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04/07/2023 | FRANCE | N°21VE01824

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 04 juillet 2023, 21VE01824


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'édition de Canal Plus a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 6 février 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui a infligé une amende administrative d'un montant de 300 000 euros pour non-respect des délais de paiement prévus à l'alinéa 9 de l'article L. 441-6 du code de commerce et a décidé la publication de cette amende sur le site internet de la di

rection générale de la concurrence, de la consommation et de la répression d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'édition de Canal Plus a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 6 février 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui a infligé une amende administrative d'un montant de 300 000 euros pour non-respect des délais de paiement prévus à l'alinéa 9 de l'article L. 441-6 du code de commerce et a décidé la publication de cette amende sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour une durée de six mois.

Par un jugement n° 1902369 du 29 avril 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 24 juin, 18 octobre et 16 novembre 2021, la société d'édition de Canal Plus, représentée par Me Djavadi et Me Fourgoux, avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 6 février 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France, d'une part, lui a infligé une sanction administrative d'un montant de 300 000 euros pour non-respect des délais de paiement prévus à l'alinéa 9 de l'article L. 441-6 du code de commerce, et, d'autre part, a décidé la publication de cette sanction sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour une durée de six mois à compter de la notification de la décision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

- la décision du 6 février 2018 a été prise au terme d'une procédure qui méconnaît le principe de confiance légitime, applicable au cas d'espèce dès lors que les délais de paiement ont été réglementés au niveau européen par la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, en raison d'une confusion entretenue par l'administration quant à la portée de son contrôle, dès lors que l'administration a concentré son contrôle sur 98 factures et l'a finalement sanctionnée pour 468 factures ;

- la procédure est irrégulière au regard du principe du contradictoire, garanti notamment par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de la consommation, eu égard aux délais trop courts, non respectueux du droit à un délai raisonnable de réponse, qui lui ont été accordés par la direction régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France pour produire ses observations et les justificatifs demandés au cours du contrôle ;

- la procédure a méconnu les stipulations de l'article 6 §1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elle a duré plus de deux ans ;

- elle est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation, dès lors que la majorité des retards de paiement constatés étaient imputables, soit à l'organisation comptable inhérente à toute grande société, soit à des manquements de ses fournisseurs, soit à une facture annuelle correspondant à une prestation continue et identique pouvant faire l'objet d'acomptes mensuels ; ainsi, seules 47 factures sur les 468 factures en retard de paiement et les 2 831 factures contrôlées par l'administration ont fait l'objet d'un retard de paiement imputable à une gestion interne défaillante de sa part ;

- l'amende administrative est disproportionnée et méconnaît le principe d'individualisation des amendes, eu égard au nombre total de factures payées dans les délais légaux parmi celles qui ont été contrôlées, au nombre réel de factures dont le retard est imputable à une gestion interne défaillante de la société, au délai moyen pondéré de retard de paiement de 49,36 jours, largement inférieur au délai légal de paiement maximum de 60 jours, et au caractère non intentionnel des dépassements constatés ; ainsi, la sanction ne tient compte que de la rétention de trésorerie évaluée par la DIRECCTE à 2,6 millions d'euros, mais pas de la complexité inhérente au flux de factures à traiter dans une grande entreprise et aux procédures mises en place à cette fin, selon ce qui a été relevé par l'Observatoire des délais de paiement dans son rapport annuel 2016 ;

- la mesure de publication est également disproportionnée du fait de l'absence de toute intention de sa part de retarder volontairement le paiement de ses fournisseurs ; en outre, à la date des faits, l'administration n'était pas tenue de prendre ce type de sanction et cette mesure, qui intervient trois ans après les faits reprochés sans tenir compte des efforts d'amélioration mis en place postérieurement au contrôle, altère fortement l'image de la société.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 septembre et 27 octobre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le principe de confiance légitime ne s'applique pas au cas d'espèce dès lors que la législation relative aux délais de paiement est issue de la loi n° 2008-776 de modernisation de l'économie, entrée en vigueur le 6 août 2008 ;

- l'étendue du contrôle effectué par l'administration, dont la société a été informée, n'a pas évolué au cours de l'enquête ;

- l'article L. 521-1 du code de la consommation est inapplicable, la procédure contradictoire en matière de délais de paiement étant régie par les dispositions du IV de l'article L. 465-2 du code de commerce, désormais transférées à l'article L. 470-2 du même code ;

