Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La région Ile-de-France a demandé au tribunal administratif de Versailles :
1°) à titre principal, de condamner la société par actions simplifiée (SAS) Eliez à lui verser une indemnité de 2 468 263,97 euros TTC, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de cette entreprise, en réparation des préjudices subis du fait des fautes commises par un sous-traitant de la SAS Eliez dans l'exécution d'un marché de finition des travaux de restructuration et d'extension du lycée Mansart à Saint-Cyr-l'Ecole (Yvelines) ;
2°) de mettre à la charge définitive de la SAS Eliez les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Versailles et de condamner cette société à lui verser en conséquence la somme de 21 474 euros ;
3°) de mettre à la charge de la SAS Eliez la somme de 20 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement la SAS Eliez, la société à responsabilité limitée (SARL) Pro-Net, l'atelier d'architecture Jean-François Laurent, la SAS Ingénierie coordination études techniques (INCET) et la SARL Francis Klein à lui verser une indemnité de 2 468 263,97 euros TTC, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, en réparation des mêmes préjudices ;
5°) de mettre à la charge solidaire et définitive de la SAS Eliez, de la SARL Pro-Net, de l'atelier d'architecture Jean-François Laurent, de la SAS INCET et de la SARL Francis Klein les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par le tribunal, et de condamner solidairement ces parties à lui verser en conséquence la somme de 21 474 euros ;
6°) de mettre à la charge solidaire de la SAS Eliez, de la SARL Pro-Net, de l'atelier d'architecture Jean-François Laurent, de la SAS INCET et de la SARL Francis Klein la somme de 20 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
7°) à titre très subsidiaire, de condamner solidairement l'atelier d'architecture Jean-François Laurent, la SAS INCET et la SARL Francis Klein à lui verser une indemnité de 2 468 263,97 euros TTC, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, en réparation des mêmes préjudices ;
8°) de mettre à la charge solidaire et définitive de l'atelier d'architecture Jean-François Laurent, de la SAS INCET et de la SARL Francis Klein les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Versailles et de condamner solidairement ces parties à lui verser en conséquence la somme de 21 474 euros ;
9°) de mettre à la charge solidaire de l'atelier d'architecture Jean-François Laurent, de la SAS INCET et de la SARL Francis Klein la somme de 20 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
10°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner la SAS L'Industrielle du froid et de la cuisson (IDFC) à lui verser une indemnité de 437 030,40 euros TTC, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, en réparation du préjudice résultant du remplacement des équipements fournis et installés par cette entreprise, à la suite du même sinistre ;
11°) de condamner la SAS Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France à lui verser une indemnité de 462 412,02 euros TTC, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, en réparation du préjudice résultant du remplacement des équipements périphériques fournis et installés par cette entreprise, à la suite du même sinistre ;
12°) de condamner solidairement la SAS IDFC et la SAS Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France à lui verser une indemnité de 1 568 821,55 euros TTC, en réparation d'autres préjudices résultant du même sinistre ;
13°) de mettre à la charge solidaire et définitive de la SAS IDFC et de la SAS Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Versailles, et de condamner solidairement ces parties à lui verser en conséquence la somme de 21 474 euros ;
14°) de mettre à la charge solidaire de la SAS IDFC et de la SAS Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France la somme de 20 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
15°) en toute hypothèse, de majorer le montant des indemnités demandées, d'une part, des intérêts au taux légal à compter de la date de l'introduction de la requête et, d'autre part, de la capitalisation de ces intérêts.
Par un jugement n° 1607865 du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Versailles a :
1°) refusé d'admettre les interventions de la SA Axa France IARD et de la SA Allianz IARD ;
2°) condamné la SAS Eliez à verser à la région Ile-de-France la somme de 1 709 870,41 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 2 novembre 2016, les intérêts échus à la date du 2 novembre 2017 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date devant être capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes des intérêts ;
3°) mis à la charge définitive de la SAS Eliez les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 42 948 euros ;
4°) mis à la charge de la SAS Eliez la somme de 800 euros à verser, respectivement, à la SARL Pro-Net, à l'atelier d'architecture Jean-François Laurent, à la SAS INCET, à la SARL Francis Klein, à la SAS IDFC et à la SAS Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) rejeté le surplus des conclusions des parties et des intervenantes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er août 2019 et le 27 août 2021, la SAS Eliez, représentée par Me Vaillant, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il :
- l'a condamnée à verser à la région Ile-de-France la somme de 1 709 870,41 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter du 2 novembre 2016 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
- a mis à sa charge les frais d'honoraires et d'expertise, liquidés et taxés à hauteur de 42 948 euros ;
- a rejeté les appels en garantie formés par elle à l'encontre de la SARL Pro-Net, de l'atelier d'architecture Jean-François Laurent, de la SAS INCET, de la SARL Francis Klein, de la SAS IDFC et de la SAS Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France.
