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22/02/2024 | FRANCE | N°20VE02068

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 22 février 2024, 20VE02068


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société SPIE Batignolles a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à lui payer, au titre du marché signé le 3 décembre 2012, la somme de 1 698 576,68 euros HT, soit 2 032 156,58 euros TTC, cette somme devant être révisée dans les conditions prévues par le marché, de condamner l'Etat à lui verser les intérêts moratoires au taux défini à l'article 3.3.6 du cahier des clauses administratives particulières à compter du 21 juillet 2016, date

de la remise du mémoire en réclamation, d'ordonner la capitalisation des intérêts, et de met...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société SPIE Batignolles a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à lui payer, au titre du marché signé le 3 décembre 2012, la somme de 1 698 576,68 euros HT, soit 2 032 156,58 euros TTC, cette somme devant être révisée dans les conditions prévues par le marché, de condamner l'Etat à lui verser les intérêts moratoires au taux défini à l'article 3.3.6 du cahier des clauses administratives particulières à compter du 21 juillet 2016, date de la remise du mémoire en réclamation, d'ordonner la capitalisation des intérêts, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1805445 du 24 février 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 17 août 2020, le 18 mai 2021 et le 23 novembre 2021, la société SPIE Batignolles Génie Civil, représentée par Me Grange, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 1 698 576,68 euros HT, soit 2 032 156,58 euros TTC, cette somme devant être révisée dans les conditions prévues par le marché ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser les intérêts moratoires au taux défini par l'article 3.3.6 du cahier des clauses administratives particulières sur la somme de 2 032 156,58 euros TTC à compter du 21 juillet 2016, date de la remise du mémoire en réclamation ;

4°) d'ordonner la capitalisation des intérêts à compter de la date à laquelle les intérêts sont dus pour une année entière, puis à chaque échéance annuelle ;

5°) de rejeter l'ensemble des demandes et conclusions de l'Etat ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 500 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité en ce qu'il est insuffisamment motivé dès lors que son point 11 ne justifie pas suffisamment les raisons qui ont conduit le tribunal administratif à juger que l'exposante était en mesure de détecter l'omission des trémies ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé dans sa réponse au moyen tiré de l'insuffisante estimation des besoins au titre de la perméabilité des sols ;

- le jugement attaqué a omis de statuer sur les conclusions formulées à titre subsidiaire tendant à la prise en charge définitive, par le maître d'ouvrage, des travaux supplémentaires en cas de faute d'un autre intervenant ;

- le jugement attaqué a omis de statuer sur les conclusions formulées à titre infiniment subsidiaire tendant à engager la responsabilité sans faute de l'Etat ;

- elle a droit au paiement des travaux supplémentaires liés à la création des trémies du bâtiment Lamas pour un montant de 20 705,50 euros HT, soit 24 846,60 euros TTC, qui n'étaient pas prévues dans le montant forfaitaire du marché et sur lequel elle n'a pu s'engager en connaissance de cause ;

- elle a droit au paiement des travaux supplémentaires liés au renforcement du plancher de la zone NSB4 pour un montant de 51 614,69 euros HT, dès lors que le montant annoncé n'était pas définitif et que le chiffrage du maître d'œuvre est erroné ; elle n'avait pas à démontrer le caractère indispensable de ces travaux dès lors que les travaux ont été réalisés à la demande du maître d'ouvrage ; le jugement attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une erreur de droit à cet égard ;

- la responsabilité pour faute contractuelle du maître d'ouvrage doit être retenue au titre de la création des trémies et du renforcement du plancher dès lors que ces travaux supplémentaires résultent des insuffisances techniques du dossier de consultation des entreprises et d'une insuffisante définition de ses besoins par le maître d'ouvrage ; le jugement attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation à cet égard ; à supposer que ces travaux supplémentaires ne résultent pas d'une faute du maître d'ouvrage, ce dernier devrait supporter le coût de l'indemnisation de l'exposante au titre des fautes commises par d'autres intervenants, notamment le maître d'œuvre qui a manqué à sa mission " Assistance pour la passation des contrats de travaux " et a manqué à son obligation de suivi des travaux ; à supposer que la responsabilité contractuelle de l'Etat ne puisse être reconnue, elle devrait être indemnisée sur le fondement de la responsabilité sans faute du maître d'ouvrage du fait de l'exercice de son pouvoir de modification unilatérale ;

