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02/05/2024 | FRANCE | N°21VE01767

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 5ème chambre, 02 mai 2024, 21VE01767


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... Sergent a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du directeur général de la Chambre de Commerce et d'Industrie (CCI) France du 8 mars 2019 prononçant sa révocation.



Par un jugement n° 1905828 du 19 avril 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cette décision et a enjoint à CCI France de réintégrer Mme Sergent, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés respe...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... Sergent a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du directeur général de la Chambre de Commerce et d'Industrie (CCI) France du 8 mars 2019 prononçant sa révocation.

Par un jugement n° 1905828 du 19 avril 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cette décision et a enjoint à CCI France de réintégrer Mme Sergent, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement les 18 juin 2021 et 20 avril 2022, l'établissement public CCI France, représenté par Me Charat et Me Hamzaoui, avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme Sergent devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de Mme Sergent le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il comporte une analyse erronée de son mémoire en défense, l'exposant n'ayant pas invoqué l'insuffisance professionnelle de Mme Sergent ; les dispositions de l'article R. 741-2 alinéa 2 du code de justice administrative ont été méconnues ;

- il est également irrégulier en qu'il n'a jamais soutenu que Mme Sergent avait commis des faits qualifiables de harcèlement ou de discrimination ;

- le jugement attaqué est entaché d'erreur de droit, d'erreur d'appréciation ou d'erreur de qualification juridique ; le comportement de Mme Sergent ne caractérise pas une simple insuffisance professionnelle mais une faute justifiant la révocation compte tenu de ses répercussions sur la santé et la sécurité des agents ; le rapport d'enquête faisant état de l'ensemble des comportements inadaptés de Mme Sergent n'a pas été pris en compte ; ces comportements relèvent plus de la malveillance que de la maladresse ; le caractère intentionnel ou non de ces comportements est sans incidence ; c'est à tort que les trois témoignages produits n'ont pas été pris en compte ; ce n'est pas seulement le comportement inéquitable de Mme Sergent envers ses collaborateurs qui est constitutif d'une faute ; les autres agissements qui lui sont reprochés ne caractérisent pas une insuffisance professionnelle mais une faute disciplinaire ; la décision de révocation n'est pas disproportionnée ;

- les suppressions de postes et le manque d'information dont se prévaut Mme Sergent ne sont pas établis ; les collaborateurs de l'international lui ont été rattachés ; Mme Sergent a confié à ses agents des dossiers ne relevant pas de leur expertise ; aucun mail n'a été envoyé à ses équipes pour les informer qu'une enquête était engagée à son encontre ; Mme Sergent savait qu'une enquête RPS était en cours ; elle a été entendue ; il ne s'agissait pas d'une enquête à charge ; les problèmes rencontrés par les collaborateurs de Mme Sergent sont propres à sa direction et antérieurs à la réorganisation ; l'intéressée a été directement et spontanément mise en cause par ses équipes ;

- la décision de révocation a été suffisamment motivée ;

- elle n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; Mme Sergent n'est pas fondée à soutenir que les éléments retenus à son encontre sont erronés ; il existait un grave problème de management qui a eu des impacts psychologiques, relationnels et organisationnels importants ainsi qu'il résulte du rapport d'enquête ; l'usage de techniques manipulatrices est établi ; Mme Sergent a mis en place une relation autoritaire et contrôlante avec ses équipes ; l'absence d'équité dans ses relations avec ses équipes est établie ; des promesses de promotions, d'augmentations de salaire ou de primes ont été formulées en dehors de tout " process " de décision au sein de CCI France ;

- l'existence d'un détournement de pouvoir n'est pas établie ; ce n'est pas la restructuration et les contraintes budgétaires imposées par l'Etat qui ont justifié sa révocation ; le comportement inadapté de Mme Sergent ne se justifie pas par les répercussions sur son état de santé qu'aurait pu entraîner la réorganisation de l'organisme ; il n'est pas établi que les pathologies invalidantes dont elle souffre sont imputables à l'exposante ; aucune maladie professionnelle n'a été déclarée.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 17 février 2022 et le 6 septembre 2022, Mme Sergent, représentée par Me Eyrignoux, avocate, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de CCI France ;

2°) de mettre à la charge de CCI France le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- la décision contestée n'est pas motivée en droit ;

- elle n'a pas eu communication de l'ensemble du rapport et de son dossier lors de la procédure disciplinaire ;

- la décision contestée est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- elle est entachée de détournement de pouvoir.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

- la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Camenen,

- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,

- et les observations de Me Chariat, pour CCI France et celles de Me Cado, pour Mme Sergent.

