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09/04/2024 | FRANCE | N°22VE00143

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 1ère chambre, 09 avril 2024, 22VE00143


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, intérêts et pénalités, mis à sa charge au titre de l'année 2016.



Par un jugement n° 2000491 du 2 décembre 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 21 j

anvier 2022, M. B..., représenté par Mes Dumont et Nerrant, avocats, demande à la cour :



1°) d'annuler le jugement att...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, intérêts et pénalités, mis à sa charge au titre de l'année 2016.

Par un jugement n° 2000491 du 2 décembre 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 janvier 2022, M. B..., représenté par Mes Dumont et Nerrant, avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué ;

2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, en ce qu'il se fonde sur une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation ; les premiers juges n'ont pas suffisamment précisé les motifs pour lesquels ils ont écarté les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la proposition de rectification et de la réponse aux observations du contribuable, le moyen tiré de ce que n'avaient pas été pris en compte la faible qualité des produits et le poids des emballages et les moyens tirés de la doctrine opposable ;

- l'administration fiscale n'a pas respecté les droits de la défense ;

- elle n'a pas suffisamment motivé la proposition de rectification, la réponse aux observations du contribuable et la décision de rejet de la réclamation ;

- elle ne lui a pas communiqué les documents au vu desquels ont été établies les rectifications ;

- il n'a pu bénéficier d'un débat oral et contradictoire ;

- l'avis d'imposition n'est pas signé ; cet avis est insuffisamment motivé ; il comporte une erreur sur la personne du contribuable dès lors qu'il est adressé au foyer fiscal qu'il compose avec son épouse alors que la rectification ne concerne que ses revenus catégoriels propres ;

- les impositions ne sont pas fondées dès lors que l'Etat ne peut tirer profit d'une activité illicite ; la Cour de justice de l'Union européenne ayant jugé qu'une activité illicite ne pouvait être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, une telle activité ne peut davantage être regardée comme productive de bénéfices industriels et commerciaux ;

- il n'est pas démontré qu'il a eu la libre disposition des produits en cause, notamment des 300 g de cocaïne saisis au domicile de ses parents ; il n'a pas été condamné pour la détention de 60 kg de cannabis ; il n'était que le gardien des produits et devait les remettre à un tiers ;

- les prix, quantités et qualité retenus par l'administration sont erronés ; les poursuites pénales portent sur la détention de 300 grammes de cocaïne et non 303 grammes ; il n'a pas été tenu compte des emballages et des impuretés pour déterminer la quantité de produits stupéfiants effectivement détenus ;

- les intérêts de retard sont insuffisamment motivés faute pour la proposition de rectification de mentionner expressément la base imposable, les années en cause, le calcul et le montant à payer ;

- ils constituent une sanction dont le juge doit apprécier le caractère manifestement excessif et appliquer la loi pénale plus douce, et qu'il peut moduler au cas par cas ; le taux de l'intérêt de retard doit être ramené au taux de l'intérêt légal correspondant au préjudice réellement subi par le Trésor public ;

- la majoration devait être appliquée par un agent ayant au moins le grade d'inspecteur divisionnaire ;

- elle est insuffisamment motivée faute de décrire les faits, d'établir leur matérialité et l'intention frauduleuse et de préciser ses modalités de calcul ; elle ne fait pas mention du délai de trente jours prévu à l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales ;

- la majoration, qui a le caractère d'une sanction, méconnaît le principe non bis in idem, dès lors qu'il a été condamné pénalement pour les mêmes faits.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Le ministre fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 16 juin 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, au 21 juillet 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dorion,

- et les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Après avoir eu connaissance des procès-verbaux établis par les services de police les 11, 12 et 13 septembre 2016, à l'issue de perquisitions au cours desquelles ont été découverts des produits stupéfiants au domicile et dans les véhicules de M. B..., l'administration fiscale a procédé à la rectification de ses impositions à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux, sur la base de la valeur vénale de ces produits, au titre de l'année de l'infraction, en application des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts. Ces impositions supplémentaires ont été assorties d'une majoration de 80 %. M. B... relève appel du jugement du 2 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande de décharge de ces impositions et majorations.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du livre des procédures fiscales : " Les jugements sont motivés. "

