La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/10/2023 | FRANCE | N°21VE01432

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 17 octobre 2023, 21VE01432


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'Etat à lui verser à titre de dommages et intérêts la somme de 40 152 euros assortie des intérêts capitalisés à compter du 22 janvier 2019 en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité d'une décision, en date du 6 mars 2019, par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire a rejeté le recours administratif préalable qu'il avait présenté le 24 janvier 2019 à l'encontre de la décision du 23 jan

vier 2019, prise par la société EDF et lui refusant l'autorisation d'accès au centre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'Etat à lui verser à titre de dommages et intérêts la somme de 40 152 euros assortie des intérêts capitalisés à compter du 22 janvier 2019 en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité d'une décision, en date du 6 mars 2019, par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire a rejeté le recours administratif préalable qu'il avait présenté le 24 janvier 2019 à l'encontre de la décision du 23 janvier 2019, prise par la société EDF et lui refusant l'autorisation d'accès au centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Belleville-sur-Loire (Cher).

Par un jugement n° 1901502 du 12 avril 2021, le tribunal administratif d'Orléans a mis à la charge de l'Etat le versement à M. A... de la somme de 3 600 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2019 et capitalisation de ces intérêts à compter du 4 décembre 2020.

Procédure devant la cour :

Par une requête, un mémoire et des pièces, enregistrés les 20 mai 2021, 6 septembre et les 3, 8 et 22 novembre 2022, M. B... A..., représenté par Me Flachet von Campe, avocat, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat les sommes de 15 152 euros au titre du manque à gagner qu'il a subi durant 11 mois et 17 jours au cours desquels il a été interdit d'accéder à son site de travail de la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire, de 10 000 euros au titre du préjudice de carrière et de 15 000 euros au titre de son préjudice moral ;

3°) d'enjoindre à la société Electricité de France de produire, dans un délai de deux semaines, l'ensemble des emplois du temps réalisés par ses collègues techniciens du service automatisme et électrique (SAE) du centre national de production d'électricité (CNPE) de Belleville-sur-Loire au titre de l'année 2019 ainsi que les fiches " C01 " correspondantes récapitulant la carrière des agents concernés, sans mention personnelle autres que les fonctions, l'unité d'appartenance et les classifications ;

4°) d'enjoindre au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires de produire, dans un délai de deux semaines, les deux notes de l'Autorité de sûreté nucléaire du 22 juin 2012 relative à l'importance des heures supplémentaires des personnels EDF du CNPE de Belleville-sur-Loire ;

5°) de dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal, avec capitalisation à compter de la date du 22 janvier 2019 ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa demande indemnitaire est recevable ;

- la responsabilité pour faute de l'administration est engagée à raison de l'illégalité de la décision d'interdiction d'accès au point d'importance vitale, laquelle n'est fondée sur aucun fait précis en méconnaissance des dispositions de l'article R. 1332-22-1 du code de la défense ;

- l'absence d'exercice de son activité professionnelle entre le 23 janvier 2019 et le 6 janvier 2020 lui a causé un préjudice de perte de revenus supplémentaires à raison de 1 310 euros par mois, soit un montant total de 15 152 euros, lequel relève en réalité d'un salaire habituel en raison des contraintes de personnel et techniques et des enjeux financiers impliqués par l'arrêt d'une tranche ; un préjudice de carrière, consistant en la perte d'un groupe fonctionnel en raison de la perte d'une année de promotion, dont il sera fait une juste appréciation en lui allouant la somme de 10 000 euros ; et un préjudice moral à hauteur de la somme de 15 000 euros ;

- il doit être fait injonction à son employeur, la société Electricité de France, de produire, dans un délai de deux semaines, les éléments permettant la comparaison de sa situation avec celle de ses collègues, à savoir l'ensemble des emplois du temps réalisés par ses collègues techniciens du service automatisme et électrique (SAE) du centre national de production d'électricité (CNPE) de Belleville-sur-Loire au titre de l'année 2019 ainsi que les fiches " C01 " correspondantes récapitulant la carrière des agents concernés, sans mention personnelle autres que les fonctions, l'unité d'appartenance et les classifications .

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2022, le ministre de la transition énergétique conclut, à titre principal, au rejet de la requête, et, à titre subsidiaire, à ce que le montant d'indemnisation soit minoré.

