Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C..., a demandé au tribunal administratif d'Orléans, d'une part, d'annuler la décision du 1er avril 2020 par laquelle le préfet du Loiret a refusé de lui délivrer un titre de séjour et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de quarante-cinq jours, et, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Loiret, dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement et sous astreinte de 100 euros par jours de retard, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation.
Par un jugement n° 2002176 du 26 janvier 2021, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 décembre 2021, M. B... C..., représenté par Me Duplantier, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 1er avril 2020 par lequel le préfet du Loiret a refusé de lui délivrer un titre de séjour et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de quarante-cinq jours ;
3°) d'enjoindre au préfet du Loiret de lui délivrer, à titre principal, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, une autorisation provisoire de séjour, de réexaminer sa situation et de l'admettre au séjour, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt et sous astreinte de cent euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil, Me Duplantier, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative, 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 311-12 ainsi que celles du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que l'état de santé de sa fille, A..., nécessite une prise en charge médicale pluridisciplinaire dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que le traitement n'est pas disponible dans son pays d'origine ; la situation médicale de sa fille est identique à celle qui a donné lieu à un précédent avis favorable de la part du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ;
- l'absence de soins disponibles en Arménie fait obstacle à la reconstitution de leur cellule familiale dans le pays d'origine, de même que la bonne intégration de la famille en France, où est scolarisé leur fils ;
- pour les mêmes motifs, cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de séjour.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juillet 2022, le préfet du Loiret conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de leurs missions, prévues à l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bonfils,
- et les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C..., ressortissant arménien né le 12 avril 1989, déclare être entré sur le territoire français le 3 mai 2018 en compagnie de son épouse et de leurs deux enfants. Le 14 mai 2018, M. C... a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande par une décision du 26 septembre 2018, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 3 avril 2019. Le 7 janvier 2020, M. C..., a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en raison de l'état de santé de sa fille, A..., née le 24 mai 2016 en Arménie et atteinte de quadriplégie spastique, état de polyhandicap. Par un arrêté du 1er avril 2020, le préfet du Loiret a rejeté sa demande et a obligé l'intéressé à quitter le territoire français dans un délai de quarante-cinq jours. M. C... relève appel du jugement du 26 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité des décisions portant refus de séjour :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Sauf si leur présence constitue une menace pour l'ordre public, une autorisation provisoire de séjour est délivrée aux parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions mentionnées au 11° de l'article L. 313-11, ou à l'étranger titulaire d'un jugement lui ayant conféré l'exercice de l'autorité parentale sur ce mineur, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. / L'autorisation provisoire de séjour mentionnée au premier alinéa, qui ne peut être d'une durée supérieure à six mois, est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues au 11° de l'article L. 313-11. (...) Elle est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de l'étranger mineur, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. ". Aux termes du 11° de l'article L. 313-11 de ce code, en vigueur à la date de la décision en litige : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée. (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 5 janvier 2017 : " Les conséquences d'une exceptionnelle gravité résultant d'un défaut de prise en charge médicale, mentionnées au 11° de l'article L. 313-11 du CESEDA, sont appréciées sur la base des trois critères suivants : degré de gravité (mise en cause du pronostic vital de l'intéressé ou détérioration d'une de ses fonctions importantes), probabilité et délai présumé de survenance de ces conséquences. Cette condition des conséquences d'une exceptionnelle gravité résultant d'un défaut de prise en charge doit être regardée comme remplie chaque fois que l'état de santé de l'étranger concerné présente, en l'absence de la prise en charge médicale que son état de santé requiert, une probabilité élevée à un horizon temporel qui ne saurait être trop éloigné de mise en jeu du pronostic vital, d'une atteinte à son intégrité physique ou d'une altération significative d'une fonction importante. Lorsque les conséquences d'une exceptionnelle gravité ne sont susceptibles de ne survenir qu'à moyen terme avec une probabilité élevée (pathologies chroniques évolutives), l'exceptionnelle gravité est appréciée en examinant les conséquences sur l'état de santé de l'intéressé de l'interruption du traitement dont il bénéficie actuellement en France (rupture de la continuité des soins). Cette appréciation est effectuée en tenant compte des soins dont la personne peut bénéficier dans son pays d'origine ".
4. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins mentionné à cet article, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
5. Pour rejeter la demande de titre de séjour de M. C..., le préfet du Loiret s'est fondé, d'une part, sur l'avis rendu par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) du 18 mars 2020 dont il ressort que si l'état de santé de la jeune A... nécessite une prise en charge médicale, le défaut de soins ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'au vu des éléments du dossier et à la date de l'avis, l'état de santé de l'intéressée lui permet de voyager sans risque vers son pays d'origine, et, d'autre part, sur l'absence d'élément au dossier permettant de porter une appréciation différente de cet avis. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, en particulier des différents certificats médicaux produits devant la cour, que l'enfant vit en état de dépendance qualifiée de " totale ", avec un taux d'incapacité constaté à 80 %. Il en ressort que les soins, qualifiés par les médecins de prise en charge médicale ultra-spécialisée et lourde, sont nécessaires notamment pour éviter une dégradation de l'état de santé de la malade " sur le plan général ", et que l'absence de soins entrainerait " une mauvaise évolution de son état de santé " soit " un risque majeur de déformations neuro-orthopédiques et de douleurs articulaires " et également " une perte d'autonomie, des séquelles douloureuses et une limitation de son espérance de vie par les complications respiratoires, digestives qu'entraineraient les dégradations orthopédiques ". Postérieurement à l'avis du collège des médecins de l'OFII, l'enfant, qui est équipée d'un appareillage conséquent rendu nécessaire par son état, tel qu'un siège moulé, une poussette thérapeutique ou encore un verticalisateur, a subi deux opérations afin de lui éviter une " impossibilité de la station assise ", le problème de mobilisation de ses hanches étant présent dès janvier 2020, soit antérieurement à l'avis émis par les médecins de l'OFII. Si deux des certificats médicaux produits ont certes été établis postérieurement à la décision en litige, ceux-ci ne font que révéler un état présent au jour de cette décision et sont rédigés par différents praticiens qui assurent le suivi médical A... depuis son arrivée en France en 2018. Dans ces conditions, le requérant démontre qu'à la date de la décision en litige, soit le 1er avril 2020, un défaut de prise en charge médical A... aurait pour conséquence une détérioration de certaines des fonctions importantes de cette enfant, constitutive de conséquences d'une exceptionnelle gravité. S'agissant de la possibilité pour la jeune A... de bénéficier effectivement d'une prise en charge appropriée en Arménie, si le préfet du Loiret produit des documents d'ordre général, dont la convention des Nations-Unies relative aux droits des personnes handicapées, le requérant produit plusieurs certificats médicaux qui attestent que les soins disponibles en Arménie ne seront pas aussi adaptés à l'état de santé A... que ceux qu'elle pourra recevoir en France, le docteur D... précisant explicitement que " l'absence de ces soins spécialisés réalisés en France et malheureusement non accessibles dans [le] pays d'origine entrainerait une perte d'autonomie, des séquelles douloureuses et une limitation de son espérance de vie par les complications respiratoires, digestives qu'entrainent les dégradations orthopédiques ". Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 311-12 ainsi que de celles du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être accueilli.
6. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la décision refusant à M. C... la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est illégale et doit être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de quarante-cinq jours et fixant le pays de destination qui en procèdent.
7. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du préfet du Loiret du 1er avril 2020.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Au vu des motifs exposés au point 5 et du caractère postérieur à l'arrêté en litige des documents produits devant la cour, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Loiret, en application des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de réexaminer la situation de M. C..., dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt et, dans cette attente, de délivrer à l'intéressé une autorisation provisoire de séjour. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
9. M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 octobre 2021. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État le versement à Me Duplantier, avocate de M. C... de la somme de 750 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Duplantier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans n° 2002176 du 26 janvier 2021 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Loiret de réexaminer la situation de M. C..., dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt et, dans cette attente, de délivrer à M. C..., une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'État versera au conseil de M. C..., Me Duplantier, la somme de 750 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que cette avocate renonce à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet du Loiret.
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Brotons, président de chambre,
Mme Pham, première conseillère,
Mme Bonfils, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 décembre 2023.
La rapporteure,
M. -G. BONFILS
Le président,
S. BROTONS
La greffière,
S. de SOUSA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 21VE03485