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19/10/2023 | FRANCE | N°20VE02274

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 19 octobre 2023, 20VE02274


Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, à titre principal, de condamner la commune de Gonesse à lui verser la somme de 80 000 euros, majorée des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices subis à la suite d'une chute intervenue le 16 novembre 2016 au droit du n°8 bis route d'Arnouville à Gonesse, ou, à titre subsidiaire, de condamner la commune de Gonesse à lui verser une provision de 10 000 euros, majorée des intérêts au taux légal, en réparation des mêm

es préjudices, et d'ordonner une expertise en vue de se prononcer sur l'étendue de...

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, à titre principal, de condamner la commune de Gonesse à lui verser la somme de 80 000 euros, majorée des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices subis à la suite d'une chute intervenue le 16 novembre 2016 au droit du n°8 bis route d'Arnouville à Gonesse, ou, à titre subsidiaire, de condamner la commune de Gonesse à lui verser une provision de 10 000 euros, majorée des intérêts au taux légal, en réparation des mêmes préjudices, et d'ordonner une expertise en vue de se prononcer sur l'étendue des dommages qu'il a subis, et, en tout état de cause, de mettre à la charge de la commune de Gonesse une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1709972 du 10 juillet 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a ordonné, avant dire-droit, la réalisation d'une expertise médicale, par un expert désigné par le président du tribunal, en présence de M. B..., de la commune de Gonesse et de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Seine-Saint-Denis, aux fins, notamment, de décrire la nature et l'étendue de l'ensemble des préjudices résultant de l'accident survenu le 16 novembre 2016, et a réservé jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'a pas été expressément statué par ce jugement.

Le rapport d'expertise a été enregistré le 28 septembre 2020 et un complément a été enregistré le 13 novembre 2020.

Par des mémoires, enregistrés les 8 novembre et 17 décembre 2020, M. B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise :

1°) de condamner la commune de Gonesse à lui verser la somme de 31 457,11 euros en indemnisation de ses préjudices, majorée des intérêts ou, à titre subsidiaire, de lui verser la somme de 27 257,11 euros, majorée des intérêts ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Gonesse les dépens ainsi que la somme de 7 128,18 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1709972 du 30 mars 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la commune de Gonesse à verser à M. B... la somme de 20 382,69 euros, majorée des intérêts à compter du 27 juin 2017, et la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et à verser à la CPAM de la Seine-Saint-Denis, la somme de 4 631,24 euros au titre de ses débours et la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité de frais de gestion, a mis à la charge définitive de la commune de Gonesse les dépens, soit la somme de 1 875,20 euros, et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 2 septembre 2020 sous le n° 20VE02274, la commune de Gonesse, représentée par Me Moreau, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement avant dire droit n° 1709972 du 10 juillet 2020 ;

2°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 2 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- eu égard à l'appartenance de la rue d'Arnouville à des propriétaires privés, sa responsabilité ne peut être recherchée que sur le terrain de la faute prouvée, à savoir une carence du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police, et non sur le terrain du défaut d'entretien normal d'un ouvrage public ;

- le jugement attaqué est entaché d'une double erreur de droit dès lors qu'il ne caractérise pas le lien de causalité entre le siège de l'accident et la chute de la victime et qu'il ne démontre pas la carence fautive du maire, la voie sur laquelle a eu lieu l'accident étant une voie privée et le caractère défectueux du regard n'ayant pas été porté à la connaissance du maire ;

- la matérialité des faits et le lien de causalité entre l'ouvrage et le dommage subi par M. B... ne sont pas établis ;

- le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs sur ce point dès lors qu'il retient que l'accident résulte d'une chute dans un trou constitué par le regard ouvert sur la voie mais que le tampon de celui-ci n'aurait pas été absent ;

- le regard dans lequel a chuté M. B... est situé sur une voie privée dont l'entretien incombe au premier chef aux propriétaires de cette voie ; or, le maire n'était pas informé de la dégradation de cette voie privée ; aucune faute ne peut donc lui être reprochée ;

- le jugement attaqué répond de manière lapidaire au moyen soulevé en défense tiré de la faute de la victime ;

- la faute de la victime exonère la commune exposante de sa responsabilité ; à supposer que le regard n'était pas couvert par un tampon, la faute de la victime serait manifeste et exonératoire de toute responsabilité ; si le regard était couvert par un tampon, il n'est pas établi qu'il aurait chuté ou basculé ; en outre, son caractère déformé suffisait à le signaler à la vue de tout piéton attentif.

