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16/05/2023 | FRANCE | N°22VE00770

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 2ème chambre, 16 mai 2023, 22VE00770


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler les décisions des 19 février 2019 et 16 juin 2020 par lesquelles la société La Poste l'a révoqué et a confirmé sa révocation.

Par un jugement n° 2004742 du 7 février 2022, le tribunal administratif de Versailles a annulé ces décisions de la société La Poste des 19 février 2019 et 16 juin 2020 au motif que si les faits reprochés à M. C... constituaient une faute de nature à justifier une sanction, et que l'autorité in

vestie du pouvoir disciplinaire ne les a pas inexactement qualifiés, elle a toutefois pr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler les décisions des 19 février 2019 et 16 juin 2020 par lesquelles la société La Poste l'a révoqué et a confirmé sa révocation.

Par un jugement n° 2004742 du 7 février 2022, le tribunal administratif de Versailles a annulé ces décisions de la société La Poste des 19 février 2019 et 16 juin 2020 au motif que si les faits reprochés à M. C... constituaient une faute de nature à justifier une sanction, et que l'autorité investie du pouvoir disciplinaire ne les a pas inexactement qualifiés, elle a toutefois pris en l'espèce une sanction disproportionnée en prononçant sa révocation.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 avril 2022 et le 3 avril 2023, la société La Poste, représentée par Me Bellanger, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de M. C... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société La Poste soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'est pas démontré que la minute a été signée conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- le jugement est insuffisamment motivé dès lors qu'il n'a pas répondu aux objections qu'elle a présentées à la barre et qu'il ne précise pas sur quelles pièces il se fonde ;

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que la sanction de révocation prononcée à l'encontre de M. C... était disproportionnée ;

- le moyen tiré du vice de procédure au regard du principe d'impartialité n'est pas fondé ;

- le moyen tiré de l'exactitude matérielle des faits n'est pas fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mars 2023, M. C... représenté par Me Fages, avocat, conclut à titre principal au non-lieu à statuer, ou subsidiairement au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société La Poste au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- dans la mesure où il a été réintégré rétroactivement à compter du 27 février 2019 et qu'il a finalement fait l'objet le 12 avril 2022 d'une sanction d'exclusion temporaire de fonction pour une durée de deux ans, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête ;

- les moyens invoqués par la société La Poste ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom ;

- le décret n° 82-447 du 28 mai 1982 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Frémont, rapporteur public,

- et les observations de Me Tastard, substituant Me Bellanger, pour la société La Poste, et de Me Fages pour M. C....

Une note en délibéré, présentée pour la société La Poste, a été enregistrée le 22 avril 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société La Poste fait appel du jugement du 7 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Versailles a annulé ses décisions des 19 février 2019 et 16 juin 2020 portant révocation de M. C... et confirmation de cette décision.

Sur l'exception de non-lieu :

2. La réintégration de M. C..., qui a été rétroactivement effectuée à compter du 27 février 2019, et le prononcé, le 12 avril 2022, d'une sanction d'exclusion temporaire de fonction pour une durée de deux ans, qui n'a pas été contestée au contentieux, lesquels sont intervenus en cours d'instance après l'annulation prononcée par le jugement du tribunal administratif, ne rend pas sans objet l'appel et les conclusions à fin d'annulation des décisions des 19 février 2019 et 16 juin 2020 par lesquelles la société La Poste a révoqué l'intéressé et a confirmé sa révocation. Par suite, l'exception de non-lieu invoquée à titre principal par M. C... ne peut qu'être écartée.

Sur la légalité de la révocation contestée :

3. Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, qui est applicable aux fonctionnaires de La Poste en vertu de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : Premier groupe : l'avertissement ; le blâme ; l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours ; Deuxième groupe : l'abaissement d'échelon ; l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours ; Troisième groupe : la rétrogradation ; l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans ; Quatrième groupe : la mise à la retraite d'office ; la révocation ".

4. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes. Si les agents publics exerçant des fonctions syndicales bénéficient de la liberté d'expression particulière qu'exigent l'exercice de leur mandat et la défense des intérêts des personnels qu'ils représentent, cette liberté doit être conciliée avec le respect de leurs obligations déontologiques. En particulier, des propos ou un comportement agressif à l'égard d'un supérieur hiérarchique ou d'un autre agent sont susceptibles, alors même qu'ils ne seraient pas constitutifs d'une infraction pénale, d'avoir le caractère d'une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire.

5. Il ressort de la motivation de la sanction prononcée à l'encontre de M. C... le 19 février 2019 que l'intéressé, qui exerce la fonction de facteur depuis 1996 et est affecté au sein de la plateforme de préparation et de distribution du courrier de La Norville depuis 2014, et est par ailleurs représentant du syndicat SUD, membre du comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) d'Etampes depuis 2007, secrétaire du CHSCT de la plateforme de La Norville depuis décembre 2016, élu à la commission administrative paritaire entre 2011 et 2014, et élu au comité technique depuis 2011, a été poursuivi disciplinairement, puis sanctionné en raison de menaces de mort répétées qu'il a exprimées à l'encontre de son directeur d'établissement, dont la santé en a été affectée, ces agissements étant, selon la société La Poste, de nature à porter atteinte à la dignité et à la santé de ce directeur et du collectif de travail.

