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09/04/2024 | FRANCE | N°22VE00469

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 1ère chambre, 09 avril 2024, 22VE00469


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... D... et M. E... ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la restitution de la cotisation d'impôt sur le revenu dont ils se sont acquittés au titre de l'année 2015, à hauteur de l'exonération des sommes perçues par M. D... en rémunération d'heures supplémentaires effectuées en 2010 et 2011, sous déduction du dégrèvement prononcé en cours d'instance, assortie des intérêts moratoires au taux légal à compter du 31 juillet 2016.
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Par un jugement n° 1900712 du 31 décembre 2021 le tribunal administratif de Cergy-Pontois...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... et M. E... ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la restitution de la cotisation d'impôt sur le revenu dont ils se sont acquittés au titre de l'année 2015, à hauteur de l'exonération des sommes perçues par M. D... en rémunération d'heures supplémentaires effectuées en 2010 et 2011, sous déduction du dégrèvement prononcé en cours d'instance, assortie des intérêts moratoires au taux légal à compter du 31 juillet 2016.

Par un jugement n° 1900712 du 31 décembre 2021 le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 mars et 23 septembre 2022, MM D... et A..., représentés par Me Weicheldinger, avocat, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué ;

2°) de prononcer la restitution des impositions en litige, assortie des intérêts moratoires au taux légal à compter du 31 juillet 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'est pas établi qu'il a été signé par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ;

- il est entaché de plusieurs erreurs de droit et de fait ;

- l'administration fiscale ne pouvait leur refuser le bénéfice de l'exonération prévue par l'article 81 quater du code général des impôts sans méconnaître l'autorité de la chose jugée par la cour d'appel de Paris ;

- le contingent annuel d'heures supplémentaires n'est pas la limite des heures pouvant légalement être effectuées ;

- les stipulations de l'article 33 de la convention collective Syntec ne sont pas applicables à M. D..., qui était cadre ;

- il n'y a pas lieu de procéder à la proratisation des heures supplémentaires en fonction du temps de travail effectif sur chaque année ;

- le taux horaire à prendre en compte est celui retenu par la cour d'appel, fixé à 70,95 euros brut de l'heure sur la base de 152 heures par mois et d'un salaire mensuel moyen brut de 10 785,12 euros ;

- l'intégralité de la rémunération des heures supplémentaires doit être exonérée d'impôt sur le revenu, y compris les sommes versées au titre de la contrepartie obligatoire en repos.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la demande.

Le ministre fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificatives pour 2012 ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dorion ;

- et les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., salarié de la société SAP France du 6 avril 2010 au 30 septembre 2011, sur la base d'une convention de forfait annuel de temps de travail fixé à 218 jours par an, conclue en application de la convention collective Syntec, a obtenu, par un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 15 avril 2015, cette convention de forfait annuel ayant été jugée " nulle et de nul effet ", la condamnation de son employeur à lui verser la somme de 87 650,38 euros bruts en rémunération de 558,50 heures supplémentaires de travail accomplies entre les mois d'avril 2010 et septembre 2011. Cette somme, perçue en 2015, a été déclarée par MM D... et A..., qui font l'objet d'une imposition commune, au titre de l'impôt sur le revenu de l'année 2015. Par une réclamation présentée le 19 octobre 2018, les contribuables ont demandé le bénéfice de l'exonération prévue par l'article 81 quater du code général des impôts. Leur demande ayant été rejetée le 20 novembre 2018, MM D... et A... ont alors saisi le conciliateur fiscal départemental du Val-d'Oise qui a partiellement fait droit à leur demande, par une décision du 16 janvier 2019, en leur accordant le bénéfice de l'exonération à hauteur de la somme de 12 909 euros nets en base, correspondant au paiement des heures supplémentaires effectuées dans la limite du contingent conventionnel de 130 heures supplémentaires par an prévu par la convention collective Syntec, soit un contingent de 195 heures supplémentaires sur la période indemnisée. Les requérants relèvent appel du jugement du 31 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande de restitution du surplus des impositions en litige.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs (...), la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. "

3. Il ressort de la minute du jugement attaqué que celui-ci a été signé par le président de la formation de jugement, la rapporteure et la greffière d'audience conformément aux exigences de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré du défaut de signature du jugement manque en fait.

