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17/01/2023 | FRANCE | N°19VE01268

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 17 janvier 2023, 19VE01268


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Alten SA a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 14 juin 2016 par laquelle par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui a infligé une amende administrative d'un montant de 200 000 euros assortie d'une mesure de publication de cette sanction.

Par un jugement n° 1609876 du 12 février 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédur

e devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 12 avril 2019 et le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Alten SA a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 14 juin 2016 par laquelle par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui a infligé une amende administrative d'un montant de 200 000 euros assortie d'une mesure de publication de cette sanction.

Par un jugement n° 1609876 du 12 février 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 12 avril 2019 et le 17 septembre 2019, la société Alten SA représentée par Me Recoules et Habibou, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 12 février 2019 ;

2°) de prononcer la décharge de l'amende administrative d'un montant de 200 000 euros ;

3°) de condamner l'Etat à rembourser le montant de cette amende ;

4°) de juger que la publication de la décision de sanction n'était pas justifiée ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'application immédiate des sanctions porte atteinte à la présomption d'innocence ;

- il existe une disproportion entre le pouvoir de sanction et les garanties offertes à l'entreprise ;

- aucune séparation n'est assurée entre les autorités de contrôle et les autorités de sanction ;

- la sanction est disproportionnée ; il y a une procédure de vérification à effectuer avant de payer une facture ; sur l'échantillon de 84 factures présumées réglées en retard, seules 7 le sont réellement. ; le tribunal a retenu un montant de chiffre d'affaires payé avec retard erroné.

Par un mémoire enregistré le 10 juillet 2019, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la procédure de sanction est conforme aux garanties fondamentales de droits de la défense ;

- la sanction est proportionnée.

Par ordonnance du 7 décembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 24 décembre 2021, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen ;

- le code de commerce ;

- la décision du Conseil Constitutionnel n°2014-690 du 13 mars 2014 (loi relative à la consommation) ;

- la décision du Conseil Constitutionnel n°2016-741 du 8 décembre 2016 ( loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteur public,

- et les observations de Me Guilland, pour la société Alten SA et de Mme A..., pour la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France.

Considérant ce qui suit :

1. La société Alten SA, spécialisée dans les domaines de l'ingénierie et du conseil en technologies a fait l'objet le 5 novembre 2015 d'un contrôle mené par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France visant à vérifier le respect des dispositions du 9ème alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce relatives aux délais de paiement interentreprises, au titre de la période d'un an du 1er avril 2014 au 30 mars 2015. En application de ces dispositions, la DIRECCTE d'Ile-de-France a notifié, par une lettre du 30 mars 2016, un procès-verbal de constat de manquements et a indiqué à la société Alten SA son intention de lui infliger une amende administrative d'un montant de 250 000 euros, assortie d'une mesure de publication. Par un courrier du 12 mai 2016 ainsi qu'oralement lors d'un entretien réalisé dans les locaux de la DIRECCTE d'Ile-de-France le 27 mai suivant, la société Alten SA a fait part de ses observations. Par un courriel du 6 juin 2016, elle a également transmis à la DIRRECTE d'Ile-de-France de nouveaux éléments à l'appui de ses observations. Par une décision du 14 juin 2016, la DIRECCTE d'Ile-de-France lui a infligé, au titre de la période litigieuse, une amende administrative d'un montant de 200 000 euros assortie d'une mesure de publication de cette sanction sur le site de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour une durée de six mois sous un délai d'un mois à compter de la notification de la décision de sanction administrative et sur la page d'accueil du site internet de la société sous le même délai et pour une durée d'un mois. La société Alten SA a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler cette décision. Par un jugement du 12 février 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Elle relève appel de ce jugement et demande la décharge de la somme mise à sa charge.

Sur les conclusions à fin de décharge :

2. Aux termes de l'article L.441-6 du code de commerce dans sa rédaction en vigueur : " " I. - Tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur est tenu de communiquer ses conditions générales de vente à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle. Elles comprennent : / - les conditions de vente ; / - le barème des prix unitaires ; / - les réductions de prix ; / - les conditions de règlement. / (...) / (...) / Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée.(...) . VI.-Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième, onzième et dernier alinéas du I du présent article, le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa du même I, le fait de fixer un taux ou des conditions d'exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes à ce même alinéa ainsi que le fait de ne pas respecter les modalités de computation des délais de paiement convenues entre les parties conformément au neuvième alinéa dudit I. L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 465-2. Le montant de l'amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive. /Sous les mêmes sanctions, sont interdites toutes clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement mentionnés au présent article. "

3. En premier lieu, ni le principe des droits de la défense ni le droit à un recours effectif n'impliquent qu'une sanction administrative prononcée puisse être contestée par un recours dont l'effet serait suspensif. En outre, il n'est pas contesté que la société Alten SA n'a pas introduit de demande de de suspension de la décision attaquée devant le juge administratif. Par suite, le moyen tiré de la violation de la présomption d'innocence doit être écarté.