2°) de mettre à la charge de la région Ile-de-France la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SAS Eliez soutient que :
- sa requête est recevable à l'égard de l'atelier Jean-François Laurent dès lors qu'elle a été introduite dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement attaqué, nonobstant l'absence de notification de cette requête à l'atelier Jean-François Laurent dans ce délai ;
- le jugement attaqué est entaché d'une dénaturation du rapport de l'expert et de son additif puisqu'il considère, à tort, que l'expert judiciaire concluait à la responsabilité de la société exposante et de son sous-traitant ;
- c'est à tort que les juges de première instance ont retenu qu'aucune consigne n'avait été donné par l'exposante à son sous-traitant s'agissant des produits à utiliser pour le nettoyage de la cuisine ;
- l'expertise réalisée par le laboratoire CETIM fait clairement apparaître le caractère corrosif de la solution " IDOS DP PIN " utilisée par la société Pro-Net ; il en résulte que le produit utilisé par la société AG'Net Multiservices n'était pas déterminant dans l'origine des désordres ; cette dernière n'a ainsi pas utilisé de produit qui aurait favorisé la corrosion des carreaux et des plaques d'inox ;
- il existe une incertitude quant à l'origine des désordres et donc leur imputabilité à la société AG'Net Multiservices ; il n'est pas établi que l'utilisation du produit " Pro'Tartre " serait impliquée dans la survenance des désordres ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il retient que la déclaration de sinistre effectuée par AG'Net Multiservices le 25 février 2014 vaut reconnaissance de responsabilité de cette dernière dans la survenance des désordres ;
- le jugement attaqué est entaché d'une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce et d'une qualification juridique des faits inexacte ; les juges de première instance ont mal apprécié la chronologie et la nature des interventions effectuées par la société AG'Net Multiservices dans la cuisine du lycée Mansart ;
- c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur les photographies produites par la société Pro-Net ;
- aucun transfert de garde n'a eu lieu s'agissant des équipements de cuisine qui restaient sous la garde de la société Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France ;
- le lien de causalité entre les désordres constatés et l'intervention de la société AG'Net Multiservices ne peut être établi ;
- le jugement attaqué est entaché d'une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce en ce qu'il a rejeté ses appels en garantie ;
o la responsabilité civile et décennale du cabinet Francis Klein est engagée dès lors que les désordres constatés révèlent un manquement manifeste de ce cabinet à sa mission d'ordonnancement, de pilotage et de coordination des différents intervenants, ainsi que cela a été relevé par la région Ile-de-France ; il doit être condamné à relever et garantir indemne la société exposante de toute condamnation ;
o la responsabilité civile et décennale de la société Pro-Net est engagée dès lors qu'elle seule avait la charge des travaux de désinfection sans qu'elle ne puisse s'en exonérer ; la société Pro-Net est en outre responsable de l'aggravation des désordres et doit donc être condamnée à relever et garantir indemne la société exposante ;
o la responsabilité civile et décennale de l'atelier d'architecture Jean-François Laurent et de la société INCET est engagée dès lors qu'ils ont manqué à leur obligation de contrôle et de surveillance des travaux ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé quant au quantum des postes de préjudice alloués à la région Ile-de-France ;
- le jugement attaqué est entaché d'une inexacte appréciation des faits s'agissant de la détermination du quantum des postes de préjudices ;
o elle n'a pas à supporter le coût du remplacement à neuf de tous les équipements dès lors que certains pouvaient être nettoyés et récupérés ; le coût de remise en état de la cuisine devra être limité à 123 294,84 euros TTC ;
o les sommes correspondant aux honoraires du maître d'œuvre relèvent de prestations que ce dernier aurait dû accomplir dans le cadre de sa mission initiale et ne peuvent donc être incluses dans le quantum du préjudice ;
o le surcoût de 83 988,82 euros TTC lié à la remise en état des équipements périphériques n'est pas justifié et la somme versée à ce titre ne peut donc excéder 136 870,34 euros TTC ;
o les coûts liés à l'installation et à la location d'une cuisine provisoire ne sont pas justifiés et ne pourront donc être pris en charge ;
o les sommes versées au titre des frais d'analyse et de nettoyage des matériels pour les besoins de l'expertise relèvent des dépens et sont soumis à l'appréciation souveraine de la cour ;
o le coût d'un distributeur de plateaux est soumis à l'appréciation souveraine de la cour ;
- elle n'a pas à supporter l'intégralité des frais d'expertise.
Par des mémoires, enregistrés le 5 novembre 2019 et le 23 décembre 2021, la société Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France, représentée par le cabinet Signature Litigation AARPI, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) à titre subsidiaire, de rejeter toute demande formée par la région Ile-de-France tendant à sa condamnation ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, de limiter à 315 352,66 euros la somme à laquelle elle serait condamnée en réparation du préjudice subi par la région Ile-de-France et de condamner in solidum les société Eliez, Pro-Net, atelier d'architecture Jean-François Laurent, INCET et Francis Klein à la garantir intégralement des condamnations pouvant être prononcées à son encontre ;
4°) de limiter le préjudice subi par la région Ile-de-France à un montant de 1 147 740,22 euros TTC ;
5°) de mettre à la charge des parties perdantes la somme de 20 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à bon droit que les juges de première instance n'ont prononcé aucune condamnation à son encontre ;
- la contradiction au détriment d'autrui emporte l'irrecevabilité des demandes de la région Ile-de-France à son encontre, sur le fondement du principe de l'estoppel ; la région Ile-de-France ne pouvait, sans se contredire, lui demander de fournir de nouveaux équipements périphériques puis lui demander le remboursement de ce marché sans invoquer de faute à son encontre ;
- l'action de la région Ile-de-France à son encontre est infondée ; sa responsabilité n'a jamais été mise en cause par le rapport d'expertise ;
- sa responsabilité ne saurait être engagée sur le fondement de la garde dès lors que les désordres n'ont pas été causés à un ouvrage mais à des équipements, que ces équipements sont greffés sur des lots distincts attribués à d'autres sociétés s'agissant notamment de leur nettoyage et qu'elle ne saurait être regardée comme gardienne d'éléments d'équipement se trouvant physiquement sous l'emprise de titulaires de lots distincts ;
- à supposer que sa responsabilité puisse être engagée, elle ne serait que partielle compte tenu des fautes commises par la société Pro-Net, sous-traitant de la société Eliez, et ne saurait excéder la somme de 315 352,66 euros HT ;
- à titre subsidiaire, les sociétés Eliez et Pro-Net, le groupement atelier d'architecture Jean-François Laurent et INCET et le cabinet Francis Klein seront condamnés, solidairement, à la garantir intégralement de toute condamnation ;
- les sommes sollicitées par la région Ile-de-France ont été unilatéralement établies à un montant excédant celui fixé par le rapport d'expertise ; la région ne rapporte pas la preuve d'une baisse de fréquentation du lycée Mansart.