Une mise en demeure a été adressée le 2 avril 2021 à M. B..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Une mise en demeure a été adressée le 2 avril 2021 à la CPAM de la Seine-Saint-Denis, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

II. Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 17 mai 2021 et le 2 mars 2023 sous le n° 21VE01354, la commune de Gonesse, représentée par Me Moreau, avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement du 30 mars 2021 en tant qu'il la condamne à verser à M. B... des sommes supérieures à 5 662,50 euros ou, à titre subsidiaire, à la somme sollicitée dans le mémoire complémentaire en défense, au titre du poste de tierce personne, à 2 000 euros au titre des souffrances endurées, à 4 200 euros au titre du déficit fonctionnel permanent et en tant qu'il fixe le point de départ des intérêts à une date antérieure à celle du jugement attaqué, soit le 30 mars 2021 ;

2°) de rejeter les demandes reconventionnelles de M. B... ;

3°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 2 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- sa condamnation à verser à M. B... la somme de 3 658,60 euros au titre de la perte de gains professionnels, la somme de 324,09 euros au titre des frais divers, la somme de 1 300 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire et la somme de 1 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire doit être confirmée ;

- sa condamnation à verser à la CPAM de la Seine-Saint-Denis la somme de 4 631,24 euros en indemnisation des sommes servies à M. B... doit être confirmée ; la circonstance que ces sommes n'auraient pas été versées est sans incidence sur la condamnation de la commune exposante qui a remboursé lesdites sommes à la CPAM de la Seine-Saint-Denis ;

- le jugement attaqué doit être confirmé en ce qu'il a écarté l'indemnisation du préjudice d'agrément et en ce qu'il a rejeté l'indemnisation des dépenses de santé ;

- s'agissant de l'indemnisation allouée au titre du poste de tierce personne temporaire, l'aide apportée à M. B..., pour un total de quatre-cent-cinquante-trois heures du 16 novembre 2016 au 3 février 2017, a été bénévole ; M. B... n'a donc pas supporté de charges sociales ou de congés payés et c'est à tort que le juges de première instance ont retenu un temps de travail de quatre-cent-douze jours ; en outre, dans son dernier mémoire de première instance, M. B... évaluait son préjudice à 5 768,75 euros en retenant un coût horaire de 12,5 euros ; cette demande n'a été assortie d'aucune réévaluation, ni indexation ; par suite, en allouant la somme de 6 600 euros, les premiers juges ont statué ultra petita ; ce poste de préjudice devra être indemnisé à hauteur de 5 662,60 euros et, à tout le moins, à une somme qui ne saurait être supérieure à celle demandée par M. B... dans son dernier mémoire ;

- s'agissant de l'indemnisation des souffrances endurées, la somme de 2 500 euros allouée est surévaluée eu égard au préjudice retenu par l'expertise ; M. B... n'a subi aucune hospitalisation et sa rééducation a été de courte durée ; ce poste de préjudice devra être évalué à 2 000 euros ;

- l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent à hauteur de 5 000 euros est manifestement surévaluée compte tenu du taux de déficit fonctionnel permanent retenu par l'expertise ; ce poste de préjudice devra être évalué à 4 200 euros ;

- c'est à tort que les premiers juges ont fixé le point de départ des intérêts au 27 juin 2017, date de la réclamation indemnitaire préalable de M. B..., en méconnaissance des dispositions de l'article 1231-6 du code civil ; les intérêts n'ont commencé à courir qu'à compter du jugement définitif du 30 mars 2021.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2021, la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis, représentée par Me Nemer, avocat, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Gonesse le versement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a versé à M. B... la somme de 4 631,24 euros au titre de diverses prestations ;

- la commune de Gonesse ne critique pas le jugement attaqué en tant qu'il a fait droit à ses demandes.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 février 2023 et le 15 mars 2023, M. B..., représenté par Me Risser, avocate, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté l'indemnisation des frais de santé engagés par lui, évalué l'indemnisation de la perte de revenus à 3 658,60 euros, évalué l'indemnisation de la CPAM de la Seine-Saint-Denis au titre des indemnités journalières à 4 357,03 euros, évalué l'indemnisation au titre du déficit fonctionnel temporaire à 1 300 euros, évalué l'indemnisation au titre du préjudice esthétique temporaire à 1 000 euros, évalué l'indemnisation au titre du déficit fonctionnel temporaire à 5 000 euros, rejeté l'indemnisation au titre du préjudice d'agrément, condamné la commune de Gonesse à lui verser la seule somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et de condamner la commune de Gonesse à lui verser 523,19 euros au titre des frais de santé, 5 498,17 euros au titre de la perte de revenus, 3 167 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 2 500 euros au titre des douleurs subies, 1 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, 7 500 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 3 000 euros au titre du préjudice d'agrément et 4 240 euros au titre des frais de justice exposés en première instance ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Gonesse le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- le poste d'assistance par une tierce personne temporaire a été correctement évalué par le tribunal administratif ;

