La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/04/2024 | FRANCE | N°23VE00045

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 6ème chambre, 18 avril 2024, 23VE00045


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 5 novembre 2020 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a autorisé son licenciement pour faute.



Par un jugement n° 2100257 du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit à sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête, deux mémoires complémentaires et un

mémoire récapitulatif produit sur le fondement de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistrés r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 5 novembre 2020 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a autorisé son licenciement pour faute.

Par un jugement n° 2100257 du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit à sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, deux mémoires complémentaires et un mémoire récapitulatif produit sur le fondement de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistrés respectivement les 6 janvier, 28 septembre, 27 octobre et 11 décembre 2023, la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile (CRPN), représentée par Me Houlès et Navarro, avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

3°) de mettre à la charge de Mme B... une somme 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché de plusieurs erreurs de droit, dès lors que les premiers juges ne pouvaient considérer ni qu'il revenait à la caisse de justifier auprès de Mme B... des modalités de consultation de sa messagerie professionnelle ni que Mme B... pouvait disposer librement de sa messagerie professionnelle, enfin le tribunal a méconnu la nature de son contrôle en recherchant si la faute commise par Mme B... était en lien avec les mandats dont elle était titulaire ;

- le jugement est également entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; les premiers juges ne pouvaient retenir que la faute commise par Mme B... était en lien avec ses mandats dès lors qu'en qualité d'employeur, la caisse pouvait librement consulter sa boîte professionnelle de sorte qu'elle n'avait pas à transférer celle-ci, en tout état de cause, Mme B... ne peut affirmer qu'elle cherchait à assurer l'intégralité des échanges liées à son activité syndicale ;

- la procédure de licenciement n'est entachée d'aucune irrégularité ; la caisse n'était pas tenue de notifier sa mise à pied à l'inspecteur du travail ; le délai entre sa mise à pied et la consultation du CSE n'est pas excessive ; le CSE a reçu communication du procès-verbal ;

- le comportement de Mme B... est constitutif d'une faute ;

- la faute est suffisamment grave eu égard à ses fonctions et les obligations qui lui étaient imposées pour justifier le licenciement ;

- le licenciement n'est pas en lien avec les mandats qu'elle détenait.

Par quatre mémoires en défense enregistrés les 20 juin, 28 septembre, 27 octobre et 15 novembre 2023 et un mémoire récapitulatif le 20 décembre 2023, Mme B..., représentée par Me Bourguiba, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la CRPN une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- l'exploitation et la copie de sa messagerie a été réalisée dans des conditions illégales ; le rapport d'expertise a pour origine un conflit entre les anciens membres du CE et les nouveaux membres du CSE, composés intégralement de salariés rattachés à la direction ; sa messagerie a été copiée, pour la seule raison que cette dernière, en qualité de représentante syndicale, avait apporté son aide à une salariée ayant formulé des allégations de harcèlement moral et de discrimination ; en tout état de cause, les premiers juges n'ont pas considéré que les modalités de consultation de sa messagerie avaient été irrégulières mais ce sont simplement borner à rappeler le contexte dans lequel sa messagerie avait été copiée ;

- c'est par crainte et volonté de préserver l'intégrité et la confidentialité des échanges relatifs à son mandat qu'elle a mis en place la règle de transfert automatique qui lui est reprochée au titre de son licenciement et c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que son licenciement était en lien avec son mandat ;

- le caractère de gravité des fautes reprochées n'est pas démontré ; l'employeur ne justifie pas du caractère confidentiel des données transférées ; les pièces sur lesquelles se fonde la caisse, à savoir le procès-verbal d'huissier et le rapport d'investigation, ne caractérisent aucune faute, de sorte que les faits allégués par la caisse ne sont nullement démontrés ; son comportement déplacé et dégradant envers ses collègues n'est pas démontré ;

- le licenciement est disproportionné dès lors qu'elle justifie d'une ancienneté au sein de la caisse de plus de trente ans et qu'elle n'a jamais fait l'objet de procédure disciplinaire ;

- la procédure de licenciement comporte plusieurs irrégularités viciant la demande d'autorisation ; en effet sa mise à pied n'a pas été notifiée à l'inspecteur du travail en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2421-1 du code du travail ; le CSE a été consulté tardivement en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2421-14 du code du travail ; enfin, le procès-verbal du CSE a été communiqué tardivement à l'inspecteur en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2421-10 du code du travail.

La ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion a présenté des observations, enregistrées le 4 août 2023.

Par une ordonnance en date du 13 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florent,

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Apied, avocat, pour la CRPN et de Me Bourguiba, avocat, pour Mme B....

Une note en délibéré, enregistrée le 26 mars 2024, a été présentée pour Mme B....

