Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux demandes, la société A... Nettoyage a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 mai 2016, des compléments de taxe d'apprentissage et de taxe de participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue mis à sa charge au titre des années 2013 à 2015 et des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, de taxe additionnelle à la même cotisation et de frais d'assiette sur ladite cotisation mis à sa charge au titre des années 2014 et 2015.
Par un jugement n° 1905590 et n° 2005265 du 8 juin 2021, le tribunal administratif de Versailles a joint ces deux demandes, a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement intervenu en cours d'instance d'une somme de 900 euros, résultant de la substitution de la majoration de 40 % pour manquement délibéré par celle de 10 % prévue à l'article 1728 du code général des impôts, appliquée aux rappels de TVA au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2014 et a rejeté le surplus des conclusions des demandes de la société A... Nettoyage.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 juillet 2021, la société A... Nettoyage, représentée par Me Noël et Me Quertier, avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;
2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales a été méconnu, dès lors que le service n'a pas indiqué les documents obtenus de tiers sur lesquels il a fondé les rectifications litigieuses ;
- elle produit des factures justifiant de la déductibilité de certaines de ses charges ;
- la majoration pour manquement délibéré lui a été appliquée à tort, dès lors qu'elle a simplement omis de déclarer sa TVA du fait qu'elle s'était placée par erreur dans le régime simplifié de déclaration ;
- elle est fondée à se prévaloir de la doctrine énoncée au § 160 du BOI-CF-PGR-20-50.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 décembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société A... Nettoyage ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 28 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 20 avril 2023 à 12 heures en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pham,
- et les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) A... Nettoyage, dont Mme B... A... est la gérante, exerce une activité de nettoyage courant de bâtiments. Elle a fait l'objet de deux vérifications de comptabilité qui ont porté respectivement sur les exercices et périodes du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015 et du 1er janvier au 31 mai 2016. A l'issue de celles-ci, des rectifications lui ont été notifiées, en matière d'impôt sur les sociétés, de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), de taxe d'apprentissage, de taxe de participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue, de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de taxe additionnelle à cette même cotisation, selon la procédure contradictoire, à l'exception de celles relatives à la TVA au titre de la période du 1er janvier au 31 mai 2016, qui lui ont été notifiées selon la procédure de taxation d'office. Par deux demandes distinctes, la SARL A... Nettoyage a demandé au tribunal administratif de Versailles la décharge, en droits et pénalités, de l'ensemble des impositions ainsi mises à sa charge au titre des années 2013 à 2015 ainsi que des rappels de TVA mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier au 31 mai 2016. En cours d'instance et par décision du 21 novembre 2019, le directeur de contrôle fiscal Ile-de-France a prononcé le dégrèvement, à concurrence d'une somme de 900 euros, résultant de la substitution de la majoration de 40 % pour manquement délibéré par celle de 10 % prévue à l'article 1728 du code général des impôts, appliquée aux rappels de TVA au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2014. Par le jugement n° 1905590 et n° 2005265 du 8 juin 2021, le tribunal administratif de Versailles a joint ces deux demandes, a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur de ce dégrèvement et a rejeté le surplus des conclusions des demandes de la SARL A... Nettoyage. Cette dernière relève appel de ce jugement.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". Il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l'intéressé de demander que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Cette obligation ne s'impose à l'administration que pour les seuls renseignements effectivement utilisés pour fonder les rectifications.
3. La SARL A... Nettoyage soutient que l'administration a omis de mentionner dans la proposition de rectification du 13 décembre 2016 l'origine des renseignements obtenus de tiers lui ayant permis d'établir, d'une part, que la gérante de la société avait volontairement utilisé le compte bancaire professionnel pour régler ses dépenses personnelles et, d'autre part, qu'elle était la bénéficiaire de distributions venant de la société.
4. D'une part, les rectifications litigieuses ne comprennent pas les revenus distribués à Mme B... A.... Par suite, le moyen tiré de l'absence de communication des renseignements obtenus de tiers permettant d'établir que Mme B... A... était la bénéficiaire de distributions de la société requérante doit être écarté comme inopérant.
5. D'autre part, le service a rejeté la déductibilité de charges en se fondant sur des recoupements entre le montant des sommes inscrites en charges et le montant des impositions dues par Mme A... B.... La proposition de rectification du 13 décembre 2016, qui indiquait expressément qu'étaient en cause l'impôt sur le revenu de l'année 2012, la taxe d'habitation 2014 et 2015, la taxe foncière 2015, ainsi que l'impôt sur le revenu 2013 de Mme B... A... a donné toute information utile permettant à la société requérante d'obtenir la communication des documents obtenus de tiers sur lesquels l'administration se serait fondée. La société A... Nettoyages n'a présenté aucune demande en ce sens. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales doit en conséquence être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions :
6. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". En vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des créances de tiers, amortissements, provisions et charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. En ce qui concerne les charges, le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.
