La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/09/2023 | FRANCE | N°21VE00346

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 12 septembre 2023, 21VE00346


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, d'annuler la décision implicite résultant du silence gardé par l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " Les Marronniers " sur sa réclamation préalable présentée le 25 avril 2018, et, d'autre part, de condamner l'EHPAD " Les Marronniers " à lui verser la somme totale de 46 313 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 22 jui

llet 2014 prononçant son licenciement pour faute.

Par un jugement n° 1807047 du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, d'annuler la décision implicite résultant du silence gardé par l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " Les Marronniers " sur sa réclamation préalable présentée le 25 avril 2018, et, d'autre part, de condamner l'EHPAD " Les Marronniers " à lui verser la somme totale de 46 313 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 22 juillet 2014 prononçant son licenciement pour faute.

Par un jugement n° 1807047 du 1er décembre 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et des mémoires, enregistrés les 6 février, 11 mars et 26 juin 2021 et les 10 février et 9 juin 2023, Mme B... A..., représentée par Me Perret, avocat, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de faire droit à ses conclusions présentées en première instance et de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " Les Marronniers " à lui verser la somme de 56 637 euros en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts au taux légal, avec capitalisation de ces intérêts à compter de la date de réception de sa demande indemnitaire préalable ;

3°) de mettre à la charge de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " Les Marronniers " le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement a méconnu les pouvoirs d'instruction du juge et le principe du contradictoire tel qu'il est garanti par les dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative ;

- elle a le droit à la réparation intégrale de son préjudice matériel, sous forme d'une indemnité financière ; celui-ci est évalué à la somme de 5 000 euros au titre de la reconstitution de ses droits sociaux, notamment ses droits à pension de retraite, lequel est en lien direct avec l'illégalité de la décision de la licencier, et à la somme de 45 637 euros au titre de la perte de revenus ;

- le coût de la formation d'infirmière qu'elle a suivie, soit 2 500 euros, est en lien direct avec son licenciement ;

- la réalité du préjudice moral dont elle demande réparation à hauteur de la somme de 3 500 euros est établie du fait de la perte de revenus et elle n'a pas davantage à en rapporter la preuve au vu des conditions dans lesquelles son licenciement est intervenu ;

- elle n'a commis aucune faute de nature à exonérer la responsabilité de son employeur.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 mai 2021 et 25 mai 2023, l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " Les Marronniers ", représenté par Me Lacroix, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce que Mme A... soit condamnée à lui verser une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable en tant qu'elle est tardive ;

- la requérante a renoncé à ses conclusions indemnitaires de première instance portant sur l'indemnité de licenciement, l'indemnité de préavis et les frais liés au recours en annulation présenté devant le tribunal administratif ;

- les conclusions indemnitaires tendant à la réparation du préjudice financier relatif à la perte de revenus sont irrecevables en tant qu'elles dépassent le quantum de l'indemnité demandée en première instance et sont nouvelles en appel ;

- les préjudices dont la réparation est demandée sont sans lien direct avec la faute invoquée ;

- le montant de ces préjudices n'est pas justifié ;

- les fautes commises par Mme A... sont exonératoires de la responsabilité de son employeur ;

- les autres moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bonfils,

- les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique,

- les observations de Me Perret pour Mme A..., et celles de Me Lacroix pour l'EHPAD " Les Marronniers ".

Une note en délibéré présentée pour Mme A... a été enregistrée le 7 juillet 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a été recrutée le 1er décembre 2010 par l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " Les Marronniers " en qualité d'aide médico-psychologique, sous couvert d'un contrat à durée déterminée renouvelé une fois et suivi de la conclusion d'un contrat à durée indéterminée. Par une décision du 22 juillet 2014, le directeur de l'EHPAD " Les Marronniers " a licencié Mme A... pour motif disciplinaire. Cette décision a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 23 mai 2017, lequel a été confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 10 avril 2019. Mme A... relève appel du jugement du 1er décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices résultant de l'illégalité de la mesure prononçant son licenciement.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête :

2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1. / (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 1er décembre 2020 doit être regardé comme ayant été notifié à Mme A... au plus tôt le 7 décembre 2020, date de la première présentation du pli à l'intéressée. Par suite la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête, enregistrée au greffe de la cour le 6 février 2021, doit être écartée.

Sur la régularité du jugement :

4. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ".