6. Il ressort des pièces du dossier et notamment des comptes-rendus du conseil de discipline, ainsi que de divers témoignages, qui ne sont pas sérieusement contestés par l'intéressé, qu'après avoir confectionné une corde avec un nœud de pendu, M. C... l'a remise à deux de ses collègues, le 15 mai 2017, en disant : " tu la donneras à notre grand ami en commun ", à savoir M. B..., le directeur des établissements de La Poste de La Norville et d'Etampes. Puis, lors d'un déjeuner entre militants syndicaux qui a eu lieu quelques jours plus tard, le 22 mai 2017, M. C... a affirmé : " j'ai un problème avec M. B..., il va voir quand il sera 6 pieds sous terre. Je m'en fou, j'ai pas peur de la mort, ça me fait pas peur la mort, il va voir ! ". Enfin, lors d'une réunion qui s'est déroulée le 25 juillet 2017 à " l'espace-temps-communication " (ETC), l'intéressé a récidivé en indiquant à des encadrants que : " Chouette, il va nous annoncer la mort de B..., je vais enfin pouvoir déboucher le champagne ".

7. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ces menaces de mort seraient en lien avec le climat de tension qui aurait été observé entre la direction et les partenaires sociaux au cours de la période incriminée, ni avec les fonctions syndicales exercées par l'intéressé au sein du CHSCT. Au demeurant, si de telles fonctions permettent à l'intéressé de bénéficier d'une liberté de parole en lien avec son activité syndicale, celle-ci ne le dispense pas de respecter ses obligations déontologiques et d'avoir un comportement exemplaire, et ne lui donne pas a fortiori impunément le droit d'exprimer des menaces de mort à l'encontre d'un supérieur hiérarchique.

8. En outre, il ressort des pièces du dossier et il n'est pas sérieusement contesté, que son ancien directeur, de 2012 à 2014, a fait état de ce que M. C... connaissait des difficultés à s'exprimer " sans hurler " et qu'une " lettre de rappel " lui a été adressé le 18 novembre 2016 en raison du comportement menaçant et désinvolte qu'il a adopté à l'égard de sa hiérarchie en menaçant notamment " d'écraser une responsable ". Le fait que ces éléments de comportement n'ont pas été mentionnés dans ses fiches d'évaluation, au titre notamment des années 2015 à 2017, et qu'aucune procédure disciplinaire n'a été précédemment engagée contre lui, ne constituent pas des circonstances atténuantes à cet égard.

9. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les problèmes dépressifs allégués par M. C..., qui n'a jamais invoqué être l'objet d'un harcèlement, seraient en lien avec son activité professionnelle. En revanche, il résulte de l'instruction que les menaces de mort exprimées par M. C... à l'encontre de M. B... ont eu des conséquences directes sur l'état de santé de ce dernier, qui a dû déléguer à six reprises consécutives la présidence du CHSCT d'établissement afin de ne plus y rencontrer M. C..., avant d'être finalement placé en arrêt de travail le 5 décembre 2017 pour " Stress, asthénie, troubles du sommeil ".

10. Ces menaces de mort réitérées, qui n'ont pas exclusivement été exprimées de manière verbale mais également à travers initialement la confection d'une corde de pendu, dont la matérialité est établie, constituent des manquements graves au devoir de respect de sa hiérarchie et de ses collègues de travail, de nature à justifier une sanction. Eu égard à la gravité et à la répétition de ces faits, au cours d'une période de trois mois, qui caractérisent un manquement grave à la réserve et à la dignité attendues d'un agent public et ont eu des conséquences sérieuses sur la santé du directeur de la plateforme et affecté gravement le fonctionnement du service, la société La Poste n'a pas, en estimant que de telles fautes sont incompatibles avec le maintien de l'intéressé dans ses fonctions d'agent professionnel et justifient sa révocation, qui est la sanction la plus élevée prévue par les dispositions de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, pris une mesure disproportionnée.

11. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. C... devant le tribunal administratif de Versailles.

12. Si M. C... soutient que Mme E..., signataire par délégation de l'avis du directeur général adjoint, directeur des ressources humaines de la Poste, émis sur le rapport de saisine du conseil central de discipline, et présidente de cette instance lors de la séance du 12 avril 2018 au cours de laquelle a été examiné le projet de sanction concernant l'intéressé, aurait manqué à son obligation d'impartialité dans la conduite des débats du conseil central de discipline et fait preuve d'animosité à son endroit, cette affirmation n'est pas établie. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure disciplinaire en raison de la partialité manifestée à son égard par Mme E... ne peut qu'être écarté.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les moyens de régularité, que la société La Poste est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a annulé la révocation prise à l'encontre de M. C....

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société La Poste, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. C... demande à ce titre. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C... une somme de 1 500 euros à verser à la société La Poste sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles n° 2004742 du 7 février 2022 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Versailles et ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : M. C... versera une somme de 1 500 euros à la société La Poste au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société La Poste est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société La Poste et à M. D... C....

Délibéré après l'audience du 20 avril 2023, à laquelle siégeaient :

M. Even, président de chambre,

Mme Danielian, présidente assesseure,

Mme Houllier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2023.

Le président rapporteur

B. A...

L'assesseure la plus ancienne,

I. DANIELIAN

La greffière,

C. RICHARD

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 22VE00770 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE00770
Date de la décision : 16/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-04 Fonctionnaires et agents publics. - Discipline. - Sanctions.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Bernard EVEN
Rapporteur public ?: M. FREMONT
Avocat(s) : SELARL DELLIEN ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-05-16;22ve00770 ?
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