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18/04/2024 | FRANCE | N°21VE00909

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 6ème chambre, 18 avril 2024, 21VE00909


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Ridoret Menuiserie a demandé au tribunal administratif d'Orléans de fixer à la somme de 1 060 283,24 euros toutes taxes comprises le décompte général et définitif du lot n° 6 " menuiseries intérieures bois " du marché signé le 23 juillet 2013 avec l'EPHAD Debrou portant sur la réalisation d'un bâtiment situé à Joué-lès-Tours et de condamner l'EHPAD Debrou à lui verser la somme de 131 858,64 euros hors taxes à titre de solde du marché, assortie des inté

rêts de droit à compter du 5 octobre 2017.



Par un jugement n° 1800266 du 28 janvier 202...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ridoret Menuiserie a demandé au tribunal administratif d'Orléans de fixer à la somme de 1 060 283,24 euros toutes taxes comprises le décompte général et définitif du lot n° 6 " menuiseries intérieures bois " du marché signé le 23 juillet 2013 avec l'EPHAD Debrou portant sur la réalisation d'un bâtiment situé à Joué-lès-Tours et de condamner l'EHPAD Debrou à lui verser la somme de 131 858,64 euros hors taxes à titre de solde du marché, assortie des intérêts de droit à compter du 5 octobre 2017.

Par un jugement n° 1800266 du 28 janvier 2021, le tribunal administratif d'Orléans a fixé à la somme de 1 014 880,19 euros toutes taxes comprises le décompte général et définitif du marché et condamné l'EPHAD à verser à la société Ridoret Menuiserie la somme correspondant à la différence entre le décompte général et définitif du marché tel que fixé par le jugement et le montant des sommes déjà versées à cette société au titre de l'exécution du marché en cause, assortie des intérêts légaux à compter du 5 octobre 2017.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 mars 2021 et 24 octobre 2023, l'EPHAD Debrou, représenté par Me Dalibard, avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, de rejeter la demande présentée par la société Ridoret Menuiserie devant le tribunal administratif d'Orléans et de condamner la société Ridoret Menuiserie à lui verser la différence entre le montant de la pénalité pour retards dans l'exécution du chantier fixée dans le décompte général notifié et le montant de la pénalité de retard infligée en première instance ;

3°) à titre subsidiaire, de fixer le montant de la pénalité pour les retards dans l'exécution du chantier à la somme de 50 405,02 euros toutes taxes comprises, de fixer le décompte général définitif du marché à la somme de 949 091,27 euros toutes taxes comprises et de condamner la société Ridoret Menuiserie à lui verser la différence entre le montant de la pénalité pour retards dans l'exécution du chantier fixée en appel et le montant de la pénalité de retard infligée en première instance ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, de fixer le décompte général définitif du marché à la somme de 963 725,17 euros toutes taxes comprises et de condamner la société Ridoret Menuiserie à lui verser la différence entre le montant de la pénalité pour retards dans l'exécution du chantier fixée en appel et le montant du décompte général définitif tel qu'établi en première instance, assortie des intérêts légaux à compter du 5 octobre 2017 ;

5°) de mettre à la charge de la société Ridoret Menuiserie la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que la requête de première instance était irrecevable, la société ayant présenté prématurément son projet de compte final au regard de l'article 3-2.4.3 du CCAP ;

- elle était également tardive ;

- le jugement est irrégulier en ce qu'il a minoré le montant des pénalités de retard en considérant que celles-ci devaient être déterminées sur la base de 44 jours et non de 62 jours de retard comme retenu de façon clémente par l'EPHAD ;

- le jugement est entaché d'une erreur de fait et d'une contrariété entre ses motifs et son dispositif en ce qu'il a fixé le montant du décompte général définitif du marché à une somme supérieure au montant total des travaux réalisés par la société et non contesté par les parties alors qu'il aurait dû soustraire du montant total des travaux le montant des pénalités qu'il estimait être dû ;

- les demandes présentées par la voie de l'appel incident relatives aux frais de compte prorata, à l'organigramme des clés et aux intérêts moratoires sont irrecevables en raison de leur absence du projet de décompte final de la société ;

