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14/03/2024 | FRANCE | N°22VE01434

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 14 mars 2024, 22VE01434


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



I. Par une demande enregistrée sous le n° 1907605, M. C... E... A... et Mme D... B... ont sollicité du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, l'annulation de la décision implicite par laquelle le maire de Magny-en-Vexin a rejeté leur demande tendant à libérer l'accès à la parcelle dont ils sont propriétaires par le chemin rural n° 18 dit " des prés des marais chauds ", empêché par la pose, en février 2019, de deux poteaux métalliques à l'entrée dudit c

hemin rural, et d'autre part, d'enjoindre au maire de Magny-en-Vexin de rétablir l'accès à c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I. Par une demande enregistrée sous le n° 1907605, M. C... E... A... et Mme D... B... ont sollicité du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, l'annulation de la décision implicite par laquelle le maire de Magny-en-Vexin a rejeté leur demande tendant à libérer l'accès à la parcelle dont ils sont propriétaires par le chemin rural n° 18 dit " des prés des marais chauds ", empêché par la pose, en février 2019, de deux poteaux métalliques à l'entrée dudit chemin rural, et d'autre part, d'enjoindre au maire de Magny-en-Vexin de rétablir l'accès à cette parcelle et de retirer les poteaux métalliques, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, et enfin de mettre à la charge de la commune de Magny-en-Vexin la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

II. Par une demande enregistrée sous le n° 1909723, M. C... E... A... et Mme D... B... ont sollicité du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, l'annulation de l'arrêté du 8 avril 2019 par lequel le maire de Magny-en-Vexin a interdit la circulation des véhicules terrestres à moteur sur le chemin rural n° 18 dit " des prés des marais chauds ", et d'autre part de mettre à la charge de la commune de Magny-en-Vexin la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1907605-1909723 du 21 avril 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 juin 2022, M. C... E... A... et Mme D... B... épouse A..., représentés par Me Aksil, avocat, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du maire de la commune de Magny-en-Vexin du 8 avril 2019 et la décision implicite de rejet de leur recours gracieux ;

3°) de condamner la commune de Magny-en-Vexin à leur verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

4°) de condamner la commune de Magny-en-Vexin aux entiers dépens ;

5°) et de mettre à la charge de la commune de Magny-en-Vexin la somme de 5 000 euros à leur verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les décisions en litige ne sont pas nécessaires et portent une atteinte disproportionnée à leur liberté d'aller et venir et à leur droit d'accès à leur propriété ;

- les dispositions de l'article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales ont été méconnues.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2022, la commune de Magny-en-Vexin, représentée par Me Houillon, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de M. et Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 19 septembre 2023 la clôture d'instruction a été fixée au 20 octobre 2023 en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires présentées par M. et Mme A..., faute de liaison du contentieux sur ce point, et qu'il s'agit dès lors de conclusions nouvelles en appel.

Par un mémoire enregistré le 1er février 2024, la commune de Magny-en-Vexin a présenté des observations suite à la communication par la cour d'un moyen relevé d'office.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Cozic,

- les conclusions de M. Frémont, rapporteur public,

- et les observations de Me Benoliel pour M. et Mme A... et F... pour la commune de Magny-en-Vexin.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... et Mme B... épouse A... ont acquis, par un acte notarié du 31 juillet 2018, une parcelle AV n°196 en nature de pré entièrement clôturée de 67 ares 35 centiares, située sur la commune de Magny-en-Vexin, dans le Val d'Oise, au lieu-dit " les marais chauds ", accessible par le " chemin rural n°18 des prés des marais chauds ". M. et Mme A... ont constaté le 23 février 2019 que les services de la mairie avaient installé des poteaux métalliques à l'entrée du chemin rural, empêchant le passage de véhicules motorisés. Par courrier du 4 mars 2019, M. A... a sollicité du maire qu'il fasse retirer ces poteaux. Cette demande a été implicitement rejetée. Le maire de la commune de Magny-en-Vexin a, par un arrêté n°7/2019 du 8 avril 2019, interdit la circulation de tout véhicule terrestre à moteur sur le chemin rural n°18 du pré des marais chaud, à l'exception de ceux chargés de remplir une mission de service public. Par un courrier reçu le 29 avril 2019, M. et Mme A... ont formé un recours gracieux contre cet arrêté, qui a été implicitement rejeté. Par une première demande, enregistrée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 17 juin 2019 sous le n°1907605, M. et Mme A... ont demandé l'annulation de la décision refusant de permettre le libre accès à leur parcelle. Par une seconde demande enregistrée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 30 juillet 2019 sous le n°1909723, M. et Mme A... ont demandé l'annulation de l'arrêté du maire du 8 avril 2019 et la décision rejetant leur recours gracieux formé contre cet arrêté. Par un jugement n°1907605-1909723 du 21 avril 2022 le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leurs demandes. Dans leur requête, M. et Mme A... demandent à la cour d'annuler l'arrêté du maire de la commune de Magny-en-Vexin du 8 avril 2019 ainsi que la décision implicite de rejet de leur recours gracieux, et de condamner la commune à leur verser la somme de 15 000 euros en réparation des préjudices qu'ils allèguent avoir subis.