- les souffrances endurées ont été correctement réparées à hauteur de 2 500 euros ;

- l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent ne saurait être partagée entre l'accident du 16 novembre 2016 et celui du 9 décembre 2018 ; la fracture résultant de l'accident du 9 décembre 2018 n'a été rendue possible que par la fragilisation résultant de l'accident du 16 novembre 2016 ; il sera fait une juste appréciation du déficit fonctionnel permanent en l'évaluant à 7 500 euros ;

- les intérêts doivent être versés à compter de la demande indemnitaire préalable formée le 27 juin 2017 ;

- les dates retenues par l'expertise pour l'évaluation du préjudice fonctionnel temporaire sont erronées dès lors que la gêne fonctionnelle partielle de type III a duré du 16 novembre 2016 au 5 février 2017 et celle de type II du 6 février 2017 au 5 avril 2017 ; il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 3 167 euros, soit 1 660 euros pendant la période en classe III, 797 euros pendant la période en classe II et 710 euros pendant la période en classe I ;

- il sera fait une juste appréciation de son préjudice esthétique en l'évaluant à 1 500 euros ;

- les premiers juges ont commis une erreur de droit en refusant d'indemniser le préjudice d'agrément subi ; ce préjudice est définitif et ne saurait être partagé entre les deux accidents du 16 novembre 2016 et du 9 décembre 2018 ; il devra être indemnisé à hauteur de 3 000 euros ;

- c'est à tort que les premiers juges ont refusé de condamner la commune de Gonesse à l'indemniser des frais médicaux engagés, à hauteur de 523,19 euros ;

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait s'agissant de l'indemnisation de son préjudice économique dès lors qu'il n'a pas perçu l'ensemble des indemnités journalières auxquelles il aurait pu prétendre ; ce préjudice devra faire l'objet d'une juste appréciation à hauteur de 5 498,17 euros ;

- il n'a perçu de la CPAM de la Seine-Saint-Denis que la somme de 2 517,46 euros et non celle de 4 357,03 mentionnée par le jugement attaqué ;

- il sollicite le remboursement de 4 240 euros au titre des frais engagés pour se défendre en première instance.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- les rapports de Mme Houllier,

- et les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 16 novembre 2016, aux alentours de 12h45, M. C... B... a fait une chute au droit du n° 8 bis route d'Arnouville à Gonesse alors qu'il cheminait sur le trottoir longeant la galerie commerciale dite de la Madeleine. Il en est résulté une fracture de trois os du poignet gauche ainsi qu'un arrêt de travail jusqu'au 4 février 2017. Par un jugement du 10 juillet 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par l'intéressé, a estimé que la responsabilité de la commune de Gonesse était engagée du fait de la faute commise par son maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police en ne signalant pas le mauvais état du tampon du regard de canalisation à l'origine de la chute, a ordonné une expertise aux fins d'évaluer les préjudices subis par M. B... et a sursis à statuer sur ses conclusions indemnitaires. Par un jugement du 30 mars 2021, il a condamné la commune de Gonesse à verser à M. B... la somme de 20 382,69 euros en réparation des préjudices subis lors de cette chute et à la CPAM de la Seine-Saint-Denis la somme de 4 631,24 euros. Par les requêtes susvisées nos 20VE02274 et 21VE01354, la commune de Gonesse fait appel de ces deux jugements. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.

Sur la requête n° 20VE02274 :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

2. L'article L. 9 du code de justice administrative dispose que : " Les jugements sont motivés ". Le juge doit ainsi se prononcer, par une motivation suffisante au regard de la teneur de l'argumentation qui lui est soumise, sur tous les moyens expressément soulevés par les parties, à l'exception de ceux qui, quel que soit leur bien-fondé, seraient insusceptibles de conduire à l'adoption d'une solution différente de celle qu'il retient.

3. Il ressort du point 7 du jugement attaqué que le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments des parties, a répondu par une motivation qui est suffisante au moyen soulevé en défense tiré de la faute de la victime. Par suite, et à supposer ce moyen soulevé, le jugement attaqué n'est pas irrégulier pour ce motif.