- de même, les demandes présentées par la voie de l'appel incident relatives au décalage de chantier, aux prétendus travaux supplémentaires, aux frais de compte prorata, à l'organigramme des clés et aux intérêts moratoires sont irrecevables en ce qu'elles ne figurent pas dans la réponse au décompte général ;

- s'agissant par ailleurs des demandes liées à l'allongement de chantier du fait des autres intervenants, la responsabilité de l'EHPAD ne saurait être engagée à ce titre, outre que la réalité et le quantum du préjudice ne sont aucunement justifiés par la société ;

- s'agissant des demandes liées au compte prorata, le maître d'ouvrage est totalement extérieur aux frais de dépenses communes et à leur répartition ;

- les travaux liés au jeu sous les portes ne constituent pas des travaux supplémentaires indispensables dès lors qu'ils étaient prévus au marché ;

- s'agissant des demandes liées aux frais relatifs à l'organigramme des clefs consécutifs aux défaillances des entreprises parties, le maître de l'ouvrage ne saurait en être tenu pour responsable, outre que la réalité et le quantum du préjudice ne sont aucunement justifiés par la société ;

- s'agissant enfin des intérêts moratoires, la société doit être regardée comme ayant renoncé à leur bénéfice dès lors qu'ils ne figurent pas dans son projet de décompte final.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2021, la société anonyme Ridoret Mensuierie, représentée par Me Cibo-Degommier, avocate, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, de fixer le décompte général définitif du marché à la somme de 1 068 535,90 euros toutes taxes comprises et de condamner l'EPHAD Debrou à lui verser la somme de 120 346,30 euros au titre du solde du marché, assortie des intérêts légaux à compter du 5 octobre 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l'EPHAD Debrou la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- sa requête de première instance était recevable ;

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'elle était responsable de 44 jours de retard de chantier alors qu'il est établi par six procès-verbaux de constat qu'elle n'était dans l'impossibilité d'intervenir aux dates prévues en raison du retard pris par le lot gros œuvre ;

- elle est en droit de réclamer une somme de 26 999 euros HT au titre de l'impact financier lié au décalage des planning ainsi qu'une somme de 4 552,71 euros au titre des frais de compte prorata ;

- elle est également fondée à solliciter une somme de 23 031,60 euros HT au titre des travaux indispensables liés au problème de jeux sous les portes ;

- elle est également en droit de demander une somme de 3 700 euros au titre des frais consécutifs aux défaillances des entreprises parties à l'organigramme des clés ;

- elle est encore fondée à solliciter une somme de 18 885,05 euros au titre des intérêts moratoires appliqués aux acomptes et au solde.

Par une ordonnance du 26 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 novembre 2023.

Par un courrier du 11 mars 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions à fin de condamnation présentées par l'EHPAD pour la première fois en appel.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florent,

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,

- et les observations de Me Giraud pour l'EHPAD Debrou et de Me Cibot-Degommier, pour la société Ridoret Menuiserie.

La société Ridoret Menuiserie a produit une note en délibéré, enregistrée le 18 mars 2024.

L'EPHAD Debrou a produit une note en délibéré, enregistrée le 27 mars 2024.

Considérant ce qui suit :

1. L'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Debrou a entrepris la construction de ses nouveaux locaux sur un site de la commune de Joué-lès-Tours. Dans le cadre de cette opération, une mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage a été confiée à la société A2MO et la maîtrise d'œuvre a été attribuée à l'agence Guervilly-Mauffret. La réalisation du lot n° 6 " menuiseries intérieures bois " a été dévolue au groupement composé des sociétés Ridoret Menuiserie et Champigny Segelles, dont la société Ridoret est mandataire, par marché signé le 23 juillet 2013, pour un montant initial de 1 628 318,45 euros hors taxes, dont 812 984,20 euros hors taxes concernant la seule société Ridoret Menuiserie. Quatre avenants au contrat ont été signés les 17 octobre 2014, 18 novembre 2015, 1er décembre 2015 et 18 décembre 2015, portant le montant total du marché à la somme de 1 667 500,62 euros hors taxes, soit 1 998 898,06 euros toutes taxes comprises, dont 1 000 246,29 euros toutes taxes comprises dévolus à la société Ridoret Menuiserie. Les travaux ont débuté le 1er octobre 2013 et l'ouvrage, qui devait initialement être réceptionné le 1er juin 2015, a été finalement réceptionné avec réserves le 31 décembre 2015. Les réserves ont été levées le 17 septembre 2018.

