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16/05/2023 | FRANCE | N°23VE00137

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 16 mai 2023, 23VE00137


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 10 novembre 2022 par lequel le préfet du Val-d'Oise a décidé son transfert aux autorités suédoises, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2216099 du 22 décembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise après avoir admis M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, a annulé l'arrêté contesté, enjoint au p

réfet du Val-d'Oise de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans le délai de q...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 10 novembre 2022 par lequel le préfet du Val-d'Oise a décidé son transfert aux autorités suédoises, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2216099 du 22 décembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise après avoir admis M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, a annulé l'arrêté contesté, enjoint au préfet du Val-d'Oise de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans le délai de quinze jours à compter de la date de notification du jugement, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Henni en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 janvier 2023, le préfet du Val-d'Oise demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 décembre 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- l'intéressé avait déjà déposé une demande d'asile en Suède qui est ainsi devenu le pays responsable de l'examen de sa demande d'asile et a explicitement accepté de le reprendre en charge ;

- l'intéressé n'établit pas qu'il ne serait pas en mesure de faire valoir tout élément nouveau relatif à sa situation ou à celle de son pays, ni que les autorités suédoises n'évalueraient pas d'office les risques réels en cas de retour.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 février 2023, M. E..., représenté par Me Henni, avocat, demande à bénéficier de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, ou à titre subsidiaire qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et versée à Me Henni, et conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les autorités suédoises ont considéré que sa demande d'asile était définitivement rejetée ;

- il a reçu l'ordre de quitter le territoire vers la Somalie, qu'il a contesté et son recours a été rejeté ; il existe donc un risque de renvoi dans son pays ;

- il est originaire de la région du Bas-Juba où prévaut une situation de violence ;

- le taux de protection en France pour les ressortissants somaliens est nettement supérieur à celui de la Suède ;

- le préfet a commis une erreur d'appréciation en n'appliquant pas la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement européen en raison de sa vulnérabilité;

- aucune question ne lui a été posée lors de l'entretien individuel, et il n'a pas été mis à même de présenter utilement ses observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les observations de Me Henni pour M. C....

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet du Val-d'Oise relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé son arrêté du 10 novembre 2022 portant transfert de M. C..., ressortissant somalien né le 15 janvier 1980, aux autorités suédoises responsables de l'examen de sa demande d'asile, sur le fondement des dispositions de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Selon l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée (...) par la juridiction compétente ou son président. ".

3. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il y a lieu de prononcer l'admission de M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, en application de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 précité.

Sur le moyen retenu par le tribunal :

4. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Par ailleurs, il résulte de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

5. Pour annuler l'arrêté du préfet du Val-d'Oise portant transfert de M. C..., le tribunal a considéré que l'Office de l'immigration suédois ayant rejeté la demande de protection internationale introduite dans ce pays par M. C... et lui ayant fait obligation de quitter le territoire à destination de la Somalie, il ne pouvait être présumé que l'intéressé ne serait pas éloigné à destination de la Somalie par les autorités suédoises alors que la situation actuelle de la région du Bas-Juba, dont est originaire M. C..., connaissait une situation de violence aveugle d'intensité exceptionnelle, de même que la ville de Mogadiscio, unique point d'entrée dans le pays, et que par suite, le préfet du Val-d'Oise avait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013.

6. Toutefois, l'arrêté en litige a seulement pour objet de transférer M. C... vers la Suède et non vers son pays d'origine. Même si cette présomption n'est pas irréfragable, la Suède est présumée se conformer aux stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la directive 2011-95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection. L'existence d'un risque sérieux d'exécution forcée par les autorités suédoises d'une mesure d'éloignement vers la Somalie et l'impossibilité d'exercer un recours effectif, dans cette hypothèse, permettant d'invoquer l'évolution défavorable de la situation sécuritaire dans ce pays, ne sont pas établis en l'espèce. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé a été l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations. Enfin, il n'est pas établi que les troubles neurologiques allégués dont souffrirait M. C... à la suite d'une blessure à la tête par balle survenue il y a plus de 12 ans et dont il n'a pas fait part lors de son entretien à la préfecture ne pourraient être traités en Suède. Il en résulte que le préfet du Val d'Oise est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur la méconnaissance de ces dispositions et stipulations pour annuler son arrêté.

7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. C....

8. En premier lieu, Mme D... a reçu délégation de signature du préfet du Val-d'Oise par arrêté du 19 septembre 2022 régulièrement publié le même jour. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté manque ainsi en fait et doit, par suite, être écarté.

9. En deuxième lieu, l'arrêté du préfet du Val-d'Oise vise les dispositions applicables, notamment l'article 18-1-b, et mentionne que le fichier Eurodac indique que l'intéressé a déposé une demande d'asile en Suède, que les autorités suédoises saisies d'une demande de reprise en charge l'ont acceptée explicitement le 18 octobre 2022, que la situation de l'intéressé ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement n° 604/3013 du 26 juin 2013, et qu'il ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale stable en France. Il est ainsi dument motivé en fait et en droit, contrairement à ce que soutient l'intéressé.

10. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est vu remettre, le 12 octobre 2022 les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées, en langue somalie, qu'il a déclaré comprendre. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) du 26 juin 2013 n'est pas fondé et doit être écarté.

11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".

12. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu d'entretien signé par M. C... qu'il a bénéficié le 12 octobre 2022 de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. Cet entretien s'est tenu en langue somalie, que l'intéressé a déclaré comprendre, avec le concours d'un interprète. Il n'est pas établi qu'il n'aurait pas été en capacité de comprendre les informations qui lui ont été délivrées et de faire valoir toutes observations utiles relatives à sa situation au cours de l'entretien, ainsi que cela ressort du compte-rendu qui en a été établi qui rappelle les informations données par M. C... et précise qu'il a compris les éléments qui lui ont été communiqués et la procédure engagée. Par ailleurs, aucun élément du dossier n'établit que cet entretien, dont le compte-rendu comporte les initiales de l'agent l'ayant conduit, n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 n'est pas fondé et doit être écarté.

13. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que las autorités suédoises, saisies le 13 octobre 2022 d'une demande de reprise en charge l'ont explicitement acceptée le 18 octobre suivant. La circonstance qu'aucun exemplaire de cette acceptation n'ait été remis à M. C... est sans incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Val-d'Oise est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé son arrêté du 10 novembre 2022 portant transfert de M. C... aux autorités suédoises, lui a enjoint d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile, et a mis à sa charge une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées pour M. C... au titre des frais d'instance doivent par conséquent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : M. C... est admis provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Les articles 2 à 4 du jugement n° 2216099 du 22 décembre 2022 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise sont annulés.

Article 3 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise est rejetée.

Article 4 : Les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. E....

Copie en sera adressée au préfet du Val-d'Oise.

Délibéré après l'audience du 18 avril 2023, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

Mme Bonfils, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mai 2023.

La rapporteure,

A-C. A...Le président,

S. BROTONS

La greffière,

V. MALAGOLI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 23VE00137 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE00137
Date de la décision : 16/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Anne-Catherine LE GARS
Rapporteur public ?: Mme VISEUR-FERRÉ
Avocat(s) : HENNI SOUFIA

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-05-16;23ve00137 ?
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