3. Les premiers juges ont exposé, aux points 2 à 5 du jugement attaqué, les motifs par lesquels ils ont écarté les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la proposition de rectification et de la réponse aux observations du contribuable et indiqué, au point 11, que les énonciations contenues dans diverses instructions ou notes de l'administration fiscale dont le requérant se prévaut, relatives à la procédure d'imposition, ne sont pas au nombre des interprétations de la loi fiscale dont les contribuables sont fondés à se prévaloir en application des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Ils ont également répondu par des motifs circonstanciés, au point 16 du jugement attaqué, au moyen tiré de ce que la qualité de produits et le poids des emballages n'avaient pas été pris en compte pour établir les rectifications. Si M. B... soutient que ces motifs sont entachés d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation, ces moyens relèvent de l'appréciation du bien-fondé du jugement attaqué et sont sans incidence sur sa régularité.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

4. En premier lieu, M. B... reprend en appel ses moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la proposition de rectification, de la réponse aux observations et de la décision de rejet de sa réclamation, du non-respect des droits de la défense, du défaut de communication des documents au vu desquels ont été établies les rectifications et des irrégularités entachant l'avis d'imposition. Le tribunal a, à bon droit, écarté ces moyens par des motifs, exposés aux points 2 à 11 du jugement attaqué, qu'il y a lieu d'adopter.

5. En deuxième lieu, les impositions en litige ayant été établies dans le cadre d'un contrôle sur pièces, M. B... ne soutient pas utilement qu'il aurait été privé de la garantie du débat oral et contradictoire attachée à la procédure de vérification de comptabilité.

6. Enfin, l'administration n'est pas tenue de réitérer, pour les prélèvements sociaux, les explications apportées dans la proposition de rectification concernant la rectification de l'assiette de l'impôt sur le revenu.

Sur le bien-fondé des impositions :

7. Aux termes de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts : " 1. Lorsqu'il résulte des constatations de fait opérées dans le cadre d'une des procédures prévues aux articles 53, 75 et 79 du code de procédure pénale et que l'administration fiscale est informée dans les conditions prévues aux articles L. 82 C, L. 101 ou L. 135 L du livre des procédures fiscales qu'une personne a eu la libre disposition d'un bien objet d'une des infractions mentionnées au 2, cette personne est présumée, sauf preuve contraire appréciée dans le cadre des procédures prévues aux articles L. 10 et L. 12 de ce même livre, avoir perçu un revenu imposable équivalent à la valeur vénale de ce bien au titre de l'année au cours de laquelle cette disposition a été constatée. / La présomption peut être combattue par tout moyen et procéder notamment de l'absence de libre disposition des biens mentionnés au premier alinéa, de la déclaration des revenus ayant permis leur acquisition ou de l'acquisition desdits biens à crédit. (...) / 2. Le 1 s'applique aux infractions suivantes : / a. crimes et délits de trafic de stupéfiants prévus par les articles 222-34 à 222-39 du code pénal ; (...) ".

8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. B... a été condamné, par un jugement du tribunal correctionnel d'Evry du 16 mars 2018, à une peine d'emprisonnement ferme de quatre ans, au paiement d'une amende de 10 000 euros et à deux ans d'interdiction de séjour dans le département de l'Essonne, pour des faits d'acquisition, détention, transport et offre ou cession non autorisée de stupéfiants, commis au cours de la période du 24 août 2015 au 12 septembre 2016, et qu'au cours de l'enquête de police ont été découverts 20 kg de résine de cannabis dans le coffre d'un véhicule utilisé par M. B..., 40 kg de résine de cannabis dans le coffre d'une voiture lui appartenant et 303 grammes de cocaïne au domicile de ses parents, dont il est présumé avoir eu la disposition. Si M. B... fait valoir que la cocaïne n'a pas été saisie à son domicile mais au domicile de ses parents, il ressort du rapport de synthèse établi par la brigade des stupéfiants de la sûreté départementale de l'Essonne que celui-ci se rendait quotidiennement au domicile inoccupé de ses parents, lesquels se trouvaient en Algérie, pour y stocker de l'argent et des stupéfiants. En se bornant à affirmer qu'il n'avait que la garde temporaire de ces produits et qu'il devait les remettre à un tiers, sans en justifier, ni même apporter aucune précision sur l'identité du tiers qui lui en aurait confié la garde, M. B... n'établit pas qu'il n'avait pas la libre disposition de ces biens.

