Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 21 octobre 2021 par lequel le préfet des Yvelines a procédé au retrait des deux certificats de résidence d'un an qui lui ont été délivrés pour les périodes du 14 décembre 2018 au 13 décembre 2019 et du 14 décembre 2019 au 13 décembre 2020, ainsi que du certificat de résidence de dix ans qui lui a été délivré le 3 juillet 2020.
Par un jugement n° 2111074 du 30 septembre 2022, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 novembre 2022, M. D..., représenté par Me Bekel, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté contesté ;
3°) d'enjoindre au préfet des Yvelines de réexaminer sa situation et de lui délivrer un titre de séjour temporaire ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'erreur de fait et d'erreur de droit ;
- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le retrait de ses deux certificats de résidence d'un an valables du 14 décembre 2018 au 13 décembre 2019 et du 14 décembre 2019 au 13 décembre 2020 est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur de droit, dès lors qu'aucune fraude n'est établie concernant les titres de séjour délivrés par le préfet de la Seine-Saint-Denis ;
- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation et porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par une ordonnance du 30 mars 2023, l'instruction a été close au 14 avril 2023, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Le préfet des Yvelines a présenté un mémoire enregistré le 16 juin 2023, après clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Tar,
- les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique,
- et les observations de Mme C..., pour le préfet des Yvelines.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... D..., ressortissant algérien, né le 18 janvier 1985, entré en France en dernier lieu au cours de l'année 2014, a été mis en possession d'un certificat de résidence algérien mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, valable du 14 décembre 2018 au 13 décembre 2019, renouvelé pour une nouvelle durée d'un an du 14 décembre 2019 au 13 décembre 2020, puis d'un certificat de résidence de dix ans délivré le 3 juillet 2020. Estimant que ces trois titres de séjour avaient été acquis au bénéfice d'une fraude, le préfet des Yvelines a procédé à leur retrait par l'arrêté contesté du 21 octobre 2021. M. D... fait régulièrement appel du jugement du 30 septembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, il résulte du jugement attaqué que, pour rejeter la demande de M. D..., le tribunal administratif a estimé que, compte tenu de la gravité de l'irrégularité des conditions de leur obtention, à raison de manœuvres commises par un agent de préfecture et constatées par le juge pénal, les décisions de délivrance des titres de séjour obtenus par l'intéressé étaient nulles et non avenues. Les premiers juges en ont déduit que, le préfet des Yvelines étant en situation de compétence liée pour les retirer, l'ensemble des moyens soulevés par M. D... à l'encontre des décisions litigieuses étaient inopérants. Ainsi, le tribunal a écarté comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le requérant n'est dès lors pas fondé à soutenir que le jugement serait irrégulier, faute pour les premiers juges d'avoir répondu à ce moyen.
3. En second lieu, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, M. D... ne peut utilement soutenir que le tribunal a entaché sa décision d'une erreur de fait ou d'une erreur de droit.
Sur la légalité de l'arrêté contesté :
En ce qui concerne la légalité des décisions de retrait des certificats de résidence algériens d'un an délivrés par le préfet de la Seine-Saint-Denis :
4. Le requérant, dont l'épouse est titulaire d'un certificat de résidence de dix ans, soutient que les deux premiers titres de séjour dont il a bénéficié lui ont été régulièrement délivrés par le préfet de la Seine-Saint-Denis. Il ressort de la minute du jugement correctionnel du tribunal judiciaire de Versailles du 11 octobre 2021 que les faits d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France, d'escroquerie, de corruption passive et de blanchiment qui fondent le faisceau d'indices relevé par le préfet des Yvelines pour caractériser la fraude au bénéfice de laquelle M. D... a obtenu un titre de séjour ont été commis par un agent de la sous-préfecture de Saint-Germain-en-Laye, à la faveur de fausses attestations de domiciliation permettant à cet agent de se reconnaître compétent. En revanche, il ne peut être tenu pour établi par les pièces du dossier que cet agent aurait pu exercer ses activités frauduleuses dans le cadre de titres de séjour délivrés par le préfet de la Seine-Saint-Denis, après instruction par la sous-préfecture du Raincy. Dans ces conditions, M. D... est fondé à soutenir que le préfet des Yvelines ne pouvait légalement prononcer le retrait pour fraude des deux certificats de résidence d'une durée d'un an, valables du 14 décembre 2018 au 13 décembre 2019 et du 14 décembre 2019 au 13 décembre 2020, qui lui avaient été délivrés par le préfet de la Seine-Saint-Denis.
