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14/03/2023 | FRANCE | N°21VE03084

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 14 mars 2023, 21VE03084


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Camblisienne de services a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 ainsi que de l'amende fiscale qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts.

Par un jugement n° 1813079 du 24 septembre 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande

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Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 23 novembre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Camblisienne de services a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 ainsi que de l'amende fiscale qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts.

Par un jugement n° 1813079 du 24 septembre 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 23 novembre 2021, le 16 mars 2022 et le 10 juin 2022, la société Camblisienne de services, représentée par Me Desnain et Me Lelièvre, avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal n'a pas répondu à son moyen tiré de ce que la TVA ayant grevé ses achats effectués en 2013, avant le début de son activité de location de navire, était reportable sur les opérations qu'elle a réalisées lorsque l'activité a démarré ;

- la procédure d'imposition est entachée d'irrégularité, dès lors que la vérification de sa comptabilité relevait de la compétence de la direction du contrôle fiscal d'Ile-de-France, et non de celle de l'Oise ;

- la procédure est également irrégulière en ce que le service a mis en œuvre la procédure de l'abus de droit, sans lui reconnaître les garanties attachées à cette procédure ;

- en ce qui concerne les rappels de TVA, elle doit être considérée comme assujettie à la TVA à partir du moment où elle a déclaré une activité économique ; le coefficient de déduction déterminé par le service au titre de l'année 2014 est erroné ;

- l'amende qui lui a été infligée est injustifiée, dès lors que le navire " Lucas Delli "est statutairement affecté en permanence à la société Camblisienne de services, qui a pour objet de l'exploiter commercialement, ce qu'elle a fait ; la totalité des charges devait être admise en déduction dès lors que le navire a été affecté à une exploitation commerciale ; ces charges sont conformes à l'objet social, justifiées et dépourvues de caractère somptuaire ; le navire a fait l'objet de diligences normales pour assurer sa location ; il a été utilisé pendant la période estivale, seule période durant laquelle il peut être exploité ; l'utilisation privative de ce navire n'a pas été démontrée ; le fait que Mme B... ait payé l'ensemble des locations est sans incidence, dès lors que les loyers ont été considérés comme normaux ; aucun revenu ne pouvant être regardé comme ayant été distribué sur le fondement du e de l'article 111 du code général des impôts, elle était fondée à refuser d'en désigner les bénéficiaires.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 février 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Camblisienne de services ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 10 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 27 juin 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique,

- et les observations de Me Dedinger, substituant Me Desnain et Me Lelièvre, pour la société Camblisienne de services.

Une note en délibéré, présentée pour la société Camblisienne de services, a été enregistrée le 6 mars 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée (SARL) Camblisienne de services exerce une activité de service de nettoyage, entretien et prestations administratives. Elle a modifié ses statuts, le 30 septembre 2013, ajoutant à son objet social l'" acquisition, cession, location, gestion, exploitation de bateaux de plaisance ", et pris en crédit-bail un navire de plaisance, le " Lucas Delli ", en décembre 2013, destiné selon elle à être exploité commercialement dans le cadre d'une activité de location. La société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité en 2015 portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a remis en cause les charges liées à l'exploitation de ce navire de plaisance et notifié à la société requérante, par une proposition de rectification du 11 juillet 2016, selon la procédure contradictoire, notamment, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, assortis des pénalités correspondantes et de l'amende pour non-désignation des bénéficiaires des distributions prévue à l'article 1759 du code général des impôts. Considérant que l'administration n'était pas fondée à se prévaloir des dispositions du premier alinéa du c du 4 de l'article 39 du code général des impôts, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a émis le 22 novembre 2017 un avis défavorable aux rehaussements portant sur les dépenses relatives au navire de plaisance, que le service n'a pas suivi. Les suppléments d'impôt sur les sociétés correspondants ont été mis à la charge de sa société mère, tête du groupe intégré auquel elle appartient. Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée et les pénalités précitées ont été mises en recouvrement par le service des impôts des entreprises de Cergy-Pontoise le 15 mars 2018, et ont été contestés par une réclamation préalable du 11 avril 2018. Par une décision du 17 octobre 2018, l'administration a rejeté partiellement cette réclamation. Par un jugement n° 1813079 du 24 septembre 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande de la société Camblisienne de services tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et de l'amende restant à sa charge. La société Camblisienne de services relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Les premiers juges n'ont pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que les rappels de TVA déduite sur ses charges de l'année 2013 n'étaient pas fondés, dès lors que le droit à déduction n'est pas subordonné à la réalisation préalable de recettes taxables. Par suite, le jugement attaqué est entaché d'un défaut de réponse à un moyen et est, pour ce motif, irrégulier.

3. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler le jugement attaqué, en tant qu'il statue sur la demande de décharge des rappels de TVA au titre de l'année 2013, et de statuer sur ce point par la voie de l'évocation, le surplus des conclusions de la requête devant être examiné dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

4. En premier lieu, en vertu du II de l'article 350 terdecies de l'annexe III au code général des impôts, les fonctionnaires de la direction générale des impôts mentionnés au I dudit article " peuvent exercer les attributions que ces dispositions leur confèrent à l'égard des personnes physiques ou morales (...) qui ont déposé ou auraient dû déposer dans le ressort territorial du service déconcentré ou du service à compétence nationale dans lequel ils sont affectés une déclaration, un acte ou tout autre document ".

5. La société Camblisienne de services soutient que la direction de contrôle fiscal Ile-de-France était seule compétente pour effectuer la vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, dès lors que son siège social, anciennement situé dans l'Oise, a été transféré dans le Val-d'Oise en 2013, que ce transfert a fait l'objet d'une publicité dans un journal d'annonces légales le 9 octobre 2013 et qu'elle a déclaré le 6 novembre 2013 un changement de siège social auprès du greffe du tribunal de commerce de Pontoise. Toutefois, il est constant que cette société a continué jusqu'en décembre 2015 à déposer l'ensemble de ses déclarations fiscales auprès du SIE de Meru, dans le département de l'Oise, dont dépend son principal établissement, où est située la direction effective de l'entreprise et où se sont déroulées les opérations de contrôle. Par suite, en application des dispositions précitées, les agents de la direction de contrôle fiscal du Nord était bien compétents pour diligenter une vérification de comptabilité à son encontre.

6. En second lieu, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles (...) ".

7. Il résulte de l'instruction que, pour établir les rappels de taxe sur la valeur ajoutée et l'amende litigieux, l'administration n'a pas écarté d'actes qui lui seraient opposables, notamment la modification de l'objet social intervenue le 30 septembre 2013, mais s'est contentée de faire valoir que les conditions d'exploitation du navire " Lucas Delli " par la société requérante ne relevaient pas d'une exploitation commerciale du navire sur l'ensemble de la période en litige et qu'une partie de l'exploitation du navire relevait d'une utilisation à des fins privées par Mme B..., la gérante de la société. En qualifiant l'exploitation du navire de patrimoniale, l'administration fiscale ne s'est pas placée, même implicitement, sur le terrain de l'abus de droit. Le moyen tiré de ce que les impositions ont été établies selon une procédure irrégulière, en privant la requérante des garanties procédurales attachées à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, doit en conséquence être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne le bien-fondé des rappels de TVA :

8. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération (...) / II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures (...) ". L'article 205 de l'annexe II au code général des impôts dispose : " La taxe sur la valeur ajoutée grevant un bien ou un service qu'un assujetti à cette taxe acquiert, importe ou se livre à lui-même est déductible à proportion de son coefficient de déduction ". Aux termes de l'article 206 de cette même annexe : " I.- Le coefficient de déduction mentionné à l'article 205 est égal au produit des coefficients d'assujettissement, de taxation et d'admission. / II.- Le coefficient d'assujettissement d'un bien ou d'un service est égal à sa proportion d'utilisation pour la réalisation d'opérations imposables. Les opérations imposables s'entendent des opérations situées dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée en vertu des articles 256 et suivants du code général des impôts, qu'elles soient imposées ou légalement exonérées (...) ".