Il fait valoir que :

- le moyen tiré de la recevabilité de la demande indemnitaire est inopérant ;

- la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée qu'au titre d'une période limitée, du 24 janvier au 27 novembre 2019 ;

- la rémunération d'heures supplémentaires au bénéfice de M. A... n'est ni systématique, ni acquise ;

- le préjudice de carrière n'est démontré ni dans son principe, ni dans son quantum ;

- la somme allouée en première instance au titre du préjudice moral n'est pas sous-évaluée.

Par ordonnance du président de la chambre du 8 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 23 novembre 2022, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bonfils,

- les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique,

- les observations de Me Flachet von Campe pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été recruté par la société Electricité de France (EDF), en vertu d'un contrat à durée indéterminée en date du 26 juin 2014, pour exercer les fonctions de technicien en étoffement dans le domaine nucléaire au sein de la centrale de Belleville-sur-Loire (Cher). Par un courrier du 23 janvier 2019, la société EDF a informé M. A... qu'après une enquête préalable et un avis défavorable de l'autorité administrative, l'accès au centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Belleville-sur-Loire ne lui était pas accordé. Par courrier du 24 janvier 2019, l'intéressé a formé un recours administratif préalable obligatoire contre ce refus devant le ministre de la transition écologique et solidaire, lequel a été rejeté par une décision du 6 mars 2019. Le 27 novembre 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire a informé M. A... que sa précédente décision procédait d'une erreur matérielle et qu'il n'émettait plus d'objection à un retour du salarié sur le site. M. A... relève appel du jugement du 12 avril 2021 du tribunal administratif d'Orléans en ce qu'il a limité à la somme de 3 600 euros la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 6 mars 2019.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

2. Il est constant que la décision du ministre de la transition écologique et solidaire du 6 mars 2019 procède d'une erreur matérielle commise par le service enquêteur et qu'elle est, par suite, illégale. L'illégalité entachant cette décision constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

En ce qui concerne les préjudices :

3. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un salarié irrégulièrement évincé en raison de l'illégalité d'une décision administrative a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente un lien direct de causalité.

Quant à la perte de revenus supplémentaires :

4. M. A... recherche l'indemnisation de la perte financière correspondant au paiement des heures supplémentaires et des primes d'arrêts de tranche qu'il aurait perçu au titre des missions de maintenance et de contrôle qui lui auraient été confiées s'il n'avait pas été empêché d'exercer son activité professionnelle entre le 23 janvier 2019 et le 6 janvier 2020. Le requérant conteste la proposition d'indemnisation amiable qui lui a été adressée par le ministre de la transition écologique et solidaire le 2 juillet 2020, d'un montant de 600 euros calculé par référence à la moyenne du montant des heures supplémentaires perçues par les techniciens automaticiens du service au cours de la visite décennale 2019, et évalue sa perte financière à la somme de 1 310 euros par mois, soit un montant total de 15 152 euros au titre de la période en litige.

5. D'une part, il résulte de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas contesté, qu'en sa qualité de membre du service automatismes électricité (SAE), M. A... aurait effectivement été amené à exécuter des heures supplémentaires au titre de la visite décennale du réacteur de la centrale de Belleville-sur-Loire pendant la période au cours de laquelle il a été écarté du service. Il résulte également de l'instruction que cette période s'est achevée au 27 novembre 2019, date de la levée par le ministre de l'interdiction de présence sur le site. D'autre part, pour remettre en cause l'évaluation de ce préjudice réalisée par l'administration, le requérant produit ses bulletins de salaire des mois de novembre des trois années antérieures à celle en litige, lesquels font apparaître des montants très variables pour une moyenne de 1 042 euros, sans précision quant à la période couverte par cette indemnisation pour ce qui concerne l'année 2018. Les autres pièces produites par l'intéressé ne permettent pas davantage de justifier du montant indemnitaire réclamé. En outre le requérant n'indique pas quelles données des documents internes de la société EDF qu'il produit permettraient de contredire le chiffrage indemnitaire établi par le ministre. Ainsi, le nombre d'heures supplémentaires global avancé dans les écritures du requérant au titre de l'année 2019, soit 16 500 heures, n'est pas corroboré par les pièces du dossier. En revanche, il résulte du bilan annuel des heures supplémentaires 2019 du CNPE de Belleville-sur-Loire, établi au 5 février 2020, que le nombre d'heures exécutées par le service de M. A... est de 9 124 heures. Il est établi par ce même document un taux d'heures supplémentaires hors astreinte sur les horaires normaux pour ce même service s'élevant à 7,70 %. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'enjoindre à l'administration ou à la société EDF de produire les documents demandés par M. A..., le droit à indemnisation correspondant à la rémunération de l'exécution d'un nombre d'heures supplémentaires peut être fixé à un taux hors astreinte sur ses horaires normaux de 7,7 %. L'état du dossier ne permettant pas au juge de déterminer le montant des sommes dues à ce titre à M. A..., il y a lieu de renvoyer celui-ci devant l'administration, pour qu'il soit procédé à la liquidation de sa créance sur la période du 23 janvier au 27 novembre 2019.