- le caractère contradictoire de la procédure a été respecté dès lors que la société a été mise en mesure de produire des observations postérieurement à l'envoi du courrier de pré-amende par l'administration, outre les échanges contradictoires intervenus au cours du contrôle alors que les textes ne les exigent pas ;

- la société est seule responsable des retards de paiement résultant de l'organisation de son système comptable dont elle ne peut reporter les conséquences sur ses fournisseurs ;

- si elle fait état d'erreurs formelles commises par certains de ses fournisseurs dans leurs factures, elle était tenue de leur en demander la rectification, tout comme elle ne peut utilement invoquer la responsabilité de ces derniers au titre de l'absence ou du retard de facturation sans leur avoir au préalable réclamé l'établissement de factures manquantes ou tardives, seule la date d'émission de la facture devant être prise en compte, nonobstant la date de sa réception ;

- le paiement fractionné d'une facture annuelle n'est légal que s'il intervient en paiement de factures mensuelles ou de factures d'acomptes ;

- le nombre de 468 factures en retard de paiement qui a été retenu, pour un montant total de 19 305 491,56 euros entre le 1er octobre 2014 et le 30 septembre 2015, n'est pas erroné et la méthode mise en œuvre a été à plusieurs égards avantageuse pour la société ;

- les principes de proportionnalité et d'individualisation des amendes n'ont pas été méconnus, eu égard à la proportion de factures réglées au-delà de l'échéance légale, soit 16,5 % des factures contrôlées sur la période, du retard moyen pondéré constaté, soit 49,36 jours, et du montant de trésorerie retenue par la société au détriment de ses fournisseurs, soit 2 646 868,49 euros, dont l'amende infligée ne représente que 11 % ; la situation de la société a été prise en compte, sans que le caractère intentionnel ou non du manquement ne puisse être retenu ;

- la mesure de publication n'est pas disproportionnée, dès lors, d'une part, que la décision de l'administration est justifiée par la gravité et l'ampleur des faits reprochés, et par les conséquences sur les fournisseurs lésés, et, d'autre part, qu'elle a pour objectif d'informer les tiers sur le comportement de l'entreprise, qu'elle ne dépasse pas 6 mois et, enfin, que la société ne justifie pas d'une altération de sa réputation et de la mise en œuvre de mesures coercitives pour améliorer ses délais de paiement.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bonfils,

- les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique,

- et les observations de Me Djavadi, pour la société d'édition de Canal Plus et de Mme A..., pour le ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Considérant ce qui suit :

1. La Société d'édition de Canal Plus, filiale des groupes Canal+ et Vivendi spécialisée dans la production et la diffusion de programmes télévisuels, a fait l'objet le 23 octobre 2015 d'un contrôle mené par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France visant à vérifier le respect des dispositions du neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce relatives aux délais de paiement interentreprises, au titre de la période courant du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2015. En application de ces dispositions, la DIRECCTE d'Ile-de-France a notifié, par une lettre du 23 octobre 2017, un procès-verbal de constat de manquements et a indiqué à la Société d'édition de Canal Plus son intention de lui infliger une amende administrative d'un montant de 300 000 euros, assortie d'une mesure de publication. Par un courrier du 22 décembre 2017, la société a fait part de ses observations. Par une décision du 6 février 2018, la DIRECCTE d'Ile-de-France a infligé à la Société d'édition de Canal Plus, au titre de la période d'un an contrôlée, une amende administrative d'un montant de 300 000 euros, assortie d'une mesure de publication de cette sanction sur le site de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour une durée de six mois et sous un délai d'un mois à compter de la notification de la décision de sanction administrative. La société d'édition de Canal Plus relève appel du jugement du 29 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité de la procédure :

En ce qui concerne le principe de confiance légitime :

2. La Société d'édition de Canal Plus soutient que la DIRECCTE d'Ile-de-France a pris sa décision du 6 février 2018 au terme d'une procédure qui méconnaît le principe de confiance légitime. Toutefois, ce principe, qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne, ne trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit de l'Union européenne. Si la société requérante fait valoir que les délais de paiement sont réglementés au niveau européen par la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, les dispositions du neuvième alinéa de l'article L. 441-6 du code de commerce relatives aux délais de paiement sont issues de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, et le régime de sanction administrative, instauré par l'article 123 de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, n'a pas été pris pour la mise en œuvre du droit de l'Union. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté en tant qu'il est inopérant.

