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11/07/2023 | FRANCE | N°22VE00155

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 11 juillet 2023, 22VE00155


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à lui verser la somme de 114 727,50 euros en réparation des préjudices qu'il a subis, du fait de l'agression dont il a été victime le 14 février 2010 à la maison d'arrêt de Fleury-Merogis.

Par un jugement no 1909011 du 30 septembre 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 janvier 2022, M. A..., représenté par Me

Seghier-Leroy, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué ;

2°) de condam...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à lui verser la somme de 114 727,50 euros en réparation des préjudices qu'il a subis, du fait de l'agression dont il a été victime le 14 février 2010 à la maison d'arrêt de Fleury-Merogis.

Par un jugement no 1909011 du 30 septembre 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 janvier 2022, M. A..., représenté par Me Seghier-Leroy, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 114 727,50 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- son agression relève d'un défaut d'organisation du service pénitentiaire de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande au motif qu'il a été indemnisé par la commission d'indemnisation des victimes d'infractions ;

- son déficit fonctionnel permanent doit être évalué à 84 300 euros.

Par un mémoire, enregistré le 7 avril 2022, le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, représenté par la SELAFA Cabinet Cassel, société d'avocats, demande à la cour :

1°) de confirmer le jugement attaqué ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 112 427,50 euros en remboursement des indemnités versées à M. A..., avec intérêts de droit ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal a jugé que la responsabilité de l'Etat pour faute est engagée du fait du défaut de surveillance et, ou, dans l'organisation du service ;

- M. A... ne peut demander la condamnation de l'Etat à l'indemniser qu'à hauteur de 2 300 euros, résultant de la différence entre la somme de 114 727,50 euros réclamée à l'Etat et celle de 112 427,50 euros qu'il a déjà obtenue en réparation des mêmes préjudices ;

- en application des dispositions de l'article 706-11 du code de procédure pénale, le fonds de garantie est subrogé dans les droits de M. A... et fondé à demander la condamnation de l'Etat, responsable des dommages, à le rembourser de la somme versée à M. A..., soit 112 427,50 euros ;

- le montant de l'indemnisation octroyée par la commission d'indemnisation des victimes d'infraction, soit 112 427,50 euros, est justifié.

La requête de M. A... et le mémoire du fonds de garantie ont été communiqués au garde des sceaux, ministre de la justice, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par lettre du 6 juin 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, qui sont nouvelles en cause d'appel.

Par un mémoire en réponse au moyen soulevé d'office enregistré le 7 juin 2023, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens.

Il soutient, en outre, que sa requête est recevable dès lors que la victime dans les droits de laquelle il est subrogé a demandé la condamnation de l'Etat en première instance et qu'en vertu des dispositions de l'article 706-11 du code de procédure pénale, il est recevable à exercer son action même pour la première fois en appel.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31 mai 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dorion,

- les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique,

- et les observations de Me Surjous, pour M. A....

Une note en délibéré présentée par Mr Seghier-Leroy a été enregistrée le 10 juillet 2023.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., incarcéré à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, a été victime le 14 février 2010 d'une agression dans la cour de promenade commise par plusieurs codétenus, lui ayant notamment occasionné une cécité totale de l'œil droit. L'enquête préliminaire faisant suite à cette agression a été classée sans suite, et l'instruction judicaire a été clôturée par une ordonnance de non-lieu compte tenu de l'impossibilité d'identifier les auteurs de cette agression. Par un constat d'accord homologué par le président de la commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI) d'Evry le 25 août 2020, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions a versé à M. A... la somme de 112 427,50 euros en réparation des dommages résultant de cette agression. Parallèlement, M. A... a recherché la responsabilité de l'Etat pour faute des services pénitentiaires et demandé sa condamnation à lui verser la somme de 114 727,50 euros en réparation des mêmes préjudices. M. A... relève appel du jugement du 30 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Sur l'appel principal de M. A... :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

2. Aux termes de l'article 12 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : " Les personnels de surveillance de l'administration pénitentiaire constituent, sous l'autorité des personnels de direction, l'une des forces dont dispose l'Etat pour assurer la sécurité intérieure. / Dans le cadre de leur mission de sécurité, ils veillent au respect de l'intégrité physique des personnes privées de liberté (...) ". Aux termes de l'article 44 de cette loi : " L'administration pénitentiaire doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels. / (...) Toute personne détenue victime d'un acte de violence caractérisé commis par un ou plusieurs codétenus fait l'objet d'une surveillance et d'un régime de détention particuliers (...) ". Aux termes de l'article D. 265 du code de procédure pénale : " Tout chef d'établissement doit veiller à une stricte application des instructions relatives au maintien de l'ordre et de la sécurité dans l'établissement pénitentiaire qu'il dirige ". Enfin aux termes de l'article D. 266 de ce code : " La sécurité intérieure des établissements pénitentiaires incombe au personnel de l'administration pénitentiaire. ".