- il appartenait au maître d'ouvrage, au titre de son pouvoir d'organisation et de direction, de faire apparaître les trémies dans le cahier des clauses techniques particulières ou, au moins, dans les plans du lot ;

- elle a droit à l'indemnisation de la somme de 14 326,62 euros HT, soit 17 191,94 euros TTC, correspondant à la moins-value appliquée au titre de la réduction des quantités nécessaires d'enduit et de branchement en eau froide ; cette modification procède d'une mauvaise estimation de ses besoins par le maître d'ouvrage ; à supposer que la responsabilité contractuelle de l'Etat ne puisse être reconnue, elle devrait être indemnisée sur le fondement de la responsabilité sans faute du maître d'ouvrage du fait de l'exercice de son pouvoir de modification unilatérale ;

- elle a droit, en raison d'une faute du maître d'ouvrage dans l'exercice de ses pouvoirs de direction et de contrôle, à l'indemnisation de la somme de 176 338,82 euros HT, soit 211 606,59 euros TTC, correspondant à la révision des dispositifs de pompage compte tenu des données erronées fournies par les documents contractuels quant à la perméabilité des sols ; cette modification procède d'une mauvaise estimation de ses besoins par le maître d'ouvrage ; à supposer que ces travaux supplémentaires ne résultent pas d'une faute du maître d'ouvrage, ce dernier devrait supporter le coût de l'indemnisation de l'exposante au titre des fautes commises par d'autres intervenants ;

- elle a droit, en raison d'une faute du maître d'ouvrage dans l'exercice de ses pouvoirs de direction et de contrôle, à l'indemnisation des frais engagés en raison de la coupure électrique intervenue le 23 octobre 2013 pour un montant de 33 876,44 euros HT, soit 40 516,22 euros TTC ;

- elle a droit, en raison d'une faute du maître d'ouvrage dans l'exercice de ses pouvoirs de direction et de contrôle, au remboursement des frais supplémentaires résultant des retards dans les études de synthèse et des reprises d'exécution, pour un montant de 81 792,91 euros HT, soit 92 151,50 euros TTC ; à supposer que ces difficultés ne résultent pas d'une faute du maître d'ouvrage, ce dernier devrait supporter le coût de l'indemnisation de l'exposante au titre des fautes commises par d'autres intervenants ;

- elle a droit, en raison d'une faute du maître d'ouvrage dans l'exercice de ses pouvoirs de direction et de contrôle, au remboursement des frais supplémentaires résultant de la prolongation des délais de travaux sur les bâtiments réhabilités (garage, Imassa A, Imassa B et Lamas), pour un montant de 291 515,38 euros HT, soit 349 818,46 euros TTC ; à supposer que ces difficultés ne résultent pas d'une faute du maître d'ouvrage, ce dernier devrait supporter le coût de l'indemnisation de l'exposante au titre des fautes commises par d'autres intervenants ;

- elle a droit, en raison d'une faute du maître d'ouvrage dans l'exercice de ses pouvoirs de direction et de contrôle, au remboursement des frais supplémentaires résultant de la prolongation des délais de travaux sur le bâtiment confiné, pour un montant de 474 971,78 euros HT, soit 569 966,13 euros TTC ; à supposer que ces difficultés ne résultent pas d'une faute du maître d'ouvrage, ce dernier devrait supporter le coût de l'indemnisation de l'exposante au titre des fautes commises par d'autres intervenants ;

- elle a droit au paiement des intérêts moratoires, conformément à l'article 3.3.6 du cahier des clauses administratives particulières, ainsi qu'à la capitalisation des intérêts.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 janvier 2021 et le 29 septembre 2021, le ministre des armées conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société SPIE Batignolles le versement de la somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Houllier,

- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,

- et les observations de Me Grange, pour la société SPIE Batignolles.

Considérant ce qui suit :

1. La société SPIE Batignolles fait appel du jugement du 24 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 1 698 576,68 euros HT au titre de l'exécution du marché signé le 3 décembre 2012 lui confiant le lot n°1 des travaux de création des infrastructures de l'Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA).

