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19/10/2023 | FRANCE | N°20VE02547

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 19 octobre 2023, 20VE02547


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société HBE Distribution a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 19 janvier 2018 par laquelle la Régie autonome des transports parisiens (RATP) a rejeté sa demande préalable, de condamner la RATP à lui verser une somme de 211 000 euros en réparation de son préjudice et de mettre à la charge de la RATP une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1900973 du 15 juillet 2020, le tribunal administrat

if de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requêt...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société HBE Distribution a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 19 janvier 2018 par laquelle la Régie autonome des transports parisiens (RATP) a rejeté sa demande préalable, de condamner la RATP à lui verser une somme de 211 000 euros en réparation de son préjudice et de mettre à la charge de la RATP une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1900973 du 15 juillet 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés respectivement les 6 octobre 2020, 3 février 2023 et 21 mars 2023, la société HBE Distribution, représentée par Me Treca, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 19 janvier 2018 rejetant sa demande indemnitaire ;

3°) de condamner la RATP à lui verser une somme de 211 000 euros en réparation du préjudice subi ;

4°) et de mettre à la charge de la RATP une somme de 5 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé dès lors qu'aucun élément se rapportant à son chiffre d'affaires n'a été analysé ; le jugement attaqué ne vise pas le rapport établi par un expert-comptable, ni les pièces du dossier attestant d'une perte manifeste du chiffre d'affaires, ni les procès-verbaux d'huissiers ;

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il se fonde sur une appréciation erronée de sa perte de chiffre d'affaires ; elle a subi une perte de chiffre d'affaires de près de 26 % ce qui représente une perte significative, contrairement à ce qu'indique le jugement attaqué ;

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce que, contrairement à ce qu'il énonce, les travaux lui ont causé un préjudice anormal et spécial.

Par des mémoires en défense, enregistrés respectivement le 22 avril 2021, 27 février 2023 et 5 avril 2023, la Régie autonome des transports parisiens (RATP), représentée par Me Grange, avocat, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, à ce qu'il soit fait une juste appréciation globale du préjudice subi par la société HBE Distribution ;

3°) en tout état de cause, à ce qu'il soit mis à la charge de la société HBE Distribution une somme de 2 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est suffisamment motivé ;

- la perte de chiffre d'affaires n'a été que de 2,24 % en 2015 par rapport à 2011 ou de 12,81 % en 2015 par rapport à la moyenne des exercices 2011-2013 ;

- la requérante s'est installée au 121 avenue Victor Hugo après la déclaration d'utilité publique des travaux de prolongement de la ligne 12 du métro et était donc informée des risques de nuisances ;

- elle ne démontre pas le lien de causalité entre la perte de chiffre d'affaires enregistrée au titre de l'année 2015 et les travaux de prolongement de la ligne 12 ;

- elle n'établit pas la réalité de son préjudice ;

- à supposer qu'une indemnité puisse être octroyée à la société HBE Distribution, il devrait en être déduit les plus-values qu'elle va nécessairement réaliser du fait de la mise en service de deux nouvelles stations de métro à proximité de son commerce ;

- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Houllier,

- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,

- et les observations Me Horeau, substituant Me Treca, pour la société HBE Distribution et celles de Me Condroyer, substituant Me Grange, pour la RATP.

Considérant ce qui suit :

1. La société HBE Distribution, qui exercice une activité de négoce de gros et de détail de matériel forain et de produits manufacturés, demande à la cour d'annuler le jugement du 15 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi en tant que riverain des travaux de prolongement de la ligne 12 du métro.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. La requérante soutient que le jugement attaqué est insuffisamment motivé faute de viser les pièces qu'elle a produites pour justifier son chiffre d'affaires, notamment le rapport de l'expert-comptable et les procès-verbaux d'huissier attestant que les travaux ont causé des troubles à ses fournisseurs et clients. Toutefois, pour rejeter les conclusions indemnitaires de la société HBE Distribution, le tribunal s'est fondé, au point 5 du jugement attaqué, sur la circonstance que le chiffre d'affaires réalisé au titre de l'exercice 2014 ne pouvait constituer une référence pertinente et sur la circonstance que le chiffre d'affaires réalisé au titre de l'exercice 2015 n'avait pas été significativement inférieur à celui réalisé sur les exercices 2011 à 2013. Ce faisant, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments des parties, ni de viser avec précision toutes les pièces sur lesquelles ils se sont fondés, ont suffisamment motivé leur jugement.

Au fond :

3. Il appartient au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués et, d'autre part, le caractère grave et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter sans contrepartie les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général. Le caractère grave du préjudice et des dommages supportés se déduit, notamment, des difficultés particulières rencontrées par les clients dans l'accès au fonds de commerce ou encore de l'impossibilité même d'accéder à ce fonds.

