembre 2018. Par un jugement du 30 mai 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a de nouveau annulé ces décisions. Par la présente requête, M. B... relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. M. B... ne peut donc utilement se prévaloir de l'erreur de droit ou d'appréciation des faits, ni d'une dénaturation des pièces du dossier qu'auraient commises les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, notamment, dans le cas de faits survenus à l'occasion d'une grève, des dispositions de l'article L. 2511-1 du code du travail aux termes duquel " l'exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié " et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a, de façon répétée et sans y avoir été autorisé, pénétré et occupé avec d'autres grévistes différents locaux de La Poste les 13, 19 et 20 février, ainsi que les 5, 13, 14, 17 et 24 mars 2014 en vue d'obtenir des rendez-vous de négociation avec la direction ou de s'adresser aux personnels non-grévistes. Si certaines de ces intrusions se sont déroulées dans le calme et qu'il ne peut être considéré que l'action des grévistes ait porté atteinte à la liberté de travail des salariés de l'entreprise, il ressort des pièces du dossier que les 13 et 20 février 2014, M. B... a eu avec d'autres représentants syndicaux un comportement violent en forçant l'accès au bâtiment du siège social de la société, afin de permettre l'intrusion de nombreux manifestants dans les locaux et leur occupation. Si les faits s'étant déroulés le 13 février 2014 n'ont pas été portés à la connaissance du salarié lors de son entretien préalable, ni même lors de la commission consultative paritaire siégeant en conseil de discipline et ne sauraient par suite fonder le licenciement de M. B..., les faits du 20 février 2014 ont en revanche été portés à sa connaissance et sont établis. Il ressort ainsi des constats d'huissier réalisés à partir des vidéo-surveillances du site qu'à cette date, M. B... a, avec d'autres grévistes, pénétré par la ruse et la force au siège fermé de La Poste, en escaladant un grillage, en se faisant passer pour un agent du site puis en bousculant et repoussant avec brutalité les agents de sécurité qui tentaient de faire barrage. Il apparaît également qu'à cette date, M. B... a participé à la dégradation de matériels en donnant l'ordre aux manifestants de forcer un volet de sécurité.

5. Si ainsi que le fait valoir M. B..., les faits litigieux ne sauraient être qualifiés de fautifs au regard de l'article 8 du règlement intérieur de La Poste qui prévoit que les personnels sont tenus de respecter les règles et consignes relatives à l'accès et à la circulation des personnes dans ses établissements, dès lors que ce règlement n'a pas vocation à régir l'action des représentants syndicaux, les dispositions du décret n° 82-447 du 28 mai 1982 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique, régissant la représentation individuelle et collective du personnel de la Poste, ne sauraient permettre de regarder comme relevant de l'exercice normal d'un mandat ou d'une fonction syndicale la pénétration dans les locaux de l'employeur dans n'importe quelle condition, encore moins avec violence et dégradation volontaire des biens de l'entreprise.

6. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré qu'eu égard au caractère répété de ces intrusions, qui ont nécessité l'intervention le 4 mars 2014 d'une ordonnance du tribunal de grande instance de Nanterre intimant aux représentants syndicaux de respecter les règles d'accès et de sécurité des établissements de La Poste et leur interdisant d'y introduire des personnes étrangères, ainsi qu'au rôle actif joué par M. B... dans les violences et dégradations constatées le 20 février 2014, ces faits de la part d'un salarié protégé dont est attendue une action modératrice dans les conflits sociaux, constituaient à eux seuls un comportement fautif d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de l'intéressé.

7. A supposer enfin le moyen soulevé, il ne ressort pas des pièces du dossier que le licenciement de M. B... serait en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou son appartenance syndicale.

8. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé les décisions de l'inspectrice du travail et de la ministre du travail refusant d'autoriser son licenciement.

9. Dans les circonstances de l'espèce, par ailleurs, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées par M. B... ainsi que par la société La Poste sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La demande présentée par la société La Poste au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à la société La Poste et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Pilven, président assesseur,

Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2024.

La rapporteure,

J. FLORENTLe président,

P.-L. ALBERTINILa greffière,

S. DIABOUGA

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 22VE01853


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE01853
Date de la décision : 11/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: Mme Julie FLORENT
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : SELARL HMS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-11;22ve01853 ?
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