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, la requérante soutient que les juges de première instance ont insuffisamment motivé leur jugement en ce qu'ils n'auraient pas explicité les raisons les ayant conduits à estimer que l'exposante était en mesure de détecter l'omission des trémies dans le plan d'architecte au moment de la remise de son offre. Il résulte, toutefois, de l'examen du jugement attaqué que le tribunal administratif a cité, au point 10, les stipulations contractuelles applicables et en a déduit au point 11, de manière suffisamment motivée, que la société requérante était en mesure de détecter l'omission des trémies eu égard à ses obligations contractuelles. En outre, il ressort des points 17 à 23 du jugement attaqué que le tribunal administratif a suffisamment répondu au moyen tiré de l'insuffisante estimation de ses besoins par le maître d'ouvrage au titre de la perméabilité des sols. Par suite, les moyens tirés de l'irrégularité du jugement attaqué de ces chefs doivent être écartés.

3. En deuxième lieu, la requérante soutient que le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de ce qu'à supposer que les travaux supplémentaires résultent d'une faute d'une autre entreprise ou du maître d'œuvre, le maître d'ouvrage resterait responsable des préjudices en résultant pour elle. Toutefois, il ressort du jugement attaqué que les juges de première instance, qui ont rappelé au point 14 les conditions d'engagement de la responsabilité du maître d'ouvrage, ont répondu à l'ensemble des moyens tirés des fautes commises par le maître d'ouvrage et ont ainsi, implicitement mais nécessairement, écarté toute responsabilité de ce dernier dans les préjudices allégués par la société requérante qui, au demeurant, n'invoquait pas précisément la faute d'autres entreprises titulaires ou du maître d'œuvre. Par suite, ce moyen doit être écarté.

4. En troisième lieu, la requérante soutient que les juges de première instance ont omis de répondre au moyen tiré de la responsabilité sans faute de l'Etat du fait de l'exercice de son pouvoir de modification unilatérale tiré de la jurisprudence du Conseil d'Etat, 11 mars 1910, Compagnie générale française des tramways, n° 16178. Toutefois, il ressort du jugement attaqué, notamment de son point 15, que le tribunal a expressément répondu au moyen tiré de la possibilité de procéder à une modification du plancher métallique de la zone NSB4 et ainsi, implicitement, mais nécessairement, entendu écarter la responsabilité sans faute de l'Etat à raison d'une modification unilatérale du contrat. Par suite, ce moyen doit être écarté.

5. En dernier lieu, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La société requérante ne peut donc utilement se prévaloir des erreurs de droit et d'appréciation commises par les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Au fond :

En ce qui concerne les travaux supplémentaires :

6. L'entreprise titulaire d'un marché a droit au paiement des travaux non-prévus au marché initial qui lui ont été commandés par ordre de service régulier. Même en l'absence d'un ordre de service, et nonobstant le caractère forfaitaire du prix du marché, le cocontractant de 1'administration est fondé à demander le règlement des travaux indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art.

7. En premier lieu, aux termes de l'article 3.2.6.3 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du lot n°1, le titulaire du lot doit assurer les ouvertures de " trémies de dimensions diverses, selon besoins (...) suivant les plans de l'architecte et plans de démolition ". En outre, selon l'article 7.1.3.1 du même CCTP, le titulaire du lot n°1 " assure la synthèse des réservations avec le lot CVC. / Réalise les réservations y compris renforts et chevêtres nécessaires en fonctions des charges induites ou de la configuration des lieux. / Assure les modifications requises (y compris finitions) en cas de non-respect du plan et assume les conséquences financières quant au planning ". Cet article prévoit également que le titulaire du lot n° 1 assure, s'agissant des réservations pour menuiseries, parois et planchers, la " réalisation des réservations (...) / intègre toutes dispositions pour obtenir le profil souhaité par le maître d'œuvre / prend en compte les surcharges induites / (...) prend en compte les surcharges induites en intégrant les renforts nécessaires ". Enfin, selon l'article 1.6.1 du cahier des clauses techniques communes : " (...) L'entrepreneur est réputé avant la remise de son offre : (...) - avoir contrôlé toutes les indications des documents du dossier de marché, notamment des plans, des dessins d'exécution et du descriptif ; (...) ".

