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09/02/2023 | FRANCE | N°20VE01438

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 09 février 2023, 20VE01438


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Bipiemme Vita S.p.A. a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution des retenues à la source, prélevées sur les dividendes de source française qui lui ont été versés en 2014 et 2015, à hauteur de 346 964 euros.

Par un jugement n° 1707279 du 25 février 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 25 juin 2020 et les 7 février, 22 mars, 3 août

et 30 septembre 2022, la société Bipiemme Vita S.p.A., représentée par Me Lauratet, Me Leclercq et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Bipiemme Vita S.p.A. a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution des retenues à la source, prélevées sur les dividendes de source française qui lui ont été versés en 2014 et 2015, à hauteur de 346 964 euros.

Par un jugement n° 1707279 du 25 février 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 25 juin 2020 et les 7 février, 22 mars, 3 août et 30 septembre 2022, la société Bipiemme Vita S.p.A., représentée par Me Lauratet, Me Leclercq et Me Prouin, avocats, demande à la cour, dans le dernier état de ses conclusions :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la restitution des retenues à la source prélevées au titre des années 2014 et 2015 pour un montant de 290 778 euros ;

3°) de condamner l'État au remboursement de l'intégralité des frais exposés et de mettre à sa charge le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les retenues à la source qui ont été prélevées sur les dividendes de source française qui lui ont été versées constituent une entrave à la libre circulation des capitaux, protégée par l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; elle supporte ainsi une charge fiscale plus lourde que les sociétés d'assurance-vie établies en France puisqu'une retenue à la source de 15 % a été prélevée sur les dividendes de source française qu'elle perçoit ; à l'inverse, les sociétés d'assurance-vie françaises constituent, en vertu du code des assurance, des provisions techniques, qui augmentent automatiquement lors de la perception de dividendes portant sur des actifs admis en représentation des engagements vis-à-vis des assurés et sont déductibles de l'impôt sur les sociétés ; dès lors, la perception de ces dividendes n'entraîne pour elles aucune imposition supplémentaire ;

- elle se trouve dans une situation comparable à celle des sociétés résidentes dès lors qu'elle affecte les dividendes de source française portant sur les actifs de ses fonds Sicurgest, Gestpiu, Valore et Consolida aux assurés, qu'elle constitue des provisions techniques en vertu de la réglementation italienne issue de la même directive 2002/83/CE et que la perception des dividendes vient, mécaniquement, augmenter le montant de la provision ; le traitement fiscal de ces provisions en Italie est sans incidence ;

- aucune raison impérieuse d'intérêt général ne peut être invoquée en l'espèce ;

- la décision n° 438135 du Conseil d'État en date du 11 mai 2021, qui consacre l'entrave à la libre circulation des capitaux dans une situation similaire à la sienne est transposable ; le rendement des actifs de ses fonds cantonnés, financés grâce aux sommes versées par les assurés, est affecté auxdits fonds, minoré d'une commission de gestion.

Par des mémoires en défense enregistrés les 17 mars 2021, 22 février, 29 juin et 8 septembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2002/83/CE du 5 novembre 2002 ;

- la convention fiscale signée entre la France et l'Italie le 5 octobre 1989 ;

- le code des assurances ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Deroc, rapporteure publique,

- et les observations de Me Leclercq, représentant la société Bipiemme Vita S.p.A.

Considérant ce qui suit :

1. La société d'assurance-vie de droit italien, Bipiemme Vita S.p.A. a perçu au cours des exercices clos en 2014 et 2015 des dividendes provenant de sociétés françaises qui ont fait l'objet d'une retenue à la source prévue par le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, dont le taux a été limité à 15 % en vertu de l'article 10 de la convention fiscale franco-italienne. Elle fait appel du jugement du 25 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de restitution de ces retenues à la source. Dans le dernier état de ses conclusions, elle limite cette demande à 290 778 euros, après minorations résultant de l'exclusion des crédits d'impôts transmis par l'établissement payeur et des retenues afférentes aux dividendes Rexel et LVMH, non attestées par l'établissement payeur, de la correction des dividendes Société Générale, de l'exclusion des retenues se rapportant à des dividendes dont il ne peut être établi aucun engagement envers les assurés et, enfin, des retenues afférentes à des commissions de gestion prélevées sur les rendements alloués aux assurés. Sur ce dernier point, la société a exclu, pour chacun des fonds cantonnés, le taux maximal de la commission de gestion prélevée sur les dividendes alloués aux assurés.