5. Mme A... soutient que les premiers juges auraient dû rouvrir l'instruction et communiquer son mémoire en réplique. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la clôture de l'instruction, initialement fixée au 17 mars 2020, a été rouverte automatiquement par la communication, le 18 mars 2020, du premier mémoire en défense produit par l'EHPAD " Les Marronniers ". A la date à laquelle la demanderesse a produit son mémoire en réplique, à savoir le 6 novembre 2020, l'instruction de l'affaire n'avait pas fait l'objet d'une nouvelle clôture, laquelle est seulement intervenue trois jours francs avant l'audience fixée au 17 novembre suivant. Par suite, les premiers juges, qui pouvaient apprécier l'opportunité de communiquer le mémoire en réplique au vu des éléments déjà portés à leur connaissance, n'avaient, en tout état de cause, pas à rouvrir l'instruction du dossier. Par ailleurs, la requérante ne précise pas quel élément de ses écritures aurait exigé une telle communication, laquelle ne ressort d'ailleurs pas des pièces du dossier. Dans ces conditions, le moyen tiré du défaut de contradictoire doit être écarté.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la faute :

6. Il résulte de l'instruction que pour annuler la décision du 22 juillet 2014 par laquelle l'EHPAD " Les Marronniers " a licencié Mme A... pour motif disciplinaire, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise et la cour ont considéré que les fautes de nature à justifier une telle mesure n'étaient pas établies. Par suite, en prononçant le licenciement de Mme A..., l'EHPAD " Les Marronniers " a commis une illégalité fautive de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la requérante.

En ce qui concerne les préjudices :

7. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte des rémunérations ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations nettes et des allocations pour perte d'emploi que l'agent a pu percevoir au cours de la période d'éviction.

S'agissant des droits à pension de retraite :

8. Il résulte de l'instruction que l'administration n'a pas, comme elle aurait dû le faire au titre de la reconstitution de carrière de l'agent illégalement licencié, procédé à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 23 mai 2017, lequel a été confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 10 avril 2019, concernant la reconstitution des droits à pension de retraite de Mme A..., lesquels sont établis au titre de la période du 1er août 2014, date de fin de la rémunération de l'intéressée par l'EHPAD " Les Marronniers ", jusqu'au 11 août 2014 inclus, la requérante reconnaissant avoir été indemnisable au titre de l'allocation de retour à l'emploi (ARE) à compter du 12 août 2014. Une telle demande, tenant au versement des cotisations salariales et patronales aux organismes sociaux concernés, relève d'une procédure d'exécution du jugement ayant annulé la décision de licenciement de Mme A..., lequel constitue un litige distinct devant être instruit et jugé suivant la procédure prévue aux articles L. 911-4 et suivants du code de justice administrative. Par suite, la demande indemnitaire présentée à ce titre ne peut qu'être écartée.

S'agissant de la perte de revenus :

9. Ainsi qu'il a été rappelé au point 7, si un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre, dont la perte des rémunérations ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, il ressort des pièces du dossier que Mme A... n'a jamais demandé à être réintégrée dans les effectifs de l'EHPAD " Les Marronniers " mais a souhaité, dès le mois d'août 2014, entreprendre une préparation à la formation d'infirmière. Ainsi, la demande d'indemnisation d'un préjudice lié à une perte de revenus ne peut qu'être rejetée en l'absence de lien de causalité avec la faute commise par l'employeur.

S'agissant du remboursement du coût de la préparation suivie en vue d'une admission en institut de formation en soins infirmiers :

10. Mme A... ne fait état d'aucun élément susceptible de remettre en cause l'appréciation portée par les premiers juges concernant l'absence de lien de causalité direct entre le suivi d'une préparation au concours d'infirmière dispensée par un organisme privé, et l'illégalité commise par l'EHPAD " Les Marronniers ". Par suite, l'indemnisation de ce chef de préjudice doit être écartée par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal au point 10 du jugement.

S'agissant du préjudice moral :

11. Mme A... soutient qu'elle a subi un préjudice moral du fait de la perte de revenus résultant de son licenciement. Au regard de l'illégalité de cette mesure, et de la réorientation de carrière qu'elle a entrainée pour l'intéressée, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à ce titre à la requérante une somme de 1 000 euros tous intérêts inclus.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres fins de non-recevoir opposées en défense, que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation de son préjudice moral.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que l'EHPAD " Les Marronniers " demande à ce titre. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'EHPAD " Les Marronniers " le versement à Mme A... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'EHPAD " Les Marronniers " versera à Mme A... la somme de 1 000 euros, tous intérêts inclus.

Article 2 : L'EHPAD " Les Marronniers " versera à Mme A... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par Mme A... est rejeté.

Article 4 : Le jugement n° 1807047 du 1er décembre 2020 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " Les Marronniers ".

Délibéré après l'audience du 4 juillet 2023, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

Mme Bonfils, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 septembre 2023.

La rapporteure,

M-G. BONFILSLe président,

S. BROTONS

La greffière,

V. MALAGOLI

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 21VE00346 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE00346
Date de la décision : 12/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Effets des annulations.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Marie-Gaëlle BONFILS
Rapporteur public ?: Mme VISEUR-FERRÉ
Avocat(s) : MINIER MAUGENDRE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 17/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-09-12;21ve00346 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award