7. Il résulte de l'instruction que, d'une part, les factures de l'hôtel Le Crouesty du 7 avril 2015, Métro du 10 avril 2015 et du centre E. Leclerc Bois d'Arcy du 14 novembre 2015 ne font pas partie de celles dont la déductibilité a été rejetée au cours de la vérification de comptabilité et que, d'autre part, la société requérante ne justifie pas ne pas avoir déjà déduit ces factures. En tout état de cause, en ce qui concerne la facture de l'Hôtel Le Crouesty, situé dans la ville balnéaire d'Arzon (Morbihan) émise le 7 avril 2015, la requérante ne justifie pas que ces frais de séjour auraient été engagés dans l'intérêt de son exploitation en ne donnant aucune explication sur la nécessité d'un séjour dans le Morbihan, alors par ailleurs que cette facture concerne le règlement de deux chambres. En ce qui concerne la facture de la société Métro du 10 avril 2015 concernant une imprimante, la société A... Nettoyage n'établit pas que cet outil aurait été acheté pour les besoins de son exploitation, alors que la facture est établie au nom de Mme B... A... et qu'elle comprend également l'achat de matériels de cuisine et de boissons. Il en est de même pour la facture Leclerc du 14 novembre 2015 qui, si elle est émise au nom de la société A... Nettoyage, concerne l'achat de matériel de bureau mais aussi de produits d'hygiène personnelle. Or, la somme dont la société requérante demande la déductibilité en charges excède largement celle correspondant aux achats des seules fournitures de bureau. Par suite, le moyen concernant ces trois factures doit être écarté.
8. La société requérante demande également que soit admise la déduction du prix d'achat de billets d'avion à destination du Cap-Vert, en produisant une attestation du 9 février 2018 du directeur de la société cap-verdienne CCIV indiquant que celle-ci était entre 2013 à 2015 en pourparlers avec la société A... Nettoyage dans le but de conclure des contrats au Cap-Vert. Toutefois, cette attestation, produite plusieurs années après la vérification de comptabilité, est insuffisamment probante dès lors qu'elle n'est accompagnée d'aucune copie de correspondance commerciale, ni d'aucun autre document attestant de la réalité de ces relations commerciales et que les billets d'avion sont constitués d'un aller-retour du 15 juillet au 27 septembre 2014, soit un séjour de deux mois.
Sur les pénalités :
9. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
10. En premier lieu, pour justifier l'application de la majoration prévue par les dispositions précitées, l'administration a relevé, dans les deux propositions de rectification du 13 décembre 2016, l'absence de présentation par la SARL A... Nettoyage d'une comptabilité régulière et probante, l'importance des minorations de la base imposable et leur caractère réitéré, s'élevant, en matière de TVA, à 75 250 euros en 2013, 70 098 euros en 2014, 40 752 euros en 2015 et 145 970 euros en 2016, représentant ainsi respectivement 16 %, 20 %, 19 % et 100 % de la base imposable. En matière d'impôt sur les sociétés, le montant des charges non engagées dans l'intérêt de la société s'élève à 72 665 euros en 2013, 91 414 euros en 2014 et 100 264 euros en 2015, soit respectivement 69 %, 78 % et 86 % de la base imposable. Ces éléments établissent l'intention de la société requérante d'éluder l'impôt et, par suite, le caractère délibéré des manquements qui lui sont reprochés. Celle-ci ne peut utilement soutenir que l'omission de déclaration de TVA résultait de ce qu'elle se serait placée par erreur dans le régime simplifié de déclaration et de liquidation de la taxe, alors que des recettes ont été omises, ni invoquer son inexpérience eu égard aux graves manquements commis. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, que les manquements en cause résultent d'une démarche délibérée du contribuable visant à éluder l'impôt.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales dans sa version applicable : " (...) Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales ". Ne peuvent être invoquées sur le fondement de ces dispositions que les interprétations formelles des textes fiscaux, admises par l'administration, qui diffèrent du sens et de la portée que ces textes doivent légalement recevoir.
12. La SARL A... Nettoyage se prévaut des dispositions du § 160 de l'instruction du 12 septembre 2012, sous la référence BOI-CF-PGR-20-50-20120912, renvoyant en particulier à une prise de position du ministre des finances du 30 avril 1976, lors de débats parlementaires (JO, débats AN 1er et 2 mai 1976, p. 2498 et suivantes). Aux termes de cette instruction précitée : " Les petites et moyennes entreprises qui se créent, et, notamment, les salariés s'établissant à leur compte (à l'exclusion des créations résultant d'un simple changement dans les conditions juridiques d'exploitation), doivent bénéficier d'un traitement spécifique à l'occasion des vérifications dont elles font l'objet au cours de leurs premières années d'activité. (...) Cette décision concerne les rappels d'impôts faisant suite à une vérification et résultant d'erreurs commises de bonne foi pendant les quatre années qui ont suivi la création, l'acquisition ou la prise de gérance libre de l'entreprise, ou bien, s'agissant de personnes morales, la prise du pouvoir de décision. Elle porte, d'une part sur la remise des pénalités, d'autre part, sur l'octroi de délais de paiement ". Toutefois, ces dispositions constituent de simples recommandations adressées aux agents de l'administration fiscale, mais non une interprétation de la loi fiscale dont la société A... Nettoyage peut se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société A... Nettoyage n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société A... Nettoyage est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société A... Nettoyage et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Dorion, présidente,
M. Tar, premier conseiller,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2023.
La rapporteure,
C. PHAM La présidente,
O. DORIONLa greffière,
S. LOUISERELa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 21VE02226