2. D'une part, aux termes de l'article 119 bis du code général des impôts : " (...) 2. Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) ". Les dividendes figurent au nombre des produits visés aux articles 108 à 117 bis de ce code. Aux termes du 1 de l'article 187 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Le taux de la retenue à la source prévue à l'article 119 bis est fixé à : (...) 25 % pour tous les autres revenus (...) ". L'article 10 de la convention conclue le 5 octobre 1989 entre la France et l'Italie en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales stipule que : " Les dividendes payés par une société qui est un résident d'un Etat à un résident de l'autre Etat sont imposables dans cet autre Etat. / 2. Toutefois, ces dividendes sont aussi imposables dans l'Etat dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet Etat, mais si la personne qui reçoit les dividendes en est le bénéficiaire effectif, l'impôt ainsi établi ne peut excéder : (...) b) 15 p. cent du montant brut des dividendes dans tous les autres cas (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : " 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites. / (...) ". Aux termes de son article 65 : " 1. L'article 63 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres : / a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ".

4. Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt du 2 juin 2016, Pensioenfonds Metaal en Techniek (C-252/14), que les mesures interdites par l'article 63, paragraphe 1, du TFUE, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements dans un État membre. A cet égard, la Cour de justice a précisé, notamment dans ses arrêts du 8 novembre 2012 Commission/Finlande (C-342/10, point 33) et du 13 novembre 2019 College Pension Plan of British Columbia c/ Finanzamt München Abteilung III (C-641/17, points 49 et 50), qu'un traitement fiscal désavantageux, par un État membre, des dividendes versés à des sociétés résidentes d'un autre État membre, par rapport au traitement réservé aux dividendes versés à des sociétés résidentes, est, par principe, de nature à induire une telle dissuasion, et qu'il ne saurait être compatible avec la liberté de circulation des capitaux qu'à condition de s'appliquer à des situations purement nationales et transfrontalières qui ne sont pas objectivement comparables ou d'être justifié par une raison impérieuse d'intérêt général.

5. Une société établie en France, qui perçoit des dividendes versés par une société résidente sans relever du régime fiscal des sociétés mères, est imposée à raison de ces dividendes selon les modalités de droit commun de calcul du résultat imposable déterminées par l'article 38 du code général des impôts, ces dividendes étant compris dans le résultat d'ensemble de cette société. Les sociétés d'assurance-vie sont tenues, en vertu des dispositions des articles R. 331-1 et suivants du code des assurances, dans leur version applicable au litige, prises pour la transposition, notamment, du chapitre 2 de la directive 2002/83/CE du 5 novembre 2002 concernant l'assurance directe sur la vie, de constituer, au titre de leurs engagements réglementés, des provisions techniques représentatives de leurs engagements vis-à-vis des assurés. L'article R. 332-1 du même code dispose que les engagements réglementés mentionnés à l'article R. 331-1 doivent, à toute époque, être représentés par des actifs équivalents. Il en résulte que, pour autant que la perception de dividendes provenant d'actifs admis en représentation des engagements réglementés a pour effet d'accroître, à concurrence de tout ou partie de leur montant, les engagements de l'assureur vis-à-vis de l'assuré, et par suite le montant des provisions techniques, la charge fiscale supportée par l'entreprise d'assurance établie en France à raison de la perception de ces dividendes se trouve réduite, voire annulée, du fait de l'admission en déduction, en application des règles de détermination du bénéfice soumis à l'impôt sur les bénéfices, du supplément de provision correspondant.

6. En comparaison, une société établie hors de France, qui reçoit les mêmes dividendes versés par une société résidente est imposée sur le montant brut de ces dividendes par la voie de la retenue à la source mentionnée au point 2. Le fait qu'elle exerce une activité d'assurance-vie, et en particulier qu'elle soit, dans son État membre de résidence, soumise à des obligations de provisionnement technique analogues, eu égard à leur caractère harmonisé à l'échelle de l'Union européenne, à celles prévues par le code français des assurances est, dans son cas, sans incidence sur le taux effectif d'imposition des dividendes.

7. Il en résulte, dans l'hypothèse où la perception des dividendes s'accompagne d'une augmentation corrélative des provisions techniques, une différence de traitement fiscal défavorable à une situation transfrontalière au sens de la jurisprudence susmentionnée de la Cour de justice de l'Union européenne.