En ce qui concerne la légalité de la décision de retrait du certificat de résidence algérien de dix ans délivré le 3 juillet 2020 par le préfet des Yvelines :
5. Ainsi que le prévoient les dispositions désormais codifiées à l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration, la circonstance qu'un acte administratif a été obtenu par fraude permet à l'autorité administrative compétente de l'abroger ou de le retirer à tout moment. Lorsque l'autorité administrative fait usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude, il incombe au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, d'une part, de vérifier la réalité de la fraude alléguée et, d'autre part, de contrôler que l'appréciation de l'administration sur l'opportunité de procéder ou non à l'abrogation ou au retrait n'est pas entachée d'erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de l'acte litigieux soit de son abrogation ou de son retrait.
6. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la minute du jugement correctionnel du tribunal judiciaire de Versailles du 11 octobre 2021, que l'agent de la sous-préfecture de Saint-Germain-en-Laye condamné à trois ans de prison dont deux avec sursis, interdiction d'exercer une fonction publique, inéligibilité, confiscation des scellés et 10 000 euros d'amendes, pour des faits d'aide au séjour irrégulier, escroquerie, corruption passive et blanchiment, a permis la délivrance indue de titres de séjour à 160 étrangers dont la liste est mentionnée dans ce jugement, au nombre desquels figure M. D.... Selon la description des faits constitutifs des infractions, cet agent s'est livré à des manœuvres frauduleuses, notamment, en " organisant son auto-attribution des dossiers et auto-validation des instructions lui permettant d'éviter les interférences avec ses collègues et sa hiérarchie notamment lors de la remise des titres frauduleusement délivrés, en s'assurant contrairement aux règles mises en place au sein de la sous-préfecture de Saint-Germain de l'instruction intégrale de toutes les phases d'une demande ou d'un renouvellement de titre, en s'assurant de la disparition des archives des dossiers frauduleux pour éviter tout contrôle " et en " procédant à des enregistrements volontairement erronés de dossiers de titre de séjour ", en vue de " tromper les services de l'Etat pour les déterminer à remettre des titres de séjour non conformes aux situations personnelles de leurs bénéficiaires ". Il ressort des pièces du dossier que, si l'instruction des dossiers des demandeurs a été gravement entachée d'irrégularité, il n'est pas établi que les décisions de délivrance de titre de séjour n'ont pas été prises, à l'issue de cette instruction, par l'autorité compétente. Dans ces conditions, en dépit de la gravité de la fraude commise par l'agent auteur des manœuvres frauduleuses commises au détriment de la préfecture des Yvelines, les titres de séjour indûment délivrés ne peuvent être regardés comme n'ayant pas matériellement existé ou comme étant juridiquement non avenus. Dès lors le préfet des Yvelines n'était pas en situation de compétence liée pour procéder au retrait du certificat de résidence de dix ans délivré à M. D..., de telle sorte que les moyens soulevés au soutien de sa demande tendant à l'annulation de cette décision de retrait étaient opérants. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que le préfet des Yvelines était tenu de retirer pour inexistence le certificat de résidence de dix ans qui avait été délivré à M. D... et a pour ce motif rejeté sa demande, sans examiner les moyens dont celle-ci était assortie.
7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par le requérant tant devant le tribunal que devant la cour.