Sur la recevabilité des conclusions indemnitaires :

2. M. et Mme A... demandent à la cour de condamner la commune de Magny-en-Vexin à leur verser la somme de 15 000 euros " à titre de dommages et intérêts ". Toutefois, ces conclusions n'ont été précédées d'aucune demande indemnitaire préalable adressée à la commune de Magny-en-Vexin. Aucune décision n'ayant lié ce contentieux, les conclusions indemnitaires, par ailleurs nouvelles en appel, sont doublement irrecevables et ne peuvent donc qu'être rejetées.

Sur la légalité des décisions contestées :

3. Aux termes de l'article L. 161-1 du code rural et de la pêche maritime : " Les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l'usage du public, qui n'ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune. " Aux termes de l'article L. 161-5 du même code : " L'autorité municipale est chargée de la police et de la conservation des chemins ruraux. " Aux termes de l'article D.161-10 du même code : " Dans le cadre des pouvoirs de police prévus à l'article L. 161-5, le maire peut, d'une manière temporaire ou permanente, interdire l'usage de tout ou partie du réseau des chemins ruraux aux catégories de véhicules et de matériels dont les caractéristiques sont incompatibles avec la constitution de ces chemins, et notamment avec la résistance et la largeur de la chaussée ou des ouvrages d'art. ".

4. Il ressort de la combinaison des dispositions précitées qu'il appartient au maire de faire usage de son pouvoir de police en réglementant et, au besoin, en interdisant de façon temporaire ou permanente, la circulation des engins et matériels sur les chemins ruraux dès lors que de telles mesures de restriction sont rendues nécessaires afin de garantir la conservation de la chaussée et de prévenir les risques de dégradation de celle-ci.

5. Il ressort des pièces du dossier que le chemin des prés des marais chauds, identifié au cadastre comme étant le " chemin rural n°18 ", longe pour partie des parcelles construites d'un côté et des parcelles naturelles de l'autre. Il est classé en zone naturelle par le plan local d'urbanisme de la commune, et a été inscrit au plan départemental des itinéraires de promenades et randonnées du département du Val d'Oise. Par un arrêté du 8 avril 2019, le maire de la commune de Magny-en-Vexin a interdit à tout véhicule terrestre à moteur de circuler sur l'ensemble de ce chemin rural, à la seule exception des " véhicules utilisés pour remplir une mission de service public ". Il ressort des termes de cet arrêté que le maire a ce faisant entendu préserver la consistance du chemin rural qui, en raison de la présence de nombreuses sources naturelles, serait susceptible d'être endommagé par le passage de véhicules motorisés. Le maire a également entendu par cette mesure d'interdiction préserver les espaces et paysages naturels de toute détérioration, et assurer la sécurité des usagers du chemin rural.

6. La fragilité du chemin rural en cause, qui n'est certes recouvert d'aucun revêtement artificiel, n'est étayée par aucune pièce du dossier, qu'il s'agisse de l'ensemble du chemin rural dans toute sa longueur ou d'une partie de celui-ci uniquement. En particulier, aucun rapport d'expertise ou document d'analyse des terrains traversés par le chemin rural n'est versé au dossier, et il n'est fait état d'aucun incident particulier qui aurait pu justifier la mesure en litige. Si la commune fait valoir en appel que, postérieurement à l'arrêté en litige, le 25 mai 2021, l'affaissement d'un terrain proche du chemin rural a été constaté, il n'est nullement établi que cet affaissement révèlerait la fragilité intrinsèque du chemin rural n°18, alors que le rapport de gendarmerie versé au dossier souligne que l'affaissement de terrain en cause est survenu à la suite de travaux de terrassement réalisés par une entreprise de travaux sur une propriété riveraine du chemin. Ainsi, les caractéristiques du chemin rural en cause, telles qu'elles ressortent des pièces du dossier, ne justifient pas en elles-mêmes l'interdiction générale et absolue prononcée par le maire.