Par des mémoires, enregistrés le 13 février 2020 et le 13 novembre 2021, la société Ingénierie Coordination Etudes Techniques (INCET), représentée par Me Cadix, avocat, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) à titre subsidiaire, de limiter le préjudice subi par la région Ile-de-France à un montant de 1 147 740,22 euros TTC ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement la société Eliez, la société Pro-Net, la société Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France, la société L'Industrielle du Froid et de Cuisson (IDFC), la société Francis Klein, l'atelier d'architecture Jean-François Laurent et la société Axa France IARD à la relever et garantir indemne des condamnations ;
4°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement attaqué en tant qu'il ne lui a attribué que la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) en tout état de cause, de mettre à la charge solidaire de la région Ile-de-France, la société Eliez et toute partie perdante la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens de première instance et d'appel.
Elle soutient que :
- il n'existe aucun lien contractuel entre elle et la société Eliez ;
- la présomption de responsabilité de l'article 1792 du code civil est inapplicable dès lors que le sinistre est antérieur à la réception ;
- le maître d'œuvre n'est débiteur que d'une simple obligation de moyens ;
- le rapport d'expertise n'a pas retenu la responsabilité de la maîtrise d'œuvre et notamment de la société exposante ; la validation des matériaux ne concerne que la phase de travaux et pas celle de nettoyage de fin de chantier ; les désordres sont liés à l'utilisation du produit plutôt qu'à son choix ;
- à titre subsidiaire, elle s'associe aux moyens et observations de la société Eliez sur le montant réclamé par la région Ile-de-France ; la région Ile-de-France ne démontre pas l'existence d'un préjudice indemnisable ; seuls les travaux strictement nécessaires peuvent être indemnisés ; seule la rémunération des missions strictement nécessaires de la maîtrise d'œuvre, du contrôle technique et du coordonnateur " sécurité et protection de la santé " (SPS) peut être indemnisée ; le surcoût lié à certaines dépenses n'est pas justifié ; l'atteinte à l'image de la région n'est pas établie ;
- à titre incident, le montant versé au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par le jugement attaqué est insuffisant et doit être évalué à 10 000 euros.
Par des mémoires, enregistrés le 17 février 2020, le 25 mai 2021 et le 13 janvier 2022, l'atelier d'architecture Jean-François Laurent, représenté par Me Thouzéry, avocat, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de limiter le préjudice subi par la région Ile-de-France à un montant de 1 147 740,22 euros TTC ;
3°) de mettre à la charge solidaire de la société Eliez et toute partie perdante une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les conclusions de la requête d'appel dirigées à son encontre sont irrecevables dès lors que la requête ne lui a pas été communiquée dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement attaqué mais le 10 janvier 2020, près de sept mois après la notification du jugement attaqué ;
- à titre subsidiaire, sa responsabilité ne saurait être engagée dès lors que la région Ile-de-France ne précise pas quelle faute, ni quel manquement à une obligation contractuelle il aurait commis ; les désordres résultent de la responsabilité exclusive de la société Eliez et de son sous-traitant, la société AG'Net Multiservices, et non d'un défaut de surveillance du chantier ; l'architecte n'est soumis qu'à une obligation de moyens ;
- il ne saurait être condamné, en l'absence de toute faute, à garantir la société Eliez.
Par un mémoire, enregistré le 23 mars 2021, la société Francis Klein, représentée par Me Clavier, avocat, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) à titre subsidiaire, de limiter à un montant de 123 294,84 euros les demandes au titre du remplacement des matériels endommagés et à un montant de 378 423,20 euros les demandes au titre de la remise en état des équipements périphériques ;
3°) de condamner la société Eliez à la relever et garantir de toutes les condamnations éventuellement prononcées à son encontre ;
4°) de mettre à la charge de la société Eliez la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa responsabilité ne peut être engagée en l'absence de faute ou de manquement à ses obligations contractuelles ; les désordres constatés sont exclusivement imputables aux produits appliqués qui n'ont pas été utilisés conformément aux prescriptions prévues par le mode d'emploi ; il n'est pas établi que la cuisine n'était pas en état d'être nettoyée, ni que la société Pro-Net se serait trouvée dans l'impossibilité d'effectuer sa prestation ; les dommages ne résultent pas d'un défaut d'ordonnancement ou de coordination ;
- à titre subsidiaire, la somme demandée par la région Ile-de-France devra être limitée au montant fixé par le rapport d'expertise ;
o le montant alloué au titre du remplacement des équipements de cuisine sera limité à 123 294,84 euros TTC dès lors qu'un remplacement à neuf n'était pas impératif ;
o le montant alloué au titre de la remise en état des équipements périphériques sera limité à 378 423,20 euros TTC dès lors que le montant de 462 412 euros demandé n'est pas justifié ;
o le montant alloué au titre de la maîtrise d'œuvre sera réduit à de plus justes proportions, la somme demandée n'étant pas justifiée ;
o la demande tendant à l'indemnisation du surcoût des repas journaliers devra être rejetée dès lors que la réalité de ces surcoûts n'est pas établie ;
o la somme demandée au titre de l'atteinte à la réputation n'est pas justifiée.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 avril 2021 et le 8 novembre 2021, la région Ile-de-France, représentée par Me Levain et Me Prats-Denoix, avocats, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- de réformer le jugement attaqué en tant qu'il n'a pas fait droit à ses demandes portant sur la réparation des préjudices liés à la prise en charge du surcoût journalier des repas servis aux élèves et aux personnels du lycée, aux autres prestations de travaux directement imputables au sinistre et à l'atteinte portée à son image ;