9. En second lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport de synthèse déjà cité, qu'au cours de la perquisition au domicile des parents de M. B..., 300 grammes de cocaïne ont été découverts dans la buanderie et 3 grammes dans la chambre de M. B.... Il ressort du même rapport que la quantité de 60 kg de résine de cannabis a été retrouvée dans deux véhicules dont il avait l'usage. Dans ces conditions, le service vérificateur pouvait retenir les quantités de 303 grammes de cocaïne et 60 kg de résine de cannabis, alors même que le jugement du tribunal correctionnel d'Evry ne mentionne pas les quantités de produits stupéfiants saisies. Par ailleurs, M. B... conteste les prix de détail de 84 euros le gramme de cocaïne et 2 000 euros le kilogramme de résine de cannabis retenus par l'administration, au motif que, compte tenu des quantités saisies, devait être appliqué un prix de gros. Cependant, l'administration établit sans être sérieusement contredite que son évaluation correspond aux prix moyens déterminés par des études établies par des organismes tels que l'office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants, la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives et l'observatoire français des drogues et des toxicomanies. Le prix de 2 euros le gramme de résine de cannabis est d'ailleurs inférieur aux prix mentionnés dans les deux articles de presse produits par le requérant. Il n'y avait pas davantage lieu de tenir compte d'un pourcentage de résidus et impuretés, dès lors qu'il ressort des analyses réalisées par le laboratoire Toxlab que les produits détenus par M. B..., avec un taux de THC de la résine compris entre 26,6 % et 31,8 %, et un taux de pureté de la cocaïne de 83,3 %, étaient de très bonne qualité, tandis que les prix appliqués correspondent à des produits de qualité moyenne. Enfin, le poids de l'emballage apparaît négligeable et n'a pas eu une incidence significative sur le montant du rehaussement. Par suite, le moyen tiré de ce que l'évaluation des bases d'imposition serait surévaluée doit être écarté.

Sur les intérêts :

10. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges aux points 17 à 19 du jugement attaqué, d'écarter les moyens tirés de l'insuffisance de motivation des intérêts de retard, du caractère excessif du taux de l'intérêt de retard et de ce que ce taux devrait être réduit au taux de l'intérêt légal.

Sur la majoration :

11. Aux termes de l'article 1758 du code général des impôts : " (...) En cas d'application des dispositions prévues à l'article 1649 quater-0 B bis, le montant des droits est assorti d'une majoration de 80 % ". Aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées (...) ".

12. En premier lieu, la proposition de rectification mentionne l'application des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis, l'article 1758 du code général des impôts et son taux de 80 % qui constitue la base légale de la pénalité infligée au requérant ainsi que les modalités de calcul de la majoration et son montant. Il en résulte que le moyen tiré du défaut de motivation de la majoration doit être écarté comme manquant en fait.

13. En second lieu, M. B... ne peut se prévaloir utilement du principe non bis in idem consacré à l'article 4 du protocole additionnel n° 7 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales, dès lors que cette règle ne trouve à s'appliquer, selon les réserves faites par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n'interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux sanctions infligées par le juge répressif. En tout état de cause, la majoration des impositions, qui sanctionne la dissimulation de revenus, et la condamnation pénale, qui sanctionne l'infraction de trafic de stupéfiants, ne concernent pas les mêmes faits. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance du principe non bis in idem ne peut qu'être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par suite, la requête doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Versol, présidente de chambre,

Mme Dorion, présidente-assesseure,

M. Tar, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 avril 2024.

La rapporteure,

O. DORIONLa présidente,

F. VERSOLLa greffière,

A. GAUTHIER

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 22VE00143


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22VE00143
Date de la décision : 09/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-02-03 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Règles générales. - Impôt sur le revenu. - Détermination du revenu imposable.


Composition du Tribunal
Président : Mme VERSOL
Rapporteur ?: Mme Odile DORION
Rapporteur public ?: M. LEROOY
Avocat(s) : SELARL DUBAULT-BIRI & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-09;22ve00143 ?
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