Considérant ce qui suit :

1. CCI France relève appel du jugement du 19 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé, à la demande de Mme Sergent, directrice du développement économique des territoires France et international, la décision de son directeur général du 8 mars 2019 prononçant sa révocation.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application ".

3. En premier lieu, si le tribunal administratif a mentionné aux points 5 et 8 du jugement attaqué que l'ensemble des faits reprochés à Mme Sergent sont susceptibles de caractériser davantage une insuffisance professionnelle dans l'exercice des fonctions d'encadrement de l'intéressée que des faits constitutifs d'une faute disciplinaire alors que ce grief n'avait pas été invoqué par CCI France à l'encontre de son agent, cette circonstance est sans incidence sur la régularité de ce jugement dès lors qu'il appartenait au tribunal administratif de qualifier les faits qui lui étaient soumis, cette qualification ne pouvant être regardée comme un défaut d'analyse des conclusions et des mémoires au sens des dispositions précitées de l'article R. 741-2 du code de justice administrative.

4. En deuxième lieu, si CCI France n'a également pas soutenu en première instance que Mme Sergent avait commis des actes qualifiables de harcèlement ou de discrimination, la circonstance que le tribunal administratif ait cru devoir préciser que le rapport d'investigation commandé lors de la réunion du comité d'hygiène et de sécurité du 6 décembre 2018 ne faisait pas état de tels actes est sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.

5. Enfin, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Ainsi, CCI France ne peut utilement se prévaloir des erreurs de droit, d'appréciation ou de qualification juridique qu'aurait commises le tribunal administratif pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Sur la légalité de la décision contestée :

6. Aux termes de l'article 36 du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie : " Une mesure disciplinaire doit être adaptée à la nature de la faute et proportionnée à sa gravité. / Les mesures disciplinaires applicables aux agents titulaires sont : 1° L'avertissement, 2° Le blâme avec inscription au dossier, 3° L'exclusion temporaire sans rémunération d'un à quinze jours, 4° L'exclusion temporaire sans rémunération pour une durée de seize jours à six mois maximum (la durée de l'exclusion doit être adaptée à la gravité du motif), 5° La rétrogradation (avec baisse de l'indice de qualification et/ou de la rémunération) sous réserve du respect simultané des deux conditions suivantes : A - que le positionnement de l'emploi occupé par l'agent déterminé par la classification nationale des emplois le permette, B - que la baisse de la rémunération brute totale n'excède pas 10 %. / En tout état de cause, la rétrogradation ne peut avoir pour effet une baisse de la rémunération en deçà du SMIC légal. 6° la révocation ".

7. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

8. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du rapport d'investigation précité dont les conclusions ne sont pas sérieusement remises en cause par Mme Sergent, que cette dernière a mis en œuvre un management inadapté dans la gestion du pôle " développement économique des territoires " dont elle assurait la direction. Ce rapport précise que la relation de Mme Sergent avec son équipe s'inscrivait soit " dans une relation commerciale plutôt que managériale ", soit " dans une relation autoritaire et contrôlante ". Le rapport relève aussi " une proximité avec certains collaborateurs, au détriment d'autres, et pas dans l'équité ". Il constate également que " son approche des collaborateurs peut être manipulatrice, soit dans la valorisation, soit dans la dévalorisation ". Il indique que Mme Sergent est " plus à l'aise dans la relation avec les hommes qu'avec les femmes " et que " les femmes jeunes et diplômées sont plus impactées ou dans des relations plus complexes avec Mme Sergent que les hommes ". Il identifie de nombreux impacts psychologiques, relationnels et organisationnels occasionnés par ce management à savoir notamment " des personnes à bout, déstabilisées et en grande souffrance (les femmes particulièrement) " ou " une personne en mi-temps thérapeutique et une personne en arrêt maladie ". Le rapport précise qu'il " n'y a pas une journée sans que quelqu'un pleure ", que plusieurs personnes interviewées ont évoqué " arriver avec une boule au ventre " au travail et que les arrêts maladie, résultant d'une dégradation de la situation professionnelle, se répercutent sur l'équipe. Enfin, le rapport évoque un fonctionnement d'équipe inopérant, avec la création de rivalités.

