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22/06/2023 | FRANCE | N°22VE01445

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 22 juin 2023, 22VE01445


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une ordonnance du 17 novembre 2017, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article R. 342-2 du code de justice administrative, a attribué au tribunal administratif de Montreuil la requête présentée par M. A....

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2011.

Par un ju

gement n° 1710539 du 8 novembre 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une ordonnance du 17 novembre 2017, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article R. 342-2 du code de justice administrative, a attribué au tribunal administratif de Montreuil la requête présentée par M. A....

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2011.

Par un jugement n° 1710539 du 8 novembre 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18VE04336 du 19 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement.

Par une décision n° 448888 du 2 juin 2022, le Conseil d'État statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté par M. A..., annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles et lui a renvoyé l'affaire, où elle a été enregistrée sous le n° 22VE01445.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 28 décembre 2018, 5 octobre 2019, 4 juillet 2020 et, après cassation, le 12 septembre 2022, M. A..., représenté en dernier lieu par Mes Thouin-Palat et Boucard, avocats, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2011, ainsi que des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et le condamner aux entiers dépens.

Il soutient que :

- le jugement attaqué a omis de répondre aux moyens tirés de ce que l'administration aurait écarté une disposition statutaire sans faire usage de la procédure d'abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, de ce que l'administration se serait immiscée dans la gestion de l'entreprise, de ce que la valeur des titres devait être calculée selon la règle définie à l'article 11 de ses statuts, de ce que l'avantage devait être qualifié de rémunération complémentaire ou de plus-values de valeurs mobilières, ainsi qu'au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 12 du code général des impôts ;

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait et de droit, en écartant totalement le fait que toutes les transactions sur les titres du groupe se déterminent selon la valeur définie par l'article 11 des statuts du groupe ;

- la procédure d'imposition est irrégulière dès lors que l'administration a écarté les dispositions statutaires sans user de la procédure prévue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

- l'administration fiscale s'est, à tort, immiscée dans la gestion de la société groupe Windsor ;

- la valeur des titres retenue par l'administration et les premiers juges est erronée, dès lors que la société n'a fait qu'appliquer les règles de calcul fixées par l'article 11 de ses statuts, qui ont été validées par le juge judiciaire dans le cadre d'un conflit l'opposant à un ancien salarié, et que le recours à la valeur vénale est impossible en présence d'un actionnariat familial, comme le sien, qui se veut totalement fermé ; la cession de ces titres à l'extérieur du groupe est impossible du fait des statuts, il n'y a donc, par principe, aucun prix de marché ; une décote pour illiquidité proche de 100 % aurait dû être appliquée ; il n'y a donc aucune insuffisance de prix ; la valeur des titres doit être appréciée à la date de la promesse de vente, et non lors de la vente des titres elle-même ;

- l'acte anormal de gestion n'est pas constitué dès lors que l'administration n'établit pas l'intention d'octroyer une libéralité de la part de la société et celle d'en recevoir une de sa part; en l'espèce, puisque le prix des actions est déterminé selon la même règle de calcul, lors de la vente et lors de l'achat des actions, il est impossible d'y voir une quelconque intention libérale à destination d'un salarié en particulier ;

- l'avantage consenti aux salariés vise à les fidéliser, pour une part minime du capital, ces derniers ne bénéficiant de l'offre que tant qu'ils restaient salariés du groupe et qu'ils ne pouvaient revendre ces titres qu'à une société du groupe ; les relations avec les quatre salariés ne peuvent être qualifiés de " relation d'intérêt " au sens de la jurisprudence ;

- l'avantage ne peut être qualifié d'avantage occulte au sens du c de l'article 111 du code général des impôts, dès lors que, salarié non dirigeant du groupe, il ne disposait d'aucune maîtrise sur le prix de vente des actions ; il ne pouvait, en tout état de cause, disposer des fonds lors de l'acquisition des actions en 2011 ;

- l'avantage devait être qualifié, non de revenus occultes, mais de rémunération complémentaire, puisqu'il lui était octroyé en sa qualité de salarié du groupe, ou de plus-values de valeurs mobilières lors de la cession de ces titres ;

- la taxation des revenus occultes en 2011, lors de l'acquisition des titres, méconnaît le principe d'annualité prévu par l'article 12 du code général des impôts, dès lors que ceux-ci auraient dû, en toutes hypothèses, être taxés lors de la cession des titres litigieux.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 juillet 2019, 23 juin et 10 juillet 2020 et, après cassation, les 12 juillet 2022 et 9 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Liogier,

- et les conclusions de Mme Deroc, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Groupe Windsor, qui exerce une activité de holding, a consenti en 2007 et 2008 à quatre salariés de son groupe, dont M. A..., une promesse de vente d'actions de sa filiale Windsor Promotion, dont elle est actionnaire à 86 %. En juin 2011, les quatre salariés ont exercé cette option et acquis les titres correspondants pour un montant unitaire de 130 ou 165 euros selon le salarié. Lors de la vérification de comptabilité de la société, l'administration a estimé que la valeur vénale unitaire de ces actions au moment de la cession était supérieure, établissant cette valeur, en dernier lieu, à 258 euros et a considéré que l'insuffisance de prix constituait, pour la SAS Groupe Windsor, un acte anormal de gestion et, pour M. A..., bénéficiaire de l'avantage, un avantage occulte au sens du c de l'article 111 du code général des impôts. En conséquence, ce dernier a fait l'objet de rectifications en matière d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l'année 2011. Par un arrêt n° 18VE04336 du 19 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par M. A... contre le jugement du 8 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces suppléments d'imposition. Par une décision du 2 juin 2022, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour.

2. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c. les rémunérations et avantages occultes ". En cas d'acquisition par une société à un prix que les parties ont délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction, ou, s'il s'agit d'une vente, délibérément minoré, sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions précitées du c. de l'article 111 du code général des impôts. La preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé et, d'autre part, d'une intention, pour la société, d'octroyer, et, pour le cocontractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession.

3. S'agissant de la valeur vénale d'actions non cotées en bourse sur un marché réglementé, elle doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. L'évaluation des titres d'une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires. En l'absence de telles transactions, l'administration peut légalement se fonder sur la combinaison de plusieurs méthodes alternatives.

4. Pour évaluer les titres de la société Windsor promotion, objet des cessions d'actions en litige, aucune transaction équivalente ne pouvait servir de référence dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'acquisition, par la SAS Groupe Windsor, en juillet 2011 de 1 999 actions de cette société auprès d'un autre salarié pour un prix unitaire de 235 euros, se serait faite dans des conditions équivalentes à celles des cessions litigieuses, compte tenu, notamment, de l'interdiction faite aux salariés de vendre à des tiers et du nombre d'actions en jeu.

5. La société Windsor promotion est détentrice majoritaire des titres de sociétés civiles immobilières qui sont chacune porteuses d'un programme immobilier et n'ont pas vocation à survivre à l'opération pour laquelle elles ont été créées. Cette société détient également 99,8 % des titres de la société Windsor vente qui assure la commercialisation de biens immobiliers. Pour déterminer la valeur vénale de ces actions, l'administration a, conformément à l'avis de la commission départementale des impôts, procédé à l'évaluation de l'actif net non réévalué de chacune des sociétés civiles immobilières dont la société Windsor Promotion est actionnaire, et évalué l'actif de la société Windsor vente selon une méthode combinant la valeur mathématique réévaluée et la valeur de productivité pour tenir compte de la taille de la société, de son activité à prépondérance commerciale et du pouvoir de décision détenu uniquement par la société Windsor promotion dont la politique de distribution dépend de sa volonté. Pour tenir compte de la prépondérance de la société Groupe Windsor dans l'actionnariat de la société, elle a appliqué une surcote correspondant à une prime de contrôle de 20 %. Elle a également tenu compte du caractère très minoritaire des cessions en litige, portant sur 5 % du capital, de la nature familiale de l'actionnariat et de l'absence de liquidité, correspondant aux contraintes pesant sur les bénéficiaires des promesses au moment de la revente, et appliqué en conséquence une décote de 30 %, établissant, finalement, la valeur vénale de chaque action à 258 euros. Si M. A... soutient que la société était dans l'obligation de déterminer la valeur de ces actions en vertu de l'article 11 de ses statuts, qui prévoit que " le prix de cession des actions de la société intéressée sera déterminé sur la base des capitaux propres consolidés du dernier exercice après affectation du résultat ", il résulte toutefois de l'instruction que cet article concerne exclusivement le cas où une société associée de la SAS Groupe Windsor viendrait à être contrôlée majoritairement par des personnes morales et ne peut, donc, avoir la portée que M. A... entend lui conférer, en l'appliquant à la cession de titres d'une filiale de la SAS Groupe Windsor. Au regard de ces éléments, l'administration apporte la preuve qui lui incombe que le prix de cession de 130 euros à M. A... était significativement inférieur à la valeur vénale des titres cédés en juin 2011 de 258 euros.

6. Toutefois, M. A... fait valoir, d'une part, que la valeur vénale de ces actions, à la date de la promesse, ne s'écartait pas significativement de la valeur d'exercice de l'option prévue dans la promesse de vente et, d'autre part, que la contrepartie de l'avantage, constaté lors de la cession des actions en 2011, résidait dans sa fidélisation et le rôle qu'il pouvait jouer dans le développement de la société Windsor promotion. L'administration, qui ne justifie d'aucune insuffisance de prix à la date de la promesse, ne conteste pas que les promesses de vente aient été consenties dans ce but, alors que les promesses de vente exigeaient du salarié qu'il soit toujours salarié lorsqu'il exercerait l'option, qu'il vende les actions en cas de rupture de son contrat de travail et lui interdisaient de céder cette promesse ou ces actions à des tiers, sauf accord de la SAS Groupe Windsor. Enfin, la seule existence d'une relation contractuelle entre lui et l'une des filiales de la SAS Groupe Windsor ne peut suffire, contrairement à ce que soutient l'administration, à qualifier une relation d'intérêt de nature à présumer le caractère anormal de la promesse de vente ainsi consentie. Par suite, l'administration n'apporte pas la preuve qui lui incombe que la cession litigieuse dissimulerait un avantage ayant le caractère d'avantage occulte, constitutif de revenus distribués, accordé par la SAS Groupe Windsor à M. A....

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement et les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquels il a été assujetti au titre de l'année 2011, ainsi que des pénalités correspondantes.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés dans la présente instance par M. A... et non compris dans les dépens. Toutefois, en l'absence de dépens dans la présente instance, les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à leur paiement ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : M. A... est déchargé des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquels il a été assujetti au titre de l'année 2011, ainsi que des pénalités correspondantes.

Article 2 : Le jugement n° 1710539 du 8 novembre 2018 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 6 juin 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Besson-Ledey, présidente de chambre,

M. Lerooy, premier conseiller,

Mme Liogier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023.

La rapporteure,

C. LiogierLa présidente,

L. Besson-Ledey La greffière,

C. Fourteau

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 22VE01445 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE01445
Date de la décision : 22/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-03-01-01 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. - Revenus des capitaux mobiliers et assimilables. - Revenus distribués. - Notion de revenus distribués.


Composition du Tribunal
Président : Mme BESSON-LEDEY
Rapporteur ?: Mme Claire LIOGIER
Rapporteur public ?: Mme DEROC
Avocat(s) : COSSIN

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-06-22;22ve01445 ?
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