8. La société requérante soutient qu'elle a droit au paiement de la réalisation de trois trémies dans le plancher haut du niveau 2 du bâtiment Lamas, demandée par l'ordre de service n° 26, dès lors que ces trémies et réservations n'apparaissaient pas sur les plans d'architecte. Toutefois, il résulte de l'instruction que le percement de ces réservations est conforme aux stipulations précitées de l'article 7.1.3.1 du CCTP sans que la requérante puisse se prévaloir des incohérences des plans d'architecte dès lors, d'une part, qu'elle était tenue, aux termes de l'article 1.6.1 précité de les vérifier, et, d'autre part, que ces réservations répondent, selon les stipulations de l'article 7.1.3.1, aux besoins déjà identifiés. Par suite, les conclusions tendant à la rémunération de ces travaux déjà compris dans le prix du marché doivent être rejetés.

9. En second lieu, la requérante soutient qu'elle a droit au paiement des travaux supplémentaires de renforcement du plancher de la zone NSB4. Il est constant que ces travaux résultent d'un changement de destination de la zone décidé par le maître d'ouvrage, qui a, dans ces conditions, accepté de régler la somme supplémentaire de 49 181 euros HT à la société requérante. Si cette dernière soutient qu'elle doit également être indemnisée de la somme complémentaire de 51 614,69 euros HT correspondant à une nouvelle commande du caillebottis déjà posé, ce dernier ne pouvant plus faire l'objet d'une reprise sur site, il résulte de l'instruction que ce surcoût n'est dû qu'à l'empressement de la société requérante à poser le caillebottis sans attendre les études de synthèse faisant apparaître les réservations à percer. Or, il résulte de ce qui a été exposé au point 7, que l'article 7.1.3.1 du CCTP impose à la société titulaire du lot n°1 le percement des réservations en fonction des besoins du bâtiment, notamment " les surcharges induites ". Dans ces conditions, cette demande doit être rejetée.

En ce qui concerne les difficultés rencontrées dans l'exécution du marché :

10. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

S'agissant de l'estimation de ses besoins par le maître d'ouvrage :

11. En premier lieu, la société requérante soutient que le maître d'ouvrage a insuffisamment défini ses besoins conduisant ainsi à des demandes supplémentaires de création de trémies et de renforcement du plancher de la zone NSB4. Toutefois, il résulte de ce qui précède, notamment du point 7, que la création des trémies et réservations était prévue par les stipulations contractuelles et que la requérante aurait dû, au vu des plans fournis, intégrer leur création dans son offre. En outre, s'agissant du renforcement du plancher de la zone NSB4, la seule circonstance que le maître d'ouvrage puisse demander, par ordre de service, la réalisation de travaux supplémentaires n'est pas constitutive d'une faute contractuelle, ces travaux ayant au demeurant été payés à hauteur de ce qui était prévu par le marché. Enfin, si la requérante se prévaut de la faute du maître d'œuvre dans la définition des documents contractuels, il résulte de ce qui a été exposé au point 10 qu'une telle faute, à la supposer avérée, n'est pas de nature à engager la responsabilité contractuelle du maître d'ouvrage. Par suite, le maître d'ouvrage n'a commis aucune faute contractuelle de nature à engager sa responsabilité. Par ailleurs, ces demandes ne constituent pas, contrairement à ce que soutient la requérante, des modifications unilatérales du contrat susceptibles d'engager la responsabilité sans faute du maître d'ouvrage.

12. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1.6.1 du cahier des clauses techniques communes à tous les lots : " le fait d'avoir soumissionné suppose que l'Entrepreneur a obtenu tous les renseignements nécessaires à la parfaite réalisation de ses travaux (...). / Il ne saurait se prévaloir ultérieurement à la conclusion du marché, d'une connaissance insuffisante des sites, lieux et terrains d'implantation, nature du sol, moyens d'accès et conditions climatiques en relation avec l'exécution de ses travaux. / L'entrepreneur est réputé avant la remise de son offre : (...) - avoir procédé à une visite détaillée du terrain, des bâtiments existants et apprécié toutes les sujétions résultant : / de la configuration des abords et des accès, de la topographie, (...) de l'état des sols existants (...) / - avoir pris connaissance et apprécié les sujétions résultant de la nature du sol, du niveau de la nappe phréatique, des venues d'eau éventuelles, par tout moyen utile tels enquêtes dans les services compétents, rapport géotechnique quand annexé au dossier, etc. ; (...) ". En outre, selon l'article 3.8.3 du CCTP du lot n°1 : " Connaissance du sous-sol et critères de conception retenus / L'Entrepreneur reconnaît avoir pris connaissance du rapport d'étude de sol. / Aussi, l'Entrepreneur ne pourra-t-il prétendre à aucun supplément sur le prix forfaitaire de son marché pour la nature des terrains rencontrés, ni pour la présence d'eau. Il doit faire son affaire du mode de fondation en fonction des éléments rencontrés et il mettre en place un dispositif de pompage permettant l'évacuation des eaux de pluie en cas d'orages ou toutes autres eaux apparaissant en cours de travaux aussi longtemps que nécessaire. / En complément et avant tout début des ouvrages de parois périphériques, l'Entrepreneur du présent corps d'état réalisera des puits de reconnaissance afin de déterminer très exactement la nature du terrain et de confirmer ainsi l'étude de sol réalisée sur le site. "