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Gonesse :

4. Aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l'éclairage, l'enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des édifices et monuments funéraires menaçant ruine, (...) ainsi que le soin de réprimer les dépôts, déversements, déjections, projections de toute matière ou objet de nature à nuire, en quelque manière que ce soit, à la sûreté ou à la commodité du passage ou à la propreté des voies susmentionnées (...) ".

5. Il résulte de ces dispositions que le pouvoir de police du maire peut être mis en œuvre sur les propriétés privées et notamment pour tout ce qui concerne la sûreté et la commodité du passage sur les voies privées, sous condition qu'elles aient été, du fait du consentement de leurs propriétaires, ouvertes au public.

6. En premier lieu, si la commune de Gonesse fait valoir que le trottoir longeant la galerie commerciale de la Madeleine, sur lequel M. B... a chuté, est une voie privée et doit ainsi être regardée comme soutenant qu'il ne s'agit pas d'un ouvrage public sur lequel elle aurait eu à faire usage de ses pouvoirs de police sauf signalement d'un danger particulier, il résulte de l'instruction que cette voie, bien que située sur des parcelles privées, est ouverte à la circulation des piétons et constitue le seul cheminement possible pour ces derniers dès lors que la voie publique adjacente est entièrement affectée à la circulation et au stationnement des véhicules. Dans ces conditions, alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Gonesse n'assurerait pas l'entretien, la gestion et la surveillance de cette voie, il lui appartenait de signaler les dangers excédants ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement par leur prudence se prémunir.

7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment de l'attestation de M. A..., témoin direct de la chute, que M. B..., conformément à ses déclarations, est tombé dans un regard du trottoir, dont le tampon a basculé sous son poids lors de son passage. Ces propos sont confirmés par le constat d'huissier qui, bien qu'établi plusieurs semaines après les faits, révèle l'existence d'un tampon déformé et fortement corrodé, recouvrant, sans y être fixé, l'encadrement en ciment du regard dont les contours se délitent et qui n'ont pas fait l'objet d'un cerclage métallique de telle sorte qu'il est susceptible de basculer au passage d'une personne et ainsi de provoquer sa chute. Dans ces conditions, la matérialité des faits et le lien de causalité entre la chute et l'existence d'un tampon défectueux sont établis, sans, en tout état de cause, qu'il ne puisse être relevé une contradiction dans les motifs du jugement attaqué sur ce point.

8. Par suite, en ne signalant pas le danger résultant de ce tampon qui excédait celui contre lequel les usagers doivent normalement, par leur prudence, se prémunir et ce alors même qu'il n'aurait pas été prévenu de l'état du tampon par les riverains, le maire a manqué à l'exercice de ses pouvoirs de police.

S'agissant de la faute de la victime :

9. Si la commune fait valoir que M. B... aurait pu éviter ce tampon compte tenu de la largeur du trottoir, le danger constitué par le basculement d'un tampon de regard au passage d'un piéton, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait été prévisible, ne constitue pas un obstacle que tout piéton peut normalement s'attendre à rencontrer sur son passage. Ainsi, et dès lors que le danger n'était pas signalé, aucune faute ne peut être reprochée à M. B....

10. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Gonesse n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 10 juillet 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a estimé qu'elle était entièrement responsable des préjudices résultant pour M. B... de la chute dont il a été victime le 16 novembre 2016.

Sur la requête n° 21VE01354 :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

11. Si le chef de préjudice relatif à l'assistance par une tierce personne a fait l'objet par les premiers juges d'une évaluation supérieure à celle demandée par M. B... devant le tribunal, le montant total de la somme allouée n'excède pas le montant global de la demande de première instance. Par suite, la commune de Gonesse n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif a statué au-delà des conclusions dont il était saisi.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux avant consolidation :

S'agissant de l'assistance par une tierce personne :

12. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire permettant, dans les circonstances de l'espèce, le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat, sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.

13. Le principe de la réparation intégrale du préjudice impose que les frais liés à l'assistance à domicile de la victime par une tierce personne, alors même qu'elle serait assurée par un membre de sa famille, soient évalués à une somme qui ne saurait être inférieure au montant du salaire minimum augmenté des cotisations sociales dues par l'employeur, appliqué à une durée journalière, dans le respect des règles du droit du travail.