En ce qui concerne le caractère contradictoire de la procédure :

3. En premier lieu, la Société d'édition de Canal Plus ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 521-1 du code de la consommation, lesquelles régissent exclusivement la procédure de mise en conformité auprès de professionnels en cas de manquements au code de la consommation.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 470-2 du code de commerce, dans sa version applicable au litige : " I. - L'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l'autorité compétente pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements mentionnés au titre IV du présent livre ainsi que l'inexécution des mesures d'injonction prévues à l'article L. 470-1. / (...) IV. - Avant toute décision, l'administration informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'elle peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix et en l'invitant à présenter, dans le délai de soixante jours, ses observations écrites et, le cas échéant, ses observations orales. / Passé ce délai, l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l'amende. / V. - La décision prononcée par l'autorité administrative peut être publiée aux frais de la personne sanctionnée. La décision est toujours publiée lorsqu'elle est prononcée en application du VI de l'article L. 441-6 ou du dernier alinéa de l'article L. 443-1. Toutefois, l'administration doit préalablement avoir informé la personne sanctionnée, lors de la procédure contradictoire fixée au IV, de la nature et des modalités de la publicité envisagée. (...) ".

5. Pour invoquer l'irrégularité de la procédure menée par la DIRECCTE d'Ile-de-France, la Société d'édition de Canal Plus argue de la brièveté des délais qui lui ont été accordés pour faire valoir ses observations au regard de l'importance et de la durée totale du contrôle mené. Toutefois, elle ne soutient pas ne pas avoir bénéficié du délai de soixante jours prévu par les dispositions du IV de l'article L. 470-2 du code de commerce, précitées, alors qu'il ressort des pièces du dossier que la requérante a été informée le 23 octobre 2017 de la sanction et la mesure de publicité envisagées à son encontre et invitée à présenter ses observations au vu du dossier dans un délai de soixante jours, ce qu'elle a fait de manière détaillée le 22 décembre 2017.

6. En outre, il est également établi qu'au cours de la procédure, la société a été invitée à plusieurs reprises à faire valoir ses observations sur les factures identifiées comme payées tardivement. Ainsi, par un courrier électronique du 26 février 2016, l'inspecteur en charge du dossier a transmis à la directrice comptable de la société le tableau de mise en évidence des retards de paiement de 712 factures résultant des documents comptables remis le 23 octobre 2015. S'il laissait à son interlocutrice jusqu'au 22 mars suivant pour faire part des observations de la société, l'inspecteur chargé du contrôle a fait droit à la demande de délai supplémentaire de trois jours qui lui a été adressée et la société a transmis des explications détaillées par courriers des 24 et 25 mars 2016. De même, le 23 décembre 2016, l'administration a sollicité la production de la copie de 110 factures accompagnées de leurs justificatifs de paiement afin de vérifier la réalité des écritures comptables au regard des dates de factures et de paiement. Une réponse à cette demande, attendue pour le 30 janvier 2017, est intervenue dès le 27 janvier 2017. Une demande analogue a de nouveau été émise le 9 février 2017, avec délai de réponse au 28 février, la société contrôlée ayant transmis la copie des 110 factures demandées le 27 février 2017. Le courrier du 12 avril 2017, indiquant la liste des 98 factures faisant l'objet d'un contrôle dans les locaux de la société le 26 avril suivant, indique clairement qu'il a pour objet de vérifier le motif contractuel avancé par la société pour justifier un certain nombre de retards de paiement. Le 15 juin 2017, un nouveau délai de quinze jours a été accordé à la société pour faire valoir ses observations à la suite de cette visite dans ses locaux.

7. Au cours de ces échanges, la société contrôlée n'a demandé qu'à une seule reprise un délai supplémentaire de réponse et a, à chaque fois, fourni les éléments demandés ainsi que des explications circonstanciées. Ces différents échanges sont intervenus en des termes ne faisant pas accroire à la société contrôlée que le périmètre global du contrôle, tel qu'il avait été fixé le 23 octobre 2015 par la remise des documents comptables portant sur la période du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2015, se limitait progressivement aux derniers échanges intervenus, lesquels ont porté sur des séries de factures spécifiquement identifiées. Dans ces conditions, la Société d'édition de Canal Plus a été mise en mesure de faire utilement valoir ses observations, non seulement à l'issue de la procédure de contrôle, conformément au IV de l'article L. 470-2 du code de commerce, mais encore tout au long de celle-ci. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire, pris en ses deux branches, doit être écarté.