13. La société requérante soutient que l'étude de sol réalisée par le maître d'ouvrage et annexée aux stipulations contractuelles était erronée, conduisant à un sous-dimensionnement des dispositifs de pompage utilisés et à des surcoûts pour répondre aux difficultés ainsi occasionnées. Toutefois, il résulte de l'analyse de l'étude de sol commanditée par la requérante que les difficultés rencontrées résultent tant des fortes pluies sur la période, qui ont réalimenté la nappe en continu, que des disparités de perméabilité des marno-calcaires non mises en évidence par les sondages de reconnaissance et les essais de pompage. Or, la requérante était tenue, aux termes des stipulations précitées, de procéder aux relevés nécessaires pour permettre la mise en place d'un dispositif de pompage adapté. En outre, elle n'établit pas, ni même n'allègue, que ces pluies auraient présenté un caractère exceptionnel et imprévisible. Dans ces conditions, aucune faute du maître d'ouvrage dans l'estimation de ses besoins ne peut être relevée.

14. En dernier lieu, selon l'article 11.2.1 du cahier des clauses administratives générales Travaux de 2009 : " Dans le cas d'application d'un prix forfaitaire, le prix est dû dès lors que l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou l'ensemble de prestations auquel il se rapporte a été exécuté. Les différences éventuellement constatées, pour chaque nature d'ouvrage, ou chaque élément d'ouvrage entre les quantités réellement exécutées et les quantités indiquées dans la décomposition de ce prix, établie conformément à l'article 10.3.2, même si celle-ci a valeur contractuelle, ne peuvent conduire à une modification de ce prix. Il en est de même pour les erreurs que pourrait comporter cette décomposition ".

15. Il résulte de l'instruction que le maître d'ouvrage a, en cours de chantier, procédé par les ordres de service 114 et 116 à une réduction des quantités d'enduit et de branchements en eau froide et décidé, corrélativement, une réduction de la rémunération de la société. Toutefois, si le seul fait de revoir à la baisse les quantités d'un marché à prix forfaitaire n'est pas, en lui-même, constitutif d'une faute, le caractère forfaitaire du marché faisait obstacle à ce que le maître d'ouvrage puisse procéder à une réduction de prix pour ce motif. Par suite, la société requérante est fondée à réclamer une indemnité de 14 326,62 euros HT, soit 17 191,94 euros TTC, correspondant à la moins-value appliquée par le maître d'ouvrage.

S'agissant de l'exercice de son pouvoir de contrôle et de direction du marché par le maître d'ouvrage :

16. En premier lieu, si la requérante demande à être indemnisée des conséquences d'une coupure électrique de deux jours, il résulte de l'instruction que cette coupure, qui n'était pas propre à la base militaire, concernait tout le secteur alentour et n'était pas la conséquence d'une faute du maître d'ouvrage. En outre, la requérante n'établit pas que les installations électriques de la base auraient été vétustes empêchant ainsi une reprise plus rapide des activités une fois l'électricité réactivée. Par suite, cette demande doit être rejetée.

17. En deuxième lieu, si la requérante soutient que les retards en matière d'étude de synthèse et les nombreuses modifications du projet ont généré des reprises d'étude tout au long de l'opération et des surcoûts, notamment en personnel d'encadrement, elle se prévaut à cet égard de fautes commises par le maître d'œuvre et l'OPC. Si elle soutient que le maître d'ouvrage était informé de ces difficultés et aurait dû intervenir, elle n'établit pas, par ces seules allégations très générales et imprécises, que ce dernier aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle.