Quant au préjudice de carrière :

6. M. A... invoque un préjudice de carrière tenant à l'absence de progression dans le groupe fonctionnel supérieur à celui qu'il occupait lorsqu'il a été écarté de son emploi, en prenant appui sur une comparaison de sa situation avec celle de trois autres collègues. Toutefois, il n'établit ni que son entrée dans les cadres de la société aurait été concomitante avec celle des trois personnes promues en 2019, ni que les personnes entrées en 2014 auraient majoritairement atteint un groupe fonctionnel supérieur au sien, alors au demeurant qu'il ne critique pas les motifs qui lui ont été opposés à bon droit par le tribunal administratif aux points 11 et 12 de son jugement, et qu'il y a lieu d'adopter, tenant à l'absence de démonstration d'une perte de chances sérieuses d'obtenir une promotion de groupe fonctionnel au vu de sa manière de servir. Dans ces conditions, M. A... n'établit pas l'existence du préjudice de carrière dont il se prévaut. Par suite, la demande indemnitaire présentée à ce titre ne peut qu'être rejetée.

Quant au préjudice moral :

7. S'agissant du préjudice moral que M. A... soutient avoir subi en raison des calomnies qu'il aurait endurées de la part de ses collègues, le requérant n'établit pas davantage qu'en première instance la réalité de ses allégations sur ce point. Il ne justifie pas davantage de l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre, d'une part, le caractère illégal de la décision du 6 mars 2019 et, d'autre part, la procédure de divorce qu'il a vécue la même année et le traitement thérapeutique qui lui a été prescrit. Dans ces conditions, il y a seulement lieu de confirmer la somme de 3 000 euros allouée en première instance par le tribunal administratif d'Orléans en raison des conditions dans lesquelles M. A... a été suspendu de ses fonctions lesquelles sont à l'origine d'un trouble dans les conditions d'existence du requérant.

8. Il résulte de ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a fixé l'indemnisation de son préjudice tenant à la perte de revenus supplémentaires à la somme de 600 euros.

En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :

9. M. A... a droit, ainsi qu'il le demande, aux intérêts au taux légal sur les sommes qui lui sont dues conformément à ce qui a été dit aux points 5 et 7 de l'arrêt, à compter du 4 décembre 2019, date à laquelle le ministre a reçu la demande préalable d'indemnisation du requérant, ces intérêts étant capitalisés au 4 décembre 2020, date à laquelle ils sont dus pour une année entière, et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

DÉCIDE :

Article 1er : L'Etat versera à M. A... une indemnité au titre de la perte de revenus supplémentaires correspondant à la rémunération de l'exécution d'un nombre d'heures supplémentaires pour un taux hors astreinte sur horaires normaux de 7,7 % pour la période comprise entre le 23 janvier et le 27 novembre 2019.

Article 2 : M. A... est renvoyé devant l'administration afin qu'il soit procédé à la liquidation du montant de la somme qui lui est due, dans les conditions déterminées à l'article 1er.

Article 3 : La somme mise à la charge de l'Etat à l'article 1er de l'arrêt portera intérêt au taux légal à compter du 4 décembre 2019, date à laquelle le ministre de la transition énergétique a reçu la demande préalable d'indemnisation de M. A.... Ces intérêts seront capitalisés au 4 décembre 2020, et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par M. A... est rejeté.

Article 5 : Le jugement n° 1901502 du 12 avril 2021 du tribunal administratif d'Orléans est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre de la transition énergétique.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Le Gars, présidente,

Mme Pham, première conseillère,

Mme Bonfils, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2023.

La rapporteure,

M-G. BONFILS

La présidente,

A-C. LE GARS

La greffière,

V. MALAGOLI

La République mande et ordonne au ministre de la transition énergétique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 21VE01432


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE01432
Date de la décision : 17/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-04-01 Responsabilité de la puissance publique. - Réparation. - Préjudice.


Composition du Tribunal
Président : Mme LE GARS
Rapporteur ?: Mme Marie-Gaëlle BONFILS
Rapporteur public ?: Mme VISEUR-FERRÉ
Avocat(s) : FLACHET VON CAMPE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-10-17;21ve01432 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award