En ce qui concerne le caractère raisonnable de la durée du contrôle :

8. A supposer que la société d'édition de Canal Plus ait entendu soutenir que la procédure de contrôle aurait méconnu les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison de sa durée, soit deux ans, ce moyen sera écarté, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 5 du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé de l'amende administrative :

9. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 441-3 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige : " Sous réserve des deuxième et troisième alinéas du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou la prestation du service. L'acheteur doit la réclamer. La facture doit être rédigée en double exemplaire. Le vendeur et l'acheteur doivent en conserver chacun un exemplaire. ". L'article L. 441-6 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, dispose : " I. - Tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur est tenu de communiquer ses conditions générales de vente à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle. Elles comprennent : / (...) les conditions de règlement. / (...) Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. / Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, ce délai ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture. / (...) VI. - Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième et onzième alinéas du I du présent article, le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa du même I, le fait de fixer un taux ou des conditions d'exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes à ce même alinéa ainsi que le fait de ne pas respecter les modalités de computation des délais de paiement convenues entre les parties conformément au neuvième alinéa dudit I. L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 465-2. Le montant de l'amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive. / Sous les mêmes sanctions, sont interdites toutes clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement mentionnés au présent article. ".

En ce qui concerne la matérialité de l'infraction :

10. En premier lieu, dans sa décision du 6 février 2018, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi retient qu'au titre de la période contrôlée, soit du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2015, la société d'édition de Canal Plus a payé avec retard 468 factures sur les 2 831 factures contrôlées. La société contrôlée soutient que sur ces 468 factures, seules 47 ont fait l'objet d'un retard qui lui est imputable. Toutefois, la société requérante ne peut utilement invoquer des retards de paiement excusables en raison de l'organisation comptable propre aux grandes entreprises, en l'espèce un cycle de paiement les 15 et 30 de chaque mois, et du volume des factures traitées annuellement, de l'ordre de 20500 factures, circonstances qui sont sans incidence sur la matérialité de l'infraction, laquelle peut être caractérisée en dehors de tout élément intentionnel. De même, si la société requérante invoque des retards de paiement exclusivement imputables à ses fournisseurs, en raison d'irrégularités affectant les factures émises, d'envois tardifs, ou encore d'absence d'envoi par lettre recommandée, il ressort notamment des observations qu'elle a transmises à la DIRECCTE d'Ile-de-France le 24 mars 2016, qu'elle se borne à mentionner des relances effectuées par téléphone auprès de ses fournisseurs, sans établir avoir effectivement réclamé des facturations dans les délais de paiement, selon l'obligation incombant à l'acheteur.

11. En deuxième lieu, pour 98 factures, la société d'édition de Canal Plus invoque comme cause exonératoire de son retard de paiement, la méconnaissance de stipulations contractuelles relatives au fait générateur de ces factures. Toutefois, à la suite des observations qu'elle a été amenée à présenter en cours de contrôle, cette série de factures a fait l'objet d'un contrôle dans les locaux de la société le 26 avril 2017. Au vu des justificatifs recueillis à cette occasion quant à l'événement générateur de la facturation, 42 retards de paiement ont été imputés au fournisseur pour non-respect des conditions contractuelles de facturation. Ainsi, les services de la DIRECCTE ont pris en compte les justificatifs produit par la société, laquelle n'apporte pas de pièces complémentaires devant conduire à écarter les 56 autres factures pour lesquelles le paiement aurait été légitimement retardé en raison d'un litige avec le fournisseur.

12. En troisième lieu, si la société requérante soutient que les factures de l'un de ses fournisseurs concernent une prestation de service annuelle pouvant être réglée par des acomptes mensuels, ce qui au demeurant n'est pas contesté, elle ne justifie cependant pas de l'existence de factures d'acompte requises dans un tel cas. Par suite de ce qui précède, le moyen tiré de ce que la DIREECTE d'Ile-de-France aurait commis une erreur de fait et une erreur d'appréciation en retenant un nombre de factures payées avec retard supérieur à 47 factures, doit être écarté.

