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04/07/2023 | FRANCE | N°21VE02168

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 04 juillet 2023, 21VE02168


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Multithématiques a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 6 février 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui a infligé une amende administrative d'un montant de 248 000 euros pour non-respect des délais de paiement prévus à l'alinéa 9 de l'article L. 441-6 du code de commerce et a décidé la publication de cette amende sur le site internet de la direction

générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des frau...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Multithématiques a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 6 février 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui a infligé une amende administrative d'un montant de 248 000 euros pour non-respect des délais de paiement prévus à l'alinéa 9 de l'article L. 441-6 du code de commerce et a décidé la publication de cette amende sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour une durée de six mois.

Par un jugement n° 1902377 du 24 juin 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 juillet et 21 décembre 2021, la société Multithématiques, représentée par Me Djavadi et Me Fourgoux, avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 6 février 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France, d'une part, lui a infligé une amende administrative d'un montant de 248 000 euros pour non-respect des délais de paiement prévus à l'alinéa 9 de l'article L. 441-6 du code de commerce, et, d'autre part, a décidé la publication de cette sanction sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour une durée de six mois à compter de la notification de la décision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

- la décision du 6 février 2018 a été prise au terme d'une procédure qui méconnaît le principe de confiance légitime, applicable au cas d'espèce dès lors que les délais de paiement ont été réglementés au niveau européen par la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, en raison d'une confusion entretenue par l'administration quant à la portée de son contrôle, dès lors que l'administration a concentré son contrôle sur 60 factures et l'a finalement sanctionnée pour 232 factures ;

- la procédure est irrégulière au regard du principe du contradictoire, garanti notamment par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de la consommation, eu égard aux délais trop courts, non respectueux du droit à un délai raisonnable de réponse, qui lui ont été accordés par la direction régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France pour produire ses observations et les justificatifs demandés au cours du contrôle, notamment au regard de la durée globale du contrôle ;

- la procédure a méconnu les stipulations de l'article 6 §1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elle a duré plus de deux ans ;

- elle est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation, dès lors que la majorité des retards de paiement constatés étaient imputables, soit à l'organisation comptable inhérente à toute grande société, dès lors que lui incombe la charge de vérifier la régularité des milliers de factures qu'elle traite annuellement avant de les payer, soit à des manquements de ses fournisseurs dans l'émission des factures, tenant parfois au non-respect de leurs obligations contractuelles ; ainsi, seules 33 factures sur les 232 factures en retard de paiement et les 3 887 factures contrôlées par l'administration ont fait l'objet d'un retard de paiement imputable à une gestion interne défaillante de sa part ;

- l'amende administrative est disproportionnée et méconnaît le principe d'individualisation des amendes, eu égard à son absence d'intention de retarder le paiement de ses fournisseurs, au nombre total de factures payées dans les délais légaux parmi celles qui ont été contrôlées, au nombre réel de factures dont le retard est imputable à une gestion interne défaillante de la société ; ainsi, la sanction ne tient compte que de la rétention de trésorerie évaluée par la DIRECCTE à 1,39 millions d'euros, mais pas de son absence d'intention de contourner les délais de règlement ;

- la mesure de publication est également disproportionnée du fait de l'absence de toute intention de sa part de retarder volontairement le paiement de ses fournisseurs ; en outre, à la date des faits, l'administration n'était pas tenue de prendre ce type de sanction et cette mesure, qui intervient trois ans après les faits reprochés sans tenir compte des efforts d'amélioration mis en place postérieurement au contrôle, altère fortement l'image de la société.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 novembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le principe de confiance légitime ne s'applique pas au cas d'espèce dès lors que la législation relative aux délais de paiement est issue de la loi n° 2008-776 de modernisation de l'économie, entrée en vigueur le 6 août 2008 ;

- l'étendue du contrôle effectué par l'administration, dont la société a été informée, n'a pas évolué au cours de l'enquête ;

- l'article L. 521-1 du code de la consommation est inapplicable, la procédure contradictoire en matière de délais de paiement étant régie par les dispositions du IV de l'article L. 465-2 du code de commerce, reprises à l'article L. 470-2 du même code ;

- le caractère contradictoire de la procédure a été respecté dès lors que la société a été mise en mesure de produire des observations postérieurement à l'envoi du courrier de pré-amende, outre les échanges contradictoires intervenus au cours du contrôle alors que les textes ne les exigent pas ;