18. En troisième lieu, la requérante soutient que les délais des travaux pour les bâtiments réhabilités ont été prolongés en raison de retards pris dans la réalisation des études de synthèse, de difficultés dans la coordination des lots et de retards dans le visa de plans et de documents. Toutefois, ces manquements, à les supposer établis, résultent respectivement d'une autre entreprise de travaux, de l'OPC et du maître d'œuvre, et ne sont pas constitutifs d'une faute du maître d'ouvrage susceptible d'engager sa responsabilité. En outre, la circonstance que ce dernier ait reçu copie de certains des courriers de réclamation adressés au maître d'œuvre n'est pas, à elle seule, de nature à établir une faute du maître d'ouvrage dans l'exercice de ses pouvoirs de direction et de contrôle.

19. En quatrième lieu, la requérante soutient que le retard pris dans la réception du bâtiment confiné lui a causé un préjudice financier, lié à un surcroît de frais généraux et de frais de gestion de chantier, imputable au maître d'ouvrage dès lors que ce dernier était informé des retards accumulés et des difficultés rencontrées. Toutefois, d'une part, à supposer que les retards constatés résultent des modifications substantielles et multiples du projet ainsi que du manque de pilotage du chantier, il résulte de l'instruction que ces difficultés ne seraient imputables qu'à l'OPC et au maître d'œuvre. En outre, il résulte de ce qui a été exposé aux points 12 et 13 que la requérante ne saurait se prévaloir des erreurs alléguées de l'étude de sol. Enfin, si la requérante se prévaut de plusieurs modifications substantielles, telles que l'ajout d'un mécanisme de désenfumage du sous-sol, des modifications dans la zone NSB4, des modifications des voiries et équipements de l'entrée de la base et des modifications du local du microscope électronique, elle n'établit pas que ces modifications résulteraient d'un défaut dans la conception initiale du projet, ni d'une faute propre du maître d'ouvrage dans l'exercice de ses pouvoirs de direction et de contrôle. Par suite, cette demande doit être rejetée.

20. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que, pour pallier le retard pris dans l'assèchement de la fouille, la société requérante a décidé un passage en postes décalés et en deux postes. Toutefois, cette décision résulte d'une initiative individuelle de l'entreprise pour faire face à des retards qui, conformément à ce qui a été exposé aux points 18 et 19 du présent arrêt, ne pouvaient être imputés au maître d'ouvrage. Par suite, aucune faute contractuelle du maître d'ouvrage ne peut être relevée.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la société SPIE Batignolles est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 14 326,62 euros HT, soit 17 191,94 euros TTC.

Sur les intérêts moratoires et leur capitalisation :

22. En vertu de l'article 98 code des marchés publics, dans sa version applicable au litige, la société requérante est en droit d'obtenir que l'indemnité de 17 191,94 euros TTC susmentionnée soit assortie des intérêts moratoires à compter du 20 août 2016, soit trente jours après la réception de son mémoire en réclamation du 21 juillet 2016, ainsi que de la capitalisation de ces intérêts au 27 juillet 2018, date à laquelle elle a été demandée, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société SPIE Batignolles, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que l'Etat demande à ce titre. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société SPIE Batignolles et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°1805445 du 24 février 2020 du tribunal administratif de Versailles est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la SPIE Batignolles la somme de 14 326,62 euros HT, soit 17 191,94 euros TTC.

Article 3 : L'indemnité de 17 191,94 euros TTC mentionnée à l'article 2 portera intérêts moratoires à compter du 20 août 2016. Les intérêts moratoires échus au 27 juillet 2018, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : L'Etat versera à la SPIE Batignolles la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société SPIE Batignolles génie civil et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 1er février 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Signerin-Icre, présidente,

M. Camenen, président-assesseur,

Mme Houllier, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 février 2024.

La rapporteure,

S. HoullierLa présidente,

C. Signerin-Icre

La greffière,

T. René-Louis-Arthur

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 20VE02068


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE02068
Date de la décision : 22/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Exécution technique du contrat - Conditions d'exécution des engagements contractuels en l'absence d'aléas - Marchés.

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat - Rémunération du co-contractant - Indemnités - Travaux supplémentaires.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: Mme Sarah HOULLIER
Rapporteur public ?: Mme JANICOT
Avocat(s) : SELARL GMR -GRANGE-MARTIN-RAMDENIE

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-22;20ve02068 ?
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