7. Par ailleurs, eu égard aux caractéristiques du chemin rural en cause, à l'étroitesse de certains passages et à l'absence de revêtement artificiel au sol, rendant difficile le passage de véhicules à moteur, et limitant donc à la fois leur vitesse et la fréquence de leurs passages, et alors qu'il n'est fait état par la commune d'aucun incident survenu sur ce chemin, il n'apparaît pas que la circulation de véhicules à moteurs constituerait en lui-même un danger significatif pour les différents usagers du chemin, justifiant une interdiction absolue de la circulation de véhicules à moteurs.

8. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la flore et la végétation recouvrant le chemin rural revêtirait une importance particulière ou serait menacée ou endommagée au point de justifier une interdiction absolue de circulation de tout véhicule terrestre à moteur.

9. En outre, il ressort des pièces du dossier que l'interdiction prononcée par l'arrêté attaqué a pour effet d'enclaver la parcelle AV n° 196 appartenant à M. et Mme A.... Ces derniers justifient de la réalité de leur activité d'élevage caprin et soutiennent, nonobstant la taille modeste de leur cheptel, qu'ils ont régulièrement besoin de transporter de lourds chargements sur leur terrain dans le cadre de leur activité agricole. Si la commune fait valoir qu'il existerait un trajet alternatif leur permettant d'accéder à leur parcelle par un véhicule à moteur, il ressort notamment des plans versés au dossier par la commune elle-même, que ce trajet alternatif nécessiterait dans tous les cas non seulement de traverser le chemin rural n° 18 mais également de remonter une partie de celui-ci pour atteindre la parcelle de M. et Mme A.... Le suivi de ce trajet alternatif ne permettrait donc pas à ces derniers de respecter l'interdiction totale de circulation prescrite par l'arrêté en litige. Alors que l'arrêté du 8 avril 2019 prévoit une dérogation à l'interdiction de circulation au bénéfice de tout véhicule utilisé pour remplir une mission de service public, il ne fait aucune distinction selon le gabarit du véhicule ou encore selon les parties du chemin rural. Or, il ne ressort pas des pièces du dossier que les engins utilisés par les époux A... dans le cadre de leur activité agricole auraient des caractéristiques différentes de ces engins utilisés pour remplir une mission de service public.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la mesure d'interdiction générale de circulation de tout véhicule terrestre à moteur, édictée par le maire de la commune de Magny-en-Vexin par l'arrêté du 8 avril 2019, ne comportant qu'une seule dérogation au bénéfice des engins utilisés pour remplir une mission de service public, n'apparaît ni nécessaire, ni proportionnée, et est donc illégale.

11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que M. et Mme A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté du maire de la commune de Magny-en-Vexin du 8 avril 2019 et de la décision implicite de rejet de leur recours gracieux.

Sur les conclusions tendant au remboursement des dépens :

12. Aucun dépens n'ayant été exposé dans la présente instance, les conclusions tendant à en obtenir le remboursement ne peuvent qu'être rejetées.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Magny-en-Vexin la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme A... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise n° 1907605-1909723 du 21 avril 2022 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du maire de la commune de Magny-en-Vexin n°7/2019 du 8 avril 2019, interdisant la circulation de tout véhicule terrestre à moteur sur le chemin rural n°18 du pré des marais chaud, à l'exception de ceux chargés de remplir une mission de service public, et la décision implicite par laquelle le maire de Magny-en-Vexin a rejeté le recours gracieux de M. et Mme A..., sont annulés.

Article 3 : La commune de Magny-en-Vexin versera à M. et Mme A... la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E... A..., à Mme D... B... épouse A... et à la commune de Magny-en-Vexin.

Délibéré après l'audience du 29 février 2024 à laquelle siégeaient :

M. Even, président de chambre,

Mme Aventino-Martin, première conseillère,

M. Cozic, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2024.

Le rapporteur,

H. COZICLe président,

B. EVEN

La greffière,

I. SZYMANSKI

La République mande et ordonne au préfet du Val d'Oise en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 22VE01434


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE01434
Date de la décision : 14/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Collectivités territoriales - Commune - Biens de la commune - Chemins ruraux.

Police - Police générale - Circulation et stationnement - Réglementation de la circulation - Mesures d'interdiction.

Voirie - Composition et consistance - Chemins ruraux.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Hervé COZIC
Rapporteur public ?: M. FREMONT
Avocat(s) : SCP PETIT-MARCOT-HOUILLON & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-14;22ve01434 ?
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