- le nombre de factures retenues comme ayant été réglées au-delà de l'échéance légale est exact et a été déterminé en tenant compte des explications fournies par la société en cours de contrôle, qui ont conduit à écarter 17 factures en raison du non-respect par les fournisseurs des conditions contractuelles de facturation ;

- la société ne peut utilement invoquer la responsabilité de ses fournisseurs au titre de l'absence ou du retard de facturation sans leur avoir réclamé dans les délais les facturations manquantes ou tardives, ainsi qu'il lui incombe de le faire, seule la date d'émission de la facture devant être prise en compte, nonobstant la date de sa réception ;

- la méthode de contrôle mise en œuvre a été à plusieurs égards avantageuse pour la société ;

- les principes de proportionnalité et d'individualisation des amendes n'ont pas été méconnus, eu égard à la proportion de factures réglées au-delà de l'échéance légale, soit 6 % des factures contrôlées sur la période, du retard moyen pondéré constaté, soit 81 jours, et du gain de fonds de roulement, soit 1 390 068 euros euros, l'amende infligée ne représentant que 17,84 % du montant de la trésorerie retenue par la société au détriment de ses fournisseurs, nonobstant l'absence de plainte de ces derniers ; la situation de la société a également été prise en compte ;

- la mesure de publication n'est pas disproportionnée, dès lors, d'une part, que la décision de l'administration est justifiée par la gravité et l'ampleur des faits reprochés, et par les conséquences sur les fournisseurs lésés, et, d'autre part, qu'elle a pour objectif d'informer les tiers sur le comportement de l'entreprise, et, enfin, que la société ne justifie pas d'une altération de sa réputation et de la mise en œuvre de mesures coercitives pour améliorer ses délais de paiement.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bonfils,

- les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique,

- et les observations de Me Djavadi, pour la société Multithématiques et de Mme A..., pour le ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Considérant ce qui suit :

1. La société Multithématiques, filiale du groupe Canal+ spécialisée dans l'édition et la diffusion de chaines thématiques du même groupe, a fait l'objet le 23 octobre 2015 d'un contrôle mené par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France visant à vérifier le respect des dispositions du neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce relatives aux délais de paiement interentreprises, au titre de la période allant du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2015. En application de ces dispositions, la DIRECCTE d'Ile-de-France a notifié, par une lettre du 23 octobre 2017, un procès-verbal de constat de manquements et a indiqué à la société Multithématiques son intention de lui infliger une amende administrative d'un montant de 248 000 euros, assortie d'une mesure de publication. Par un courrier du 22 décembre 2017, la société a fait part de ses observations. Par une décision du 6 février 2018, la DIRECCTE d'Ile-de-France a infligé à la société Multithématiques, au titre de la période d'un an contrôlée, une amende administrative d'un montant de 248 000 euros, assortie d'une mesure de publication de cette sanction sur le site de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour une durée de six mois et sous un délai d'un mois à compter de la notification de la décision de sanction administrative. La société Multithématiques relève appel du jugement du 24 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité de la procédure :

En ce qui concerne le principe de confiance légitime :

2. La société Multithématiques soutient que la DIRECCTE d'Ile-de-France a pris sa décision du 6 février 2018 au terme d'une procédure qui méconnaît le principe de confiance légitime. Toutefois, ce principe, qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne, ne trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit de l'Union européenne. Si la société requérante fait valoir que les délais de paiement sont réglementés au niveau européen par la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, les dispositions du neuvième alinéa de l'article L. 441-6 du code de commerce relatives aux délais de paiement sont issues de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, et le régime de sanction administrative, instauré par l'article 123 de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, n'a pas été pris pour la mise en œuvre du droit de l'Union. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté en tant qu'il est inopérant.