14. Il résulte de l'expertise que M. B... a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne à raison de trois heures par jour du 16 novembre 2016 au 3 février 2017 (quatre-vingts jours), date du retrait de son attelle, puis pendant deux heures par jour du 4 février au 5 avril 2017 (soixante-et-un jours), et enfin à raison de trois heures par semaine du 6 avril 2017 au 16 novembre 2017, date de la consolidation (trente-deux semaines), soit pendant quatre-cent-cinquante-six heures au total. Il résulte de l'instruction que ce besoin est la conséquence directe de sa chute du 16 novembre 2016. Ainsi, alors même qu'il ne présente pas de factures et a été assisté par ses proches, M. B... est fondé à demander réparation de ce poste de préjudice. Par suite, compte tenu du salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire brut augmenté des charges sociales sur la période concernée, à savoir 13 euros, c'est à bon droit que le tribunal a fixé le montant de l'indemnité due à ce titre à la somme de 6 600 euros.

S'agissant des frais médicaux :

15. En l'absence de nouveaux éléments apportés devant le juge d'appel, les conclusions de M. B... tendant à l'indemnisation des frais engagés pour l'achat d'une attelle renforcée pour poignet et d'un équipement de rééducation et de renforcement musculaire ainsi que des frais de transports occasionnés par ses déplacements au cabinet de kinésithérapie, à la pharmacie et à l'hôpital doivent être rejetées.

S'agissant de la perte de revenus :

16. M. B... soutient qu'il a subi une perte de revenus non compensée par les indemnités journalières à hauteur de 5 498,17 euros. Il est constant que son salaire net était, à la date de l'accident, de 3 170,50 euros par mois. Ainsi, pour les mois de novembre 2016 à mars 2017, il aurait dû percevoir la somme de 15 852,50 euros s'il n'avait pas été en arrêt de travail suite à son accident. Il résulte toutefois de ses bulletins de salaire sur cette période qu'il n'a perçu qu'une somme totale de 7 836,87 euros.

17. Si M. B... soutient qu'il n'a reçu de la part de la CPAM de la Seine-Saint-Denis qu'une somme de 2 517,46 euros au titre des indemnités journalières, il résulte de l'attestation de débours produite par cette dernière, datée du 4 janvier 2021, que M. B... a reçu une somme totale de 4 631,24 euros répartie en deux tranches de 2 301,04 euros pour la période du 17 novembre au 14 décembre 2016 et de 2 055,99 euros pour la période du 15 décembre 2016 au 2 janvier 2017. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que M. B... devait être indemnisé du préjudice résultant de la perte de revenus à hauteur de 3 658,60 euros et que la CPAM de la Seine-Saint-Denis devait être remboursée de la somme de 4 357,03 euros correspondant aux indemnités journalières versées à M. B....

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

S'agissant des préjudices avant consolidation :

Quant aux souffrances endurées :

18. Il résulte du rapport d'expertise que M. B... a subi une douleur évaluée à 2,5 sur 7 compte tenu de la nature du traumatisme initial, de la durée et de la nature de la rééducation et des douleurs endurées, physiques et psychologiques. Il sera fait, comme les juges de première instance, une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 2 500 euros.

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

19. Il résulte de l'expertise que M. B... a subi un déficit fonctionnel temporaire de 50 % du 16 novembre 2016 au 3 février 2017, intégrant un préjudice sexuel par gêne positionnelle, puis de 25 % du 4 février au 5 avril 2017 et enfin de 10 % du 6 avril au 16 novembre 2017. Si M. B... soutient que le déficit fonctionnel temporaire de 50 % a duré jusqu'au 5 février 2017, il n'apporte aucun élément de nature à contredire l'expertise qui fait état du retrait de son plâtre le 3 février 2017. Par suite, c'est à bon droit que les juges de première instance ont évalué ce préjudice à 1 300 euros.

Quant au préjudice esthétique temporaire :

20. Il résulte du rapport d'expertise que le préjudice esthétique temporaire subi par M. B... a été évalué à 2 sur 7 du 16 novembre 2016 au 3 février 2017, période d'immobilisation de son membre supérieur gauche. Ainsi, alors même que M. B... fait également valoir qu'il a pris du poids au cours de cette période, le tribunal a fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à 1 000 euros.