4. En deuxième lieu, la société Alten SA a bénéficié d'un délai de 60 jours pour présenter ses observations sur l'intention de l'administration de lui infliger une sanction de 200 000 euros. Si elle soutient que ce délai est insuffisant, les observations éventuelles ne devaient porter sur 1764 factures sur les 14 544 contrôlées. En outre, comme le fait valoir l'administration, la société a pu s'exprimer tout au long de la procédure de contrôle lors des constats et lors d'un entretien le 27 mai 2016, avant le lancement de la procédure de sanction. Enfin, il n'est pas allégué que la société aurait demandé un rallongement de ce délai de 60 jours ou aurait fait part de ses difficultés à présenter ses observations du fait de ce délai devant l'administration. Par ailleurs, si la société soutient que le principe du contradictoire est méconnu dès lors qu'aucune séparation n'est effectuée entre les agents qui procèdent au constat et ceux qui décident des sanctions, le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. En l'espèce, par une décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, le Conseil constitutionnel, saisi de la constitutionnalité de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, a déclaré que les dispositions portant sur la procédure d'établissement de sanctions administratives étaient conformes à la Constitution. Par suite, le moyen tiré du non-respect des droits de la défense et du contradictoire doit être écarté.

5. En dernier lieu, la société Alten SA soutient que la sanction est disproportionnée par rapport aux manquements constatés qui ne représenteraient qu'une part infime des factures payées. Il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal établi le 10 février 2016 par l'inspecteur de la concurrence, de la consommation et répression des fraudes, à l'issue de la période de contrôle que 14 544 factures ont été contrôlées, sur lesquelles 1764 factures soit 12,13% ont été considérées comme payées avec retard, parmi lesquelles 84 factures ont été sélectionnées pour un contrôle sur pièces. Après instruction et prise en compte des observations de l'entreprise, 47 factures seulement sur les 84 sélectionnées ont pu être retenues comme payées avec un retard imputable à la société, les autres factures ayant été écartées de l'analyse après que la société ait apporté des explications. Il résulte ainsi de ce constat, que sur les factures contrôlées sur pièces, seulement 55% environ de l'échantillon de factures considérées comme payées en retard ont pu être considérées comme l'étant effectivement du fait de la société Alten SA. Or, l'administration pour prendre la décision attaquée s'est fondée sur le montant de l'avantage de trésorerie dont aurait bénéficié la société requérante, sans prendre en compte ce taux de 55% constaté sur l'échantillon examiné. Elle a ainsi surévalué l'avantage de trésorerie dont a bénéficié la société requérante de son fait pour fixer le montant de l'amende administrative. Cette dernière est par suite fondée à soutenir que la sanction prononcée à son encontre est disproportionnée. Il y a lieu de ramener le montant de l'amende prononcée à la somme de 130 000 euros.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 14 juin 2016 en tant qu'elle ordonne la mesure de publication de la sanction :

6. Par cette décision, la DIRECCTE d'Ile-de-France a décidé, sur le fondement des dispositions des articles L.465-2 V et R.465-2 du code de commerce, de publier la décision de sanction administrative pendant six mois sur le site de la DGCCRF et a imposé à la société de la publier pendant un mois sur son site. En demandant à la cour de juger cette mesure injustifiée, la société Alten SA doit être regardée comme en demandant l'annulation.

7. En se bornant à soutenir que la mesure de publication de la sanction n'était pas justifiée alors qu'il résulte de ce qui précède qu'une sanction administrative était justifiée, la société Alten SA n'établit pas l'illégalité de cette mesure.

8. Il résulte de ce qui précède que la société Alten SA est seulement fondée à demander à ce que la sanction administrative prononcée à son encontre par la décision du 14 juin 2016 par laquelle la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France soit ramenée à la somme de 130 000 euros.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Il résulte des dispositions de l'article L. 11 du code de justice administrative que les décisions des juridictions administratives sont exécutoires, et permettent par elles-mêmes d'obtenir, au besoin d'office, le remboursement de sommes déjà versées à tort. Les conclusions de la société Alten tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de lui rembourser la somme versée à tort ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par la société requérante au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le montant de l'amende administrative prononcée à l'encontre de la société Alten SA est ramené à la somme de 130 000 euros.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Alten SA est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Alten SA, à la DRIEETS d'Ile de France et au ministre de l'économie et des finances.

Délibéré après l'audience du 16 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

Mme Bonfils, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 janvier 2023.

La rapporteure,

A. C. B...Le président,

S. BROTONSLa greffière,

S. de SOUSA

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N°19VE01268


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE01268
Date de la décision : 17/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Anne-Catherine LE GARS
Rapporteur public ?: Mme VISEUR-FERRÉ
Avocat(s) : CABINET ARSENE TAXAND

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-01-17;19ve01268 ?
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