En ce qui concerne le caractère contradictoire de la procédure :

3. En premier lieu, la société Multithématiques ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 521-1 du code de la consommation, lesquelles régissent exclusivement la procédure de mise en conformité auprès de professionnels en cas de manquements au code de la consommation.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 470-2 du code de commerce, dans sa version applicable au litige : " I. - L'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l'autorité compétente pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements mentionnés au titre IV du présent livre ainsi que l'inexécution des mesures d'injonction prévues à l'article L. 470-1. / (...) IV. - Avant toute décision, l'administration informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'elle peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix et en l'invitant à présenter, dans le délai de soixante jours, ses observations écrites et, le cas échéant, ses observations orales. / Passé ce délai, l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l'amende. / V. - La décision prononcée par l'autorité administrative peut être publiée aux frais de la personne sanctionnée. La décision est toujours publiée lorsqu'elle est prononcée en application du VI de l'article L. 441-6 ou du dernier alinéa de l'article L. 443-1. Toutefois, l'administration doit préalablement avoir informé la personne sanctionnée, lors de la procédure contradictoire fixée au IV, de la nature et des modalités de la publicité envisagée. (...) ".

5. Pour invoquer l'irrégularité de la procédure menée par la DIRECCTE d'Ile-de-France, la société Multithématiques argue de la brièveté des délais qui lui ont été accordés pour faire valoir ses observations au regard de l'importance et de la durée totale du contrôle mené. Toutefois, elle ne soutient pas ne pas avoir bénéficié du délai de soixante jours prévu par les dispositions du IV de l'article L. 470-2 du code de commerce, précitées, alors qu'il ressort des pièces du dossier que la requérante a été informée le 23 octobre 2017 de la sanction et la mesure de publicité envisagées à son encontre et invitée à présenter ses observations au vu du dossier dans un délai de soixante jours, ce qu'elle a fait de manière détaillée le 22 décembre 2017.

6. En outre, il est également établi qu'au cours de la procédure, la société Multithématiques a été invitée à faire valoir ses observations sur les factures identifiées comme payées tardivement. Ainsi, par un courrier électronique du 26 février 2016, l'inspecteur en charge du dossier a transmis à la directrice comptable de la société le tableau de mise en évidence des retards de paiement de 337 factures, sur les 3 887 factures contrôlées au vu des documents comptables remis le 23 octobre 2015. La demande de délai supplémentaire formulée par la société le 29 février a été acceptée par la DIRECCTE et la société contrôlée a transmis des explications détaillées par courriers des 24 et 25 mars 2016. De même, le 23 décembre 2016, l'administration a sollicité la production de la copie de 65 factures accompagnées de leurs justificatifs de paiement afin de vérifier la réalité des écritures comptables au regard des dates de factures et de paiement. Les réponses faites à cette demande, intervenues les 27 janvier et 24 février 2017, ont été prises en compte et ont donné lieu à un contrôle dans les locaux de la société, suivi de la transmission par cette dernière de pièces justificatives complémentaires les 27 avril, 15 et 23 juin 2017, concernant les 60 factures pour lesquelles la société Multithématiques indiquaient un motif contractuel justifiant le retard de paiement.

7. Au cours de ces échanges, la société contrôlée n'a demandé qu'à une seule reprise un délai supplémentaire de réponse et a, à chaque fois, fournis les éléments demandés ainsi que des explications circonstanciées. Ces différents échanges n'ont pu faire accroire à la société contrôlée que le périmètre global du contrôle était modifié dès lors que celui-ci a été fixé le 23 octobre 2015 par la remise des documents comptables portant sur la période du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2015. Dans ces conditions, la société Multithématiques a été mise en mesure de faire utilement valoir ses observations, non seulement à l'issue de la procédure de contrôle, conformément au IV de l'article L. 470-2 du code de commerce, mais encore tout au long de celle-ci. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire, pris en ses deux branches, doit être écarté.

En ce qui concerne le caractère raisonnable de la durée du contrôle :

8. A supposer que la société Multithématiques ait entendu soutenir que la procédure de contrôle aurait méconnu les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison de sa durée, soit deux ans, ces stipulations ne sont applicables, en principe, qu'aux procédures contentieuses suivies devant des juridictions lorsqu'elles statuent sur des droits et obligations de caractère civil ou sur des accusations en matière pénale au sens de cette convention et ne peuvent être invoquées pour critiquer une procédure administrative qui n'est pas, comme en l'espèce, mise en œuvre par une autorité administrative pouvant être regardée comme un tribunal, alors même qu'elle conduirait au prononcé d'une amende, laquelle peut faire l'objet d'un recours devant la juridiction administrative. Par suite, la requérante ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de ces stipulations à l'encontre de la procédure ayant conduit à la décision en litige et le moyen doit être écarté.

