Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile de construction vente (SCCV) LEANE a demandé au tribunal administratif de Montreuil, d'une part, d'annuler l'arrêté du 24 janvier 2018 par lequel le maire de la commune du Raincy a refusé de lui délivrer un permis de construire valant permis de démolir pour la construction d'un ensemble immobilier de cinquante logements, répartis en deux résidences indépendantes avec cinquante-quatre places de stationnement sur deux niveaux de sous-sol, et d'autre part, de condamner cette commune à lui verser la somme de 2 500 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi à raison de l'illégalité de ce refus.
Par un jugement n° 1805243 du 2 octobre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la SCCV LEANE et a mis à sa charge la somme de 2 000 euros à verser à la commune du Raincy en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance n° 19VE04041 du 31 mai 2021, la présidente assesseure de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par cette société contre ce jugement comme manifestement dépourvu de fondement.
Par une décision n° 453959 du 12 mai 2022, le Conseil d'Etat saisi d'un pourvoi présenté par la SCCV LEANE, a annulé cette ordonnance et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Versailles.
Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :
Par deux mémoires enregistrés le 23 juin et le 28 septembre 2022, la société civile de construction vente (SCCV) LEANE, représentée par Me Odinot, avocate, a confirmé qu'elle demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil n° 1805243 du 2 octobre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du maire du Raincy du 24 janvier 2018 ;
3°) de mettre à la charge de la commune du Raincy le versement de la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- cet arrêté ne précisant pas les règles de l'article UA11 du règlement du plan local d'urbanisme qui auraient été méconnues et comportant une motivation stéréotypée est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'une d'erreur de droit au regard des articles R. 111-27 du code de l'urbanisme et UA11 du règlement du plan local d'urbanisme, en ce que, pour refuser sa demande, il n'aurait pas été procédé, dans un premier temps, à une appréciation entière de la qualité du site sur lequel la construction est projetée puis, dans un second temps, de l'impact sur le site, non de la seule démolition de la construction existante, mais de son remplacement par la construction autorisée, compte tenu de sa nature et de ses effets.
Par deux mémoires, enregistrés le 27 juin et le 10 août 2022, la commune du Raincy, représentée par Me Savignat, avocat, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- la SCCV LEANE ne justifie pas d'un titre établissant sa qualité pour contester l'arrêté litigieux ;
- les moyens soulevés par la SCCV LEANE ne sont pas fondés.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Frémont, rapporteur public,
- et les observations de Me Savignat pour la commune du Raincy.
Considérant ce qui suit :
1. Le maire de la commune du Raincy a, par un arrêté du 24 janvier 2018, refusé de délivrer à la société civile de construction vente (SCCV) LEANE un permis de construire valant permis de démolir pour la construction d'un ensemble immobilier de cinquante logements, dont quinze logements sociaux, répartis en deux résidences indépendantes, avec cinquante-quatre places de stationnement sur deux niveaux de sous-sol. Cette société s'est pourvue en cassation contre l'ordonnance du 31 mai 2021 par laquelle la présidente assesseure de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 2 octobre 2019 ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 24 janvier 2018 ainsi que ses conclusions indemnitaires. Le Conseil d'Etat a annulé cette ordonnance et a renvoyé l'affaire devant la cour.
Sur la recevabilité de l'appel formé par la SCCV LEANE :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de l'urbanisme : " La demande de permis de construire est présentée soit par le propriétaire du terrain ou son mandataire, soit par une personne justifiant d'un titre l'habilitant à construire sur le terrain soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l'expropriation dudit terrain pour cause d'utilité publique (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que la SCCV LEANE était, lors du dépôt de sa demande de permis de construire, bénéficiaire d'un acte de vente signé le 24 novembre 2017 lui attribuant la propriété du 10 boulevard du Midi, ainsi que d'une promesse de vente pour le 8B boulevard du Midi, signée le 31 juillet 2017, dont le délai expirait le 31 mai 2018, et dont l'une des conditions suspensives prévoyait l'obtention d'un permis de construire pour la réalisation du projet envisagé, sous réserve que le bénéficiaire accomplisse les diligences requises. Il en résulte que la SCCV LEANE, qui possédait un titre l'habilitant à construire sur le terrain d'assiette du projet litigieux, est recevable à contester l'arrêté du maire de la commune du Raincy du 24 janvier 2018 opposant un refus à sa demande de permis de construire déposée le 29 septembre 2017.