2. La société Ridoret Menuiserie a notifié à l'EHPAD Debrou un premier projet de décompte final, le 13 juin 2016, accompagné d'une réclamation portant sur une somme de 50 030,60 euros. Cette réclamation a été rejetée par l'établissement le 18 juillet 2016. Une deuxième réclamation portant sur une somme complémentaire de 8 252,71 euros ainsi qu'un second projet de décompte final ont été notifiés par la société à l'établissement le 28 mars 2017. Par courrier notifié le 31 août 2017, l'EHPAD Debrou a transmis à la société requérante le décompte général du marché. La société requérante a fait part à l'EHPAD, par courrier du 4 octobre 2017, notifié le 6 octobre 2017, de son refus de signer ce décompte et lui a adressé une nouvelle réclamation. Le silence gardé par l'EHPAD Debrou a fait naître une décision de rejet des demandes de la société requérante, le 6 novembre 2017. La société Ridoret a alors saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande tendant, d'une part, à fixer le décompte général définitif à la somme de 1 060 283,24 euros toutes taxes comprises et, d'autre part, à condamner l'EHPAD Debrou à lui verser la somme de 131 858,64 euros hors taxes à titre de solde du marché, assortie des intérêts de droit à compter du 5 octobre 2017.

3. Par la présente requête, l'EPHAD Debrou relève appel du jugement du 28 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a fixé à la somme de 1 014 880,19 euros toutes taxes comprises le décompte général et définitif du marché et condamné l'EPHAD à verser à la société Ridoret Menuiserie la somme correspondant à la différence entre le décompte général et définitif du marché tel que fixé par le jugement et le montant des sommes déjà versées à cette société au titre de l'exécution du marché en cause, assortie des intérêts légaux à compter du 5 octobre 2017. Par la voie de l'appel principal, l'EPHAD demande la condamnation de la société Ridoret Menuiserie à lui verser la différence entre le montant de la pénalité pour retards dans l'exécution du chantier fixée dans le décompte général notifié et le montant de la pénalité de retard infligée en première instance. Par la voie de l'appel incident, la société demande pour sa part à la cour de fixer le décompte général définitif du marché à la somme de 1 068 535,90 euros toutes taxes comprises et de condamner l'EPHAD Debrou à lui verser la somme de 120 346,30 euros au titre du solde du marché, assortie des intérêts légaux à compter du 5 octobre 2017.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Il résulte de l'instruction qu'après avoir admis dans ses motifs une décharge seulement partielle des pénalités de retard mises à la charge à la société Ridoret Menuiserie, le tribunal administratif d'Orléans a, dans le dispositif de son jugement, pour fixer le montant du décompte général, ajouté au montant total des travaux réalisés par la société les sommes qu'il avait déchargé au titre des pénalités, au lieu de réduire la déduction opérée au titre des pénalités sur ce même montant total des travaux, conduisant à reconnaître à la société un droit à règlement au titre du marché supérieur au montant du marché lui-même. Ainsi, ce jugement comporte une contrariété entre ses motifs et son dispositif. L'EPHAD Debrou est, dès lors, fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 du jugement.

5. Il y a lieu pour la cour de se prononcer immédiatement sur les conclusions des parties relatives aux pénalités de retard par la voie de l'évocation et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions présentées par les parties devant le tribunal administratif de d'Orléans.

