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16/06/2023 | FRANCE | N°23VE00262

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 2ème chambre, 16 juin 2023, 23VE00262


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Even,

- les conclusions de M. Frémont, rapporteur public,

- les observations de Me Le Port pour la société Val'Horizon et de Me Nicoli, substituant Me Di Fran

cesco, pour le département du Val-d'Oise.

Considérant ce qui suit :

1. Le président du conseil général du Val-d'Oise e...

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Even,

- les conclusions de M. Frémont, rapporteur public,

- les observations de Me Le Port pour la société Val'Horizon et de Me Nicoli, substituant Me Di Francesco, pour le département du Val-d'Oise.

Considérant ce qui suit :

1. Le président du conseil général du Val-d'Oise et le maire de la commune de Montlignon ont, par un arrêté conjoint n° 2019P158, signé les 24 et 30 juillet 2009, interdit la circulation des poids lourds de plus de cinq tonnes transportant des marchandises sur un segment de la route départementale 909, située à partir du croisement avec la route départementale 144 à l'entrée du village de Montlignon au Sud, jusqu'au croisement avec la route départementale 44 au Nord de cette commune jusqu'à l'entrée des agglomérations de Boullémont et Domont, afin de sécuriser la traversée de cette commune. Par deux courriers du 8 février 2017 adressés au président du conseil départemental du Val-d'Oise et au maire de Montlignon, la société Val'Horizon, exploitante d'un centre de traitement et de transfert de déchets situé près de la route départementale 909, a demandé l'abrogation de cet arrêté. Ces demandes ont fait l'objet de décisions implicites de rejet nées du silence gardé par le président du conseil général du Val-d'Oise et le maire de la commune de Montlignon sur ses demandes. La société Val'Horizon fait appel du jugement du 27 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions implicites, et d'enjoindre au maire de la commune de Montlignon et au président du département du Val-d'Oise d'abroger cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes ".

3. La société Val'Horizon soutient que le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que le caractère contradictoire de la procédure, prévu à l'article L. 5 du code de justice administrative, n'aurait pas été respecté, les premiers juges s'étant fondés au point 5 de leur décision sur des pièces qui ne lui auraient pas été communiquées. Toutefois, pour considérer que la route départementale 909 est caractérisée par une faible largeur de chaussée en agglomération avec l'existence de stationnement en écluse, les premiers juges se sont fondés sur les écritures du département du Val-d'Oise, qui ont été régulièrement communiquées à la société requérante, qui ne les a pas sérieusement contestées dans son mémoire en réplique. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de l'instruction doit être écarté comme manquant en fait.

4. En second lieu, si la société Val'Horizon soutient que le tribunal administratif a commis des erreurs de droit, des erreurs de fait et une erreur manifeste d'appréciation, de tels moyens, qui se rattachent au bien-fondé du raisonnement suivi par les premiers juges, ne sont pas de nature à affecter la régularité du jugement.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

5. Aux termes de l'article L.243-2 du code des relations entre le public et l'administration prévoit que : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. " Aux termes de l'article R421-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. La date du dépôt de la demande à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête ".

6. La contestation d'un acte règlementaire peut se faire postérieurement à l'expiration des délais de recours ouverts contre cet acte, notamment par le biais d'une demande d'abrogation. Après l'expiration du délai de recours contentieux, une telle contestation peut prendre la forme d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger l'acte réglementaire, comme l'exprime l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, s'il est constant que les demandes d'abrogation de l'arrêté n° 2009P158 des 24 et 30 juillet 2009 adressées au président du conseil départemental du Val-d'Oise et au maire de la commune de Montlignon, le 8 février 2017, ont été rejetées de manière implicite le 8 avril 2017, et si la demande de première instance de la société Val'Horizon, tendant à l'annulation de ces décisions implicites par lesquelles le président du conseil départemental du Val-d'Oise et le maire de la commune de Montlignon ont rejeté ses demandes tendant à l'abrogation, a été enregistrée le 19 mai 2017, elle ne peut être rejetée comme tardive.

