Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, à titre principal, de prononcer la réduction de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu qu'ils ont acquittée au titre de l'année 2015, à hauteur de la somme de 116 334 euros, et, à titre subsidiaire, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles suivantes : " Les dispositions de l'article 8 de la directive fusions doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent, dans le cadre d'une opération d'échange de titres entrant dans le champ de la directive, à ce que la plus-value " globale " de cession de titres reçus en rémunération de titres éligibles à l'abattement " renforcé " PME communautaire de moins de dix ans au moment de l'apport ne soit plus éligible à ce même abattement ' " et " Lorsqu'une loi nationale transpose une directive instaurant un différé d'imposition en cas d'échange de titres en traitant indifféremment les situations relevant du champ d'application de la directive et les autres, l'article 20 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'oppose-t-il à ce qu'elle traite les contribuables différemment, dans ses conséquences, lorsque le différé d'imposition prend fin ' ", d'autre part, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la constitution des dispositions du B du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts.
Par un jugement avant dire-droit du 18 juillet 2019 et un jugement n° 1802687du 24 juin 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a respectivement, d'une part, refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée et, d'autre part, rejeté la demande de réduction de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle M. et Mme C... ont été assujettis au titre de l'année 2015 et de renvoi de deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 août et 22 décembre 2020, M. et Mme C..., représentés par Me Bornhauser, avocat, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 24 juin 2020 ;
2°) de prononcer la réduction de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu qu'ils ont acquittée au titre de l'année 2015, à hauteur de la somme de 116 334 euros ;
3°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suivante : " Lorsqu'une loi nationale transpose une directive instaurant un différé d'imposition en cas d'échange de titres en traitant indifféremment les situations relevant du champ d'application de la directive et les autres, l'article 20 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'oppose-t-il à ce qu'elle traite les contribuables différemment, dans ses conséquences, lorsque le différé d'imposition prend fin ' " ;
4°) de demander au Conseil d'Etat, en application du protocole n° 16 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de saisir la Cour européenne des droits de l'homme de la demande d'avis suivante : " L'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales lu en combinaison avec l'article 1er de son premier protocole additionnel relatif au droit au respect de ses biens est-il de nature à faire obstacle à la différence de traitement, au regard de l'abattement pour durée de détention prévu par l'article 150-0 D du code général des impôts, institué à l'égard des plus-values afférentes à un échange de titres, selon qu'il s'agit d'une opération entrant ou non dans le champ d'application de la Directive fusion, plus précisément, selon qu'il s'agit d'une opération purement interne ou transfrontalière, selon qu'il s'agit d'une opération conférant ou non à la société bénéficiaire de l'apport le contrôle de la société apportée ' " ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Ils soutiennent que :
- au regard du caractère intercalaire de l'opération d'apport intervenue en 2012, la
plus-value réalisée à l'occasion de la cession de leurs parts de la SARL Kergoz Investissements entrait nécessairement dans le champ de l'abattement renforcé de 85 % de l'article 150-0 D du code général des impôts ;
- les conditions, prévues au B du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts, pour bénéficier de l'abattement de 85 % prévu au A du 1 quater du même article, , méconnaissent le principe de neutralité fiscale que l'article 8 de la directive " Fusions " 90/434/CEE, repris par la directive 2009/133/CE attache aux opérations intercalaires d'échange de titres, et sont ainsi contraires, d'une part, au principe d'égalité protégé par l'article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en ce qu'elles privent la plus-value d'échange de titres du bénéfice de l'abattement renforcé pour durée de détention et, d'autre part, au principe de
non-discrimination protégé par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH) combiné avec l'article 1er de son premier protocole, en ce que la différence de traitement entre situations internes et situations entrant dans le champ des directives " Fusions " constitutive d'une discrimination " à rebours ", est sans lien avec les objectifs du législateur et les buts de la loi, et ne poursuit aucun objectif d'utilité publique ;
- les conditions prévues par les dispositions du f du 1° du B du 1 quater de l'article
150-0 D du code général des impôts doivent donc s'apprécier, pour assurer cette neutralité de l'opération d'échange antérieure à l'opération litigieuse, non pas au niveau de la société dont les titres sont cédés, dont il est constant qu'elle n'est pas une société holding ni une société qui exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, mais de la société dont les titres avaient été remis à l'échange, qui satisfait l'ensemble de ces conditions ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 ;
- la directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 22 mars 2018, " Jacob " et " Lassus ", nos C-327/16 et C-421/16 ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 18 septembre 2019, " AQ " et " DN ", nos C-662/18 et C-672/18 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Deroc, rapporteure publique,
- et les observations de Me Couanet pour M. et Mme C....