Deux notes en délibéré, enregistrées les 28 mars et 8 avril 2024, ont été présentées par la CRPN.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... B... a été recrutée par la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile (CRPN) le 1er juillet 1989, pour exercer en dernier lieu les fonctions de data manager. Titulaire de plusieurs mandats syndicaux (déléguée syndical du 31 mai 2012 au 8 octobre 2019, membre titulaire de la délégation unique du personnel de juin 2012 au 22 octobre 2019 et membre suppléant du comité social et économique du 22 octobre 2019 au 8 novembre 2019, date de sa démission), l'intéressée s'est vu reprocher courant 2019 d'avoir notamment organisé le transfert automatique de l'ensemble des courriers électroniques de sa messagerie professionnelle vers ses messageries personnelles. Par courrier du 6 décembre 2019, la CRPN a convoqué Mme B... pour un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement et a mis à pied à titre conservatoire l'intéressée dans l'attente de l'issue de la procédure disciplinaire engagée. Le comité social et économique ayant émis le 18 décembre 2019 un avis favorable au licenciement pour faute de Mme B..., la CRPN a sollicité auprès de l'inspection du travail le 19 décembre 2019 l'autorisation de procéder au licenciement de la salariée. Par courrier du 17 février 2020, l'inspecteur du travail a autorisé ce licenciement. Saisi sur recours hiérarchique de Mme B..., le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a annulé pour vice de procédure la décision de l'inspecteur du travail et autorisé le licenciement pour faute de la salariée par décision du 5 novembre 2020. Mme B... a alors demandé l'annulation de cette dernière décision au tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui, par un jugement du 10 novembre 2022, a fait droit à sa demande. Par la présente requête, la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La CRPN ne peut donc utilement se prévaloir des erreurs de droit et de l'erreur manifeste d'appréciation qu'auraient commises les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a organisé, au moins à partir du 16 octobre 2019 et durant quelques semaines, la redirection totale des messages électroniques de sa messagerie professionnelle vers une messagerie personnelle, en méconnaissance de ses obligations contractuelles et des règles de sécurité nécessaires à la protection des données personnelles et sensibles traitées par son employeur.

5. Mme B... fait valoir qu'elle avait mis en place cette redirection de sa messagerie afin de garantir l'intégrité et la confidentialité des échanges relatifs à son mandat dans un contexte de suspicion à l'égard de son travail syndical et de nombreux licenciements décidés par l'entreprise.

6. Mme B... fait valoir en particulier qu'alors qu'elle avait sollicité en qualité de membre du CHSCT une enquête à la suite du signalement de Mme Greffier, agent en situation de handicap alléguant subir une discrimination et du harcèlement de la part de sa hiérarchie, ainsi qu'un audit des salaires en sa qualité de membre du conseil d'entreprise, la CRPN a tout d'abord reproché le manque de neutralité du signalement du CHSCT puis a fait procéder par huissier de justice le 2 août 2019 à une copie des messageries électroniques de Mme Greffier, de Mme B... et de Mme A..., autre membre du CHSCT également à l'origine du signalement. Or si cette copie a été réalisée régulièrement dès lors qu'il s'agissait d'un outil informatique ayant un caractère professionnel mis à la disposition par son employeur et qu'il ressort des pièces du dossier que les messages dont l'intitulé pouvait laisser présumer un objet personnel, syndical ou confidentiel, n'ont pas été ouverts par la CRPN, cette dernière ne justifie pas pour quels motifs la copie des messageries des deux déléguées syndicales à l'origine du signalement était nécessaire et n'a pas concerné également les supérieurs dont Mme Greffier dénonçait l'attitude, ni pour quelle raison elle n'a pas averti Mmes B... et A... de ces investigations, bien qu'un tel avertissement ne constituait pas une obligation légale.

7. Par ailleurs, il ressort du rapport d'enquête que la CRPN a eu, à la suitede cette copie, accès à un échange avec Mme Greffier en lien avec l'activité syndicale de Mme B... et lui a reproché l'aide qu'elle avait pu apporter à cette salariée pour exposer ses griefs alors même que celle-ci relevait de ses missions syndicales. En outre, alors que l'intéressée avait demandé à plusieurs reprises entre août et octobre 2019 une preuve de ce que le contenu de sa messagerie avait été copié sous contrôle d'huissier et exploité par un expert judiciaire étranger à la CRPN, cette dernière s'est bornée à réitérer ses affirmations en ce sens, sans produire aucun élément matériel à leur appui. Enfin, il ressort des pièces du dossier qu'au mois de septembre 2019, trois salariés de l'entreprise ont été licenciés pour faute, dont Mme Greffier en raison de ses dénonciations jugées calomnieuses le 3 septembre 2019, et que Mme B... et Mme A... ont toutes deux démissionné de leur mandat syndical au comité social et économique le 8 novembre 2019. C'est ainsi dans un contexte de tensions vives au sein de l'entreprise et de défiance vis-à-vis des représentants syndicaux que Mme B... a procédé à la redirection de sa messagerie professionnelle afin de chercher à assurer l'intégrité de ses échanges électroniques.

8. Pour sa part, la CRPN ne démontre pas que Mme B... aurait cherché à détourner des données sensibles pour les communiquer à des tiers ou en faire un usage illicite, ni que la faute litigieuse aurait entraîné un préjudice pour l'entreprise. Dans ces circonstances, alors que Mme B... travaillait depuis plus de trente ans pour la CRPN, ne présentait aucun antécédent disciplinaire et qu'il n'est pas contesté qu'elle avait jusqu'alors toujours donné satisfaction, c'est à tort que le ministre du travail a considéré que la faute commise par Mme B... était d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'article 3 de la décision du 5 novembre 2020 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a autorisé le licenciement de Mme B....

Sur les frais relatifs à l'instance d'appel :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, par application de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de la caisse une somme de 1 500 euros à verser à Mme B....

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile est rejetée.

Article 2 : La caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile versera à Mme B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile , à Mme C... B... et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Pilven, président-assesseur,

Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 avril 2024.

La rapporteure,

J. FLORENTLe président,

P.-L. ALBERTINI

La greffière,

F. PETIT-GALLAND

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 23VE00045002


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE00045
Date de la décision : 18/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02-02 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. - Licenciement pour faute. - Absence de faute d'une gravité suffisante.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: Mme Julie FLORENT
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : BOURGUIBA

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-18;23ve00045 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award