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18/06/2024 | FRANCE | N°22VE00378

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 4ème chambre, 18 juin 2024, 22VE00378


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme H... C... née E... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 12 février 2020 par laquelle la préfète du Loiret a rejeté sa demande de regroupement familial au bénéfice de ses deux enfants mineurs, A... et B... G....



Par un jugement n° 2001338 du 16 décembre 2021, le tribunal administratif d'Orléans a annulé cette décision et a enjoint à la préfète du Loiret d'admettre au séjour, au titre du regroupement familial,

les enfants A... et B... G..., dans un délai de deux mois.



Procédure devant la cour :



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... C... née E... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 12 février 2020 par laquelle la préfète du Loiret a rejeté sa demande de regroupement familial au bénéfice de ses deux enfants mineurs, A... et B... G....

Par un jugement n° 2001338 du 16 décembre 2021, le tribunal administratif d'Orléans a annulé cette décision et a enjoint à la préfète du Loiret d'admettre au séjour, au titre du regroupement familial, les enfants A... et B... G..., dans un délai de deux mois.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 février 2022, la préfète du Loiret, représentée par Me Hervois, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif d'Orléans.

Elle soutient que :

- le lien de filiation entre Mme C... et les enfants A... et B... n'est pas établi ;

- la décision attaquée a été signée par une autorité compétente ;

- la décision attaquée ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision attaquée ne méconnaît pas l'article 3-1 de la Convention de New-York relative aux droits de l'enfant.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 20 avril 2022 et le 10 janvier 2024, Mme C..., représentée par Me Goudeau, avocate, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint à la préfète du Loiret de faire droit à sa demande de regroupement familial dans les trente jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard et en conséquence, de faire autoriser l'entrée en France des enfants A... et B..., et à ce que soit mise à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la préfète du Loiret ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le décret n° 2000-1370 du 10 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Pham a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme H... E... épouse C..., ressortissante malgache, est entrée en France le 1er mai 2017. Détentrice d'une carte de séjour pluriannuelle valable jusqu'au 4 avril 2020, elle a déposé le 10 janvier 2019 une demande de regroupement familial pour ses deux enfants mineurs, A... et B... G.... En l'absence de réponse, Mme C... a formé un recours gracieux réceptionné le 30 juillet 2019. Ce recours étant lui-même resté sans réponse, elle a saisi la préfecture du Loiret d'une demande de communication des motifs de la décision implicite de rejet de sa demande par courrier du 13 janvier 2020. Par courrier du 12 février 2020, la préfète du Loiret a expressément refusé sa demande de regroupement familial au motif que le lien de filiation avec les enfants A... et B... n'était pas établi. Sur demande de Mme C..., et par un jugement n° 2001338 du 16 décembre 2021, le tribunal administratif d'Orléans a annulé cette dernière décision. La préfète du Loiret relève régulièrement appel de ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 411-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Aux termes de l'article L. 411-3 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ". Selon les termes de l'article L. 314-11 du CESEDA, auquel renvoie l'article

L. 411-4 du même code, l'enfant visé par ces dispositions s'entend de l'enfant ayant une filiation légalement établie, y compris l'enfant adopté.

3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Ces dispositions posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve, par tous moyens, du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

4. En premier lieu, la préfète du Loiret demande que soit substitué aux motifs de la décision attaquée, en tant que de besoin, celui tiré de ce qu'aucun des documents d'état civil dont Mme C... se prévaut n'a été légalisé selon une procédure conforme aux prescriptions du décret n° 2000-1370 du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère. Toutefois, tant la demande de regroupement familial de Mme C... que la décision attaquée sont antérieures à l'entrée en vigueur de ces dispositions, qui ne sont ainsi pas applicables aux faits de l'espèce.

