Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... E... épouse F... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 16 juillet 2020 par lequel le préfet du Val-d'Oise a rejeté sa demande de regroupement familial au bénéfice de son époux, M. D... F....
Par un jugement n° 2009532 du 5 avril 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté et enjoint au préfet du Val-d'Oise d'autoriser le regroupement familial sollicité par Mme F... au bénéfice de son époux, dans un délai d'un mois.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 mai 2022, le préfet du Val-d'Oise demande à la cour d'annuler le jugement attaqué et de rejeter la demande de Mme F....
Il soutient que :
- Mme F... ne remplit pas la condition de ressources ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que son refus d'autoriser le regroupement familial demandé par Mme F... au profit de son époux portait une atteinte excessive à sa vie privée et familiale, dès lors que, mariée depuis 1994, elle a attendu 2017 pour solliciter le regroupement familial au profit de son époux, que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne garantissent pas le droit à un étranger de choisir le lieu le plus approprié pour développer sa vie privée et familiale, et qu'en l'espèce, Mme F... n'établit pas se trouver dans l'impossibilité de se rendre en Tunisie ou de recevoir la visite de son époux ;
- sa décision n'a pas pour effet de modifier une situation existante.
Par un mémoire enregistré le 17 août 2022, Mme E... épouse F..., représentée par Me Abel, avocat, conclut au rejet de la requête du préfet du Val-d'Oise et à ce qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en mentionnant trois enfants, nés en 1996, 1999 et 2005 et en omettant son quatrième enfant, C... né le 16 août 2009, le préfet a commis une erreur de fait sur la composition de sa famille ; cette erreur révèle un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- le préfet a repris les motifs de refus, concernant les conditions de ressources et de logement, de sa première décision annulée par le tribunal, sans prendre en compte le temps écoulé entre le dépôt de sa demande initiale et le réexamen ordonné par le tribunal, alors qu'à la date de ce réexamen, ses deux enfants ainés étaient devenus majeurs et ne résidaient plus au domicile familial ; le préfet n'a actualisé ni les conditions de ressources, ni les conditions de logement ;
- le préfet n'a pris en compte que ses ressources, alors que, pour l'application de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doivent être prises en compte tant les ressources du demandeur que celles de son conjoint ; son époux perçoit une pension de retraite ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme ;
- elle ne prend pas en compte l'intérêt supérieur de ses enfants mineurs âgés de 14 et 11 ans en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience en application des dispositions de l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... épouse F..., ressortissante tunisienne titulaire d'une carte de résident, a présenté le 30 août 2017 une demande de regroupement familial en faveur de son époux, M. D... F.... Par un jugement du 27 février 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'arrêté du 9 mai 2018 par lequel le préfet du Val-d'Oise a rejeté cette demande et enjoint au préfet de procéder à son réexamen. En exécution de cette injonction, le préfet du Val-d'Oise a de nouveau rejeté la demande de regroupement familial présentée par Mme F... par un arrêté du 16 juillet 2020. Le préfet du Val-d'Oise relève appel du jugement du 5 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté au motif qu'il portait une atteinte excessive à la vie privée et familiale de Mme F....
2. Aux termes du 1 de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. " Il appartient à l'autorité administrative de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'une décision refusant le bénéfice du regroupement familial ne porte pas une atteinte excessive aux droits des intéressés au respect de leur vie privée et familiale, alors même que la vie familiale des intéressés pourrait se poursuivre hors de France.
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme F..., ressortissante tunisienne entrée en France en 1979 et titulaire d'une carte de résident, a épousé le 9 août 1994 en Tunisie M. D... F..., de même nationalité et que le couple a eu quatre enfants nés, les deux aînés en 1996 et 1999 en Tunisie, les deux puînés en 2005 et 2009 en France. Mme F... expose qu'après avoir résidé quelque temps en Tunisie avec son mari, elle est revenue vivre en France, où elle occupe un emploi d'assistante de caisse depuis juillet 2016 sous contrat à durée indéterminée, que son époux, occupant un poste de lieutenant dans la sûreté nationale en Tunisie, est venu régulièrement voir sa famille en France à la faveur de visas entrées multiples de court séjour, ainsi qu'il ressort des visas et tampons apposés sur son passeport, et que, son conjoint ayant été admis à la retraite anticipée sur sa demande, la famille a souhaité être à nouveau réunie. Ces éléments de fait ne sont pas contestés et sont corroborés par les pièces produites au dossier, notamment le bail d'habitation du logement occupé par la famille en France conclu le 21 juin 2016 par M. et Mme F.... Dans ces conditions, ainsi que les premiers juges l'ont estimé, le refus de regroupement familial opposé à Mme F..., au motif que ses ressources s'établissaient sur la période de référence des douze mois précédent sa demande initiale du 30 août 2017 à 1 616,33 euros bruts au lieu de 1 628 euros pour une famille de cinq personnes et la superficie de son logement à 47 m² au lieu de 52, a porté une atteinte excessive à sa vie privée et familiale. Est sans incidence sur cette appréciation la circonstance que, mariée depuis 1994, Mme F... n'a sollicité le regroupement familial au profit de son époux qu'en 2017, dès lors que cette circonstance, au demeurant justifiée par les contraintes professionnelles de M. F..., ne figure pas parmi les motifs de refus des demandes de regroupement familial.
4. En outre, aux termes de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers alors en vigueur : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint (...) ; 2° Le demandeur ne dispose pas ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique ; / (...) " En n'invitant pas Mme F... à actualiser sa demande en vue de son réexamen alors que la composition familiale avait changé et en omettant de prendre en compte la pension de retraite de son conjoint, le préfet du Val-d'Oise a entaché sa décision d'erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Val-d'Oise n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé son arrêté du 16 juillet 2020 et lui a enjoint d'autoriser le regroupement familial sollicité par Mme F... au bénéfice son époux.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Val-d'Oise est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme A... E... épouse F....
Copie en sera adressée au préfet du Val-d'Oise.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2023, à laquelle siégeaient :
M. Beaujard, président de chambre,
Mme Dorion, présidente-assesseure,
M. Tar, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2023.
La rapporteure,
O. B... Le président,
P. BEAUJARD La greffière,
S. LOUISERE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour exécution conforme,
La greffière,
N° 22VE01098
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