Sur la légalité des décisions attaquées :

7. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 2213-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire exerce la police de la circulation sur les routes nationales, les routes départementales et les voies de communication à l'intérieur des agglomérations, sous réserve des pouvoirs dévolus au représentant de l'Etat dans le département sur les routes à grande circulation. (...) ". Aux termes de l'article L. 2213-1 du même code : " Le maire exerce la police de la circulation sur (...) les routes départementales (...) à l'intérieur des agglomérations (...) ". L'article L. 3221-4 du même code dispose que : " Le président du conseil départemental gère le domaine du département. A ce titre, il exerce les pouvoirs de police afférents à cette gestion, notamment en ce qui concerne la circulation sur ce domaine, sous réserve des attributions dévolues aux maires par le présent code et au représentant de l'Etat dans le département ainsi que du pouvoir de substitution du représentant de l'Etat dans le département prévu à l'article L. 3221-5 ".

8. Si la police de la circulation sur une voie communale dont l'axe délimite les territoires de deux communes doit être exercée en commun par les maires de ces communes, et la réglementation doit être édictée sous forme, soit d'arrêtés concordants signés par chacun d'eux, soit d'un arrêté unique signé par les deux maires, cette exigence d'arrêté conjoint vise la seule hypothèse d'une voie communale qui délimite les territoires de plusieurs communes, ce qui n'est pas le cas de la route départementale 909. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté d'interdiction contesté aurait dû être signé par les maires des communes avoisinantes de Saint-Prix, Saint-Leu, Eaubonne, Montmorency, Andilly, Domont et Bouffémont, ne peut qu'être écarté.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 541-1 du code de l'environnement, dans sa version alors applicable " I. - Les dispositions du présent chapitre et de l'article L. 125-1 ont pour objet : (...) 2° D'organiser le transport des déchets et de le limiter en distance et en volume ; (...) ".

10. Les décisions contestées prises en application du régime de la police de la circulation pour sécuriser la traversée de la commune de Montlignon, ne sont pas fondées sur celui des déchets. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions législatives précitées figurant au code de l'environnement au motif que ces décisions allongent le temps de parcours des camions chargés de la collecte des déchets en vue de leur élimination ou de la récupération des matériaux, doit être écarté comme inopérant.

11. En troisième lieu, il appartient aux autorités de police de prendre les mesures nécessaires, adaptées et proportionnées permettant de concilier les droits de l'ensemble des usagers de la voie publique et les contraintes liées, le cas échéant, à la circulation et au stationnement des véhicules, en vue notamment d'assurer dans de meilleures conditions de sécurité, de commodité et d'agrément la circulation respective des piétons et des automobiles dans les centres villes. La liberté d'aller et de venir ne fait pas obstacle à la mesure contestée si elle s'avère justifiée par les nécessités de l'ordre public. Des interdictions générales et absolues ne sont légales que si elles sont justifiées par des circonstances particulières.

12. La société requérante soutient qu'aucun élément ne permet de caractériser un risque avéré pour la sécurité publique lié à la circulation de poids lourds sur la route départementale 909 et que l'arrêté litigieux, qui édicte une interdiction générale et absolue, viole le principe de proportionnalité des mesures de police n'est pas justifié, dès lors qu'il n'existe aucun risque avéré pour la sécurité publique lié à la circulation de poids lourds sur la route départementale 909. Elle ajoute que si l'interdiction aux camions de plus de cinq tonnes peut se justifier dans la partie de l'agglomération de Montlignon qui présente une voirie étroite ainsi que des stationnements en chicane, ceci ne se justifie pas sur le tronçon de la RD 909 située au nord de cette agglomération, lequel présente un tracé large et n'est bordé d'aucun stationnement ni construction.

13. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté litigieux qui s'applique à une route départementale à grande circulation au sens du décret n° 2009-615 du 3 juin 2009 modifié, avec une importance du trafic poids lourds démontrée, les véhicules de la société allant jusqu'à 26 tonnes, a pour objet ainsi qu'il a été dit de sécuriser la traversée de la commune de Montlignon, et vise uniquement la circulation des poids lourds de plus de cinq tonnes sur une portion de la route départementale 909. Cette mesure est justifiée au niveau des zones urbanisées par la circonstance que la portion de la voie concernée, bordée d'habitations et de commerces, se caractérise à plusieurs endroits par une faible largeur, qui est accentuée par la présence d'un stationnement en écluse entraînant un rétrécissement de la chaussée et imposant pour cette raison une circulation alternée. Si la société Val'Horizon conteste ces caractéristiques en versant au dossier un " reportage photographique ", celles-ci ressortent au contraire des photographies ainsi produites. Des mesures moins contraignantes que celle prévue par l'arrêté litigieux n'auraient pas permis d'atteindre le but poursuivi. Dans ces conditions, la partie de voie traversant la ville de Montlignon doit être regardée comme inadaptée au passage de poids lourds dans des conditions satisfaisantes et constitue une source de dangers et de fortes nuisances. Eu égard aux caractéristiques de la voie, et nonobstant la circonstance que cet arrêté se limite aux poids-lourds de plus de cinq tonnes transportant des marchandises, et ne prévoit aucune possibilité de dérogation permettant d'en atténuer les effets, cette interdiction est nécessaire, adaptée et proportionnée. La circonstance que des dérogations à cette interdiction aient été antérieurement accordées est sans incidences.