Une note en délibéré, présentée pour M. et Mme C..., a été enregistrée le 7 février 2023.
Considérant ce qui suit :
1. En 1995, M. C... a participé à la création de la société à responsabilité limitée (SARL) " Financière de Balard " en faisant l'acquisition de 400 parts sociales de cette société, soit 20 % du capital social de 200 000 francs. En 2012, il a apporté la totalité des titres qu'il détenait dans la société " Financière de Balard ", ayant pris entretemps la dénomination Planisware Management, à la SARL Kergoz Investissements. En échange, il a reçu les 13 548 parts constituant la totalité du capital de cette dernière société. La plus-value a été placée en sursis d'imposition conformément aux dispositions de l'article 150-0 B du code général des impôts. Le 21 décembre 2015, à l'occasion d'une opération de réduction du capital de la SARL Kergoz Investissements par rachat de titres avec annulation de ces derniers, M. C... a cédé une partie de ses titres. A cette occasion, il a réalisé une plus-value nette de 1 252 597 euros, que les époux C... n'ont déclarée qu'à hauteur de 35 % de son montant, appliquant l'abattement de droit commun de 65 % pour durée de détention de titres supérieure à huit ans, conformément aux dispositions combinées du 1 ter et du 1 quinquies de l'article 150-0 D du code général des impôts. Toutefois, estimant être en droit de prétendre au bénéfice de l'abattement renforcé de 85 % prévu au 3° du A du 1 quater du même article, M. et Mme C... ont demandé, par une réclamation en date du 18 octobre 2017, la restitution de l'excédent d'impôt sur le revenu qu'ils estimaient avoir acquitté à tort au titre de l'année 2015, correspondant à la différence entre l'application de l'abattement de 85 % et celui de 65 %. Ces réclamations ont été rejetées par une décision du directeur départemental des finances publiques des Hauts-de-Seine du 10 avril 2018. M. et Mme C... font appel du jugement du 24 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de
Cergy-Pontoise a rejeté leur demande tendant à la réduction de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2015, à hauteur de la somme de 116 334 euros.
2. Aux termes de l'article 150-0 D du code général des impôts dans sa rédaction applicable en l'espèce : " 1. Les gains nets mentionnés au I de l'article 150-0 A sont constitués par la différence entre le prix effectif de cession des titres ou droits, net des frais et taxes acquittés par le cédant, et leur prix effectif d'acquisition par celui-ci (...) / Les gains nets résultant de la cession à titre onéreux ou retirés du rachat d'actions, de parts de sociétés, de droits démembrés portant sur ces actions ou parts, ou de titres représentatifs de ces mêmes actions, parts ou droits, mentionnés à l'article 150-0 A (...) sont réduits d'un abattement déterminé dans les conditions prévues, selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater du présent article. (...) / 1 ter. L'abattement mentionné au 1 est égal à : (...) / b) 65 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession ou de la distribution. (...) / 1 quater. A.- Par dérogation au 1 ter, lorsque les conditions prévues au B sont remplies, les gains nets sont réduits d'un abattement égal à : (...)2° 65 % de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins quatre ans et moins de huit ans à la date de la cession / 3° 85 % de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession. / B.- L'abattement mentionné au A s'applique : / 1° Lorsque la société émettrice des droits cédés respecte l'ensemble des conditions suivantes : / a) Elle est créée depuis moins de dix ans et n'est pas issue d'une concentration, d'une restructuration, d'une extension ou d'une reprise d'activités préexistantes. Cette condition s'apprécie à la date de souscription ou d'acquisition des droits cédés ; / b) Elle répond à la définition prévue au e du 2° du I de l'article 199 terdecies-0 A. Cette condition est appréciée à la date de clôture du dernier exercice précédant la date de souscription ou d'acquisition de ces droits ou, à défaut d'exercice clos, à la date du premier exercice clos suivant la date de souscription ou d'acquisition de ces droits ; / c) Elle respecte la condition prévue au f du même 2° ; / d) Elle est passible de l'impôt sur les bénéfices ou d'un impôt équivalent ; / e) Elle a son siège social dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ; / f) Elle exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, à l'exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier. / Lorsque la société émettrice des droits cédés est une société holding animatrice, au sens du dernier alinéa du VI quater du même article 199 terdecies-0 A, le respect des conditions mentionnées au présent 1° s'apprécie au niveau de la société émettrice et de chacune des sociétés dans laquelle elle détient des participations. / Les conditions prévues aux quatrième à avant-dernier alinéas du présent 1° s'apprécient de manière continue depuis la date de création de la société ; (...)1 quinquies. Pour l'application de l'abattement mentionné au 1, la durée de détention est décomptée à partir de la date de souscription ou d'acquisition des actions, parts, droits ou titres, et : (...) 