- de condamner la société Eliez à lui verser la somme complémentaire de 758 393,56 euros TTC en réparation de son préjudice, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 novembre 2016 et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de la société Eliez la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à bon droit que les juges de première instance ont estimé que l'intervention de la société Axa France était irrecevable ;
- le rapport d'expertise n'a pas été dénaturé par le tribunal administratif ;
- le jugement attaqué n'est entaché d'aucune erreur de droit dès lors que les juges de première instance n'ont pas retenu que la déclaration de sinistre valait reconnaissance de responsabilité ;
- la société Eliez n'a apporté, en première instance, aucun élément susceptible de remettre en cause les conclusions de l'expert sur l'engagement de sa responsabilité dans la réalisation des désordres ;
- le tribunal a correctement apprécié la chronologie des faits ;
- la société Eliez est contractuellement responsable des désordres commis par son sous-traitant, la société AG'Net Multiservices ;
- c'est à bon droit que le tribunal administratif lui a alloué la somme de 437 030,40 euros TTC au titre du remplacement des cuisines ;
- c'est à bon droit que les juges de première instance lui ont alloué la somme de 462 412,02 euros TTC au titre du remplacement des équipements périphériques ;
- c'est à bon droit que le tribunal administratif a indemnisé le préjudice correspondant aux frais de maîtrise d'œuvre, de contrôle technique des travaux et de la mission sécurité et protection de la santé (SPS) nécessaires pour assurer la préparation et le suivi de l'exécution des marchés complémentaires visant la remise en état de la cuisine ;
- c'est à bon droit que les juges de première instance lui ont alloué la somme de 703 675,50 euros TTC au titre de l'installation d'une cuisine provisoire ;
- c'est à bon droit que les juges de première instance lui ont alloué la somme de 3 918 euros TTC au titre de l'installation d'un distributeur de plateaux ;
- le tribunal n'a commis aucune erreur de droit en jugeant que les frais d'analyse et de nettoyage des matériels pour les besoins de l'expertise pouvaient être indemnisés et a correctement évalué ce préjudice à hauteur de 4 392,49 euros TTC ;
- c'est à bon droit que les juges de première instance ont mis à la charge de la société Eliez les frais d'expertise liés au litige ;
- au titre de l'appel incident :
o le surcoût journalier des repas servis aux élèves et au personnel du lycée a été établi dès la première instance pour un montant total de 236 102,04 euros TTC et aurait dû être indemnisé par le tribunal ;
o les travaux de mise en place d'un cloisonnement provisoire, d'aménagement d'un local vestiaire et de remise en état du fond de forme ont été rendus nécessaires par les désordres constatés et devaient donc être indemnisés ;
o l'atteinte à son image doit être indemnisée à hauteur de 500 000 euros ;
- à titre subsidiaire :
o en l'absence d'état des lieux ou de réception, la société Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France doit être regardée comme ayant conservé la garde des équipements malgré l'intervention d'un autre corps d'état sur ces derniers ; les désordres étant intervenus avant réception ou état des lieux, la société Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France était responsable des équipements et des désordres survenus ;
o le principe d'estoppel n'existe pas devant la juridiction administrative et doit être écarté ;
o les désordres constatés auraient pu être évités si la maîtrise d'œuvre s'était assurée du respect, par la société Eliez, de ses obligations contractuelles ; l'atelier d'architecture Jean-François Laurent et la société INCET ont ainsi manqué à leur obligation de contrôle et de surveillance des travaux ;
o il appartenait au cabinet Francis Klein, OPC, de contrôler que la cuisine était en état pour que la société AG'Net puisse effectuer normalement son nettoyage et la société Pro-Net intervenir à l'issue de ce nettoyage ; une incertitude quant à la chronologie des faits révèlerait un manquement du cabinet Francis Klein.
Par des mémoires, enregistrés le 26 juillet 2021 et le 10 janvier 2022, la SARL Pro-Net, représentée par Me Gauthier, avocate, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de rejeter les appels en garantie formés par les sociétés Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France et INCET à son encontre ;
3°) de mettre à la charge de la société Eliez la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué n'est pas entaché de contradiction concernant les produits utilisés par la société exposante ; le rapport réalisé par le laboratoire CETIM ne conclut pas à sa responsabilité ; ce n'est pas le produit qu'elle a utilisé qui est à l'origine des désordres, ce dernier ayant été utilisé conformément aux prescriptions prévues par le mode d'emploi ;
- les photographies ont été prises le vendredi 21 février au soir ; elles attestent de la survenance des désordres à cette date.
Par des mémoires en intervention, enregistrés le 8 avril 2021, le 21 mai 2021 et le 14 décembre 2021, la société AXA France IARD, représentée par Me Blangy, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement attaqué en ce qu'il a refusé d'admettre son intervention ;
2°) d'annuler le jugement attaqué en ce qu'il a fait droit aux demandes de la région
Ile-de-France ;
3°) de mettre à la charge de la région Ile-de-France ou toute partie perdante la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté son intervention volontaire dès lors qu'elle est l'assureur de la société AG'Net dont la responsabilité est mise en cause ;
- le tribunal a dénaturé le rapport de l'expert judiciaire ainsi que son additif ;
- aucun élément ne permet d'établir l'existence d'une faute de la société AG'Net dans l'utilisation du produit de nettoyage ;
- les juges de première instance ont dénaturé la chronologie des travaux et des interventions successives ;
- les déclarations de sinistre ne valent pas reconnaissance de responsabilité ;
- la société AG'Net ne saurait être regardée comme responsable des désordres constatés ;
- c'est à bon droit que le tribunal a rejeté l'appel en garantie formé par la société INCET à son encontre.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Houllier,
- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,
- et les observations de Me Le Moullec, substituant Me Vaillant, pour la société Eliez, Me Levain, pour la région Ile-de-France, Me Celet, substituant Me Blangy, pour la SAS AXA France IARD et Me Gauthier pour la société Pro-Net.