4. D'une part, il résulte de l'instruction que les travaux de prolongement de la ligne 12 du métro ont conduit à d'importantes modifications de la circulation et des accès sur l'avenue Victor Hugo à Aubervilliers qui dessert le commerce de la société HBE Distribution situé au n° 121 de cette voie. Toutefois, malgré ces modifications, la circulation n'a pas été entièrement interrompue sur l'avenue Victor Hugo et l'accès au commerce de la société HBE situé au n° 121, commerce de matériel forain dont la clientèle est essentiellement une clientèle professionnelle et d'habitués, est resté ouvert et visible pendant toute la durée des travaux au profit d'aménagements particuliers qui ont permis de maintenir l'accès des véhicules et des piétons jusqu'au rétablissement de la configuration initiale le 1er août 2017 et dont il n'est pas établi que la société HBE Distribution aurait eu à en supporter seule l'intégralité du coût. Si la requérante se prévaut également de problèmes de stationnement et d'embouteillages qui auraient eu des conséquences négatives sur les conditions d'exploitation de son commerce, elle n'apporte pas d'éléments suffisamment probants pour établir la réalité de ces difficultés au cours de l'année 2015 dès lors que les procès-verbaux qu'elle produit ne concernent que les années 2012 et 2013.

5. D'autre part, la société requérante soutient avoir subi une baisse significative de son chiffre d'affaires, passé de 3 075 531 euros, au titre de l'exercice 2014, à 2 258 524,96 euros en 2015, soit une baisse de 25,5 %. Toutefois, il résulte de l'instruction que le chiffre d'affaires réalisé par la société en 2014 a été marqué par l'ouverture d'un nouveau site à Stains, qui a accru les recettes de l'entreprise, aboutissant à un chiffre d'affaires global significativement supérieur à ce qui a été enregistré au titre des exercices 2011-2013 et ne reflétant pas le chiffre d'affaires habituellement réalisé avant 2014, en particulier au cours de l'exercice 2011, dernière année sans travaux, pour lequel le chiffre d'affaires s'élevait à 2 310 312 euros. Or, la baisse de chiffre d'affaires constatée en 2015 par rapport à l'exercice 2011 n'est que de 2,2 % pour cette période et de 11,6 % par rapport à la moyenne des exercices 2011-2014. En outre, si la requérante fait valoir que la forte baisse des ventes constatée pour le seul site situé 121 avenue Victor Hugo au titre de l'année 2015 a significativement contribué à la réduction de son chiffre d'affaires au titre de cet exercice, il ne résulte pas de l'instruction que cette diminution serait directement imputable à la réalisation des travaux de prolongement de la ligne 12 et non à des choix stratégiques de l'entreprise alors, notamment, qu'une baisse des ventes est également constatée sur les deux autres sites de l'entreprise, pourtant non concernés par les travaux, et que la hausse des charges, mentionnée par le rapport du 6 février 2019 qu'elle a commandé, est en partie liée à l'ouverture du site de Stains.

6. Enfin, il résulte de l'instruction que les travaux de prolongement de la ligne 12 ont été déclarés d'utilité publique par arrêté inter-préfectoral n° 04-2378 du 8 juin 2004 et ont fait l'objet de nombreuses mesures d'information des riverains sur l'avancement des travaux et les nuisances en résultant. Par un contrat de sous-location, la société HBE Distribution a conclu, le 20 mai 2009, un contrat de bail sur un fonds de commerce situé au 121 de l'avenue Victor Hugo à Aubervilliers afin d'y installer une partie de ses activités. Par suite, la société HBE Distribution, dont le siège et une partie de l'activité sont par ailleurs établis à moins de trois-cents mètres, au 90 de l'avenue Victor Hugo, depuis le 8 janvier 1996, ne pouvait ignorer, à la date de la conclusion de ce contrat de sous-location, la nature des travaux projetés, notamment la mise en service d'une nouvelle station de métro à quelques mètres de son nouveau local, et les risques que leur exécution pouvait présenter pour l'exploitation du fonds, notamment la baisse de fréquentation de sa clientèle, liée aux difficultés d'accès ou aux nuisances provoquées par le chantier.

7. Il s'ensuit que la gêne occasionnée par ces travaux n'a pas excédé les sujétions normales que doivent supporter les riverains d'une voie publique sans indemnité dans l'intérêt général.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision du 19 janvier 2018, ni d'examiner les conclusions subsidiaires de la société RATP, que la société HBE Distribution n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Régie autonome des transports parisiens, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société HBE Distribution demande à ce titre. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société HBE Distribution une somme de 2 000 euros à verser à la Régie autonome des transports parisiens sur le fondement des mêmes dispositions.

10. D'autre part, la présente instance n'ayant donné lieu à aucun dépens, les conclusions de la Régie autonome des transports parisiens tendant au remboursement de ceux-ci doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société HBE Distribution est rejetée.

Article 2 : La société HBE Distribution versera à la Régie autonome des transports parisiens une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la Régie autonome des transports parisiens est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société HBE Distribution et à la Régie autonome des transports parisiens.

Délibéré après l'audience du 6 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Camenen, président,

Mme Houllier, première conseillère,

Mme Villette, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2023.

La rapporteure,

S. HoullierLe président,

G. CamenenLa greffière,

T. René-Louis-Arthur

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

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N° 20VE02547


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