8. En premier lieu, la décision de retrait en litige, qui a été précédée d'une procédure contradictoire, est motivée par la fraude au bénéfice de laquelle M. D... a obtenu un certificat de résidence de dix ans. Ce motif de fraude suffit à motiver la décision contestée en droit et en fait. De plus, l'arrêté contesté vise les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, le code des relations entre le public et l'administration et l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et précise que si l'intéressé prétend disposer d'une vie familiale en France, ses liens personnels et familiaux n'ont pu être établis. Il est ainsi suffisamment motivé. Il ressort de ces motifs que le préfet des Yvelines a procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressé.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 7 bis de l'accord franco-algérien : " (...) Le certificat de résidence valable dix ans est délivré de plein droit : (...) h) Au ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une validité d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", lorsqu'il remplit les conditions prévues aux alinéas précédents ou, à défaut, lorsqu'il justifie de cinq années de résidence régulière ininterrompue en France. (...) ".
10. Il est constant que M. D..., qui n'entrait dans aucune des catégories d'étrangers visées aux a) à g) de l'article 7 bis de l'accord franco-algérien, et ne justifiait que de deux années de résidence régulière en France, ne remplissait pas les conditions pour se voir délivrer un certificat de résidence valable dix ans et que c'est seulement à la faveur de la fraude commise par l'agent reconnu coupable des faits énoncés au point 6 que ce titre de séjour lui a été délivré le 3 juillet 2020. Le préfet des Yvelines était dès lors fondé à le retirer.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) / 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ; / (...) ".
12. La décision de retrait du titre de séjour a pour effet, sauf lorsqu'elle n'est pas assortie d'une obligation de quitter le territoire français et s'accompagne de la délivrance d'un autre titre de séjour, de mettre fin au droit au séjour de l'étranger concerné. Lorsque l'autorité compétente envisage de prendre une telle mesure, il lui incombe notamment de s'assurer, en prenant en compte l'ensemble des circonstances relatives à la vie privée et familiale de l'intéressé, que cette mesure n'est pas de nature à porter à celle-ci une atteinte disproportionnée.
13. Si M. D... soutient qu'il est entré en France en dernier lieu en 2014 et qu'il est marié depuis le 23 avril 2014 avec une compatriote titulaire d'un certificat de résidence algérien de dix ans, dont il a deux enfants nés en 2016 et 2019, en se bornant à produire les deux premiers certificats de résidence qui lui ont été délivrés par le préfet de la Seine-Saint-Denis et le titre de séjour de son épouse, il ne justifie ni de la durée effective de son séjour depuis 2014, ni de la persistance de ses attaches familiales en France. En outre, il est constant qu'il s'est frauduleusement fait remettre un certificat de résidence de dix ans alors qu'il ne remplissait pas les conditions pour l'obtenir. Dans ces circonstances, la décision de retrait de ce titre de séjour n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Pour les mêmes motifs, le préfet des Yvelines n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande d'annulation des décisions de retrait des deux certificats de résidence d'un an dont il a été titulaire du 14 décembre 2018 au 13 décembre 2019 et du 14 décembre 2019 au 13 décembre 2020. Il n'est en revanche pas fondé à se plaindre du rejet du surplus de sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
15. Le présent arrêt n'implique pas que le préfet des Yvelines réexamine la situation de M. D... et lui délivre un titre de séjour temporaire. Les conclusions de M. D... aux fins d'injonction ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
16. L'Etat n'étant pas la partie perdante pour l'essentiel, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. D... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2111074 du 30 septembre 2022 du tribunal administratif de Versailles est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la demande de M. D... tendant à l'annulation des décisions portant retrait de ses certificats de résidence d'un an valables du 14 décembre 2018 au 13 décembre 2019, et du 14 décembre 2019 au 13 décembre 2020 délivrés par le préfet de la Seine-Saint-Denis.
Article 2 : L'arrêté du 21 octobre 2021 du préfet des Yvelines est annulé en tant qu'il procède au retrait des deux certificats de résidence algériens d'un an mentionnés à l'article 1er.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Yvelines.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2023, à laquelle siégeaient :
M. Olson, président de la Cour,
M. B..., premier vice-président, président de chambre,
M. Brotons, président de chambre,
Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,
M. Albertini, président de chambre,
Mme Besson-Ledey, présidente de chambre,
M. Camenen, président-assesseur,
Mme Dorion, présidente-assesseure,
M. Tar, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2023.
Le rapporteur,
G. TARLe président,
T. OLSONLa greffière,
S. LOUISERE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 22VE02570