Sur la demande relative aux pénalités de retard :

S'agissant du caractère précoce du projet de décompte final présenté par la société Ridoret Menuiserie :

6. L'EHPAD Debrou soutient que la requête de première instance de la société Ridoret est irrecevable dès lors qu'elle a, à deux reprises le 12 février 2016 et le 28 mars 2017, notifié son projet de décompte final avant que les dernières réserves n'aient été levées, en contrariété avec les dispositions de l'article 3-2.4.3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) applicable au marché, qui impose au titulaire, par dérogation à l'article 13.3.2 du cahier des clauses administratives générales applicables au marché de travaux (CCAG), de ne notifier au maître d'ouvrage son projet de décompte final qu'après la levée de l'ensemble des réserves. D'une part toutefois, cette circonstance a uniquement pour effet de ne pas faire courir les délais prévus pour l'établissement du décompte général puis du décompte général définitif. D'autre part, l'EHPAD, en établissant le décompte général du marché le 31 août 2017, également antérieurement à la levée des réserves, doit être regardé comme ayant signifié sa volonté de dissocier le sort des réserves non levées à cette date du décompte général et définitif et comme ayant, ce faisant, renoncé à opposer à la société requérante les stipulations précitées de l'article 13.3.2 du CCAP. Par suite, l'EHPAD Debrou n'est pas fondé à soutenir que la requête de première instance est irrecevable du fait de la transmission prématurée du décompte final par l'entreprise.

S'agissant de la tardiveté de la requête de première instance :

7. Aux termes de l'article 50.3.2 du CCAG travaux : " Pour les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général du marché, le titulaire dispose d'un délai de six mois, à compter de la notification de la décision prise par le représentant du pouvoir adjudicateur en application de l'article 50.1.2, ou de la décision implicite de rejet conformément à l'article 50.1.3, pour porter ses réclamations devant le tribunal administratif compétent/ 50.3.3. Passé ce délai, il est considéré comme ayant accepté cette décision et toute réclamation est irrecevable. ".

8. L'EHPAD Debrou soutient que la requête de première instance est tardive dès lors qu'elle a été enregistrée plus de six mois après la décision du 18 juillet 2016 rejetant la réclamation de la société Ridoret Menuiserie. Il résulte toutefois de l'instruction que cette réclamation n'était pas celle formulée par la société sur le décompte général notifié par l'EPHAD le 31 août 2017 ainsi qu'il a été dit précédemment, seule de nature à faire courir le délai de six mois prévu à l'article 50.3.2 du CCAG. Par suite, l'EPHAD n'est pas fondé à soutenir que la requête de première instance de la société Ridoret Menuiserie doit être rejetée comme tardive. En outre et en tout état de cause, l'appel principal ne concerne que les pénalités qui ne figuraient pas dans cette réclamation.

S'agissant du bien-fondé des pénalités de retard :

9. Il résulte des stipulations de l'article 3.2.1 du CCAP du marché litigieux que : " Par dérogation au CCAG Travaux (article 20.1), en cas de dépassement du délai global porté à l'Acte d'Engagement, 1'entrepreneur subira, par jour calendaire de retard, du seul fait du constat du retard une pénalité de 1/1000 du montant de 1'ensemble du marché, avec un minimum de trois cents euros (300 €), sauf si ce retard est dû à un cas de force majeur ". L'article 4 du CCAP prévoit par ailleurs que le calendrier d'exécution notifié par ordre de service " sera rendu contractuel et servira de base à l'application d'éventuelles pénalités de retard ".

10. En l'espèce, la société Ridoret Menuiserie s'est vu appliquer par l'EPHAD des pénalités de retard à hauteur de 50 405,02 euros correspondant à 62 jours de retard d'exécution.

11. S'agissant du dépassement du délai global d'exécution, seul de nature à conduire à l'application de pénalités de retard en vertu des stipulations précitées du CCAP, s'il résulte de l'ordre de service n° 4 intervenu le 27 février 2015 recalant le calendrier d'exécution des travaux qu'il avait été contractuellement convenu à cette date que l'exécution des travaux confiés à la société Ridoret Menuiserie devait s'achever le 25 septembre 2015 avec une réception au 30 septembre 2015[0], il résulte notamment de l'avenant n° 2 du contrat de la société Ridoret Menuiserie, qu'en dernier lieu, le délai global d'exécution des travaux avait été porté à 26 mois, et que la réception du chantier était prévue au 17 novembre 2015. Or, la réception n'est intervenue que le 31 décembre 2015, soit avec seulement 44 jours de retard. Par suite, l'EPHAD ne pouvait retenir plus de 44 jours de retard imputables à la société Ridoret Menuiserie.