Sur la légalité de l'arrêté contesté :
4. En premier lieu, il ressort de l'arrêté portant refus de permis de construire valant permis de démolir du 24 janvier 2018 qu'il vise les dispositions des articles L. 421-1 et suivants et R. 421-1 et suivants du code de l'urbanisme, cite l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme et le plan local d'urbanisme de la commune du Raincy, décrit les caractéristiques du projet litigieux et oppose l'inadéquation du caractère architectural du bâtiment avec le paysage bâti et environnemental, ainsi que le fait que, du fait de son architecture et sa volumétrie, le projet ne s'intègre pas dans le projet urbain de la ville du Raincy et porte atteinte au caractère et à l'intérêt des lieux avoisinants. Il mentionne également l'avis de l'Architecte des bâtiments de France (ABF) du 29 novembre 2017 qui précise que le projet n'est pas situé dans le périmètre délimité des abords ou dans le champ de visibilité d'un monument historique, mais que celui-ci " ne peut s'intégrer à son contexte en raison de son hétérogénéité, [et] de son échelle ". L'arrêté attaqué comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et permet au pétitionnaire d'en contester utilement la légalité. Par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté.
5. En second lieu, aux termes de l'article R. 111-1 du code de l'urbanisme : " Le règlement national d'urbanisme est applicable aux constructions et aménagements faisant l'objet d'un permis de construire, d'un permis d'aménager ou d'une déclaration préalable ainsi qu'aux autres utilisations du sol régies par le présent code ". Aux termes de l'article R. 111-27 du même code : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. ". L'article UA11 du règlement de la zone UA du plan local d'urbanisme de la commune du Raincy ajoute que : " Les constructions, bâtiments et ouvrages à édifier ou à modifier, ne doivent pas, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains, ainsi qu'à la conservation des perspectives, en particulier à proximité des bâtiments remarquables identifiés au plan de zonage. ".
6. Ces dispositions ont pour objet de régir, non les démolitions, mais les constructions, le cas échéant s'accompagnant des démolitions nécessaires. Si les constructions projetées portent atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ou à la conservation des perspectives monumentales, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il appartient à l'autorité administrative compétente d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site. Il est exclu de procéder, dans le second temps du raisonnement, pour apprécier la légalité du permis de construire délivré, à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux visés par l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme et le plan local d'urbanisme de la commune. Il n'en va pas différemment lorsqu'il a été fait usage de l'article L. 451-1 du code de l'urbanisme permettant que la demande de permis de construire porte à la fois sur la construction et sur la démolition d'une construction existante, lorsque cette démolition est nécessaire à cette opération. Dans un tel cas, il appartient à l'administration d'apprécier l'impact, sur le site, non de la seule démolition de la construction existante mais de son remplacement par la construction autorisée.
7. Un permis de construire ne peut être refusé que si l'autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu'il n'est pas légalement possible, au vu du dossier et de l'instruction de la demande de permis, d'accorder le permis en l'assortissant de prescriptions spéciales qui, sans apporter au projet de modifications substantielles nécessitant la présentation d'une nouvelle demande, permettraient d'assurer la conformité de la construction aux dispositions législatives et réglementaires dont l'administration est chargée d'assurer le respect.
8. L'arrêté litigieux, qui reprend l'avis de l'architecte des bâtiments de France (ABF) du 29 novembre 2017, fonde le refus opposé à la demande de la SCCV LEANE sur le fait que " la démolition des constructions existantes sur le terrain d'assiette du projet serait regrettable, eu égard à leur qualité architecturale ", que " le projet architectural présenté ne peut s'intégrer à son contexte en raison de son hétérogénéité, de son échelle et que le caractère architectural du bâtiment n'est pas en adéquation avec le paysage bâti et environnemental ", et enfin que " le projet ne s'intègre pas dans le projet urbain de la ville du Raincy, de par son architecture et sa volumétrie et qu'il porte atteinte au caractère et à l'intérêt des lieux avoisinants, risquant de déclencher une mutation non maîtrisable du secteur qui actuellement n'est pas souhaitable ".