2° En cas de vente ultérieure d'actions, parts, droits ou titres reçus à l'occasion d'opérations mentionnées à l'article 150-0 B (...) à partir de la date de souscription ou d'acquisition des actions, parts, droits ou titres remis à l'échange (...) 9. En cas de vente ultérieure ou de rachat mentionné au 6 du II de l'article 150-0 A de titres reçus à l'occasion d'une opération mentionnée à l'article 150-0 B (...) le gain net est calculé à partir du prix ou de la valeur d'acquisition des titres échangés, diminué de la soulte reçue ou majoré de la soulte versée lors de l'échange (...) ". L'article 150-0 B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable, dispose : " Les dispositions de l'article 150-0 A ne sont pas applicables, au titre de l'année de l'échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre d'une opération d'offre publique, de fusion, de scission, d'absorption d'un fonds commun de placement par une société d'investissement à capital variable, de conversion, de division, ou de regroupement, réalisée conformément à la réglementation en vigueur ou d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés. /Ces dispositions s'appliquent aux opérations d'échange ou d'apport de titres mentionnées au premier alinéa réalisées en France, dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou dans un Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, ainsi qu'aux opérations, autres que les opérations d'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés, pour lesquelles le dépositaire des titres échangés est établi en France, dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou dans un Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales (...) ".
3. Aux termes de l'article 8 de la directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents, ainsi qu'au transfert du siège statutaire d'une SE ou d'une SCE d'un Etat membre à un autre, qui reprend les dispositions de l'article 8 de la directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions des sociétés d'Etats membres différents : " 1. L'attribution, à l'occasion d'une fusion, d'une scission ou d'un échange d'actions, de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire ou acquérante à un associé de la société apporteuse ou acquise, en échange de titres représentatifs du capital social de cette dernière société, ne doit, par elle-même, entraîner aucune imposition sur le revenu, les bénéfices ou les plus-values de cet associé. / (...) 6. L'application des paragraphes 1, 2 et 3 n'empêche pas les États membres d'imposer le profit résultant de la cession ultérieure des titres reçus de la même manière que le profit qui résulte de la cession des titres existant avant l'acquisition. ".
4. D'une part, il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par l'arrêt " Marc Jacob c/ Ministre des finances et des comptes publics " (C-327/16) et " Ministre des finances et des comptes publics c/ Marc Lassus " (C-421/16) du 22 mars 2018 que si en prévoyant qu'une opération d'échange de titres ne puisse pas par elle-même donner lieu à l'imposition de la
plus-value issue de cette opération, l'article 8, paragraphe 1, de la directive fusions assure la neutralité fiscale d'une telle opération, cette neutralité fiscale n'entend pas, toutefois, soustraire une telle plus-value à l'imposition des États membres disposant de la compétence fiscale sur
celle-ci, mais interdit uniquement de considérer cette opération d'échange comme étant le fait générateur d'imposition. En revanche, ni l'article 8 de la directive fusions ni aucun autre article de cette directive ne contient de dispositions relatives aux mesures fiscales appropriées aux fins de la mise en œuvre de cet article 8. Les États membres disposent, dès lors, dans le respect du droit de l'Union, d'une certaine marge de manœuvre en ce qui concerne cette mise en œuvre.
5. D'autre part, par un arrêt " AQ " (C-662/18) et " DN " (C-672/18) du 18 septembre 2019, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les dispositions citées au point 3 doivent être interprétées en ce sens que, dans le cadre d'une opération d'échange de titres, elles requièrent que soit appliqué, à la plus-value afférente aux titres échangés et placée en report d'imposition ainsi qu'à celle issue de la cession des titres reçus en échange, le même traitement fiscal, au regard du taux d'imposition et de l'application d'un abattement fiscal pour tenir compte de la durée de détention des titres, que celui que se serait vu appliquer la plus-value qui aurait été réalisée lors de la cession des titres existant avant l'opération d'échange, si cette dernière n'avait pas eu lieu.