9. Ces éléments sont confortés par les témoignages produits par CCI France, alors même qu'ils ont été établis postérieurement à la décision contestée. Ils caractérisent, au moins pour partie, s'agissant en particulier de son comportement inéquitable et parfois manipulateur avec ses collaborateurs, l'existence d'un comportement fautif de nature à justifier une sanction disciplinaire à l'encontre de Mme Sergent.

10. Toutefois, le rapport d'investigation précité évoque également un premier plan de réorganisation en 2015 ayant entraîné des départs volontaires dans un contexte général de restriction budgétaire. Il met en évidence plus généralement une fragilité liée au contexte économique, aux licenciements et à la réorganisation de l'institution. Il relève l'existence d'un plan de restriction important, l'équipe étant passée en peu de temps de vingt et une personnes à dix et les suppressions de postes étant annoncées de façon directe et brutale. Il mentionne que cette réorganisation a entraîné une perte de spécialisation des chargés de mission, une surcharge de travail et une perte de sens pour les collaborateurs reçus en entretiens et que Mme Sergent, qui n'était pas en charge de la communication, a été mise en porte-à-faux dans la gestion de cette situation. Le rapport relève également une organisation dont les dysfonctionnements sont chroniques, la baisse des effectifs ayant entraîné une surcharge de travail, l'évolution des fonctions et de l'organisation n'ayant pas été accompagnée par un plan de conduite du changement. Il estime enfin que Mme Sergent, elle-même en situation de grande souffrance, " a été dépassée par le contexte de réorganisations rapides et fréquentes, l'impact des licenciements sur sa direction et la réduction des effectifs " et qu'elle a " répercuté, d'autant plus, sur ses collaborateurs, son manque de maîtrise dans le pilotage de son activité, les mettant ainsi en surcharge, et en adoptant des tactiques manipulatrices ou autoritaires pour maintenir un niveau de production peu absorbable ". Cette situation est notamment confortée par les documents médicaux et attestations produites par Mme Sergent.

11. Dans ces conditions, compte tenu du contexte de réorganisation auquel Mme Sergent a été confrontée, des témoignages favorables dont elle a bénéficié et de l'absence de sanction disciplinaire antérieure, la mesure de révocation prise à son encontre doit être regardée comme disproportionnée par rapport à la gravité du comportement fautif qui lui est reproché.

12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que CCI France n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision contestée du 8 mars 2019.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme Sergent, qui n'est pas la partie perdante, verse une somme au titre des frais exposés par la CCI France et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu en revanche de mettre à la charge de CCI France le versement à Mme Sergent de la somme de 2 000 euros sur ce fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de CCI France est rejetée.

Article 2 : CCI France versera la somme de 2 000 euros à Mme Sergent sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Chambre de Commerce et d'Industrie (CCI) France et à Mme A... Sergent.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,

M. Camenen, président assesseur,

Mme Houllier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mai 2024.

Le rapporteur,

G. CamenenLa présidente,

C. Signerin-IcreLa greffière,

C. FourteauLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

No 21VE01767


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE01767
Date de la décision : 02/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-09-04 Fonctionnaires et agents publics. - Discipline. - Sanctions.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: M. Gildas CAMENEN
Rapporteur public ?: Mme JANICOT
Avocat(s) : EYRIGNOUX

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-02;21ve01767 ?
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