9. D'une part, il ressort des pièces du dossier, notamment des échanges de courriers intervenus entre la SCCV LEANE et l'architecte des bâtiments de France (ABF) préalablement au dépôt de la demande de permis de construire, de l'avis de l'ABF du 29 novembre 2017 et de l'arrêté litigieux, que le terrain d'assiette du projet accueille une maison bourgeoise et une maison implantée sur rue, appartenant toutes deux à un lot représentatif du patrimoine de villégiature emblématique de l'urbanisme de ce quartier de la commune du Raincy à travers leurs implantations, leurs volumes, la composition et l'ordonnancement des façades, les matériaux employés et les éléments de modénatures présents sont caractéristiques des constructions de la fin du XIXème siècle. L'avis négatif de l'ABF, repris par l'arrêté litigieux, se fonde sur la grande qualité architecturale du corps de bâtiment principal, constituant un jalon non-négligeable de l'architecture de la ville, au regard de l'intérêt public attaché au patrimoine, à l'architecture, au paysage naturel ou urbain, à la qualité des constructions et à leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant. Il en ressort que le maire du Raincy a édicté l'arrêté litigieux après s'être livré à une appréciation complète de la qualité du site sur lequel la construction est projetée.
10. D'autre part, le maire de la commune a pris soin d'ajouter en sus de l'incidence de la démolition, que le projet ne s'intègre pas dans le projet urbain de la ville par son architecture et sa volumétrie et que portant atteinte au caractère et à l'intérêt des lieux avoisinants, il risquerait de déclencher une mutation non maîtrisable du secteur. Il a donc ainsi procédé à une appréciation complète de l'impact de la démolition sur les constructions existantes, et sur celui de leur remplacement par la construction projetée, compte tenu de sa nature et de ses effets.
11. Enfin, il ressort de l'arrêté litigieux que la maire a procédé à la balance des intérêts en présence, au regard de l'impératif de protection du caractère ou de l'intérêt des lieux avoisinants, des sites, des paysages naturels ou urbains ou de la conservation des perspectives monumentales.
12. Cependant, il ressort en l'espèce des pièces du dossier que le bâtiment, dont la démolition est envisagée, n'est pas protégé au titre des monuments historiques et est vétuste. Le projet contesté vise à le remplacer par des constructions dont l'aspect architectural d'essence moderne a été amélioré par la SCCV LEANE, laquelle a suivi les recommandations que lui avait adressées l'ABF dans un échange de courriers intervenu les 1er et 2 février 2017, à travers l'insertion de touches traditionnelles à savoir une toiture en ardoise, l'emploi de la pierre de taille agrémenté de parements en briques rouges reprenant les principes architecturaux des anciennes façades, du zinc au niveau des terrassons, et la reprise des caractéristiques des clôtures existantes. Enfin, il ne ressort pas de ce projet qu'il porterait atteinte à la zone UA où cette opération doit être réalisée, qui est un secteur urbain hétérogène ayant selon le règlement du plan d'urbanisme vocation à accueillir principalement des logements, des commerces et des bureaux et où sont implantées des constructions ne présentant pas un grand intérêt architectural. Par suite, en refusant le permis de construire sans l'assortir de prescriptions le maire a entaché son arrêté d'une erreur d'appréciation.
13. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun des autres moyens invoqués n'est susceptible, en l'état du dossier, de fonder cette annulation.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SCCV LEANE est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du maire du Raincy du 24 janvier 2018.
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune du Raincy la somme de 2 000 euros à verser à la SCCV LEANE sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montreuil n° 1805243 du 2 octobre 2019 et l'arrêté du maire de la commune du Raincy du 24 janvier 2018 sont annulés.
Article 2 : La commune du Raincy versera à la société civile de construction vente LEANE une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCCV LEANE et à la commune du Raincy.
Délibéré après l'audience du 6 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Even, président de chambre,
Mme Bruno-Salel, présidente assesseure,
Mme Houllier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 octobre 2022.
Le président-rapporteur,
B. A...L'assesseure la plus ancienne,
C. BRUNO-SALEL
La greffière,
A. GAUTHIER
La République mande et ordonne au préfet de la Seine Saint Denis en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 22VE01189