9. Le service a refusé de prendre en compte les charges afférentes au navire exposées au titre de l'exercice clos en 2013 au motif que le navire, acquis en décembre 2013, n'avait encore aucune activité commerciale au cours de cet exercice et que le coefficient de déduction était donc nul. Toutefois, il résulte de l'instruction que le navire a été acquis le 3 décembre 2013 en vue d'opérations qui ont été reconnues comme imposables par l'administration, dès lors qu'elle a admis un coefficient de déduction de 25 % au titre de l'année 2014. Si l'administration soutient qu'elle pouvait exclure toute déduction de taxe sur la valeur ajoutée dès lors que l'activité d'exploitation du navire était, en tout état de cause, minoritaire, l'article 206 IV du code général des impôts ne prévoit une telle exclusion que lorsque les biens ou services sont utilisés à plus de 90 % à des fins étrangères à l'entreprise, ce qui n'est pas le cas en l'espèce selon les propres constatations du service. Par suite, la société requérante doit être considérée comme assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, dès le mois de décembre 2013, à raison de son activité de location de navire. En conséquence, la TVA grevant ses charges de crédit-bail était déductible au titre du mois de décembre 2013 et reportable sur l'année 2014, à hauteur du coefficient de déduction applicable à ces charges.

10. Au cours des opérations de contrôle, le service a constaté que le navire avait été mis à l'eau pour une période de six mois en 2014 et qu'il avait été donné en location pendant seulement six semaines. Il a admis que le navire avait fait l'objet d'une exploitation commerciale au cours de ces six semaines, bien que les périodes de location aient été payées directement ou indirectement par la gérante de la société, et considéré que, durant les périodes au cours desquelles le navire n'avait pas été exploité commercialement alors qu'il aurait pu l'être, il était resté à la disposition de Mme B..., soit une quote-part d'utilisation privative qu'il a déterminée à 75 %, correspondant à 18 semaines sur 24. En conséquence, le service n'a admis les charges en déduction du bénéfice imposable au titre de l'exercice 2014 qu'à hauteur du prorata du temps de location, soit 25 %, et a réintégré la part non-déductible, soit 198 071 euros, au bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés de l'exercice 2014. Pour contester ce coefficient, la société Camblisienne de services fait valoir que, le navire ayant été exploité normalement et affecté en permanence à une activité économique, son coefficient de déduction doit être de 100 %. Elle fait également valoir que le " Lucas Delli " a connu un problème technique entre le 22 mai 2014 et le 4 juillet 2014, empêchant sa location, que le bateau aurait été mis à terre le 9 octobre, soit trois semaines plus tôt que la date prévue au contrat de location-gérance, que les conditions météorologiques lui ont fait perdre une semaine de location, que le taux d'occupation escompté pour une location est de 90 % et non de 100 %, et que le service a calculé à tort que la période de 10 août au 14 septembre 2014 compte quatre semaines, alors qu'elle en compte cinq.