Considérant ce qui suit :
1. En vue de travaux de restructuration et d'extension du lycée Mansart situé à Saint-Cyr-l'Ecole (Yvelines), la région Ile-de-France a confié un mandat de maîtrise d'ouvrage à la société d'économie mixte SEMAEST. La société Eliez, attributaire du lot n° 3 " Finitions " demande à la cour d'annuler le jugement du 27 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Versailles l'a condamnée à verser à la région Ile-de-France une somme de 1 709 870,41 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 2 novembre 2016 et capitalisation des intérêts à compter du 2 novembre 2017, en réparation du préjudice résultant des désordres constatés dans la cuisine du lycée pendant l'exécution des travaux.
Sur l'intervention de la compagnie d'assurance AXA France IARD :
2. Dans les litiges de plein contentieux, sont seules recevables à former une intervention les personnes qui peuvent se prévaloir d'un droit auquel la décision à rendre est susceptible de préjudicier. L'assureur d'un constructeur dont la responsabilité est recherchée ne peut être regardé comme pouvant, dans le cadre d'un litige relatif à l'engagement de cette responsabilité, se prévaloir d'un droit de cette nature. Par suite, l'intervention de la compagnie d'assurance AXA France IARD en qualité d'assureur de la société AG'Net Multiservices ne peut être admise et c'est à bon droit que les juges de première instance ont également refusé d'admettre son intervention devant le tribunal administratif.
Sur l'appel principal de la société Eliez :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
3. En premier lieu, l'article L. 9 du code de justice administrative dispose que : " Les jugements sont motivés ". Le juge doit ainsi se prononcer, par une motivation suffisante au regard de la teneur de l'argumentation qui lui est soumise, sur tous les moyens expressément soulevés par les parties, à l'exception de ceux qui, quel que soit leur bien-fondé, seraient insusceptibles de conduire à l'adoption d'une solution différente de celle qu'il retient.
4. La société Eliez soutient que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé quant à la détermination du quantum du préjudice relatif aux travaux de remise en état et à l'intégration, dans ce chef de préjudice, des frais de maîtrise d'œuvre et des honoraires du contrôleur technique et du coordinateur sécurité et protection de la santé (SPS). Toutefois, il ressort du point 16 du jugement attaqué que le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments des parties, a suffisamment motivé sa réponse sur ce point. Par suite, ce moyen doit être écarté.
5. En second lieu, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La société requérante ne peut donc utilement se prévaloir des erreurs de droit, d'appréciation et de qualification juridique des faits ainsi que de la dénaturation des faits commises par les juges de première instance pour demander l'annulation du jugement attaqué.
En ce qui concerne la responsabilité de la SAS Eliez :
6. Aux termes de l'article 113 du code des marchés publics, dans sa version alors en vigueur : " En cas de sous-traitance, le titulaire demeure personnellement responsable de l'exécution de toutes les obligations résultant du marché ".
7. Il résulte du rapport de l'expert mandaté par le juge des référés du tribunal administratif que le lundi 24 février 2014, le maître d'ouvrage a été alerté de l'altération de plusieurs équipements de cuisine, ces derniers présentant d'importants désordres se manifestant par des " cratères, rayures, piqûres, développement de rouille " visibles tant sur le matériel en inox neuf que sur les bas de porte, pieds des huisseries, vannes, clapets anti-retour des alimentations d'eau et siphons de sols. L'expert a conclu que ces désordres étaient la conséquence d'une mauvaise utilisation du produit " Pro-Tartre " utilisé par la société AG'Net Multiservices, sous-traitant de la SAS Eliez, qui, par l'intermédiaire d'éclaboussures, de bidons posés, de gants, de chiffons ou de brosses imbibés de produit, a touché les équipements et provoqué les désordres.
8. La société Eliez soutient qu'elle ne saurait être tenue pour responsable des désordres constatés sur plusieurs équipements de la cuisine du lycée Mansart eu égard tant à la chronologie des faits qu'à l'implication et l'utilisation du produit " Pro-Tartre ".
S'agissant de la chronologie des faits :
9. Il résulte de l'instruction que, le vendredi 21 février 2014, la société Pro-Net s'est présentée sur le site pour y procéder, conformément au marché passé avec la SEMAEST, à la désinfection de la cuisine. Toutefois, constatant que les travaux de nettoyage étaient insuffisamment avancés et que les équipements de cuisine étaient encore revêtus de leur film protecteur, la société Pro-Net n'a pu intervenir, ainsi qu'elle l'indique dans un courrier adressé au maître d'ouvrage délégué le même jour. Il résulte également de l'instruction que ce même jour, les équipes de la société AG'Net Multiservices ont procédé au nettoyage des sols et des faïences et il est constant que cette mission a été achevée le jour même.