12. En revanche, si la société Ridoret Menuiserie conteste l'imputabilité de ces 44 jours de retard, il résulte de l'instruction qu'au 17 novembre 2015, les travaux n'ont pu être réceptionnés au motif principalement que les portes à dispositif actionné de sécurité et les essais au feu de ses ouvrages n'avaient pas été réalisés par l'entreprise conformément à l'article 9.1 du CCAP du marché. Or si la société Ridoret fait valoir que la non-réception à cette date était due au retard pris par les autres lots du chantier, il résulte des procès-verbaux de constat produits par la société que le retard des autres entreprises était de nature à justifier une partie du retard pris par l'entreprise Ridoret Menuiserie uniquement avant fin septembre 2015. Il ne résulte pas notamment du procès-verbal de constat du 30 novembre 2015, réalisé quelques jours après la date de réception prévue, que l'avancement du chantier à cette date empêchait la société de finaliser les ouvrages demandés par l'EPHAD Debrou. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'article 3.1 du CCAP du marché que l'absence de retenue provisoire réalisée au fur et à mesure du chantier interdisait au maître d'ouvrage d'intégrer des pénalités de retard au stade du décompte général. Par suite, la société Ridoret Menuiserie n'est pas fondée à demander la décharge de l'ensemble des pénalités qui lui ont été infligées au titre des retards d'exécution.

13. Il s'ensuit qu'en application des modalités de calcul retenues par l'EPHAD Debrou basées sur le montant initial du contrat, il y a lieu de fixer à 35 771,12 euros le montant des pénalités dues par la société Ridoret Menuiserie au titre du retard de chantier.

Sur les autres conclusions présentées par la voie de l'appel incident :

S'agissant de la recevabilité des demandes présentées par la voie de l'appel incident relatives à l'indemnisation des frais de décalage du chantier, des frais de compte prorata, des frais relatifs à l'organigramme des clés et au paiement des intérêts moratoires liés au retard de paiement d'acomptes :

14. D'une part, aux termes de l'article 13.3.1 du CCAG, applicable au litige : " Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final, concurremment avec le projet de décompte mensuel afférent au dernier mois d'exécution des prestations ou à la place de ce dernier. / Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire, établissant le montant total des sommes auquel le titulaire prétend du fait de l'exécution du marché dans son ensemble, son évaluation étant faite en tenant compte des prestations réellement exécutées. (...) / Le titulaire est lié par les indications figurant au projet de décompte final. ". Il résulte de ces stipulations et du principe d'unicité du décompte que l'entreprise n'est pas recevable à réclamer au maître d'ouvrage d'autres sommes que celles incluses dans son projet de décompte final.

15. En l'espèce, l'EHPAD Debrou soutient que les demandes relatives aux frais de compte prorata, aux frais relatifs à l'organigramme des clés ainsi qu'aux intérêts moratoires sont irrecevables dès lors qu'elles n'ont pas été intégrées par la société Ridoret Menuiserie au projet de décompte final qu'elle lui a notifié le 13 juin 2016.

16. Ainsi que l'ont fait valoir les premiers juges, si les demandes relatives aux frais de compte prorata, aux frais relatifs à l'organigramme des clés ne figuraient effectivement pas dans ce projet de décompte final, il résulte de l'instruction, et notamment du courrier de notification du mémoire en réclamation réceptionné le 28 mars 2017 par l'EHPAD, qu'un deuxième projet de décompte final intégrant ces demandes, a été transmis avec cette réclamation. Par suite, l'EPHAD n'est pas fondé à invoquer l'irrecevabilité des demandes présentées sur ce point par la voie de l'appel incident par la société Ridoret Menuiserie.

17. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que les intérêts moratoires relatifs aux acomptes aient été inclus par l'entreprise dans son projet de décompte final notifié le 28 mars 2017, ces intérêts n'ayant été demandés pour la première fois que lors de sa contestation du décompte général notifié par l'EPHAD. Dans ces conditions, l'EPHAD est fondé à soutenir que les demandes de la société présentées à ce titre par la voie de l'appel incident sont irrecevables.

18. D'autre part, aux termes de l'article 50.1.1 du CCAG-travaux : " (...) Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de trente jours à compter de la notification du décompte général. / Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif. "

19. L'EPHAD Debrou fait valoir que les demandes présentées par la voie de l'appel incident relatives au décalage de chantier, aux prétendus travaux supplémentaires, aux frais de compte prorata, à l'organigramme des clés et aux intérêts moratoires sont irrecevables en ce qu'elles ne figuraient pas dans le mémoire en réclamation du 6 octobre 2017 adressé par la société en contestation du décompte général notifié par le maître d'ouvrage. Il résulte toutefois de l'instruction que ce mémoire en réclamation faisait état d'une demande relative aux pénalités de retard et aux intérêts moratoires, récapitulait les demandes financières formulées antérieurement et comportait en annexes ses autres mémoires en réclamation, notifiés les 12 février 2016 et 28 mars 2017, lesquels comportaient les demandes relatives au décalage du chantier, aux travaux supplémentaires, aux frais de compte prorata et à l'organigramme des clés. Dans ces conditions, la société Ridoret Menuiserie doit être regardée comme ayant valablement présenté lesdites demandes avant de saisir la juridiction. Les autres fins de non-recevoir opposées en défense doivent par ailleurs être écartées ainsi qu'il a été dit aux points 6 à 8 du présent arrêt.

S'agissant de la demande d'indemnisation pour travaux prescrits par ordre de service :

20. Le titulaire d'un marché conclu à prix global et forfaitaire peut obtenir une rémunération complémentaire lorsqu'il effectue des prestations non prévues au marché et commandées par ordre de service ou lorsque ces prestations, alors même qu'elles n'auraient pas été commandées par ordre de service, étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art.

21. La société Ridoret Menuiserie soutient qu'elle a effectué des travaux supplémentaires pour un montant de 23 031,60 euros au titre de l'ordre de service n° 3 intervenu le 18 décembre 2015, lui demandant de mettre en conformité les vides situés sous les portes pare-flammes et coupe-feu au regard des règles relatives à la sécurité incendie. Toutefois, il résulte des stipulations du CCTP, qui prévoyait l'installation de " bloc porte pare flamme 1/2 heure " et de " bloc porte coupe-feu 1 heure ", que la pose de portes pare-flammes et portes coupe-feu était incluse dans les spécifications du marché initial. Par suite, leur mise en conformité aux normes de sécurité incendie ne présentait pas le caractère de travaux supplémentaires non prévus au marché commandés par ordre de service et ouvrant droit à rémunération complémentaire.

22. Par ailleurs, les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

23. En l'espèce, la société Ridoret Menuiserie soutient que ces travaux de mise en conformité font suite à la demande de l'OPC et de l'assistant à maître d'ouvrage de réaliser la pose des portes avant que les sols n'aient été terminés afin de limiter le retard de chantier. Elle indique également que les huisseries avaient été posées au trait de niveau et que le jeu constaté sous les portes était nécessairement la conséquence de défauts de planéité du sol. Elle en déduit que ces travaux ont été rendus nécessaires en raison des fautes commises par le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre dans la coordination des travaux. Toutefois, il résulte des principes énoncés au point précédent que les fautes éventuellement commises par la maîtrise d'œuvre, l'assistant à maîtrise d'ouvrage, qui ne peut être regardé comme un mandataire du maître d'ouvrage, ou d'un éventuel autre constructeur ne sont pas de nature, à elles seules, à engager la responsabilité pour faute du maître d'ouvrage dans la coordination du chantier. La société n'établit pas par ailleurs l'existence d'une faute propre au maître d'ouvrage à l'origine des travaux litigieux. Par suite, la société Ridoret Menuiserie n'est pas fondée à demander réparation au maître d'ouvrage, sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour faute, des surcoûts engendrés par l'éventuel défaut de coordination du chantier.