11. Toutefois, l'administration fiscale établit que le " Lucas Delli ", bateau de plaisance, qui bénéficiait d'une autorisation de mouillage à proximité de la résidence secondaire en Corse de Mme B..., gérante de la société requérante, n'a été loué au cours de l'année 2014 que par celle-ci, directement ou indirectement. Le service a également constaté que le contrat de gestion-location conclu avec la société Santarelli Marine Brokera, produit lors de la réunion de synthèse alors que cette société semblait ignorer l'existence de ce contrat lors de l'exercice par l'administration de son droit de communication, ne portait que sur sept semaines de location, qu'aucune mesure de publicité n'avait été mise en œuvre par le gestionnaire ou la société requérante pour rechercher une clientèle auprès de tiers et que le bateau n'avait effectivement fait l'objet d'aucune location à des tiers. Il était par suite fondé à regarder cet investissement comme faisant l'objet d'une utilisation privative, durant les périodes au cours desquelles le navire était laissé à la disposition de Mme B... sans faire l'objet d'une exploitation commerciale. S'agissant du coefficient de déduction retenu par le service, la mise à terre au 9 octobre n'est pas justifiée par un problème technique et n'a donc pas à être défalquée de la période de référence. La société requérante n'établit pas davantage que les conditions météorologiques auraient rendu impossible la location du bateau pendant une semaine. Même si le taux d'occupation ne peut être de 100 %, le calcul du coefficient de déduction reste inchangé. En tout état de cause, l'administration fait valoir à bon droit que, pour calculer le coefficient de déduction, les semaines de location auraient dû être rapportées, non sur les six mois constitués par la période de mise à l'eau, mais sur l'ensemble de l'année, étant donné que les dépenses de loyers de crédit-bail, d'assurance et du droit annuel de navigation et de francisation sont annuelles. Par suite, le coefficient de déduction de 25 % appliqué par le service est pertinent.

12. Il résulte de ce qui précède que la société Camblisienne de services est seulement fondée à demander la décharge de 25 % des rappels de TVA mis à charge au titre de l'année 2013.

En ce qui concerne la pénalité :

13. D'une part, aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) e. Les dépenses et charges dont la déduction pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés est interdite en vertu des dispositions du premier alinéa et du 3° du 4 de l'article 39 ". Aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / (...) / 4. Qu'elles soient supportées directement par l'entreprise ou sous forme d'allocations forfaitaires ou de remboursements de frais, sont exclues des charges déductibles pour l'établissement de l'impôt (...) les charges, à l'exception de celles ayant un caractère social, résultant de l'achat, de la location ou de toute autre opération faite en vue d'obtenir la disposition de résidences de plaisance ou d'agrément, ainsi que de l'entretien de ces résidences ; les dépenses et charges ainsi définies comprennent notamment les amortissements. / Sauf justifications, les dispositions du premier alinéa sont applicables : / (...) / c) Aux dépenses de toute nature résultant de l'achat, de la location ou de toute autre opération faite en vue d'obtenir la disposition de yachts ou de bateaux de plaisance à voile ou à moteur ainsi que de leur entretien ; les amortissements sont regardés comme faisant partie de ces dépenses. / (...) ".

14. D'autre part, aux termes de l'article 117 du code général des impôts : " Au cas où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale visées à l'article 116, celle-ci est invitée à fournir à l'administration, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excédent de distribution. En cas de refus ou à défaut de réponse dans ce délai, les sommes correspondantes donnent lieu à l'application de la pénalité prévue à l'article 1759. " L'article 1759 du code général des impôts dispose que : " Les sociétés et les autres personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent, directement ou par l'intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240, elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une amende égale à 100 % des sommes versées ou distribuées. (...) ".

15. Il appartient au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts de justifier tant du montant des créances de tiers, amortissements, provisions et charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du CGI que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. En ce qui concerne les charges, le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive. Le premier alinéa de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales n'a pas pour effet de déroger aux principes généraux ci-dessus énoncés en exigeant de l'administration fiscale qu'elle justifie qu'une charge n'est pas déductible dans son principe, dès lors que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur les chiffres d'affaires a été saisie pour avis.