6. Il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que la société Kergoz Investissements, émettrice des droits cédés, n'exerce pas d'activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole et n'a pas davantage le caractère de société holding animatrice. Il s'ensuit que les conditions prévues par les dispositions précitées du f) du 1° du B du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts n'étant pas remplies, l'administration fiscale était fondée à refuser à M. et Mme C... le bénéfice de l'abattement de 85 %, prévu au A du 1 quater de l'article
150-0 D, sur le montant de la plus-value réalisée à la suite de la cession d'une partie des titres qu'ils détenaient au sein de la société Kergoz Investissements, nonobstant le fait que M. C... ait effectivement détenu les titres de la SARL Planisware Management depuis plus de huit ans à la date de leur échange.
7. M. et Mme C... soutiennent toutefois que les conditions, prévues au B du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts, pour bénéficier de l'abattement de 85 % prévu au A du 1 quater du même article, ne seraient pas conformes aux objectifs résultant des dispositions, citées au point 3, de l'article 8 de la directive 90/434/CEE, reprises par la directive 2009/133/CE, qui garantissent la neutralité fiscale aux opérations d'échange de titres dans la mesure où elles réservent l'abattement de 85 % aux gains afférents à la cession de titres de petites et moyennes entreprises répondant à la définition de " PME communautaire ", exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, ou ayant le caractère de société holding animatrice, sans prévoir le cas où les titres cédés ont été reçus à l'occasion d'une opération d'échange. Ils font valoir que, dès lors que la SARL Planisware Management était une holding d'animation répondant aux conditions d'activité posées par le 1° du B de l'article 1 quater du code général des impôts, le bénéfice de l'abattement renforcé prévu par le 3° du A du même article 1 quater ne pouvait leur être refusé au motif que l'activité de la SARL " Kergoz Investissements " ne répondait pas à la condition posée par le f) du 1° du B du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts. Il en résulte, selon eux, une discrimination à rebours contraire au principe d'égalité protégé par l'article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et au principe de non-discrimination protégé par l'article 14 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme (CESDH) combiné avec l'article 1er de son premier protocole, dès lors qu'en vertu des dispositions nationales l'opération d'échanges de titres qu'ils ont réalisée, qui implique deux sociétés françaises et se trouve par suite en dehors du champ territorial de la directive 2009/133/CE, ne peut bénéficier de l'abattement renforcé de 85 % tandis qu'une opération équivalente mettant en cause des sociétés d'Etats membres différents et entrant par suite dans le champ de la directive, pourrait bénéficier de cet abattement.
8. En premier lieu, il ressort du texte clair des dispositions du B du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts qu'elles subordonnent le bénéfice de l'abattement renforcé de 85 % au respect de différentes conditions par la " société émettrice des droits cédés ". Dès lors, la circonstance que la directive dite " fusions " devrait, selon les requérants, être interprétée comme subordonnant le bénéfice de cet abattement au respect de conditions non pas par la société dont les titres sont cédés, mais par celle dont les titres ont été remis à l'échange ne saurait conduire à donner des dispositions précitées une interprétation contraire à leur lettre.
9. En deuxième lieu, il résulte des termes de l'article 1er de la directive 2009/133/CE qu'elle ne crée d'obligation à l'égard des Etats membres qu'au regard d'opérations qui concernent des sociétés d'au moins deux Etats membres. Il est constant que la plus-value en cause a été réalisée à l'occasion d'un apport, puis d'une cession, de titres concernant uniquement des sociétés françaises, qui, de ce fait, est hors du champ d'application de la directive 2009/133/CE du 19 octobre 2009 précitée. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 150-0 D du code général des impôts devraient être écartées au motif qu'elles seraient incompatibles avec les objectifs de la directive est inopérant.
10. En troisième lieu, il résulte des stipulations de son article 51 que la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse : " aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. (...) ". Ainsi, M. et Mme C... ne peuvent utilement se prévaloir de ce que les dispositions du 1° f) du B du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts méconnaîtraient les stipulations de l'article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, lesquelles s'appliquent aux Etats membres lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union européenne et non aux situations seulement régies par le droit interne.
11. En dernier lieu, l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation comparable est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.
12. Pour soutenir que les dispositions du 1° du B du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts méconnaissent le principe de non-discrimination tel qu'il est garanti par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné avec l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, M. et Mme C... se prévalent d'une différence de traitement entre situations internes et situations entrant dans le champ de la directive, sans lien avec les objectifs du législateur et les buts de la loi, et ne poursuivant aucun objectif d'utilité publique.
