Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Yazaki Systems Technologies France a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer le rétablissement à hauteur de 13 012 087 euros de son déficit reportable au bilan de l'exercice clos le 31 mars 2014.
Par un jugement n° 1802237 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 6 septembre 2020, le 22 décembre 2020 et le 16 avril 2021, la société Yazaki Systems Technologies France, représentée par Me Ménard et Me Chalal, avocats, demande à la cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° de prononcer le rétablissement à hauteur de 13 012 087 euros de son déficit reportable au titre de l'exercice clos le 31 mars 2014 ;
3° de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le paiement de dommages et intérêts à hauteur de 7 000 000 euros à la société Renault est une charge déductible et ne constitue pas un acte anormal de gestion dès lors que ce paiement n'incombait pas à la société Yazaki Europe ;
- quand bien même l'existence d'un acte anormal de gestion serait avérée, elle justifie de contreparties consistant en la poursuite de ses relations commerciales avec la société Renault, avec qui elle a signé un nouveau contrat en mars 2014.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 24 février 2021 et le 1er septembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Yazaki Systems Technologies France ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 14 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 30 juin 2022, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pham, première conseillère,
- les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique,
- et les observations de Me Chalal, pour la société Yazaki Systems Technologies France.
Considérant ce qui suit :
1. La société Yazaki Systems Technologies France (SY France) est détenue à 100 % par la société de droit allemand SY Systems Technologie Europe GmbH, devenue en 2013 Yazaki Systems Technologie Europe GmbH (SY Europe) consécutivement à l'acquisition de 100 % des participations de cette dernière par la société-mère japonaise créatrice du groupe, Yazaki Corporation Japon. Elle développe et distribue des faisceaux de câblage et a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercice clos en 2012, 2013 et 2014. A l'issue de cette vérification, l'administration a remis en cause la déductibilité, au titre de l'exercice clos en 2014, d'une indemnité de 7 000 000 euros versée à la société Renault, qui visait à réparer le préjudice subi par cette dernière du fait d'une entente anti-concurrentielle, sanctionnée par la Commission européenne, pratiquée entre plusieurs équipementiers automobiles, dont le groupe Yazaki. La société Yazaki Systems Technologies France relève appel du jugement n° 1802237 du 7 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande de rétablissement de son déficit reportable au titre de l'exercice clos en 2014 à hauteur de 13 012 087 euros.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée.
3. Il résulte de l'instruction qu'en juillet 2013, la Commission européenne a infligé des amendes pour participation à une entente anti-concurrentielle entre 2004 et 2009 à cinq fabricants de faisceaux électriques pour automobiles, dont la société SY France, qui a été condamnée pour sa participation à cette entente au détriment du groupe Renault. Par courrier du 22 juillet 2013 adressé à la société requérante, la société SY Europe a déclaré qu'elle prendrait en charge le paiement de cette amende. Par ailleurs, le 20 décembre 2013, un protocole d'accord transactionnel a été conclu entre, d'une part, la société Yazaki Corporation Japan, représentée par son directeur général, la société SY France, également représentée par le directeur général de la société Yazaki Corporation Japan et, d'autre part, la société Renault, par lequel il était prévu que la société SY France verserait à la société Renault la somme de 7 000 000 euros et que la société Renault, en contrepartie, s'abstiendrait d'engager des poursuites de quelque nature que ce soit à l'encontre du groupe Yazaki ou de la société SY France en lien avec la pratique anti-concurentielle antérieure au 1er janvier 2010. Le service a considéré que le paiement de l'indemnité de 7 000 000 euros par la société requérante ne constituait pas une charge déductible, mais un acte anormal de gestion et un transfert indirect de bénéfices au motif que la société SY Europe était seule redevable de cette indemnité.
4. D'une part, il ne ressort pas des termes du courrier du 22 juillet 2013, qui concernait seulement l'amende infligée par la Commission européenne, que la société SY Europe se serait engagée à payer les dommages et intérêts éventuellement dus à la société Renault du fait de l'entente anti-concurentielle précitée.
5. D'autre part, même si cette entente a vraisemblablement été négociée par les sociétés mères du groupe et non par ses filiales nationales, il n'en reste pas moins que la société SY France, en sa qualité de co-contractante de la société Renault, risquait au premier chef de voir sa responsabilité engagée en cas d'action en dommages et intérêts initiée par cette dernière, dès lors que l'amende infligée par la Commission européenne aux auteurs d'une pratique anti-concurrentielle n'affecte pas les actions en dommages et intérêts que peuvent introduire les sociétés lésées par cette pratique à l'encontre des sociétés qui en sont l'auteur et ne réduit en aucune manière le montant des dommages et intérêts susceptibles de leur être attribués. A cet égard, ces sociétés lésées peuvent se prévaloir de la décision de la Commission européenne, qui constitue une preuve contraignante de l'existence et du caractère illicite de l'entente.
6. De troisième part, la société SY France avait un intérêt commercial à payer cette indemnité, dès lors que la société Renault est son unique client et qu'un nouveau marché, devant générer un chiffre d'affaires sur les cinq années suivantes de 174 846 245 euros, lui a été attribué en mars 2014.
7. Il s'ensuit que le paiement par la société SY France de la somme de 7 millions d'euros à la société Renault a été exposé dans l'intérêt de son exploitation et constitue une charge déductible.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 57 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 de ce code, dans sa rédaction en vigueur à la période d'imposition litigieuse : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance (...) d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. (...) ". Ces dispositions instituent, dès lors que l'administration établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans leurs prévisions, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties.
9. Il résulte de ce qui précède que, à supposer même que la société Yazaki Corporation Japan ait bénéficié d'un avantage constitué par la décharge de responsabilité la concernant prévue dans l'accord transactionnel signé avec la société Renault, cet avantage n'était pas pour autant dépourvu de contrepartie pour la société SY France. Celle-ci avait un intérêt à payer cette indemnité, dès lors que, en sa qualité de cocontractante de la société Renault, une action en dommages et intérêts initiée par cette dernière société l'aurait concernée au premier chef. En outre, la signature de ce protocole lui a permis de conserver son unique client et de se voir attribuer en mars 2014 un nouveau marché représentant un chiffre d'affaires de plus de 170 millions d'euros sur les cinq prochaines années. Par suite, l'administration n'a pas démontré qu'en payant l'indemnité de 7 000 000 d'euros, la société Yazaki France aurait accordé un avantage dépourvu de contrepartie et opéré un transfert indirect de bénéfices.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Yazaki Systems Technologies France est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Yazaki Systems Technologies France et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n°1802237 du 7 juillet 2020 du tribunal administratif de Versailles est annulé.
Article 2 : Le déficit de la société Yazaki Systems Technologies France au titre de l'exercice clos en 2014 est rétabli à hauteur de 13 012 087 euros.
Article 3 : L'État versera à la société Yazaki Systems Technologies France une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Yazaki Systems Technologies France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 4 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Beaujard, président de chambre,
Mme Dorion, présidente assesseure,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 octobre 2022.
La rapporteure,
C. PHAM Le président,
P. BEAUJARD
La greffière,
C. FAJARDIE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 20VE02286