16. Il résulte des mentions de la proposition de rectification adressée à la société Camblisienne de services, qui exerçait jusqu'alors une activité de nettoyage et de prestations de services, que cette société a modifié le 30 septembre 2013 son objet social pour y inclure l'acquisition, la gestion et la location de bateaux de plaisance. Elle a pris en crédit-bail le 3 décembre 2013 un navire de plaisance, le " Lucas Delli ", d'un coût d'acquisition de 2 171 707 euros, et a comptabilisé les dépenses afférentes à la gestion de ce navire à hauteur de 17 775,55 euros au titre de l'exercice 2013 et de 264 095 euros au titre de l'exercice 2014. Le service n'a accepté la déductibilité de ces charges qu'à hauteur d'un ratio de 25 %, correspondant à la proportion de temps pendant lequel le navire avait été effectivement loué par rapport à la période de mouillage. Il a considéré que les sommes représentées par les charges non déductibles constituaient des revenus distribués et a demandé à la société société Camblisienne de services d'en nommer les bénéficiaires. Cette dernière s'étant refusée à le faire, elle s'est vue infliger l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts. Elle conteste cette amende en faisant valoir que le navire en cause faisait bien l'objet d'une exploitation commerciale.

17. Il résulte de l'instruction que le navire " Lucas Delli " a été loué par Mme B..., gérante de la société requérante, sous des identités d'emprunt, du 4 au 11 mai 2014, du 1er au 8 juin 2014 puis du 10 août au 14 septembre 2014. La société Camblisienne de services soutient, sans être contredite sur ce point, que ces locations ont été faites aux tarifs du marché. Elle a d'ailleurs comptabilisé 191 666 euros de produits au titre de l'exercice 2014. Il est également constant que les charges déduites par la société afférentes à cette activité sont justifiées. En reconnaissant la déductibilité des charges à hauteur de 25 %, l'administration a implicitement admis que le navire faisait bien l'objet d'une exploitation commerciale répondant aux statuts de la société requérante, qui mentionnaient comme objet statutaire notamment l'acquisition, la gestion et la location de bateaux de plaisance. Cet objet social ayant été ainsi admis, le service ne pouvait regarder comme partiellement somptuaires les dépenses en cause, en se fondant sur les dispositions du c du 4 de l'article 39 du code général des impôts qui, si elles excluent la déductibilité des charges constituées par les dépenses de toute nature résultant de l'achat, de la location ou de toute autre opération faite en vue d'obtenir la disposition de yachts ou de bateaux de plaisance, instaurent une exception à ce principe pour les charges ayant un caractère social. Par suite, les sommes litigieuses ne peuvent être considérées comme des revenus distribués sur le fondement des dispositions dont le service à fait application.

18. Il résulte de ce qui précède que l'administration n'était pas fondée à rejeter la déductibilité des charges à hauteur d'un ratio de 75 % ni, par voie de conséquence, à considérer ces charges comme des revenus distribués. La société Camblisienne de services doit être déchargée de la pénalité infligée en application de l'article 117 du code général des impôts.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la société Camblisienne de services est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de TVA au titre de l'année 2013 et de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 117 du code général des impôts. Le surplus des conclusions de sa requête doit être rejeté.

Sur les frais liés au litige :

20. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société Camblisienne de services présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1813079 du 24 septembre 2021 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé, en tant qu'il statue sur la demande de décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société Camblisienne de services au titre de l'année 2013.

Article 2 : La société Camblisienne de services est déchargée, en droits et pénalités, des rappels de TVA qui lui ont été réclamés au titre de l'année 2013, à hauteur de l'application d'un coefficient de déduction de 25 %, et de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts.

Article 3 : Le surplus du jugement n° 1813079 du 24 septembre 2021 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Camblisienne de services et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 28 février 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Dorion, présidente assesseure,

M. Tar, premier conseiller,

Mme Pham, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2023.

La rapporteure,

C. A... La présidente,

O. DORION

La greffière,

A. GAUTHIER

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21VE03084


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21VE03084
Date de la décision : 14/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Amendes - pénalités - majorations.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Revenus des capitaux mobiliers et assimilables - Revenus distribués.

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées - Taxe sur la valeur ajoutée - Personnes et opérations taxables - Opérations taxables.


Composition du Tribunal
Président : Mme DORION
Rapporteur ?: Mme Christine PHAM
Rapporteur public ?: Mme BOBKO
Avocat(s) : SELARL VAUBAN SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-03-14;21ve03084 ?
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