8. La société Bipiemme Vita S.p.A gère notamment des contrats d'assurance-vie isolés dans des fonds cantonnés (" gestione separata ") dénommés Sicurgest, Gestpiu, Valore et Consolida. La société appelante produit, tout d'abord, la liste des produits financiers qu'elle a perçus, avec le code " ISIN " des sociétés émettrices des dividendes qui permet d'identifier leur pays de résidence, dont le montant est corroboré par les chiffres figurant dans les rapports des commissaires aux comptes établis chaque année pour chacun des fonds. Il résulte ainsi de l'instruction que la société perçoit des dividendes de source française à raison d'actifs qu'elle détient en représentation des engagements réglementés figurant dans ces fonds. Il ressort des clauses des contrats types produits par la société, dont l'administration ne conteste pas la représentativité, et notamment des définitions détaillées dans les glossaires, des stipulations régissant l'affectation du rendement des actifs ou encore des exemples fournis aux assurés, ainsi que des fiches explicatives et des exemples de courriers adressés à certains assurés pour les informer de l'état de leur contrat, que ces produits financiers perçus par la société sont affectés aux assurés et réinvestis dans les contrats, moyennant une commission de gestion variable selon les contrats. Ce réinvestissement entraîne donc, mensuellement ou annuellement, la revalorisation de chaque contrat et, en conséquence, de chaque fonds. Par ailleurs, il résulte des rapports des commissaires aux comptes et des expertises rédigées par un actuaire, ainsi que la législation italienne l'exige, que la société constitue, dans sa comptabilité, des provisions techniques, dont une provision mathématique qui en constitue l'essentiel, telles que prévues par le décret législatif italien n° 209 du 7 septembre 2005. Ce dernier a été édicté dans le cadre des directives européennes en matière d'assurance et comporte, ainsi, des exigences similaires à celles figurant dans le code des assurances français transposant les mêmes directives européennes. Ces provisions concernent principalement les quatre fonds cantonnés précités, leur méthode d'évaluation et les éléments pris en compte dans leur calcul étant détaillés dans les documents produits par la société. Il ressort de ces documents que la provision mathématique est fondée sur une méthode prospective tenant notamment compte des taux de rendements des fonds, certifiés par un cabinet d'audit indépendant. Dès lors, le montant des produits financiers réinvestis, correspondant aux dividendes perçus minorés des commissions de gestion, qui entraîne la revalorisation des fonds cantonnés, génère corrélativement une augmentation des provisions techniques à hauteur de l'engagement supplémentaire vis-à-vis des assurés ainsi constaté. Dans ces conditions, la société est fondée à soutenir qu'elle est dans une situation objectivement comparable à celle des sociétés d'assurance-vie française, le traitement fiscal de ces provisions au regard du droit fiscal italien étant sans incidence sur cette analyse. Dès lors, la retenue à la source prélevée sur les dividendes de source française qu'elle perçoit à raison d'actifs admis en représentation et qui génèrent une augmentation de ses provisions techniques constitue une restriction à la liberté de circulation des capitaux, au sens de la jurisprudence de la cour de justice de l'Union européenne, pour laquelle l'administration ne fait part d'aucune raison impérieuse d'intérêt général de nature à justifier cette restriction.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Bipiemme Vita S.p.A. est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses demandes en restitution de ces retenues à la source, dans la limite de 137 216 euros en 2014 et de 153 562 euros en 2015.

10. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, la société n'établissant pas avoir exposé des dépens dans la présente instance, sa demande tendant à la condamnation de l'État à leur remboursement ne peut qu'être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : La retenue à la source prélevée sur les dividendes de source française distribués à la société Bipiemme Vita S.p.A. lui est restituée à concurrence de 137 216 euros en 2014 et de 153 562 euros en 2015.

Article 2 : Le jugement n°1707279 du 25 février 2020 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à la société Bipiemme Vita S.p.A. la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bipiemme Vita S.p.A. et au ministre de l'économie, des finances et de souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Besson-Ledey, présidente de chambre,

Mme Danielian, présidente assesseure,

Mme Liogier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2023.

La rapporteure,

C. A...La présidente,

L. Besson-Ledey

La greffière,

A. Audrain-Foulon

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

Le greffier,

N°20VE01438 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE01438
Date de la décision : 09/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables - Libertés de circulation - Libre circulation des capitaux.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Revenus des capitaux mobiliers et assimilables - Revenus distribués.


Composition du Tribunal
Président : Mme BESSON-LEDEY
Rapporteur ?: Mme Claire LIOGIER
Rapporteur public ?: Mme DEROC
Avocat(s) : CABINET FIDAL DIRECTION INTERNATIONALE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-02-09;20ve01438 ?
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