4. En second lieu, si les requérants soutiennent que les premiers juges ont entaché leur décision d'erreurs de droit et de fait, ces moyens sont sans incidence sur la régularité du jugement attaqué et relèvent de l'appréciation du bien-fondé de leur demande de restitution.

Sur le bien-fondé de la demande de restitution :

5. Aux termes de l'article 3 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificatives pour 2012 : " (...) II. ' Le code général des impôts est ainsi modifié : / 1° L'article 81 quater est abrogé ; / (...) / VIII. ' A. ' Les I, III et V s'appliquent aux rémunérations perçues à raison des heures supplémentaires et complémentaires effectuées à compter du 1er septembre 2012. / (...) / Par dérogation au A du présent VIII, le II s'applique aux rémunérations perçues à raison des heures supplémentaires effectuées à compter du 1er août 2012 ". Il résulte de ces dispositions que l'abrogation de l'article 81 quater du code général des impôts par la loi de finances rectificative pour 2012 ne s'applique qu'aux heures de travail effectuées depuis le 1er août 2012 et que la rémunération des heures supplémentaires et complémentaires de travail effectuées avant cette date demeure exonérée d'impôt sur le revenu, dans les conditions prévues à l'article 81 quater du code général des impôts, quelle que soit l'année de son versement. Il suit de là que les sommes perçues par M. D... en septembre 2015, en rémunération d'heures supplémentaires effectuées au cours de la période d'avril 2010 à septembre 2011, sont éligibles au bénéfice de l'exonération prévue par ces dispositions.

6. Aux termes de l'article 81 quater du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la date des heures supplémentaires effectuées : " I. - Sont exonérés de l'impôt sur le revenu : / 1° Les salaires versés aux salariés au titre des heures supplémentaires de travail définies à l'article L. 3121-11 du code du travail (...) / III. - Les I et II sont applicables sous réserve du respect par l'employeur des dispositions légales et conventionnelles relatives à la durée du travail (...) ". Aux termes de l'article L. 3121-11 du code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur : " Des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel défini par une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. / Une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche fixe l'ensemble des conditions d'accomplissement d'heures supplémentaires au-delà du contingent annuel ainsi que les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel, la majoration des heures supplémentaires étant fixée selon les modalités prévues à l'article L. 3121-22. Cette convention ou cet accord collectif peut également prévoir qu'une contrepartie en repos est accordée au titre des heures supplémentaires accomplies dans la limite du contingent. / A défaut d'accord collectif, un décret détermine ce contingent annuel et les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel. / A défaut de détermination du contingent annuel d'heures supplémentaires par voie conventionnelle, les modalités de son utilisation et de son éventuel dépassement donnent lieu au moins une fois par an à une consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, s'il en existe. "

7. Il résulte de ces dispositions que si, dans sa rédaction alors en vigueur, l'article L. 3121-11 du code du travail prévoyait que, dans la limite d'un contingent fixé par accord collectif ou par décret, l'employeur était libre de demander aux salariés d'effectuer des heures supplémentaires, le bénéfice de l'exonération fiscale des heures supplémentaires n'était pas limité à ce contingent annuel. Par suite, M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale a exclu du bénéfice de cette exonération la rémunération des heures excédant le contingent annuel de 130 heures prévu par la convention collective Syntec pour les ETAM (employés, techniciens et agents de maîtrise), au demeurant inapplicable au statut de cadre de M. D.... Il s'ensuit que M. D... est en droit de revendiquer le bénéfice de l'exonération d'imposition pour l'ensemble des heures supplémentaires qu'il a effectuées légalement.

8. En revanche, seules les heures de travail supplémentaires effectivement réalisées peuvent ouvrir droit à une exonération d'impôt, à l'exclusion de l'indemnité reçue par M. D... en indemnisation de ses heures de repos compensatoire obligatoire.