S'agissant des préjudices après consolidation :

Quant au déficit fonctionnel permanent :

21. Il résulte du rapport d'expertise que le déficit fonctionnel permanent dont souffre M. B... a été fixé à 7 % en raison de douleurs persistantes et d'une limitation des amplitudes articulaires du poignet gauche. L'expert a indiqué que ce déficit devait être partagé entre l'accident du 16 novembre 2016 et celui intervenu le 9 décembre 2018. M. B... soutient que ce partage est injustifié dès lors que la fracture de l'extrémité inférieure du cubitus gauche résultant de cette dernière chute n'a été rendue possible que par les premières fractures liées à la chute du 16 novembre 2016. Toutefois, M. B... ne produit aucun élément de nature à établir que cette seconde fracture est la conséquence de la première chute du 16 novembre 2016 alors qu'il résulte du rapport d'expertise qu'à la date du 16 novembre 2017, la blessure résultant de la chute du 16 novembre 2016 devait être regardée comme consolidée. Par suite, dès lors que le déficit permanent fonctionnel de M. B... imputable à l'accident du 16 novembre 2016 est évalué à 3,5 % et de l'âge du requérant, soit cinquante-sept ans à la date de la consolidation, c'est à bon droit que le tribunal a évalué ce préjudice à 4 500 euros.

S'agissant du préjudice d'agrément :

22. Si M. B... soutient que sa chute et la fracture qui en a résulté ne lui permettent désormais plus de pratiquer le trekking, le vélo, le ski, le ping-pong, la randonné de haute montage, l'aïkido, le tennis, la voile, la natation, le handball, l'athlétisme et le football, sports qu'il pratiquait régulièrement avant son accident, de même que le jardinage, le bricolage, le travail du bois et la cuisine, il ne produit aucun justificatif probant de nature à établir qu'il pratiquait régulièrement ces activités à l'exception d'une licence pour la pratique du football au titre de l'année 2008-2009, soit huit ans avant son accident. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal a écarté la demande de M. B... tendant à l'indemnisation de son préjudice d'agrément.

En ce qui concerne le calcul des intérêts :

23. La créance détenue sur l'administration existe, en principe, à la date à laquelle se produit le fait qui en est la cause, sans qu'il soit besoin que le juge se livre au préalable à une appréciation des faits de l'espèce et en liquide le montant. Saisie d'une demande tendant au paiement de cette créance, l'administration est tenue d'y faire droit dès lors que celle-ci est fondée. Par suite, les intérêts moratoires, dus en application de l'article 1231-6 du code civil, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue à l'administration ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine, et non à compter de la date du jugement.

24. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont fait courir les intérêts à la date de la réception de la demande indemnitaire préalable de M. B..., soit le 27 juin 2017.

En ce qui concerne l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en première instance :

25. Il résulte de l'instruction que, pour la défense de ses intérêts devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, M. B... a exposé des frais d'avocat s'élevant à la somme totale de 4 240 euros ainsi que cela résulte des factures produites en appel. Par suite, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de porter le montant fixé par les premiers juges à 4 240 euros.

26. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Gonesse n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a condamnée à verser à M. B... la somme de 20 382,69 euros, majorée des intérêts. Il résulte également de ce qui précède que M. B... n'est fondé à demander la réformation du jugement attaqué qu'en tant qu'il a mis à la charge de la commune de Gonesse le versement d'une somme inférieure à 4 240 euros sur le fondement l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais liés à l'instance devant le tribunal.

Sur les frais liés à l'instance devant la cour :

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Gonesse demande à ce titre. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Gonesse le versement des sommes demandées par M. B... et la CPAM de la Seine-Saint-Denis sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Les requêtes nos 20VE02274 et 21VE01354 de la commune de Gonesse sont rejetées.

Article 2 : La somme de 1 500 euros que la commune de Gonesse a été condamnée à verser à M. B... par l'article 2 du jugement n° 1709972 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 30 mars 2021 est portée à 4 240 euros.

Article 3 : Le jugement n°1709972 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 30 mars 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. B... et les conclusions de la CPAM de la Seine-Saint-Denis sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Gonesse, à M. C... B... et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 6 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Camenen, président,

Mme Houllier, première conseillère,

Mme Villette, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2023.

La rapporteure,

S. HoullierLe président,

G. CamenenLa greffière,

T. René-Louis-Arthur

La République mande et ordonne au préfet du Val-d'Oise en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

Nos 20VE02274, 21VE01354


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE02274
Date de la décision : 19/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Travaux publics - Notion de travail public et d'ouvrage public - Ouvrage public.

Travaux publics - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics.


Composition du Tribunal
Président : M. CAMENEN
Rapporteur ?: Mme Sarah HOULLIER
Rapporteur public ?: Mme JANICOT
Avocat(s) : SCP D'AVOCATS SAIDJI et MOREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-10-19;20ve02274 ?
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