En ce qui concerne le caractère proportionné de l'amende administrative :

13. Il résulte de l'instruction qu'après avoir volontairement écarté les factures émises par des fournisseurs étrangers, l'Urssaf, le Trésor public, les provisions, les avoirs ainsi que les opérations intra-groupe, alors même que ces dernières n'échappent pas aux règles applicables aux délais de paiement, et sans qu'il soit contesté que ces choix fait en opportunité n'ont pas été défavorables à la société contrôlée, la DIRECCTE a analysé les 2 831 autres factures enregistrées au cours de la période allant du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2015, parmi lesquelles 712 factures ont, dans un premier temps, été considérées comme payées au-delà des délais légaux. La société d'édition de Canal Plus a été mise en mesure de produire ses observations et des justificatifs sur l'ensemble de ces factures. Au vu des explications et pièces avancées par la société contrôlée, la DIRECCTE a, en fonction de la nature de la facture, soit écarté spontanément un certain nombre d'entre elles, soit demandé des justificatifs complémentaires, soit procédé à un contrôle dans les locaux de la société pour une série de 98 factures pour lesquelles le retard de paiement avait trait à un litige d'ordre contractuel avec le fournisseur. A l'issue de ce contrôle sur place, le taux de factures finalement considéré comme réglées au-delà des délais légaux pour une cause imputable à la société d'édition de Canal Plus, soit 57 %, est proche de celui résultant du nombre de 468 factures payées avec retard, finalement retenu par la DIRECCTE au vu des observations produites par la société sur l'ensemble des 712 factures qui lui avaient été signalées, soit un taux de 65 %. Ainsi, il n'est pas établi que le taux de règlement au-delà des délais légaux mis en évidence par le contrôle, soit 16,5 % des factures contrôlées, pour un retard moyen pondéré de paiement de 49,36 jours, serait inexact. Il résulte également de la décision en litige que l'avantage de trésorerie qui en a résulté pour la société requérante s'élève à la somme de 2 646 868,49 euros, et la DIRECCTE d'Ile-de-France n'est pas contredite quand elle indique que cet avantage de trésorerie a été sous-évalué de manière discrétionnaire en ne tenant pas compte de 9 factures payées en retard à des fournisseurs intra-groupe, pour un montant estimé de 5 332 605,77 euros. Dans ces conditions, alors même que la société d'édition de Canal Plus n'aurait pas eu l'intention de contourner les délais de paiement dus à ses fournisseurs, et pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 10 à 12 de l'arrêt, et dès lors que l'importance de l'avantage de trésorerie ainsi dégagé au bénéfice de la société requérante, et au détriment de ses créanciers dont la situation financière a pu en être affectée, n'a pas été inexactement évaluée par la DIRECCTE, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le montant d'amende de 300 000 euros prononcé à son encontre, lequel s'apprécie par personne morale, n'aurait pas été fixé en fonction de sa situation et ne serait pas proportionné à la gravité des manquements établis.

Sur le bien-fondé de la mesure de publication de l'amende administrative sur le site de la DGCCRF :

14. Aux termes du V de l'article L. 465-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'article 121 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation alors applicable : " La décision prononcée par l'autorité administrative peut être publiée. ".

15. La société d'édition de Canal Plus soutient que la mesure de publication de l'amende administrative sur le site internet de la DGCCRF durant une période six mois serait disproportionnée, portant préjudice à sa réputation, pour des faits anciens au moment de cette mesure. Toutefois, cette publication a été ordonnée dans le mois qui a suivi l'adoption de la mesure. Au vu de l'ampleur des faits et de la valeur informative à l'égard des tiers de cette mesure, et alors que la société requérante n'établit ni avoir modifié ses procédures internes afin de respecter la réglementation en matière de délai de paiement des fournisseurs, ni subi un préjudice d'image important à raison de cette publication, la mesure en litige, certes facultative, est proportionnée à la gravité des manquements retenus.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la société d'édition de Canal Plus n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, l'ensemble de ses conclusions doivent, en tout état de cause, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête présentée par la société d'édition de Canal Plus est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'édition de Canal Plus, à la DRIEETS d'Ile-de-France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président de chambre,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

Mme Bonfils, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2023.

La rapporteure,

M.-G. BONFILS

Le président,

S. BROTONS

La greffière,

S. de SOUSA

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 21VE01824


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE01824
Date de la décision : 04/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Marie-Gaëlle BONFILS
Rapporteur public ?: Mme VISEUR-FERRÉ
Avocat(s) : SELARL FOURGOUX DJAVADI ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-07-04;21ve01824 ?
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