10. En premier lieu, si la SAS Eliez soutient que son sous-traitant s'est borné à procéder à une opération de nettoyage des sols et faïences, conformément aux stipulations du marché du lot n°3, et qu'elle n'aurait ainsi pas procédé au retrait des films de protection des équipements de cuisine, il résulte de l'instruction qu'en raison de la carence de la société IDFC, en charge du lot n°4 " Equipements restauration cuisine ", ce jour-là, le cabinet Francis Klein, OPC, a demandé à la société Eliez de pallier cette carence, sans que cette dernière n'apporte la preuve qu'elle n'aurait pas répondu favorablement à cette demande.
11. En deuxième lieu, la SAS Eliez soutient avoir achevé le nettoyage des sols et des faïences et quitté les lieux aux alentours de 16 heures sans qu'aucun désordre ne puisse être alors constaté. Elle fait ainsi valoir que la société Pro-Net, revenue sur les lieux le soir même puis le lendemain, aurait causé les désordres lors de son intervention pour la désinfection de la cuisine. Toutefois, s'il résulte de l'instruction que la société Pro-Net, n'ayant pu intervenir le vendredi 21 février comme initialement convenu, devait revenir le samedi 22 février pour procéder à la désinfection de la cuisine et que son gérant est également revenu sur le site le vendredi 21 février aux alentours de 18 heures après le départ des autres entrepreneurs, les photographies prises à ce moment-là, qui comportent un tampon de la date et de l'heure à laquelle elles ont été prises sans que leur authenticité ne soit contestée, font déjà apparaître d'importants désordres sur les équipements en acier inoxydable, notamment des tâches brunâtres et des traces de corrosion, en particulier sur les parties inférieures de ces meubles. Il en résulte que le vendredi 21 février à 18 heures, les désordres ultérieurement constatés par huissier pouvaient déjà être observés dans la cuisine du lycée Mansart. Le constat dressé à partir de ces photographies concorde en outre avec le témoignage d'un représentant du cabinet Francis Klein, présent sur les lieux le jour-même et qui a affirmé qu'une " forte odeur émanait de la zone cuisine, où le personnel de l'entreprise de nettoyage enlevait à l'aide d'une raclette une eau rougeâtre issue du nettoyage des sols et de la faïence ".
12. En dernier lieu, si la déclaration d'un sinistre auprès de son assureur ne saurait, à elle-seule, faire regarder la société AG'Net Multiservices et la société Eliez comme ayant admis leur responsabilité dans ce sinistre, il résulte de l'instruction, notamment du compte rendu de la réunion du 25 février 2014 ainsi que des mentions manuscrites portées sur la déclaration de sinistre d'AG'Net Multiservices, que la société Eliez a reconnu que les désordres provenaient d'une mauvaise application des produits de nettoyage des sols et faïences par la société AG'Net Multiservices. En outre, la société Eliez a rapidement accepté de passer commande à la société Pro-Net afin qu'elle tente d'éliminer toute trace d'acide et de corrosion dans la cuisine du lycée.
13. Ainsi, il résulte de l'instruction que la société AG'Net Multiservices, chargée du nettoyage des sols et des faïences, était présente sur le site des travaux le vendredi 21 février 2014 et que d'importantes traces de corrosion ont été constatées sur les équipements le même jour dès 18 heures. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que d'autres entreprises seraient intervenues dans ce même secteur avant l'enclenchement de ce phénomène d'oxydation.
S'agissant du produit impliqué dans les désordres :
14. La société Eliez tente également de faire valoir que seul le produit utilisé par la société Pro-Net, nommé " Idos DP Pin ", pouvait causer de tels désordres mettant ainsi hors de cause le produit " Pro Tartre " utilisé par son sous-traitant.
15. En premier lieu, s'il ressort des rapports réalisés par le Centre technique des industries mécaniques (CETIM) et par le cabinet Chem'In que le produit " Idos DP Pin " est le plus corrosif des deux produits, ces rapports ne permettent pas d'établir lequel des deux produits a causé les dommages dès lors que, correctement utilisés, aucun des deux n'est susceptible de causer de tels désordres. En outre, ainsi que l'admet l'expert, les conditions exactes dans lesquelles les personnels de la société AG'Net Multiservices ont utilisé ou dilué le produit " Pro Tartre " lors de leur intervention de nettoyage restent indéterminées en l'absence de témoignages ou d'attestations des personnes présentes ce jour-là.
16. En second lieu, s'il est constant que la société Pro-Net était présente sur site le vendredi 21 février après le départ de la société AG'Net Multiservices, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait, entre cette date et le constat des désordres par le maître d'ouvrage le lundi 24 février, entrepris de désinfecter les lieux au moyen du produit " Idos DP Pin " susmentionné et ce alors même que le courriel de l'OPC du 21 février 2014 indiquait qu'elle interviendrait dès le matin du samedi 22 février 2014.
17. Il résulte de ce qui précède que, si ni l'expertise, ni les analyses réalisées par le laboratoire CETIM ne permettent d'attribuer formellement la responsabilité des désordres à l'un des deux produits, elles n'écartent pas la responsabilité de la société AG'Net Multiservices faute de savoir dans quelles conditions elle a effectivement utilisé le produit " Pro Tartre ".
18. Dans ces conditions, compte tenu de la chronologie des faits rappelée ci-dessus, la société AG'Net Multiservices doit être regardée comme responsable des désordres occasionnés. Par suite, eu égard aux obligations contractuelles du titulaire du lot n° 3, c'est à bon droit que le tribunal administratif a reconnu la responsabilité de la société Eliez qui, en vertu des dispositions précitées de l'article 113 du code des marchés publics, doit répondre de l'exécution défectueuse des travaux de nettoyage confiés à son sous-traitant, la société AG'Net Multiservices.
