Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 24 juin 2020 par lequel le préfet des Yvelines a refusé de faire droit à sa demande de regroupement familial au profit de son épouse et de ses quatre enfants mineurs.
Par un jugement n° 2005657 du 7 avril 2022, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 9 mai et 1er août 2022, M. B..., représenté par Me Monconduit, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet des Yvelines, à titre principal, de lui délivrer une autorisation de regroupement familial, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le même délai et sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il est entaché d'une erreur de fait ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'intégralité des moyens développés en première instance sont repris devant la cour ;
- la décision attaquée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 3 paragraphe 1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2023, le préfet des Yvelines a conclu au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Even,
- et les observations Me Sun Troya pour le requérant.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant tunisien, né le 20 mai 1975 à Hassi Jerbi, entré régulièrement en France en mars 1991, ayant contracté mariage le 4 juin 2004 avec une compatriote dans son pays d'origine, père de quatre enfants nés en 2005, 2008, 2013 et 2017 était titulaire à la date de l'arrêté attaqué du 24 juin 2020 d'une carte de résident valable jusqu'au 24 mai 2021. Par un arrêté du 24 juin 2020, le préfet des Yvelines a refusé sa demande de regroupement familial présentée au profit de son épouse et de ses enfants au motif que son logement n'est pas conforme. M. B... fait appel du jugement du 7 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
3. Il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté que M. A... B... ressortissant tunisien, né le 20 mai 1975, est arrivé mineur en France en mars 1991 dans le cadre d'une procédure de regroupement familial et réside régulièrement en France depuis cette date. Il est titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 24 mai 2031. Sa mère et ses deux frères résident également régulièrement en France, chacun sous couvert d'une carte de résident, l'un d'entre eux ayant récemment obtenu la nationalité française. Il souffre d'un trouble schizophrénique détecté lorsqu'il était jeune, qui l'a conduit à être déclaré inapte au travail à partir de 1999. Il s'est vu reconnaître par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapés (CDAPH), le 24 août 2017, un taux d'incapacité compris entre 50 et 79% entraînant " une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi ". Son revenu mensuel avoisinait 1 094 euros à la date de la décision attaquée, qui se compose de l'allocation aux adultes handicapés, renouvelée pour la période allant du 1er juillet 2017 au 30 juin 2022, dont le montant mensuel est de 819 euros, plus l'aide pour le logement d'un montant mensuel de 275,97 euros. Il a contracté mariage le 4 juin 2004 avec Mme C..., de nationalité tunisienne. Quatre enfants sont nés de cette union le 6 avril 2005, le 25 juillet 2008, le 25 octobre 2013 et le 4 mai 2017. Il a déposé une première demande de regroupement familial le 6 avril 2012, qui a été refusée le 15 octobre 2012 au motif que son logement d'une surface estimée suffisante ne présentait pas les conditions requises en termes de confort et d'habitabilité.
4. La circonstance que M. B... ne remplirait pas les conditions de logement requises pour obtenir le regroupement familial et qu'il se contente d'affirmer qu'il pourrait obtenir un logement social plus grand s'il était fait droit à sa demande de regroupement familial et que son épouse et ses enfants résident en Tunisie depuis leur naissance et y sont scolarisés, et qu'ils ont jusqu'alors toujours vécu séparés de leur père, est sans incidence sur l'opérance et le bienfondé du moyen tiré de la violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale.
5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur le moyen de régularité et les autres moyens de fond invoqués, que le préfet des Yvelines a, par l'arrêté contesté du 24 juin 2020 refusant de faire droit à la demande de regroupement familial présentée par M. B... au profit de son épouse et de ses quatre enfants mineurs, porté une atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée et familiale et donc méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'intéressé est donc fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Sur la demande d'injonction et d'astreinte :
6. L'exécution du présent arrêt implique qu'il soit procédé à un nouvel examen de la demande de regroupement familial présentée par M. B... au profit de son épouse et de ses quatre enfants mineurs. Il y a lieu donc lieu d'enjoindre au préfet des Yvelines de procéder à cet examen, dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles n° 2005657 du 7 avril 2022 et l'arrêté du préfet des Yvelines du 24 juin 2020 refusant de faire droit à la demande de regroupement familial présentée par M. B... au profit de son épouse et de ses quatre enfants mineurs sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Yvelines de réexaminer la demande de regroupement familial présentée par M. B... au profit de son épouse et de ses quatre enfants mineurs, dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet des Yvelines.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2024, à laquelle siégeaient :
M. Even, président de chambre,
Mme Aventino, première conseillère,
M. Cozic, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2024.
Le président-rapporteur,
B. EVEN
L'assesseure la plus ancienne,
B. AVENTINOLa greffière,
I. SZYMANSKI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22VE01141
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