Sur le bien-fondé de l'amende administrative :

9. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 441-3 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige : " Sous réserve des deuxième et troisième alinéas du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou la prestation du service. L'acheteur doit la réclamer. La facture doit être rédigée en double exemplaire. Le vendeur et l'acheteur doivent en conserver chacun un exemplaire. ". L'article L. 441-6 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, dispose : " I. - Tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur est tenu de communiquer ses conditions générales de vente à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle. Elles comprennent : / (...) les conditions de règlement. / (...) Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. / Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, ce délai ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture. / (...) VI. - Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième et onzième alinéas du I du présent article, le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa du même I, le fait de fixer un taux ou des conditions d'exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes à ce même alinéa ainsi que le fait de ne pas respecter les modalités de computation des délais de paiement convenues entre les parties conformément au neuvième alinéa dudit I. L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 465-2. Le montant de l'amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive. / Sous les mêmes sanctions, sont interdites toutes clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement mentionnés au présent article. ".

En ce qui concerne la matérialité de l'infraction :

10. En premier lieu, dans sa décision du 6 février 2018, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi retient qu'au titre de la période contrôlée, soit du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2015, la société Multithématiques a payé avec retard 232 factures sur les 3 887 factures contrôlées. La société contrôlée soutient que sur ces 232 factures, seules 33 ont fait l'objet d'un retard qui lui est imputable. Toutefois, la société requérante ne peut utilement invoquer des retards de paiement excusables en raison du volume des factures traitées annuellement, de l'ordre de 7 000 factures, circonstance qui est sans incidence sur la matérialité de l'infraction, laquelle peut être caractérisée en dehors de tout élément intentionnel. De même, si la société invoque des retards de paiement exclusivement imputables à ses fournisseurs, en raison d'irrégularités affectant les factures émises, d'envois tardifs, ou encore d'absence d'envoi par lettre recommandée, il ressort notamment des observations qu'elle a transmises à la DIRECCTE d'Ile-de-France, qu'elle se borne à mentionner des relances effectuées au-delà des délais de paiement ou par téléphone auprès de ses fournisseurs, sans établir avoir effectivement réclamé les factures concernées dans les délais de paiement, selon l'obligation qui incombe à l'acheteur. Ainsi, s'agissant des 22 factures émises par la société Warner Bros Entertainment France, la relance de la société Multithématiques est intervenue en 2014 pour des factures datant des années 2012 et 2013. Dans ces conditions, nonobstant l'éventuelle absence de réception de ces factures par la société acheteuse, il incombait à cette dernière de mettre en œuvre une procédure de relance de son fournisseur dans des délais lui permettant de justifier d'une tentative de paiement dans le respect des délais légaux.

11. En deuxième lieu, pour 60 factures, la société Multithématiques a invoqué comme cause exonératoire de son retard de paiement, la méconnaissance de stipulations contractuelles relatives au fait générateur de ces factures. Toutefois, à la suite des observations qu'elle a été amenée à présenter en cours de contrôle, cette série de factures a fait l'objet d'un contrôle dans les locaux de la société le 26 avril 2017 et d'envoi de justificatifs complémentaires les 27 avril, 15 et 23 juin 2017. Au vu des justificatifs ainsi recueillis, 17 retards de paiement ont été reconnus imputables au fournisseur pour non-respect des conditions contractuelles de facturation, les factures correspondantes étant écartées par la DIRECCTE de la liste des factures identifiées comme réglées en dehors des délais légaux. Si, à ce titre, la société requérante soutient justifier de raisons légitimes de retard de paiement également pour 14 factures de la société Sony Pictures television distribution, elle n'apporte aucun élément de nature à contredire sérieusement le ministre lequel indique que le différend entre les cocontractants n'étant que partiel et ayant trait au montant du prix convenu, d'une part, la partie non contestée du prix aurait dû être payée dans les délais et, d'autre part, ce différend ne rendait pas la facture illégale, contrairement à ce que soutient la requérante. Par suite, le retard de paiement n'était pas légitime et la DIRECCTE n'avait pas à écarter ces 14 factures de celles pour lesquelles elle identifiait un retard de paiement. Dans ces conditions, en l'absence de production de pièces complémentaires devant conduire à écarter d'autres factures pour lesquelles le paiement aurait été légitimement retardé en raison d'un litige avec le fournisseur, le moyen tiré de ce que la DIREECTE d'Ile-de-France aurait commis une erreur de fait et une erreur d'appréciation en retenant un nombre de factures payées avec retard supérieur à 33 factures, doit être écarté.