S'agissant de l'indemnisation au titre du surcoût lié à la gestion de l'organigramme des clés, à l'impact financier lié au décalage des plannings et des frais de compte prorata :

24. La société Ridoret Menuiserie soutient que le quitus de levées de réserve pour l'organigramme des clés, dont la mise au point lui avait été confiée par l'article 6.2.3.6 du CCTP en coordination avec le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre, ne lui a été donné que tardivement, le 17 mars 2017, par le maître d'ouvrage, soit plus d'un an après la réception des travaux, ce qui a généré un surcoût de gestion de 3 700 euros laissé à sa charge et a retardé le paiement de son décompte. En se bornant toutefois à indiquer dans ses écritures que cette situation était due à l'inertie des autres lots, la société Ridoret Menuiserie, qui ne produit au demeurant pas plus en appel qu'en première instance de document de nature à justifier le surcoût qu'elle invoque, n'établit pas que ce surcoût résulterait d'une faute du maître d'ouvrage de nature à engager sa responsabilité contractuelle. Par suite, sa demande ne peut qu'être rejetée.

25. Il en est de même des surcoûts générés par le retard de chantier, en ce compris les frais de compte prorata, la société n'établissant aucune faute du maître d'ouvrage à l'origine de son préjudice en se bornant à alléguer que le chantier a pris un retard de sept mois du fait de l'entreprise chargée du gros œuvre. Par suite, les demandes d'indemnisation présentées par la société Ridoret Menuiserie à ce titre doivent être également rejetées.

Sur le montant du décompte général et définitif du marché :

26. D'une part, les conclusions aux fins de condamnation et relatives aux intérêts légaux présentées par l'EPHAD Debrou doivent être rejetées comme nouvelles en appel, celui-ci n'ayant présenté aucune conclusion reconventionnelle en première instance.

27. D'autre part, il résulte de l'instruction que le montant total des travaux dû à la société Ridoret Menuiserie est de 833 538,58 euros HT, soit 1 000 246,29 toutes taxes comprises, révisions comprises, somme à laquelle il y a lieu de soustraire 36 521,12 euros au titre des pénalités infligées à la société, soit un montant final dû à la société au titre du décompte général et définitif du marché de 963 725,17 euros toutes taxes comprises. Compte tenu du montant sur lequel les parties s'accordent de 948 189,64 euros toutes taxes comprises déjà versés au titre des acomptes au cours du chantier et des sommes versées par l'EPHAD en application du jugement de première instance, qui s'élèvent à 14 633,90 euros toutes taxes comprises, auxquels s'ajoutent le montant de la retenue de garantie de 901,63 euros, l'état des comptes est soldé à la date du présent arrêt.

Sur les frais relatifs à l'instance d'appel :

28. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter l'ensemble des conclusions présentées par les parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif d'Orléans du 28 janvier 2021 sont annulés.

Article 2 : Le montant dû à la société Ridoret Menuiserie au titre du décompte général et définitif du marché est fixé à la somme de 963 725,17 euros toutes taxes comprises.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de l'EPHAD Debrou est rejeté.

Article 4 : Les conclusions à fin de condamnation présentées par la société Ridoret Menuiserie devant le tribunal et devant la cour sont rejetées, de même que ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Debrou et à la société Ridoret Menuiserie.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Pilven, président assesseur,

Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 avril 2024.

La rapporteure,

J. FLORENTLe président,

P-L. ALBERTINILa greffière,

F. PETIT-GALLAND

La République mande et ordonne au préfet d'Indre-et-Loire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 21VE00909


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE00909
Date de la décision : 18/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05-02-01 Marchés et contrats administratifs. - Exécution financière du contrat. - Règlement des marchés. - Décompte général et définitif.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: Mme Julie FLORENT
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-18;21ve00909 ?
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