En ce qui concerne les préjudices :
S'agissant du remplacement des équipements de cuisine :
19. La société Eliez se fonde sur le rapport de l'expert pour faire valoir qu'elle ne pouvait être condamnée à indemniser la région Ile-de-France du coût d'un remplacement à neuf de tous les équipements dès lors que l'expert indiquait qu'un nettoyage de certains équipements était possible. Toutefois, d'une part, il ne ressort pas du rapport de l'expert que le nettoyage au " Polacid " proposé par la société IDFC, qui n'a pas été testé de manière exhaustive, aurait été suffisamment efficace pour garantir le bon fonctionnement des équipements, en particulier en milieu alimentaire, alors, en outre, que la région Ile-de-France était en droit de disposer d'équipements ne présentant aucun défaut, même seulement esthétiques ou minimes. D'autre part, si la société IDFC a accepté d'étendre sa garantie à tous les équipements nettoyés au Polacid, cet engagement demeurait conditionné au succès de ce nettoyage. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les juges de première instance ont condamné la société Eliez à verser à la région Ile-de-France la somme 437 030,40 euros TTC en réparation de ce préjudice.
S'agissant de la remise en état des équipements périphériques :
20. D'une part, si la société Eliez conteste chaque poste du devis établi par la société Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France en indiquant que les prix affichés sont excessifs, elle ne produit aucune pièce de nature à établir le bien-fondé de ses allégations.
21. D'autre part, la société Eliez conteste la différence de 83 988,82 euros TTC constatée entre le devis initial établi par la société Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France et le marché exécuté. Toutefois, il résulte de l'instruction que ce montant correspond à l'exécution de travaux supplémentaires rendus nécessaires compte tenu des désordres constatés dans la cuisine. En outre, la circonstance que ce montant n'aurait pas été soumis au débat contradictoire lors de l'expertise ne suffit pas à en établir le caractère exagéré alors que la société Eliez se borne à affirmer que ces travaux n'étaient pas nécessaires sans le démontrer.
S'agissant de l'installation d'une cuisine provisoire :
22. Il ressort de son rapport que l'expert a estimé qu'il était nécessaire d'installer une cuisine provisoire. Or, si la société Eliez soutient que les coûts avancés par la région Ile-de-France sont surévalués, elle ne produit aucune pièce de nature à l'établir alors que tous les justificatifs correspondant à cette location ont été produits par la région Ile-de-France.
S'agissant du distributeur de plateaux :
23. Il ne résulte pas de l'instruction que le coût de cet équipement, d'un montant de 3 918 euros, serait surévalué et ne serait pas justifié.
S'agissant des honoraires de maîtrise d'œuvre :
24. La passation de plusieurs marchés complémentaires en vue de réparer les désordres constatés dans la cuisine a nécessairement engendré des besoins supplémentaires de maîtrise d'œuvre dont les justificatifs sont versés à l'instance. Si la société Eliez soutient que ces sommes n'auraient pas été dues si la maîtrise d'œuvre avait correctement effectué sa mission de contrôle et de surveillance lors du marché initial, il ne résulte, en tout état de cause, pas de l'instruction que les entreprises chargées de la maîtrise d'œuvre lors de la survenance du sinistre auraient commis une faute dans l'exercice de leur mission. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif a condamné la société Eliez à verser au maître d'ouvrage la somme totale de 98 436 euros TTC au titre des honoraires de maîtrise d'œuvre.
S'agissant des frais d'analyse et de nettoyage pour les besoins de l'expertise :
25. Si la société Eliez soutient que la somme correspondant à ces frais ne devait pas être mise à sa charge, il résulte de l'instruction que la région Ile-de-France a engagé plusieurs dépenses en vue de faire analyser, par le cabinet CETIM et le laboratoire Toxi Labo, les matériaux endommagés lors du sinistre ainsi qu'aux fins de nettoyage de la cuisine à la demande de l'expert avant la visite des lieux par les parties à l'expertise. Cette somme, qui atteint un montant total de 4 398,49 euros TTC et ne fait pas partie des dépens, pouvait ainsi faire l'objet d'une indemnisation. C'est à bon droit que les juges de première instance ont condamné la société Eliez à la rembourser.
26. Il résulte de ce qui précède que la société Eliez n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Versailles l'a condamnée à verser à la région Ile-de-France la somme totale de 1 709 870,41 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.
En ce qui concerne les appels en garantie :
27. En premier lieu, à supposer que la société Eliez soutienne que la société Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France, titulaire du lot n°1 " Ossatures ", doit la garantir de ses condamnations dès lors qu'en l'absence de toute réception ou état des lieux, elle avait la garde des équipements périphériques endommagés lors du sinistre, il résulte de ce qui précède que l'origine des désordres constatés sur les équipements périphériques est attribuable au nettoyage des sols et faïences par la société AG'Net Multiservices, sous-traitant de la société Eliez. Dans ces conditions, la responsabilité ne saurait être portée par la société Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France.
28. En deuxième lieu, il ne ressort pas des stipulations du marché conclu entre la SEMAEST et le cabinet Francis Klein, OPC, que ce dernier aurait dû contrôler les produits utilisés par l'entreprise de nettoyage et de désinfection et notamment les conditions de leur utilisation. En outre, la seule circonstance que ce cabinet était chargé de la coordination des entreprises et de la surveillance des travaux ne permet pas d'établir qu'elle n'aurait pas normalement accompli cette mission, qui n'implique pas une surveillance continue et aussi précise des entreprises, et alors que le rapport de l'expert ne conclut qu'à la faute de l'entreprise de nettoyage.