13. Toutefois, la directive 2009/133/CE ne contient aucune disposition relative aux modalités d'imposition des plus-values résultant des opérations d'échange de titres. Les dispositions de l'article 8 de cette directive ne sauraient donc faire obstacle à ce que l'Etat français prévoie l'application d'abattements pour l'imposition des plus-values résultant d'opérations d'échange de titres et, notamment, pour un motif d'intérêt général consistant à favoriser l'investissement dans les petites et moyennes entreprises, d'un abattement renforcé quand les opérations d'échange, qui correspondent à de nouveaux investissements par rapport à ceux ayant consisté à acquérir les titres initiaux, portent sur des titres de petites et moyennes entreprises, et à ce que ces abattements s'appliquent dans les mêmes conditions, que les opérations d'échange de titres impliquent des sociétés françaises ou qu'elles impliquent les sociétés de deux ou plusieurs Etats membres. L'application de la directive 2009/133/CE ne peut donc entraîner aucune différence de traitement, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme C.... Si les stipulations de l'article 8 de la directive dite " fusions ", telles qu'elles ont été interprétées par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne cité au point 5, font obligation aux Etats membres d'imposer le profit résultant de la cession ultérieure des titres reçus de la même manière que le profit qui résulte de la cession des titres existant avant l'acquisition, les conditions d'éligibilité à l'abattement renforcé posées par les dispositions du f) du 1° du B du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts, relatives à la nature de l'activité de la société dont les titres sont cédés, ne créent pas de traitement fiscal différent, au regard du taux d'imposition et de l'application de l'abattement fiscal pour tenir compte de la durée de détention des titres, entre la plus-value issue de la cession des titres reçus en échange et celle qui aurait été réalisée lors de la cession des titres existant avant l'opération d'échange, mais exigent seulement le respect d'une même condition tenant à la nature de l'activité de la société dont les titres sont cédés, applicable à toutes les opérations d'échange de titres équivalentes, entrant ou non dans le champ matériel et territorial de la directive, que cette cession soit antérieure ou postérieure à l'échange. En tout état de cause, s'agissant de l'application de l'abattement pour durée de détention à la plus-value d'une opération d'échange de titres placée en sursis d'imposition, selon que cette opération a été réalisée dans le cadre de l'Union européenne ou qu'elle l'a été dans le cadre national ou en dehors de l'Union européenne, la soumission à des règles d'assiette plus favorables des plus-values relatives à des opérations mettant en cause des sociétés d'Etats-membres différents trouve sa justification dans le nécessaire respect, pour ce qui concerne les situations entrant dans leur champ d'application, des dispositions de la directive " fusions " du 19 octobre 2009, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt précité nos C-662/18 et C-672/18 du 18 septembre 2019, qui imposent de renforcer la neutralité fiscale des opérations européennes d'échange de titres. Le respect des exigences découlant du droit de l'Union européenne constitue un objectif d'intérêt public légitime de nature à justifier une différence de traitement entre des situations au demeurant comparables, selon qu'elles sont ou non régies par ces règles. Par ailleurs, si la loi, ainsi interprétée dans le respect du droit de l'Union européenne, prévoit de garantir par des modalités différentes, selon que sont en cause des opérations purement internes ou des opérations entrant dans le champ de la directive du 19 octobre 2009, la neutralité fiscale des opérations d'échange de titres en évitant que le contribuable soit contraint de céder ses titres pour acquitter l'impôt, il n'en résulte pas une absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Par conséquent, M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions du f) du 1° du B du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts méconnaissent les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention
14. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle soulevée par M. et Mme C..., ni de sursoir à statuer, ni en tout état de cause de saisir le Conseil d'Etat, d'une demande d'avis consultatif destinée à la Cour européenne des droits de l'homme, en application du protocole n° 16 convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale, que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, les conclusions qu'ils ont présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées, ainsi qu'en l'absence de dépens, celles demandant la mise à la charge de l'Etat des dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 7 février 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Besson-Ledey, présidente de chambre,
Mme Danielian, présidente assesseure,
M. Lerooy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2023.
La rapporteure,
I. B...La présidente,
L. Besson-LedeyLa présidente,
I. I. B...La greffière,
C. Fourteau
La greffière,
A. Audrain FoulonLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 20VE02135