14. Cependant, il ressort des pièces du dossier et notamment des plans, que le champ de l'interdiction litigieuse s'étend au Nord au-delà de l'agglomération de Montlignon, ce qui a pour effet d'interdire de manière permanente un accès pour les camions de plus de 5 tonnes transportant des marchandises au centre de traitement et de transfert de déchets de la société Val'Horizon, qui est délégataire du service public du traitement des déchets ménagers, lequel est situé entre les territoires des agglomérations de Montlignon et de Domont, que ce soit par le Sud ou par le Nord, la route départementale 909 étant la seule voie d'accès à ce site. Cette mesure d'interdiction qui présente un caractère général et absolu porte ainsi atteinte de manière injustifiée et excessive à la liberté de circulation et à la liberté du commerce et de l'industrie et présente un caractère disproportionné au regard de l'objectif de sauvegarde de l'ordre public poursuivi.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la société Val'Horizon est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande d'annulation en tant que l'arrêté conjoint du président du conseil général du Val-d'Oise et le maire de Montlignon n° 2009P158 des 24 et 30 juillet 2009 interdisant aux camions de plus de cinq tonnes transportant des marchandises un segment de la route départementale (RD) 909 s'applique au segment situé entre le Nord de la zone urbanisée de la commune de Montlignon et celle de Domont.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

16. Il est enjoint au maire de la commune de Montlignon et au président du conseil départemental du Val-d'Oise d'abroger dans cette mesure l'arrêté n° 2009P158 des 24 et 30 juillet 2009, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Montlignon et du département du Val-d'Oise la somme de 1 500 euros, chacun, à verser à la société Val'Horizon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Val'Horizon, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie essentiellement perdante.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement et les décisions implicites par lesquelles le président du conseil départemental du Val-d'Oise et le maire de la commune de Montlignon ont rejeté les demandes de la société Val'Horizon tendant à l'abrogation de l'arrêté conjoint du président du conseil général du Val-d'Oise et du maire de Montlignon n° 2009P158 des 24 et 30 juillet 2009 interdisant aux camions de plus de cinq tonnes transportant des marchandises un segment de la route départementale (RD) 909 sont annulés en tant qu'il s'applique hors agglomération au segment situé entre la fin du Nord de la zone urbanisée de la commune de Montlignon et celle de Domont.

Article 2 : Il est enjoint au président du conseil départemental du Val-d'Oise et au maire de la commune de Montlignon d'abroger cet arrêté dans cette mesure, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

Article 3 : Le conseil départemental du Val-d'Oise et la commune de Montlignon verseront, chacun, la somme de 1 500 euros à la société Val'Horizon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Val'Horizon est rejeté.

Article 5 : Les conclusions du conseil départemental du Val-d'Oise et de la commune de Montlignon afférentes aux frais de justice sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Val'Horizon, à la commune de Montlignon et au département du Val-d'Oise.

Délibéré après l'audience du 1er juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Even, président de chambre,

Mme Liogier, première conseillère,

Mme Houllier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2023.

Le président-rapporteur,

B. EVEN

L'assesseure la plus ancienne,

S. HOULLIER

La greffière,

C. RICHARD

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 23VE00262


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE00262
Date de la décision : 16/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Collectivités territoriales - Commune - Attributions - Police - Police de la circulation et du stationnement - Réglementation de la circulation - Interdiction de circuler.

Police - Police générale - Circulation et stationnement - Réglementation de la circulation - Mesures d'interdiction.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Bernard EVEN
Rapporteur public ?: M. FREMONT
Avocat(s) : SELARLU AWEN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-06-16;23ve00262 ?
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