5. En deuxième lieu, Mme C... a produit en première instance les actes de naissance de ces enfants, le jugement du tribunal de première instance de Mahanjaga du 16 juillet 2013 ordonnant la reconstitution de son acte de naissance et la transcription du dispositif de ce jugement dans les registres de l'année en cours du centre d'état civil de la commune urbaine de Mahajanga, son livret de famille commun avec M. G..., le père de ses deux premiers enfants, le jugement de divorce du tribunal de première instance de Mahajanga du 15 septembre 2015 faisant mention des deux enfants du ménage avec le certificat de non-recours afférent, l'ordonnance du tribunal de première instance de Mahajanga du 9 décembre 2017 par laquelle le juge des enfants a accordé l'autorité parentale entière à Mme E... et le certificat de non-recours afférent, l'attestation par laquelle M. G... a autorisé les deux enfants à sortir du territoire malgache pour rejoindre leur mère en France. Elle produit en outre en appel un courrier de l'officier d'état civil du 3 mars 2022 attestant de ce que, suite à son incapacité de produire son acte de naissance en raison de la vétusté du registre, il lui avait été conseillé de recourir à la procédure de reconstitution de son acte de naissance, des photos d'elle avec ses enfants à différents âges, des virements Western Union de 2019 et 2020 ayant pour bénéficiaire le père de ses enfants, trois attestations circonstanciées d'amies et de sa sœur témoignant qu'Eymeric et B... sont bien ses enfants, une copie du passeport A... montrant qu'il a séjourné en France du 12 juin au 27 septembre 2010.

6. D'une part, la préfète du Loiret fait valoir que l'acte de naissance de la requérante n'a été reconstitué qu'en juillet 2013 et donc que les actes de naissance de ses enfants qu'elle présente, en date du 14 avril 2008 et du 9 juillet 2012, n'auraient pu être dressés sans que la requérante justifie de son identité au moyen d'un acte officiel établi par les autorités publiques compétentes. Toutefois, il n'est pas établi que la destruction de l'acte de naissance de la requérante, due à une inondation, soit antérieure à la naissance de ses deux enfants, le jugement de reconstitution faisant état d'un certificat de recherche infructueuse délivré le 2 juillet 2013. A supposer même que cela soit le cas, au moment de la naissance de ses enfants, Mme C... disposait d'un acte de naissance partiellement détruit dans les registres d'état civil de la commune urbaine de Mahajanga, de son livret de famille commun avec M. G..., de son acte de mariage avec celui-ci, et était vraisemblablement en possession d'une carte d'identité ou d'un passeport. Il n'est pas établi que ces documents étaient insuffisants pour délivrer l'acte de naissance de ses enfants.

7. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que, par courriels du 5 février 2019 et du 21 janvier 2020, le service des visas de Tananarive, interrogé sur l'authenticité de certains des actes produits par Mme C... à l'appui de sa demande de regroupement familial, a remis en cause l'authenticité du jugement de reconstitution du 16 juillet 2013 au motif que l'acte de transcription dans les registres d'état civil du contenu de ce jugement ne pouvait dater du 17 juillet 2013, le délai d'appel d'un mois n'ayant pas été respecté. Toutefois cette transcription prématurée n'est pas suffisante, à elle seule, pour remettre en cause l'authenticité du jugement de reconstitution, dès lors que Mme C... a produit un certificat de non-recours contre le jugement du 16 juillet 2013, ainsi qu'un courrier de l'officier d'état civil du 3 mars 2022 attestant que, suite à son incapacité de produire son acte de naissance en raison de la vétusté du registre, il lui avait été conseillé de recourir à la procédure de reconstitution de son acte de naissance, et que son nouvel acte de naissance du 17 juillet 2013 porte comme numéro 20130000020 et qu'enfin, ce jugement du 16 juillet 2013 a été communiqué dans le cadre de la procédure de divorce avec le père de ses deux enfants le 15 septembre 2015, lors de l'établissement de son acte de mariage avec M. C... le 29 octobre 2016 et de l'acte de naissance de leur enfant commun, ainsi qu'à l'appui de sa demande de titre de séjour pluriannuel qui lui a été accordé, sans que son authenticité ne soit jamais remise en cause.