3. Il résulte de l'instruction qu'en affectant M. A... au bâtiment D1 alors qu'elle disposait d'informations établissant que M. A... encourait un risque d'agression au sein de ce bâtiment, et en omettant de prendre toutes mesures nécessaires afin de tenter de faire cesser rapidement l'agression dont il était victime dans la cour de promenade, l'administration pénitentiaire a commis un manquement à son obligation légale de surveillance et de sécurité propre à assurer l'intégrité physique de M. A.... Cette carence est de nature à engager la responsabilité de l'Etat pour faute, ainsi que l'a jugé le tribunal, par des motifs non contestés en appel.

En ce qui concerne l'évaluation du préjudice :

4. M. A... demande la condamnation de l'Etat à lui verser en réparation de ses préjudices la somme totale de 114 427,50 euros, à raison de 8 927,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 15 000 euros au titre des souffrances endurées, 6 500 euros au titre de son préjudice esthétique et 84 300 euros au titre du déficit fonctionnel permanent.

5. Aux termes de l'article 706-3 du code de procédure pénale : " Toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne (...) ". L'indemnité ainsi prévue est allouée par une commission instituée dans le ressort de chaque tribunal de grande instance et versée par le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.

6. En raison de la subrogation du fonds de garantie dans les droits de la victime qu'instituent ces dispositions, régissant un mode d'indemnisation fondé sur la solidarité nationale, et en application des principes qui gouvernent la procédure devant le juge administratif, ce dernier, informé de ce que la personne victime d'une infraction au sens des dispositions ci-dessus a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infraction pénale ou obtenu une indemnité versée par le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions doit, à peine d'irrégularité de son jugement, mettre en cause le fonds dans l'instance dont il est saisi afin, d'une part, de permettre à celui-ci d'exercer son droit de subrogation et, d'autre part, de s'assurer qu'il ne procédera pas, s'il donne suite à la demande de condamnation, à une double indemnisation des mêmes préjudices. Il appartient au juge administratif de prendre, en déterminant la quotité et la forme de l'indemnité par lui allouée, les mesures nécessaires en vue d'empêcher que sa décision n'ait pour effet de procurer à la victime, par suite des indemnités qu'elle a pu ou qu'elle peut obtenir par ailleurs à raison des conséquences dommageables du même accident, une réparation supérieure au montant total du préjudice.

7. D'une part, il résulte de l'instruction que M. A... a été indemnisé par le fonds de garantie à hauteur de la somme de 112 427,50 euros conformément au constat d'accord homologué le 25 août 2020, en réparation des dommages subis du fait de l'agression du 14 février 2010, à raison de 8 927,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 15 000 euros au titre des souffrances endurées, 6 500 euros au titre du préjudice esthétique et 82 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent. M. A... ne justifie plus d'un préjudice réparable à hauteur des indemnités qui lui ont déjà été versées.

8. D'autre part, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale judiciaire du 23 décembre 2016, que M. A... garde de son agression du 14 février 2010 une cécité complète de l'œil droit avec irritation conjonctivale et cornéenne, des douleurs importantes, ainsi que des séquelles psycho-traumatiques avec persistance de cauchemars et de réminiscences de son agression. Compte tenu du déficit fonctionnel permanent dont il reste atteint, évalué par l'expert à 30 % et du fait qu'il était âgé de 39 ans à la date de la consolidation de son état de santé le 18 juillet 2013, la réparation de ce chef de préjudice peut être évaluée à la somme de 82 000 euros. M. A..., qui a déjà été indemnisé par le fonds de garantie à hauteur de 82 000 euros pour ce même poste de préjudice, ne peut prétendre au versement d'une indemnité complémentaire par l'Etat.

9. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Sur l'appel incident du fonds de garantie :

10. Aux termes de l'article 706-11 du code de procédure pénale : " Le fonds est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction ou tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle, le remboursement de l'indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes. (...) / Le fonds peut exercer ses droits par toutes voies utiles, y compris par voie de constitution de partie civile devant la juridiction répressive et ce, même pour la première fois, en cause d'appel. (...) ".

11. Si le fonds de garantie peut exercer ses droits pour la première fois en cause d'appel, tel n'est pas le cas lorsque, comme en l'espèce, régulièrement mis en cause en première instance par le tribunal, il a omis de produire devant lui sa créance subrogatoire. Par suite, sa demande de remboursement de ses débours, présentée pour la première fois en cause d'appel, est irrecevable. Il s'ensuit que les conclusions d'appel incident du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres victimes d'infraction ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat les sommes que M. A... et le fonds de garantie demandent au titre des frais exposés dans la présente instance.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... et l'appel incident du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions sont rejetés.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Dorion, présidente-assesseure,

M. Tar, premier conseiller,

Mme Pham, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 juillet 2023.

L'assesseur le plus ancien,

G. TARLa présidente-rapporteure,

O. DORION

La greffière,

S. LOUISERE

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 22VE00155


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22VE00155
Date de la décision : 11/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-091 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Services pénitentiaires.


Composition du Tribunal
Président : Mme DORION
Rapporteur ?: Mme Odile DORION
Rapporteur public ?: Mme BOBKO
Avocat(s) : SEGHIER-LEROY

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-07-11;22ve00155 ?
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