En ce qui concerne le caractère proportionné de l'amende administrative :

12. Il résulte de l'instruction qu'après avoir volontairement écarté les factures émises par des fournisseurs étrangers, l'Urssaf, le Trésor public, les provisions, les avoirs ainsi que les opérations intra-groupe, alors même que ces dernières n'échappent pas aux règles applicables aux délais de paiement, et sans qu'il soit contesté que ces choix fait en opportunité n'ont pas été défavorables à la société contrôlée, la DIRECCTE a analysé les 3 887 autres factures enregistrées au cours de la période allant du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2015, parmi lesquelles 337 factures ont, dans un premier temps, été considérées comme payées au-delà des délais légaux. La société Multithématiques a été mise en mesure de produire ses observations et des justificatifs sur l'ensemble de ces factures. Au vu des explications et pièces avancées par la société contrôlée, la DIRECCTE a, en fonction de la nature de la facture, soit écarté spontanément un certain nombre d'entre elles, soit demandé des justificatifs complémentaires, soit procédé à un contrôle dans les locaux de la société pour une série de 60 factures pour lesquelles le retard de paiement avait trait à un litige d'ordre contractuel avec le fournisseur. Ainsi, le pourcentage représenté par les 232 factures payées au-delà des délais légaux pour une cause imputable à la société Multithématiques est de 6 % des factures contrôlées pour un montant de l'avantage de trésorerie au profit de la société requérante s'élevant à la somme de 1 390 068,25 euros. Dans ces conditions, alors même que le retard moyen pondéré de paiement est de 81,80 jours, le montant d'amende de 248 000 euros prononcé à l'encontre de la société Multithématiques, lequel représente 17,84 % du montant de la trésorerie retenue par la société au détriment de ses fournisseurs, n'est pas proportionné à la gravité des manquements établis. Il y a lieu de ramener le montant de l'amende prononcée à la somme de 198 000 euros.

Sur le bien-fondé de la mesure de publication de l'amende administrative sur le site de la DGCCRF :

13. Aux termes du V de l'article L. 465-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'article 121 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation alors applicable : " La décision prononcée par l'autorité administrative peut être publiée. ".

14. La société Multithématiques soutient que la mesure de publication de l'amende administrative sur le site internet de la DGCCRF durant une période six mois serait disproportionnée, portant préjudice à sa réputation, pour des faits anciens au moment de cette mesure. Cette publication a été ordonnée dans le mois qui a suivi l'adoption de la mesure. Eu égard à la réduction prononcée au point 12, il y a lieu d'annuler la mesure de publication initialement prise.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la société Multithématiques est fondée à demander à ce que la sanction administrative prononcée à son encontre par la décision du 6 février 2018 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France soit ramenée à la somme de 198 000 euros et à ce que soit annulée la mesure de publication initiale.

Sur les frais liés à l'instance :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Multithématiques et non compris dans les dépens. En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la société requérante au titre des dispositions de l'article R. 761-1 du même code, en l'absence de dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le montant de l'amende administrative prononcée à l'encontre de la société Multithématiques par la décision du 6 février 2018 est ramené à la somme de 198 000 euros.

Article 2 : La mesure de publication de l'amende administrative sur le site internet de la DGCCRF prononcée à l'encontre de la société Multithématiques par la décision du 6 février 2018 est annulée.

Article 3 : L'Etat versera à la société Multithématiques la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par la société Multithématiques est rejeté.

Article 5 : Le jugement n° 1902377 du 24 juin 2021 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Multithématiques, à la DRIEETS d'Ile-de-France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président de chambre,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

Mme Bonfils, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2023.

La rapporteure,

M.-G. BONFILS

Le président,

S. BROTONS

La greffière,

S. de SOUSA

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 21VE02168


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE02168
Date de la décision : 04/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Marie-Gaëlle BONFILS
Rapporteur public ?: Mme VISEUR-FERRÉ
Avocat(s) : SELARL FOURGOUX DJAVADI ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-07-04;21ve02168 ?
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