9. Aux termes de l'article L. 3121-22 du code du travail, dans sa rédaction applicable : " Les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée par l'article L. 3121-10, ou de la durée considérée comme équivalente, donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires. Les heures suivantes donnent lieu à une majoration de 50 %. / (...) ". Les heures supplémentaires effectuées ne peuvent avoir pour effet de porter la durée hebdomadaire de travail au-delà de la durée maximale de travail fixée à 48 heures au cours d'une semaine et 44 heures sur une période de douze semaines consécutives, conformément aux articles L. 3121-35 et L. 3121-36 du code du travail.

10. M. D... produit des tableaux récapitulatifs des heures supplémentaires accomplies hebdomadairement, non contestés en défense, dont il ressort qu'il a effectué, au cours de l'année 2010, 209,75 heures supplémentaires majorées à 25 % et 154,50 heures supplémentaires majorées à 50 % et, au cours de l'année 2011, 143,25 heures supplémentaires majorées à 25 % et 81 heures supplémentaires majorées à 50 %. Toutefois, les heures supplémentaires effectuées au-delà de la limite légale de 48 heures par semaine sont exclues du champ de l'exonération fiscale. Les heures supplémentaires majorées à 50 % légalement effectuées éligibles à l'exonération s'établissent à 91 heures au titre de l'année 2010 et à 57,75 heures au titre de l'année 2011.

11. Enfin, en se bornant à soutenir que le taux horaire à prendre en compte doit être celui retenu par la cour d'appel, fixé à 70,95 euros brut de l'heure sur la base de 152 heures par mois et d'un salaire mensuel moyen brut de 10 785,12 euros, alors que l'administration fait valoir, sans être contredite, que ce calcul intègre des heures de repos compensateur et que le taux de 66,20 euros net de l'heure qu'elle a retenu est plus favorable, les requérants n'établissent pas que l'exonération à laquelle ils peuvent prétendre devrait être calculée sur la base d'un taux horaire de 70,95 euros.

12. Il s'ensuit que la base d'exonération de l'impôt sur le revenu des heures supplémentaires effectuées par M. D... doit être fixée, pour 2010, à [(66,20 € x 209,75 h x 1,25 = 17'356,80 euros) + (66,20 € x 91 h x 1,50 = 9'036,30 €)] = 26'393,10 euros et, pour 2011, à [(66,20 € x 143,25 h x 1,25 = 11'853,90 €) + (66,20 € x 57,75 h x 1,50 = 5'734,60 €)] = 17'588,50 euros, soit un montant total de 43'981,60 euros. Compte tenu du dégrèvement prononcé par l'administration à concurrence de 12 909 euros, il y a lieu de prononcer une réduction supplémentaire de la base imposable de MM D... et A... à l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2015 de 31 072,60 euros, arrondie à 31 073 euros.

Sur les intérêts moratoires :

13. En l'absence de litige né et actuel avec le comptable, les conclusions tendant au paiement des intérêts moratoires ne peuvent être accueillies.

14. Il résulte de tout ce qui précède que MM D... et A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal de Cergy-Pontoise a, par le jugement attaqué, rejeté leur demande de restitution de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2015, à hauteur d'une réduction en base de 31 073 euros.

Sur les frais de l'instance :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La base d'imposition de MM D... et A... à l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2015 est réduite de 31'073 euros.

Article 2 : Il est accordé à MM D... et A... la restitution de la cotisation d'impôt sur le revenu correspondant à la réduction de la base d'imposition définie à l'article 1er.

Article 3 : Le jugement du 31 décembre 2021 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à MM D... et A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de MM D... et A... est rejeté.

Article 6 : Le présent jugement sera notifié à MM B... D... et C... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Versol, présidente,

Mme Dorion, présidente-assesseure,

M. Tar, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 avril 2024.

La rapporteure,

O. DORION La présidente,

F. VERSOLLa greffière,

A. GAUTHIER

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N°22VE00469


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22VE00469
Date de la décision : 09/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-02-03 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Règles générales. - Impôt sur le revenu. - Détermination du revenu imposable.


Composition du Tribunal
Président : Mme VERSOL
Rapporteur ?: Mme Odile DORION
Rapporteur public ?: M. LEROOY
Avocat(s) : WEICHELDINGER

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-09;22ve00469 ?
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