29. En troisième lieu, l'atelier d'architecture Jean-François Laurent et la société INCET, chargés de la maîtrise d'œuvre, n'étaient pas tenus de contrôler les produits utilisés par l'entreprise de nettoyage et ne sauraient, en l'absence de toute faute dans l'exercice de leurs missions de direction de l'exécution des contrats de travaux, être tenus pour responsables des désordres constatés dans la cuisine. Par suite, les conclusions formées par la requérante à leur encontre doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par l'atelier d'architecture Jean-François Laurent.
30. Enfin, si la société Eliez fait valoir que la société Pro-Net doit la garantir des condamnations prononcées à son encontre, il résulte de ce qui a été exposé aux points 6 à 18 qu'il n'est pas établi que la société Pro-Net aurait commis une faute et ainsi contribué aux désordres constatés.
31. Il résulte de ce qui précède que la société Eliez n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses appels en garantie.
En ce qui concerne les frais d'expertise :
32. Eu égard aux circonstances de l'espèce, c'est à bon droit que le tribunal administratif a mis les frais d'expertise, taxés et liquidés à un montant de 42 948 euros, à la charge de la société Eliez.
Sur l'appel incident de la région Ile-de-France :
33. En premier lieu, la région Ile-de-France soutient que la société Eliez aurait dû être condamnée à l'indemniser du surcoût des repas journaliers pour la période allant du 1er avril 2014 au 30 juin 2016. Toutefois, si la région Ile-de-France produit plusieurs pièces de nature à établir une différence entre les sommes versées par les usagers de la cantine et le prix payé à la société Elior pour la préparation de ces repas, elle n'établit pas que ce différentiel serait la conséquence directe des désordres causés à ces équipements et de la nécessité de prévoir une solution temporaire de cantine dans l'attente de la remise en état de ces derniers, ni que ce montant serait supérieur à ce qu'elle aurait dû payer si la cantine avait été mise en service à la date initialement convenue. Par suite, les conclusions qu'elle présente sur ce fondement doivent être rejetées.
34. En deuxième lieu, la région Ile-de-France soutient que c'est à tort que le tribunal administratif a refusé de condamner la société Eliez à la rembourser des sommes engagées pour la réalisation de plusieurs aménagements provisoires. Toutefois, d'une part, s'agissant de l'aménagement d'un cloisonnement provisoire, la région Ile-de-France ne produit aucune pièce de nature à établir que cet aménagement aurait été indispensable en raison du sinistre constaté dans la cuisine. De même, elle n'établit pas la nécessité de réaliser un local vestiaire provisoire. D'autre part, si la région Ile-de-France soutient que l'installation de la cuisine provisoire a causé des dommages au sol alors que ce dernier avait été tout juste remis en état après le démantèlement des locaux provisoires initialement installés, elle n'établit pas la réalité de cette remise en état, ni des travaux supplémentaires dont elle se prévaut. Par suite, elle n'est pas fondée à réclamer une indemnité à ce titre.
35. Enfin, la région Ile-de-France soutient qu'elle a subi un préjudice de réputation et une atteinte à son image en raison du retard pris dans l'ouverture de la cantine définitive du lycée Mansart. Toutefois, s'il résulte de l'instruction que certaines associations de parents d'élèves ont exprimé leur mécontentement quant aux conditions d'accueil des lycéens pour le déjeuner, ce mécontentement portait autant sur les conditions d'accueil que sur la qualité des repas servis. Il résulte, en outre, de l'instruction que la région Ile-de-France a répondu de manière circonstanciée afin d'expliquer les raisons de ce retard, sans que cela ne provoque de nouvelles contestations de la part de ces associations. Dans ces conditions, la région Ile-de-France n'établit pas avoir subi un préjudice réputationnel et une atteinte à son image devant être indemnisés.
36. Il résulte de ce qui précède que la région Ile-de-France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a condamné la société Eliez à lui verser une somme limitée à 1 709 870,41 euros TTC.
Sur l'appel incident de la société INCET :
37. Si la société INCET soutient que c'est à tort que le tribunal administratif a condamné la société Eliez à lui verser une somme limitée à 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative compte tenu des frais engagés, il ne résulte pas de l'instruction que, dans les circonstances de l'espèce, le tribunal aurait fait une inexacte application de ces dispositions en fixant à 800 euros cette somme.
Sur les frais liés au litige :
38. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la région Ile-de-France, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Eliez et la société AXA demandent à ce titre. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société Eliez une somme de 800 euros à verser respectivement à la région Ile-de-France, à la société Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France, à la société INCET, à l'atelier d'architecture Jean-François Laurent, au cabinet Francis Klein et à la SARL Pro-Net, sur le fondement des mêmes dispositions.
39. La présente instance n'ayant donné lieu à aucun dépens, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de la SAS AXA France IARD n'est pas admise.
Article 2 : La requête de la SAS Eliez est rejetée.
Article 3 : Les conclusions incidentes de la région Ile-de-France et de la société INCET sont rejetées.
Article 4 : La SAS Eliez versera respectivement à la région Ile-de-France, la société Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France, la société INCET, l'atelier d'architecture Jean-François Laurent, le cabinet Francis Klein et la SARL Pro-Net une somme de 800 euros chacun.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Eliez, à la région Ile-de-France, à la SARL Pro-Net, à la société Demathieu et Bard Bâtiment Ile-de-France, à la société Industrielle du froid et de cuisson (IDFC), à la société Ingénierie Coordination Etudes Technique (INCET), au cabinet Francis Klein, à l'atelier d'architecture Jean-François Laurent et à la SAS AXA France IARD.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,
M. Camenen, président assesseur,
Mme Houllier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2023.
La rapporteure,
S. HoullierLa présidente,
C. Signerin-IcreLa greffière,
C. Fourteau
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 19VE02863