8. De troisième part, la préfète du Loiret relève que l'acte de transcription dans les registres de l'état civil du jugement du 16 juillet 2013 ne pouvait être numéroté 20 alors que l'acte de naissance de B... du 4 juillet 2012 porte le numéro 2603, que sur cet acte de transcription, l'acte de mariage de Mme C... avec M. F... et celui de son mariage avec M. C... portent le même numéro et que le nom de la mère de Mme C... figurant sur ce document est D..., alors que le livret de famille commun entre la requérante et son premier époux indique quant à lui que ce nom de famille aurait été Rasoanirina. Sur ce dernier point, le livret de famille précité, et non l'acte de transcription, comporte une erreur sur le nom de la mère de la requérante, dès lors que le nom de D... figure également sur l'acte de naissance détruit et le livret de famille commun à M. et Mme C.... Par ailleurs, le fait que l'acte de transcription mentionne le même numéro pour les deux actes de mariage constitue une simple erreur de plume, la préfète ne contestant pas la réalité de ces deux mariages. Enfin, il n'est pas établi que les actes de transcription ne feraient pas l'objet d'une numérotation séparée et la requérante a produit un courrier de l'officier d'état civil du 23 mars 2022 qui mentionne que son nouvel acte de naissance du 17 juillet 2013 porte bien comme numéro 20130000020.

9. De quatrième part, la requérante a communiqué une ordonnance du juge des enfants du tribunal de première instance de Mahajanga rendue le 9 février 2017 lui octroyant l'exercice exclusif de l'autorité parentale sur ses deux enfants mineurs, A... G... et B... G.... Il ressort des pièces du dossier que les deux enfants ne résident pas chez leur père mais chez une amie de la requérante à laquelle ils ont été confiés durant l'instruction de la demande de regroupement familial. Le père des enfants, résidant à Madagascar, a signé une autorisation de sortie du territoire, en date du 28 février 2020, ayant fait l'objet d'une légalisation de signature, afin que les enfants puissent résider avec leur mère en France. La requérante a produit en outre des photographies d'elle avec ses enfants à différents âges, des bordereaux de transfert d'argent de 2019 et 2020 ayant pour bénéficiaire le père de ses enfants, le passeport A... dont les mentions démontrent qu'il a séjourné en France du 12 juin au 27 septembre 2010.

10. Au vu de ces éléments et des nombreux documents concordants produits par Mme C..., qui bénéficient d'une présomption d'authenticité en application de l'article 47 du code civil, la préfète du Loiret n'a pas apporté la preuve, qui lui incombe, du caractère falsifié de certains de ces documents et de l'absence de lien de maternité entre la requérante et les enfants A... et B....

11. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Loiret n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a annulé sa décision du 12 février 2020.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Le présent arrêt implique, eu égard au motif d'annulation retenu, et sous réserve d'un changement substantiel dans la situation de droit ou de fait de l'intéressée, par application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre à la préfète du Loiret d'admettre au séjour, au titre du regroupement familial, les enfants A... et B... G..., dans le délai de deux mois suivant sa notification. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la préfète du Loiret est rejetée.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète du Loiret d'admettre au séjour, au titre du regroupement familial, les enfants A... et B... G..., dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à Mme C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à la préfète du Loiret et à Mme H... C... née E....

Délibéré après l'audience du 4 juin 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Le Gars, présidente,

M. Ablard, premier conseiller,

Mme Pham, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juin 2024.

La rapporteure,

C. PHAM La présidente,

A-C. LE GARS

La greffière,

V. MALAGOLI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 22VE00378 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE00378
Date de la décision : 18/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Christine PHAM
Rapporteur public ?: Mme VISEUR-FERRÉ
Avocat(s) : HERVOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-18;22ve00378 ?
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